Archive for March, 2010

Au baaaaal, au bal masqué, ohé, ohé!

Wednesday, March 31st, 2010

Je n’ai guère fait qu’un an de droit mais il me semble que j’en ai retenu quelques petites choses

-d’une part, il existe en Belgique déjà une loi qui interdit le port du masque en dehors des périodes de carnaval (et en dehors de quelques petites exceptions soumises à contrôle), ce qui, dans un pays qui protège la propriété privée plus que le droit à l’expression, paraît logique -ne vous attendez cependant pas à ce que j’approuve cette situation, mais cela tend à dire que le projet de loi qui passe actuellement le test parlementaire n’est qu’une redondance digne des plus belles perles sécuritaires;

-d’autre part, je pense que, en dépit de toutes les précautions vraisemblablement prises au cours de la rédaction de ce projet de loi contre les “voiles faciaux”, il risque de se prendre une sanction lors de la vérification de sa compatibilité constitutionnelle1.

En effet, la constitution belge (à moins que j’aie loupé une très discrète réforme) défend la liberté du culte et de ses manifestations privées comme publiques. Or, il va être difficile de passer outre cet écueil quant à la burqa et la Niqbab. Si le voile peut passer pour culturel et donc non religieux dans certains pays à dominance musulmane, pour ce qui est de la burqa et de la niqab (cette dernière étant de toutes les modes dans un pays allié de l’OTAN, à savoir la très antidémocratique Arabie Saoudite), il sera plus difficile de nous en convaincre.

Autrement dit, en s’attaquant au voile intégral, c’est à la “liberté de l’expression du culte” qu’on s’en prend.

J’attends avec intérêt les réactions des différents représentants des très libertaires congrégations de toutes les religions du Livre. On va rire2.

En tout état de cause, les seuls vainqueurs de cette loi, si elle passe (et elle passera probablement), ce seront les polémistes ludiques de la laïcité brouillonne d’un côté, et les petits fiefs de la foi castratrice de l’autre, et non pas la raison émancipatrice que l’on considère toujours plus inefficace dans son rôle libérateur, alors qu’elle est le principal outil3 de la sécularisation de la société occidentale au cours des deux derniers siècles. Mais de raison, “nos” représentants n’aiment guère parler, car, si elle devait être remise au goût du jour en période électorale, ils seraient peu nombreux à retrouver leurs fesses sur les mêmes coussins douillets.

++++

Par ailleurs, je note que le projet de loi “limite la liberté d’aller et venir sur la voie publique, si on n’y est pas immédiatement identifiable”4.

Il n’y a pas à dire, les députés (verts compris, même si avec réticence hypocrite) savent joindre l’utile à l’agréable. On aura tout loisir de dire plus tard que cette loi s’oppose tout simplement au confort des criminels qui cherchent à se cacher derrière un masque, une fausse barbe ou tout autre artifice.

D’ailleurs, on pourrait aller plus loin5: tout islamiste qui se sera rasé sera soupçonné de tenter de ne pas être identifié. On lui imposera donc le port de ses poils. Et ce n’est pas tout: pourquoi n’imposerait-on pas aux catholiques le port de la croix, additionnée du signe distinctif de sa tendance -opus dei, charismatique, béat, extrémiste modéré, leonardien, oecuménique… Juif, tu sais ce qu’il te reste à faire, malgré des souvenirs, certes déjà un peu lointain, mais qu’on va te rafraîchir vite fait.

Allons plus loin, histoire de rigoler à nos dépens: tout anarchiste ou communiste sera tenu de porter, qui son drapeau noir, qui son portrait du Che sur le ventre.

Et les électeurs du MR et de l’Open-VLD, pour parler d’une espèce à part, seront désormais obligés de porter une pancarte “j’encule les syndicalistes naturellement conservateurs”, dans les trois langues nationales, avec les voyelles en bleu roi et les consonnes en turquoise.

