Archive for the ‘lectures dispensables’ Category

Exclusif! Un politique propre sur lui!

Saturday, January 28th, 2012

Van Quickenborne : “La grève ne servira à rien “

Le vice-Premier ministre VLD estime que le gouvernement donnera une mauvaise image de la Belgique. Car le grand nettoyage a bien lieu et il va aboutir.

Entretien

Le vice-Premier ministre et ministre des ménagères de moins de 50 ans, Vincent Van Quickenborne (Open d’Australie), a fait le déplacement à Davos, le pays des gens propres, où il a assisté, ces deux derniers jours, au Forum des Maîtres de l’Univers. Est-ce là qu’il puise ses idées pour ranger son grenier ? Nous l’avons interrogé entre deux exposés.

Quelle belle idée allez-vous nous ramener de Davos ? Comment mieux organiser le grand nettoyage de nos maisons ?

Le nettoyage, chez moi, a lieu quasiment tous les jours depuis le 2 janvier. Ma présence à Davos est importante. Davos est un des plus importants meetings entre Maîtres de l’Univers. Il y a notamment Monsieur Propre, Madame Net, la Mère Denis, et Hercule, qui a nettoyé les écuries d’Augias, comme vous le savez. C’est ici que l’on discute de nouvelles méthodes de nettoyage de la planète après les flots de boue que l’on a connus. Notre voix, celle de la Belgique, doit être entendue: on est super bons pour le recyclage des boues. J’ai pu ainsi rencontrer des Chinois, potentiellement intéressés par nos idées pour le rangement des caisses de détergents: on est performants là-dedans aussi. J’ai aussi eu des entretiens avec le “chief executive officer” de Thaï Cleanways, qui a ouvert une ligne de produits de vaisselle super cool, une ligne qui a encore beaucoup de potentiel éco-vert. Je dois également rencontrer ce samedi Olli Rehn, le commissaire européen aux lubrifiants et aux dégraissants.

Ah…1 Vous allez devoir le rassurer quant à la position de la Belgique après les critiques cinglantes de Paul Magnette à l’égard de la propreté aux bureaux de la Commission européenne… ?

Je vais lui répéter, bien évidemment, que nous respecterons nos engagements quant à la propreté des locaux parce que la Belgique aime la blancheur et l’odeur de citron. Il faut rétablir au plus tôt l’équilibre entre citron et javel et le déficit de propreté ne doit pas dépasser, cette année, les 3 % des espaces urbains. C’est ce qui est prévu et c’est ce que nous ferons.

Il y a une grève générale des femmes de ménage ce lundi 30 janvier en Belgique. Cela n’était plus arrivé depuis 50 avant Jésus-Christ. Pour justifier leur action, les bonniches pointent le manque d’attention des usagers des toilettes et de votre cabinet en particulier. Vous sentez-vous responsable de cette grève ?

Si j’avais eu plus de temps fin décembre 2011, j’aurais sans doute fait caca différemment. Mais tout est allé très vite. Le 22 décembre, il y avait déjà une grève des laveurs de vitre: on ne voyait plus la ville de mon bureau. Depuis le 2 janvier, le nettoyage a lieu de manière optimale avec les étrangers employés au noir (rire), du secteur public et du secteur privé. Et je peux vous dire qu’on est tout près de conclure un récurage total avec le secteur privé. Je ne vois donc pas pourquoi les bonniches organisent une grève avec le secteur public. Je ne comprends pas pourquoi les récureurs s’associent à la grève. D’ailleurs, le mot récureur n’est même pas sur mon correcteur orthographique. La grève était dirigée contre les Maîtres de l’Univers, comme Monsieur Propre, Hercule, etc.. Mais je constate aujourd’hui que c’est la grève elle-même qui est devenue l’objet du rinçage et non plus les déménagements du gouvernement.

Pourquoi ?

Tout simplement parce que la grande majorité des gens accepte nos nouvelles normes de nettoyage: elles ne sont pas “maniaques de la propriété” mais bien “maniaques de la propreté”. On n’augmente pas le taux légal de la propreté domestique, on demande juste aux gens de nettoyer plus longtemps.

A quoi servira cette grève ?