Dans la série “alimentons les débats crétins”, on peut dire que l’élite belgienne a encore fait fort…

  1. Ce qu’apparemment redoutent les verts, mais ça ne les a pas empêchés de renouveler le coup du “oui de combat. []
  2. Il semble qu’on ait déjà commencé, à la lecture de cet article. []
  3. Je dis bien outil, et non actrice. []
  4. Lu ici. []
  5. Attention, hyperbole. Le sérieux n’est plus de rigueur. []

Se taper un bon philosophe

Monday, March 29th, 2010

“Parfois, il faut faire un effort pour se taper un philosophe,” me disait récemment un ami dont les moeurs ne sont plus à vanter.

Je vous propose d’aller visiter le site de Normand Baillargeon qui, outre qu’il est hautement fréquentable (Normand, pas le site), fourmille de réflexions et d’exposés drôlatiques et pertinents (le site, pas Normand, rhooo)

en voici un exemple, piqué dans un post récent. Normand, j’espère que tu ne m’en voudras pas: c’est pour ta pub.

Comme nous l’avons vu plus haut, l’idée de Dieu a été jugée inconsistante par plusieurs philosophes, pour un bon nombre de raisons. En voici une, sous la forme d’un paradoxe concernant l’omnipotence. Il a été imaginée par C. Wade Savage et il a à ce point pénétré la culture populaire qu’il est même évoqué dans un épisode de la série Les Simpson.
Dans Weekend At Burnsie’s (diffusé en 2002) , on assiste en effet à l’échange suivant entre Homer et son pieux voisin, Ned Flanders :
Homer : — Hé! J’ai une question à te poser. (Il saisit un bout de papier) «Dieu pourrait-il réchauffer une tortilla au four à micro-ondes jusqu’à ce qu’elle soit tellement brûlante que lui-même ne pourrait pas la manger?»
Ned : — Mais bien sûr qu’il le pourrait … quoique … Wow! Pour un casse-coco, c’est tout un casse-coco!
Homer : Tu comprends maintenant tout ce que je dois endurer.
Ned : Heureusement, j’ai juste ici un livre tout plein de réponses. (Il sort une Bible et la tend à Homère, qui la feuillette).

Homer vient de retrouver, à sa manière bien particulière, l’intriguant paradoxe de Wade portant sur l’omnipotence divine de Dieu appelé le Paradoxe de la pierre.
Voici comment celui-ci le formulait en 1967 — X désignant ici n’importe quel être :
1. Ou bien X peut créer un pierre que X ne peut soulever, ou bien X ne peut pas créer une pierre que X ne peut pas soulever.
2. Si X peut créer une pierre qu’il ne peut pas soulever, alors il existe nécessairement au moins une tâche que X ne peut accomplir, à savoir soulever la pierre en question.
3. Si X ne peut pas créer un pierre qu’il ne pourrait soulever, alors il existe nécessairement au moins une tâche que X ne peut accomplir, à savoir créer la pierre en question.
4. Il existe donc au moins une tâche que X ne peut accomplir.
5. Si X est omnipotent, alors X peut accomplir n’importe quelle tâche
6. Donc, X n’est pas omnipotent.

Tout un casse-coco!

Laïcité, poil à la liberté.

Wednesday, March 24th, 2010

“Signe ostensible de religion”…
“Laïcité”
“Neutralité de l’État”
“Liberté du culte”
Et on en passe…

Que les choses soient claires: grand bien leur fasse aux femmes qui désirent se mettre des cornettes, voiles, girafes ou tout autre signe religieux ou culturel sur la tête, le ridicule ne tuant pas, cela ne me gène pas, et surtout, je m’en voudrais de m’opposer à l’exposition de sa foi ou de sa culture: je porte moi-même régulièrement un t-shirt arborant mon athéisme sous le très ironique message:

“Grazie a dio sono ateo”.

La minuscule est volontaire…

Quant au voile intégral, je me dis qu’il n’y a pas de raison: plus une religion est absurde, moins elle attire de monde spontanément.

Donc, non, pas d’interdiction, ni à l’école, ni à la commune, ni à l’hôpital: ça me ferait autant chier de me faire dorloter par une infirmière juive, musulmane ou catholique. Du moment qu’elle ne tente pas de me convertir… Quand on veut bien se rappeler que la médecine et tout ce qui s’y rapporte fait normalement partie du domaine de la science, on se dit que la religion, fatalement, doit rester au placard avec les vêtements civils de ces professionnelles (et trop rares professionnels) courageuses (et courageux) de la piqûre. Donc, qu’ils portent encore une croix, une étoile, un croissant ou un voile sur la tête, du moment que ça ne les gène pas pour faire leurs intraveineuses, on s’en fout. Libre aussi au patient d’exiger de voir au moins le nez, la bouche et les oreilles de son vis-à-vis, ça me paraît élémentaire. En tout cas, oui, bon. Aaah, ça y est on marche sur des oeufs! Et, non, je ne suis pas là pour te draguer, j’ai 40 de fièvre, coquine. En plus, tu viens de voir mon cul et de nettoyer mon plastron, tu crois que je me sens à l’aise pour te proposer un ciné?

Je me retourne maintenant vers ma famille politique: la gauche -je veux dire la gauche en tant que force anti-capitaliste, libertaire, qu’elle soit collectiviste ou coopératiste, qu’importe. Cette gauche forcément anti-patriarcale, favorable au féminisme, opposée au “droit du père de famille à choisir la religion de ses enfants” et privilégiant l’individu à la personne, la liberté au patrimoine.

Camarades, compagnes, compagnons, amies, amis (oui, enfin, bon), citoyennes, citoyens, lucides consciences du monde, ou tout ce que vous voudrez,

je me disais que je vous rappellerais bien deux petits principes propres à la gauche -je veux dire, celle dont je faisais question ci-dessus.

Premier principe: la liberté et l’égalité ne peuvent se construire dans la soumission à une hypothèse supérieure, quelle qu’elle soit: dieu, force supérieure, nation, héros quelconque, mythologie, affabulation,… Bref, non, rien. Il est important de se souvenir en permanence qu’un programme ou une idée de gauche ne peut contenir dans ses bases la moindre indulgence (sic) à l’égard d’aucune foi irrationnelle. Cela paraîtra évident si l’on se rappelle que les intérêts privés ne pourraient qu’être considérés comme abolis en cas de révolution, naturellement, mais aussi qu’il ne serait -dans l’hypothèse du grand soir juste là évoqué- plus jamais question de laisser aux pères -ni aux mères- le droit d’imposer leurs délires personnels à leurs progénitures.

Me dira-t-on que ceux-ci ne veulent que le bien de leurs enfants? Peut-être, mais c’est le prétexte de tous les capitalismes du monde aussi et justifie arbitrairement l’héritage du patrimoine autant que de la religion -ce qui est, de nouveau, incompatible à la raison de gauche, c’est-à-dire celle à laquelle je faisais référence un peu plus tôt, toujours la même. La famille, oui, mais la famille affective, pas la famille patriarcale.

Deuxième principe: non seulement la foi est irrationnelle et contraire à la gestion commune, collective, coopérative ou tout ce qu’on voudra qui ressemble à de la gauche (cf. ci-dessus), mais en plus elle s’appuie généralement sur des structures patrimoniales contraires à l’esprit de l’égalité et de la liberté.

L’égalité parce que ces structures supposent que certains savent ou croient mieux que d’autres et sont donc susceptibles de décider pour d’autres;

La liberté parce que, et ce n’est pas une coïncidence, ces structures n’aiment rien moins (ou ne détestent rien plus) que ceux qui quittent la foi en elles. Ce n’est qu’en de rares moments et rares endroits que la liberté de faire un bras d’honneur à la religion fut ou est défendue par les organismes autoritaires d’un espace géographique donné.

On l’oublie un peu trop souvent, mais le recul de la religion au cours du XXe Siècle dans certains îlots de la planète n’est pas un acquis mais une lutte continuelle

Ici Londres…

Quand on y pense

Monday, March 22nd, 2010

Si les cathédrales ont été construites dans l’idée de se rapprocher de Dieu physiquement (idée sotte, quand même, hein?), le XXe Siècle a enfoncé cette ambition au mois d’août 1944 au rayon des mignons amateurismes…

(Ah mais il a rien d’aut’ à fout’, lui?)