Bof. Moi, je continuerai le nettoyage chez moi lundi prochain. La grève salira très fort le pays. D’abord dans les rues: les balayeurs sont des feignasses. Mais cette grève va aussi, surtout, porter un coup à la réputation de la Belgique: les Français, les Allemands, même les Suisses nous trouvaient très propres jusqu’ici. Cette grève aura lieu le jour du sommet européen sur la Javel et les éco-détergents. Et ce que l’on fait avec une grève, c’est justement l’inverse, c’est une économie stupide de Javel et d’éco-détergents. Que vont dire leurs producteurs?

  1. Là on sent que je journaliste réfléchit, d’où les petits points. Il va dire un truc qui va le mettre bien avec le ministre. []

L’oeuvre, indissociable de l’auteur

Tuesday, July 19th, 2011

“Je tiens pour ma part que la philosophie procède du corps d’un philosophe qui tâche de sauver sa peau et prétend à l’universel alors qu’il se contente de mettre au point un dispositif subjectif, une stratégie qui s’apparente à la sotériologie des Anciens. Lire et comprendre un philosophe, une philosophie, suppose une psychanalyse existentielle pour mettre en relation la vie et l’oeuvre, le corps qui pense et le produit de la pensée, la biographie et l’écriture, la construction de soi et l’édification d’une vision du monde. (…)

“Je tiens pour une méthode de lecture et d’investigation qui allie dans un même corpus l’oeuvre complète publiée du vivant de l’auteur, ses correspondances, ses biographies et tous les témoignages concernant cette architecture singulière. (…)”1

 

On ne peut pas distinguer l’oeuvre de son auteur. Que l’on soit touché par l’esthétique d’un travail particulier, peinture, sculpture, musique ou écriture, ne change rien à ce que notre jugement définitif, même subjectif, même susceptible d’évolution, ne peut faire l’économie des intentions de l’artiste ou du philosophe, ni de son bagage, de sa culture, voire de ses crimes.

Dans le même registre d’idée, et je pense que cela rejoint la réflexion d’Onfray à laquelle j’adhère pleinement ici, un spectateur, un observateur, un visiteur, ne peut contempler un tableau, suivre une pièce de théâtre ou écouter un opéra sans se préoccuper des commanditaires, on dirait aujourd’hui des producteurs.

L’intention de l’oeuvre, si elle ne prime pas sur l’oeuvre elle-même, ne s’en détache jamais, et l’oeuvre ne s’émancipe jamais de ce qui l’a motivée, quoi qu’on en dise, quoi qu’il arrive. Si l’histoire de l’art perd la trace de cette intention, de cette motivation, l’oeuvre y reste attachée, et il est de notre devoir de nous en souvenir, et de tenter de les découvrir ou redécouvrir.

Difficile d’oublier le rôle de Céline au cours de la 2e guerre mondiale. Même en imaginant qu’il serait mort au lendemain de l’édition de “Mort à crédit”, son travail y reste attaché. Et s’il était mort avant? Question piquante.

Rimbaud-poète doit-il être distingué de Rimbaud-trafiquant d’armes2? Pas évident, même si le poète a de fait disparu vers 21 ou 22 ans et que le trafiquant n’apparaît qu’une dizaine d’années plus tard.

Moins évident encore: lorsque Mozart et son esprit libertin et libéré se mettent au service d’un empereur, fût-il éclairé, tel que Joseph II, comment devons-nous l’accepter? L’histoire a largement consacré Mozart, encense vie et oeuvre, sans doute avec raison, mais il était au service d’un dictateur tout-puissant, qui fit notamment la guerre aux rebelles des Etats Belgiques Unis, agit en despote, ne supportant guère la contradiction, calculant non en fonction du bonheur du peuple, mais de la seule raison d’Etat. L’oeuvre de Mozart n’en serait-elle pas entâchée?

L’indépendance de l’artiste, de l’auteur, sa liberté sont importants, tout autant que son intégrité.