Des consciences de ce monde

Friday, March 19th, 2010

Albert Einstein,
Hannah Arendt,
Noam Chomsky,
Emma Goldman,
Alexander Berkman,
Esther Benbassa,
Leonard Cohen,
Shlomo Sand,
Michel Staszewski,
Isaac Asimov,
Israel Finkelstein,
Neil Silberman,
Woody Allen,
Karl Marx,
Groucho Marx,
Rosa Luxembourg,
Gideon Levy,

et combien d’autres qui m’aident à me sentir humain…

Les photos du jour

Tuesday, March 16th, 2010

De l’art de se fourrer le doigt dans l’objectif

On trouvera sur le site du Monde ici un ensemble de photos illustrant la réaction des Palestiniens à l’annonce de nouvelles implantations de colonies à Jérusalem-Est, ainsi qu’à l’inauguration d’une synagogue dans le quartier juif de la ville.

La cinquième photo vaut le détour, qui est légendée en ces termes:

“En plusieurs points du secteur oriental de Jérusalem, des jeunes Palestiniens masqués1 jetaient des pierres contre les forces de sécurité et incendiaient des pneus, comme la veille sur plusieurs postes de contrôle.”2

J’ai bien regardé la photo, sur les quarante personnes qui y apparaissent, qui, sauf erreur, sont toutes des hommes plutôt jeunes ou très jeunes, on n’en distingue que cinq, au maximum, qui portent ce que l’on pourrait à la rigueur appeler un masque.

Si, dans ce cas où l’on peut directement vérifier l’information, l’erreur (version optimiste) ou la manipulation (autre version) est si flagrante, que peut-on dire des infos les plus brûlantes qui concernent une actualité aussi importante?

L’ambassadeur de la droite à l’enterrement de la gauche.

Dans le Figaro, ici, j’apprends que “parmi les personnalités” présentes aux funérailles de Jean Ferrat, il y avait notamment un certain Didier Barbelivien. Si Ferrat avait été acteur, il aurait eu Clavier pour porter sa boîte.

Mon Dieu, si vous existez, faites que je meure sur un bateau et qu’on n’en parle plus.

  1. C’est moi qui souligne. []
  2. On va éviter de se concentrer sur la syntaxe bancale. []

L’équilibre est fragile

Monday, March 15th, 2010

Je suis révolutionnaire.

C’est-à-dire que je *sais* pertinemment qu’aucun changement en profondeur ne pourra avoir lieu sans une reconstruction de la société sur d’autres bases que celles prétendument démocrates qui existent dans les principaux pays d’Europe, aux États-Unis, au Canada, et dans d’autres recoins prétentieux du monde (de plus en plus rarement dit libre, curieusement).

Je sais que le capitalisme est une théolog… une idéologie sacrificielle qui ne mène qu’au confort d’une minorité aux dépens d’une majorité pour qui le progrès social est toujours pour demain.

je sais que le libéralisme ne se distinguera jamais du capitalisme et que prétendre le contraire est une supercherie de politicards vides.

Je sais que la démocratie représentative ne connaîtra jamais une véritable concrétisation, car, de démocratie elle n’aura jamais que le nom, ainsi qu’un parti populaire.

Je sais que l’égalité des chances ne signifie que ce que les libéraux de tous poils veulent que cela signifie, autrement dit rien de bon.

Je sais que le salariat, si ce n’est pas l’esclavage, si ce n’est pas la prison, n’en est guère éloigné.

Je sais que l’État par essence cherchera toujours à reproduire et augmenter son pouvoir, jamais à le réduire et encore moins à le remettre à la population.

XXX

Alors, nous voilà devant le dilemme de l’attitude à prendre: celle d’avant et celle de pendant et après la révolution. Car, si je pense que, du jour où je me retrouverai devant le mur des fusillés pour “attitude petit-bourgeoise” dans le cadre de la très ou pas si prochaine révolution -je plaisante, je veux dire au jour de la libération des peuples (et non pas des nations) et des individus (et non pas des personnes), nous aurons une vision plus ou moins commune de la vie libre en coopération, nous devons prendre une position “en attendant”.

En septembre, comme le dirait Noir Désir…

Ce qui fait que l’on ne peut, d’ici là, prétendre à des solutions miracles, car, de toute façon, à tous nos idéaux, l’État et le capitalisme posent des limites étroites.

Le risque est réel de passer de la politique du pire à la compassion du prêtre… L’équilibre est difficile, la réflexion pointue.

Devons-nous soutenir le travailleur qui risque de perdre son travail ou se féliciter de la fermeture d’une usine à engins de mort?

Avons-nous le droit de juger des hommes qui exercent une profession de “valet de capitalisme”, quand, si l’on y réfléchit un peu, nous contribuons tous ou presque (**ou presque, dis-je**) à sa reproduction?

Et, pour prendre un exemple qui nous a touchés, moi et mes amis, tout récemment, avons-nous le devoir de dénoncer une pratique manifestement reproductrice du patriarcat tout en sachant que, ce faisant, on marginalise les premières victimes de celle-ci (mais avec la volonté, au contraire, de les sauver)? Ou devons-nous tenter d’offrir à celles-ci une possibilité de reconnaissance supérieure pour qu’elles puissent s’organiser mieux -qui sait, en vue d’une remise en question de leur propre activité- même si nous savons que, de ce fait, nous repoussons la lutte contre le patriarcat à plus tard? Je sais que cette définition du problème est limitée, mais on s’y reconnaîtra et on me pardonnera de l’avoir fait pour se concentrer sur la proposition globale de ce post.

Je m’en voudrais de prétendre que j’ai eu, que j’ai ou que j’aurai raison sur ce type de questions (qui, ici, portait sur la prostitution), car, d’une part je ne me sens pas qualifié pour le faire, et d’autre part, de nombreuses personnes ont participé à ce débat et j’ai pu noter que, depuis une génération au moins, sinon deux ou plus (considérant les positions de militantes et militants féministes dès le début du XXe Siècle), les positions se sont cristallisées sur ce sujet à gauche. Je pense que les deux types de position se sont suffisamment bien assises pour s’expliquer dans un contexte prérévolutionnaire.

Lorsqu’un tel problème surgit dans ce que j’estime être ma famille politique (la gauche, ce que j’appelle la gauche, et ce n’est pas rien de le dire), nous ne sommes pas en mesure de réclamer d’elle qu’elle se réduise à une position unique.

J’ai surpris, j’ai déçu, j’ai outré, même. Tout à fait involontairement, car, en réalité, ma position est tout simplement qu’il existe des sujets qui, prérévolutionnairement, sont insolubles. Et j’ai voulu défendre celle que j’estimais aussi légitime que l’autre, tout en étant d’ailleurs une position qui n’avait pris pour moi du crédit que relativement récemment, dans un contexte particulier, hors statistique, recherche et discussion scientifique -toutes choses que j’ai découvertes plus tard.

Tant que l’État et le capitalisme existeront, ou même l’un sans l’autre (ce qui me paraît impossible, mais certains y “croient”), la prostitution existera. De même que le patriarcat. C’est un fait que l’on peut qualifier de scientifique, si l’on considère l’équation: capitalisme = reproduction du capital = nécessité de la succession = sacralisation de la famille = supériorité du père et du fils = dévalorisation de la femme = patriarcat. Que l’on se trouve, depuis Marx et les anarchistes, dans un creuset qui ait permis -et j’en suis heureux- aux femmes de contester cet état de fait n’empêche en rien que, si l’on regarde l’histoire avec l’oeil d’un être froid et extérieur, cet épisode qui coïncide précisément avec la mise en question du capitalisme est ridiculement restreint dans le temps et dans l’espace et risque de se voir repousser “au fourneau” à tout moment si l’on n’y prend garde.

Après la révolution, si celle-ci doit mener à la fin du patriarcat, de l’État et du capitalisme (sinon, ce n’est pas la révolution), nous nous retrouverons dans une situation qui nécessitera beaucoup de remises en question de bien des gens, mais, alors, la prostitution, comme toute autre activité qui consiste à vendre quelque chose qui nous est propre -et je ne préciserai rien ici-, disparaîtront d’elles-mêmes, parce qu’elles ne correspondront tout simplement plus à la réalité socio-économique en présence.