Question subsidiaire: comment reconnaître un artiste d’un artisan -cela dit en passant sans vouloir aucunement dévaloriser le travail de l’artisan-, l’écrivain du publiciste, le poète du rimeur, le peintre du reproducteur, le cinéaste du technicien…

 

  1. M. ONFRAY, Manifeste hédoniste, éd. Autrement, Paris, 2011, p. 11-12. []
  2. Certains voulaient lui coller l’étiquette de négrier, mais l’histoire indique que cette accusation est plus que probablement fausse. []

une cravate aux notaires…

Saturday, June 4th, 2011

C’est pas moi qui le dit, c’est RTL: le monde n’a jamais été aussi riche. Et, en Belgique, 458000 ménages sont millionnaires en dollars… De quoi s’plaint-on, j’vous l’demande! Mais retirez les propriétés terriennes, et ce chiffre tombe à 142000. alors, révolutionnaires, relisez ceci:

Le grain de sable entre les doigts.

peur bleue

Thursday, March 31st, 2011

Et tout à coup, la peur…

La sueur…

Les traits figés…

Le frisson (dans le dos, comme il se doit)…

Certes, cela fait des années que je pense à “publier”, c’est-à-dire à rendre public ma prose prétentieuse, que je suppose digne d’être lue, de l’envoyer à tel ou tel éditeur (mais lesquels?), histoire de sauter la marche (le pas, pas la marche, imbécile), hop, de concrétiser ce qu’on appelle art, défini comme toute oeuvre technique ayant pour objectif d’être transmise à un public et portant une intention différente de son éventuel usage premier.

Bon, en un sens, vu que deux ou trois de mes amis et ma soeur lisent presque tout ce que j’écris, on pourrait dire que c’est déjà fait, mais non, car j’ai des prétentions, eh oui, d’ordre plus universelles. La gloire (prononcez: “la glwaaaaaaaare”), le succès, les t-shirts déchirés, les manifestations en bas de chez moi, les…

Euh, non, quand même pas.

Étant donné mes idées politiques et sociales, c’est pas ça, que je recherche, non, mais de contribuer à soutenir les causes que je défends. C’est plus modeste. Et le Nobel aussi. Pour mon oeuvre. Éventuellement à titre posthume. Ou alors j’hésterais à le refuser, comme Sartre, et je finirais par l’accepter pour construire une maison pour ma maman, comme Camus…

Mais soudain (donc), une peur m’étreint: et si ça plaisait?
Merde, j’y avais pas pensé… En fait, j’avais plutôt pensé l’inverse: le rateau, les critiques, rares mais assassines, le pilon, et encore, pour autant qu’il y ait eu suffisamment d’exemplaires imprimés, le refus des ouvrages suivants, même pas la possibilité de devenir nègre, pruit, rien…

Mais si ça plaisait (donc)? Quelle angoisse à l’idée de se retrouver dans l’obligation de serrer la main d’Ardisson, d’aller répondre aux questions de Stéphane Bern ou d’être reconnu comme un des siens par Djian ou son héritier par Sollers.

La peur bleue… Soudain…

-Mais, non, je plaisante: ça viendra bien, moi aussi je serai “un parmi cent” dans les librairies, si, si, moi aussi je ferai des séances de dédicaces dans les librairies militantes, moi aussi je ferai des cycles de conférences gratuites dans des salles surpeuplées de chaises vides… Mais oui… Et puis, s’il le faut, je publierai à compte d’auteur une plaquette de 80 pages à 500 exemplaires… Comme au bon vieux temps!

Haha!

J’ai pas peur, meuh non…

Dialogue de Léo

Friday, March 11th, 2011

Léo Malet me fait naviguer dans le plaisir de la lecture policière et l’anarchie; ses dialogues décalés, ses descriptions redondantes, parfois limite lourdingues, ses situations impossibles, entretropmêlées de coïncidences, tout respire un Paris qui étouffe et résiste pourtant. Même quand Nestor Burma discute avec un milliardaire sur son yacht amarré au port du Louvre, ça donne ça:

– Ce cornichon de maître après Dieu! Grotesque! Je n’ai pas envie de rire, mais il est parfois difficile de s’en empêcher. Je ne sais pas ce que j’ai, aujourd’hui, mais le ridicule de certaines attitudes m’apparaît plus sensiblement que d’autres jours. Ce pauvre Gustave joue au navigateur. En vérité, la seule vue d’une ampoule de sérum physiologique lui flanque le mal de mer…
Je souris:
– Je me suis déjà tenu, à son sujet, un raisonnement de ce genre, dis-je.
– Vous voyez!… Enfin… J’ai tort de me moquer de lui… Car, que suis-je moi-même?…
Il s’anima:
– … Un vieux radoteur de rêveur éveillé… Tel que vous me voyez, j’aurais désiré être pirate dans l’archipel Caraïbe ou doubler le Cap Horn… Je suis venu au monde trop tard… Exactement comme le vieux Krull, du Chant de l’Équipage… Connaissez?
– Vaguement.
– Foutaise! cracha-t-il. Je me contente de doubler la pointe du Vert-Galant et, en fait de flibuste, je fraude le fisc dans la mesure permise par une éducation basée sur l’honnêteté. Tout est faux, je vous dis. C’est le règne du toc et de l’ersatz.
(La discussion passe sur le Louvre)
– Oui, monsieur. Depuis qu’on a volé La Joconde et qu’elle a repris sa place là-dedans, on n’est pas certain que ce ne soit pas un faux. C’est de l’histoire, ça. Le vol de la Joconde, cette Joconde que l’irrévérencieux Marcel Duchamp affubla, au début du mouvement Dada, d’une paire de moustaches, vous étiez bien jeune lorsqu’il fut commis, mais vous en avez certainement entendu parler…
– Comme tout le monde.
– Un grand poète, un précurseur, fut inquiété, à l’époque, à ce sujet. C’est le lot des poètes. Ils sont, ou inquiets ou inquiétés. L’inquiétude les suit. Il s’appelait Guillaume apollinaire. Vous connaissez?
– J’écoute la radio.
– Hum…
Il ne chercha pas à dissimuler son mépris et entreprit de m’instruire:
– … Un curieux bonhomme, ce poète. Blessé à la guerre, il décéda le 11 novembre 1918, alors que sous ses fenêtres des gens scandaient: “À mort, Guillaume… À mort Guillaume…” sur l’air des lampions… ces cris s’adressaient à Guillaume de Hohenzollern, évidemment, mais n’empêche…
– C’était d’un humour plutôt macabre, convins-je.
– Qui n’a pas dû déplaire au poète, d’ailleurs…

(Léo Malet, Le soleil naît derrière le Louvre, in Nestor Burma. Les nouveaux mystères de Paris (I), Léo Malet II, éd. N. Dhoukar, Bouquins, Robert Laffont, 2006, p. 34-35)

L’impérialisme humanitaire

Tuesday, February 8th, 2011

Jean Bricmont, ou la raison parle du présent. Certes, l’histoire joue un rôle dans son raisonnement, mais elle pourrait presque n’être qu’un figurant. Ce sont les faits, la raison, la justice, la justesse, le simple exposé de l’application des mêmes principes dans des situations différentes qui mènent à la conclusion au moins aussi fluide que si les États -en particulier les démocraties occidentales- suivaient réellement les normes du droit international et de la jurisprudence de Nuremberg, s’ils respectaient les décisions prises par l’ONU en assemblée générale, il y a fort à parier que la plupart des guerres et des dictatures de l’après-2e Guerre Mondiale n’auraient pas eu lieu1.

Colonialisme, néo-colonialisme, exportation de la démocratie, modèle occidental, droit et devoir d’ingérence, sont battus en brèche par ce clarificateur simplement scientifique des faits qui dominent notre actualité.

“Pour illustrer l’injustice infligée par les Occidentaux au monde arabe et au reste du monde, on peut aussi procéder à des comparaisons basées sur des événements réels. Que se passerait-il si l’on appliquait à l’invasion américaine de l’Irak les principes qu’eux-mêmes ont invoqués lors de l’invasion du Koweit par l’Irak ? Il faudrait bombarder longuement les États-Unis, détruire leur potentiel industriel, leur imposer un embargo provoquant d’innombrables morts, jusqu’à ce qu’ils éliminent toute trace de leurs armes de destruction massives. Ou encore, imaginons que, par souci pour les Palestiniens, l’on convoque les dirigeants israéliens dans un palais en Arabie Saoudite, leur ordonnant d’accepter immédiatement le déploiement de troupes arabes en Israël même, et que, suite à leur refus prévisible, on les bombarde jusqu’à ce qu’ils abandonnent les territoires occupés. Il n’est pas certain qu’une telle démarche susciterait l’enthousiasme de tous ceux qui ont applaudi en 1999, lorsque les Occidentaux ont agi de façon analogue envers la Yougoslavie .”

texte issu de l’introduction à “Tuer l’espoir” de Norman Finkelstein, également repris dans “L’impérialisme humanitaire” Aden 2005 (publié donc chez Gilles Martin, à Saint-Gilles) et Lux 2006.