En attendant…

à lire d’urgence

Thursday, March 11th, 2010

Extrait d’un excellent article paru sur “les mots sont importants“, et en particulier ici:

“En réalité, depuis sa création, Israël est le pays où les juifs sont le moins en sécurité. Ce constat ne semble pas ébranler la conviction qu’il constitue un refuge pour les juifs. C’est même le contraire qui se produit : plus la politique de l’Etat juif se heurte à la résistance des Palestiniens et à la réprobation de l’opinion publique internationale, plus la majorité de l’opinion publique juive israélienne et diasporique, confortée dans le sentiment que les juifs sont encore et toujours les victimes de l’hostilité des non-juifs, se raidit dans une attitude intransigeante. Ce qui, d’une part, amène les électeurs israéliens à se choisir des dirigeants de plus en plus intraitables avec les Palestiniens et, d’autre part, fait grandir chez ceux-ci des sentiments de colère, d’humiliation, voire de haine et de désespoir, ce désespoir qui amène certains Palestiniens, ne trouvant plus de sens à leur vie, à chercher à en donner un à leur mort, en perpétrant de meurtriers attentats-suicides. Nous sommes là dans un tragique cercle vicieux.”

Il est en effet surprenant de penser que le lieu où les Juifs et les juifs sont le moins en sécurité soit celui auquel les gardiens de leur identité les plus inébranlables veulent à tout prix conserver leurs pénates…

Et j’utilise pénates à mon escient…

Mais cet article contient bien plus que cette réflexion et mérite toute notre attention à bien des titres.

Mlle Vinteuil

Wednesday, March 10th, 2010

J’ai entamé la semaine dernière “La Prisonnière”.
Marcel Proust est décidément un personnage étonnant.

Peut-on imaginer qu’il était mourant, lorsqu’on lit ce petit passage:

“Elle trouvait la parole, elle disait: “Mon” ou “Mon chéri” suivis l’un ou l’autre de mon nom de baptême, ce qui en donnant au narrateur le même nom qu’à l’auteur de ce livre eût fait: “Mon Marcel”, “Mon chéri Marcel”.

Seul passage où Proust mentionne son nom, semble-t-il (je ne suis pas encore au bout), et encore en l’ajoutant de cet extraordinaire bémol métascripturaire où le narrateur ose se distinguer de son propre auteur. On sait, en effet, que Marcel et le narrateur sont bien différents. Il n’y a aucun doute là-dessus. Cependant, cette distinction semble s’accroître volontairement avec le temps. Plus nous avançons dans le roman, plus le narrateur devient actif et, de neutre et passif qu’il était, désagréable et réactif. Non pas actif, mais véritablement “en réaction”. Ses états d’âmes auraient tendance à le pousser à l’inertie, mais ses défauts (il est vain, misogyne, jaloux et possessif) le pousse à transformer l’objet de son amour en objet tout court, et à l’enfermer.

Il est aussi remarquable de constater que, sans en avoir l’air, le narrateur se pose en lascif dandy qui cache son insouciance sociale derrière des pseudo-préoccupations dreyfusardes et des discours socialisants qu’il se garde bien de défendre concrètement…

Tout cela passe comme une vapeur sur un timbre-poste.

Et l’on commence à comprendre que des générations de chercheurs aient pu consacrer leur vie à cet auteur étrange, qui n’aura jamais vu son oeuvre terminée, et encore moins publiée jusqu’au bout.

Savoir d’ailleurs que je suis entré maintenant dans la partie de son travail qu’il n’a pas eu le temps de relire -pour la troisième fois- comme les autres volumes, est très décontenançant car les passages médiocres sont pratiquement inexistants. C’est là que naît ma jalousie…

La Bible dévoilée

Thursday, March 4th, 2010

Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman ont pondu en 2002 un ouvrage qui a eu un grand succès auprès de ceux qui s’intéressent à la question biblique et à son historicité1. Le livre dans son ensemble est très agréable à lire, fluide et consistant. Il se base principalement sur les recherches archéologiques produites au cours des deux cents dernières années pour établir que le “Livre des Livres” ne peut que rarement être envisagé comme une source historique fiable et a probablement été compilé -attention, on dit bien compilé et non écrit2- en grande partie3 au VIIe Siècle dans un souci de propagande nationaliste en raison des ambitions expansionnistes d’un petit potentat frustré du nom de Josias.4