  1. Sans parler de celles qui ont précédé. []

Tropique du Capricorne

Monday, October 18th, 2010

Il n’est jamais mauvais de revenir à ses propres classiques; Henry Miller est l’un des miens.

“Wherever there is cold there are people who work for themselves to the bone and when they produce young they preach to the young the gospel of work -which is nothing, at bottom, but the doctrine of inertia.”

Je ne peux m’empêcher de retrouver, dans le fond, comme dans la forme (les traits d’union introduisant une idée supplémentaire, par exemple), Rimbaud, que Miller aimait également, à qui il a consacré un livre.

“My people were entirely Nordic, which is to say idiots.”

On croirait lire les jugements de Rimb’ dans “Mauvais sang”.

Et il continue ad nauseam…

L’amandier, de Brassens

Sunday, October 10th, 2010

(peu connue, a surtout servi, je crois dans le film “Porte des Lilas”, où Brassens joua son unique rôle au cinéma)

J’avais l’plus bel amandier
Du quartier
Et, pour la bouche gourmande
Des filles du monde entier
J’faisais pousser des amandes
Le beau, le joli métier !

Un écureuil en jupon
Dans un bond
Vint me dir’: ” Je suis gourmande
Et mes lèvres sentent bon
Et, si tu m’donn’s une amande
J’te donne un baiser fripon !”

” Grimpe aussi haut que tu veux
Que tu peux
Et tu croqu’s, et tu picores
Puis tu grignot’s, et puis tu
Redescends plus vite encore
Me donner le baiser dû ! ”

Quand la belle eut tout rongé
Tout mangé
” Je te paierai, me dit-elle
A pleine bouche quand les
Nigauds seront pourvus d’ailes
Et que tu sauras voler ! ”

” Mont’ m’embrasser si tu veux
Si tu peux
Mais dis-toi que, si tu tombes
J’n’aurais pas la larme à l’oeil
Dis-toi que, si tu succombes
Je n’porterai pas le deuil ! ”

Les avait, bien entendu
Toutes mordues
Tout’s grignotées, mes amandes
Ma récolte était perdue
Mais sa jolie bouch’ gourmande
En baisers m’a tout rendu !

Et la fête dura tant
Qu’le beau temps
Mais vint l’automne, et la foudre
Et la pluie, et les autans
Ont change mon arbre en poudre
Et mon amour en mêm’ temps !

La roquette

Sunday, October 3rd, 2010

Voici les paroles d’une chanson du grand Aristide Bruant… (La Roquette était l’un des lieux d’exécution à Paris, les références à la veuve, la lunette, le sac, etc. font allusion à la guillotine)

En t’écrivant ces mots j’frémis
Par tout mon être,
Quand tu les liras j’aurais mis
L’nez à la f’nêtre
J’suis réveillé, depuis minuit,
Ma pauv’ Toinette,
J’entends comme une espèce de bruit,
A la Roquette.

L’Président n’aura pas voulu
Signer ma grâce,
Sans dout’ que ça y aura déplu
Que j’me la casse
Si l’on graciait à chaque coup
Ca s’rait trop chouette,
D’temps en temps faut qu’on coupe un cou,
A la Roquette.

Là-haut, l’soleil blanchit les cieux,
La nuit s’achève,
I’s vont arriver, ces messieurs,
V’là l’jour qui s’lève.
Maint’nant j’entends, distinctement,
L’peuple en goguette,
Qui chante su’ l’air de “L’enterr’ment”,
A la Roquette.

Tout ça, vois-tu, ça n’me fait rien,
C’qui m’paralyse
C’est qu’i faut qu’on coupe, avant l’mien,
L’col de ma ch’mise
En pensant au froid des ciseaux,
A la toilette,
J’ai peur d’avoir froid dans les os,
A la Roquette.