Il faut noter que le livre reste prudent, malgré les critiques qui ne l’ont pas épargné. En effet, les auteurs sont admiratifs devant le travail de la Bible. Dans la conclusion, ils persistent à penser que si l’oeuvre a traversé les siècles et eu une telle influence sur le monde, tant spirituellement que sociologiquement5, c’est qu’il a été réalisé par des auteurs exceptionnels, et qu’il faut leur reconnaître au moins cela6.

Et, en effet, je trouve qu’ils ne vont pas assez loin: ils montrent de manière extrêmement sérieuse que les patriarches, Moïse, l’Exode, Josué, David, Salomon, ainsi que toutes les histoires de conquêtes et de grandeur contées dans la Bible doivent être remises en question. En fait, ils en montrent l’anhistoricité. Ils sont très efficaces quand ils exposent que la partie deutéronomiste du Livre est avant tout un outil de propagande idéologique destiné à justifier la future conquête de la région de Samarie et Haçor, au Nord de Jérusalem.

Ils sont également très intéressants lorsqu’ils expliquent qu’il n’y a jamais eu de monarchie unifiée de Juda et d’Israël, que les populations locales sont très probablement des cousins des Cananéens et que la Jérusalem des quatre cents ans qui précèdent la monarchie tardive n’était guère plus qu’un village perché sur la montagne.

En gros, ils déconstruisent toute l’idéologie sioniste. C’est gênant…

Je me propose de voir un peu plus ce qu’il en est de leur travail à partir des critiques qui ont été faites contre eux et que je me permettrai de commenter. Cela dit, je suis déjà plongé dans le même travail concernant un autre livre très stimulant, celui de Shlomo Sand, “Comment le peuple juif fut inventé”, dont je vous parlerai une autre fois… À suivre donc…

Quelques références ici
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Bible_d%C3%A9voil%C3%A9e

Notons pour terminer deux choses essentielles.
D’une part, à aucun moment les deux auteurs ne prétendent “inventer” des théories: ils suivent les progrès effectués par les résultats de fouilles et de recherches les plus récentes. Contrairement à ce que prétendent certaines critiques, ils ne sortent pas de lapins de leurs chapeaux.
Quant à ceux qui leur reprochent de ne pas avoir fait d’étude textuelle de la Bible, il suffit de leur répondre que, précisément, leur travail consistait à faire l’inverse de ce qui a été trop souvent fait: vérifier si le texte correspondait aux résultats des fouilles, et non faire coller les résultats des fouilles au texte “sacré”.

  1. La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l’archéologie, Paris, 2002, traduit de l’anglais []
  2. En effet, au grand jamais les auteurs n’affirment que tout aurait été écrit au VIIe Siècle. Le plus probable est que, à l’instar de nombreuses autres populations mythographes, le nombre de récits fondateurs aient été bien plus important que ce que contienne la Bible. Josias et sa cour se sont contentés de choisir parmi ceux qui étaient à leur disposition, afin de coller le plus possible à leurs objectifs. Ceci est une conjecture qui n’est pas des deux auteurs. []
  3. Essentiellement tout ce qui ressortit de la source deutéronomique, y compris les Rois et les Juges. []
  4. C’est moi qui le traite de frustré. Par contre, il est vraiment tout petit et très potentat. En gros, le royaume de Juda qu’il dominait devait représenter moins de 100.000 personnes, dont la plus grande partie, fort probablement, honorait divers dieux en plus de Yahvé, voire à sa place. Il semble de plus en plus évident que le monothéisme n’existait pour ainsi dire pas plus au IIe millénaire qu’avant le VIe, voire le Ve siècle avant notre ère. []
  5. Ils en font indirectement le fondateur de la conscience individuelle, ce que je trouve un poil exagéré. []
  6. Ce n’est pas mon avis, qui est bien plus nuancé, mais ce n’est pas le propos de cet article. []