Aussi j’vas raidir pour marcher,
Sans qu’ ça m’émeuve,
C’est pas moi que j’voulais flancher
Devant la veuve
J’veux pas qu’on dise que j’ai eu l’trac
De la lunette,
Avant d’éternuer dans l’sac
A la Roquette.

Une chanson de Perret

Thursday, September 16th, 2010

Aujourd’hui, je vous livre, toute crue, une lettre que m’a écrite une de mes plus chères amies restée au bercail (mon bercail, pas le sein).

Pas de commentaire de ma part, rien qu’une longue réflexion émotionnelle, mais toujours, à son image, pétrie de rationnel.

L. me fait penser constamment à une chanson de Pierre Perret, par son enthousiasme, ses sautes de tristesse et ses rebonds fantastiques. Elle a voulu me faire partager ses impressions sur ce qui se passe en ce moment en France.

Je suis loin. Je ne peux que voir cela avec ses yeux.

Mais quels yeux!

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15 septembre 2010

Cher Thierry,

Comment vois-tu l’expulsion de rroms? Moi, je la vois très mal; très mauvaise… Je ne saurais jamais prendre la distance nécessaire pour en juger1; mais que penses-tu des conséquences sociales de cette expulsion?

La France est un grand pouvoir politique et économique; elle peut donner le “la” de la chorale des politiques racistes qui vont se défouler par la suite; déjà, l’année passée, il y a eu des assassinats de rroms en Hongrie, des quartiers rroms brûlés en Roumanie, des enfants rroms maltraités par la police en Slovaquie, des skinheads qui ont attaqué un bidonville de rroms en Angleterre… et ce ne sont ici que des actes qui ont eu un écho dans la presse; au quotidien, ce qu’il y a à faire, c’est de nier tes origines et imiter, avec tout le dégoût que cela t’inspire, les imbéciles autour qui, sans cela, t’attaqueraient sans cesse… ou bien prouver tous les jours que tu es une personne, que tu n’es pas comme ceci, pas comme cela…

Instinctivement, depuis que j’ai une conscience, j’ai choisi la deuxième attitude; mais j’ai été entourée par des rroms qui, la plupart de temps, se niaient devant les Roumains même si, dans le dos, ils avaient autant de mépris pour les Roumains que les Roumains pour eux; d’autre part, les Roumains, devant eux, je devais tout le temps dire ou montrer que “ce n’était pas comme ça”, qu’ils avaient tort; mais le lendemain ils oubliaient et de nouveau je devais leur prouver que je n’étais pas inférieure à eux; et puis, les Roumains avaient les écoles; ça leur appartenait et moi j’étais avide de savoir… et je l’ai aspiré comme un éponge pendant les 5 premières années scolaire; puis j’ai gaspillé mon énergie dans des révoltes: je comprenais trop: mes fautes comptaient doublement et mes mérites étaient à peine remarqués; profs et élèves avaient le même regard: du mépris. Et je me suis alors battue; avec les poings; et j’ai commencé à mépriser leur mésestime abêtissante à mon tour. Et je serrais les dents lorsque l’envie de jouer à l’école avec eux était entravée par “je suis tsigane”… et, les rares moments où on oubliait et eux et moi, je jouais avec rage dans les jeux d’équipe et j’étais la meilleure…

Ensuite, à 15 ans et demi, j’ai quitté l’école avec des larmes de colère à cause de deux nouveaux collègues de classe imbéciles. Et j’ai travaillé; de tout mon cœur; dans les champs. Il faisait beau et j’étais forte. Mais après quelques années je me suis rendu compte des perspectives: me marier et vivre la vie sans aucune dignité, supporter la jalousie ou l’envie de faire valoir sa supériorité d’un mari machiste, me laisser abattre par les soucis économiques et sociaux. Ou aller dans la ville et trouver un travail qui me rendrait indépendante? Mais le taux de chômage parmi les gitans augmentait en flèche et en plus je n’avais pas fait d’études; constat amer de la nécessité d’un diplôme. Mais au moins je savais avec certitude ce que je ne voulais pas de la vie; il restait à découvrir ce que je voulais. Mais le contexte ne s’y prêtait pas; souvent je m’arrêtais de penser au futur par crainte de ne pas découvrir que je voulais l’impossible…

Et j’ai commencé à faire tout à l’envers; lorsque j’ai rencontré Henry ce fut la première fois dans ma vie que j’ai eu l’occasion de dire “oui, c’est comme ça…” et plus encore: Henry mettait des mots sur ce que je pensais, sur ce que je ressentais par rapport au monde, à la vie; et il me regardait comme si j’étais une personne; une personne… j’avais 26 ans et lui 62; on a fait équipe et on s’est mariés et on a partagé depuis un quotidien où je ne devais pas démontrer à chaque fois que je sortais que j’étais une personne; j’ai pu alors me concentrer sur autre chose: le savoir. Et j’ai appris des tas des choses; et ça m’a plu. Tellement. Non plus gaspiller son énergie dans une résistance sourde qui mène à un épuisement sans résultat mais apprendre, s’enrichir; arriver à dépasser l’angoisse d’être regardée comme un rien à tout moment et sans aucune raison; juste celle de sa couleur, son origine, des choses dont on n’est pas responsable.

Mes révoltes enfouies, j’ai su aimer un homme, une femme, des arbres et des lieux, et des musiques nouvelles… et découvrir la vie à travers des tas de choses belles ou quelques fois moches.

Je commençais à contourner les gens qui me demandaient “tu es de quelle origine” parce j’en avais marre de répondre et de les observer ensuite prêts à me mettre une étiquette en fonction de leurs connaissances; j’ai toujours voulu être une personne. Et quand j’ai constaté que je répondais beaucoup plus souvent “je suis gitane” que “je m’appelle L.” ce fut désagréable; et je répondais “je suis chinoise, suèdoise, sénégalaise, …” n’importe quoi… En réalité je ne suis qu’une personne; et je m’intéresse aux gens, pas à leurs origines: ce qu’ils aiment, ce qu’ils n’aiment pas, leurs avis, leurs regards, leurs voix, leurs voies… Ils ne sont rien par leur origine; ils sont quelques chose par eux mêmes. C’est juste devant les discriminations que j’ai envie de revendiquer; j’ai revendiqué que je suis gitane devant les Roumains, homosexuelle devant les homophobes, athée en face des croyants, et si je pouvais j’aurais dit que je suis noire en face de ceux qui n’aime pas les noirs, que je suis handicapée en face de ceux qui méprisent les handicapés, etc…

Pourtant je suis si bien lorsque je ne dois rien dire de tout cela; et je suis juste là à bavarder de tout et de rien et sans me douter que l’autre en face te considère autre chose qu’une personne.

Et à quoi s’attendre maintenant quand, après des décennies, on nous a de nouveau officiellement étiquetés comme des parias? expulser les rroms… j’ai été choquée qu’en France cela se passe comme ça; je n’ose pas imaginer la vague de violences “banales” … banales? oui, parce que… parce que … je en sais même pas quoi dire, Thierry; je me sens impuissante; et j’aurais voulu ne pas savoir lire… et j’aurais voulu… ne pas connaître cette réalité.

Que faire, Thierry? remettre de nouveau le bouclier et sortir les flèches venimeuses?

Sarkozy n’est pas un type bête; s’il a osé faire ce qu’il a fait c’est qu’il a senti l’opinion publique… J’ai beau dire que c’est Hitler qui a tué les juifs et qu’il est mort; je n’oublie pas que plein des gens l’ont soutenu; et c’étaient des gens qui eux aussi ont haï les juifs; et c’est le cas maintenant: si Sarkozy s’exprime, c’est qu’il sait qu’au moins 50% de la population est de son côté.

Je sens qu’il y aura des choses très injustes que les gitans vivront à cause de ça: des humiliations, des jugements collectifs, des complexes d’infériorité; les conséquences ne seront pas les moindres ni au niveau de l’individu, ni au niveau de la communauté…

Je ne sais pas pourquoi je t’ai raconté tout mon parcours de vie. Peut-être parce que je me sens un peu écrasée… en tout cas ce soir. Mais demain je vais essayer de trouver une attitude; une qui me semblera juste.

Je t’écrirai un jour sur les vacances, sur les gens et sur les… je ne sais plus.

🙂 t’écrire m’a apaisée.

A bientôt Thierry,

Bisou,

L.

  1. L. est rrom, née en Roumanie, vivant depuis quelques années en Belgique. []