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Euroxit -une maladie (à rendre) contagieuse…

Sunday, July 19th, 2015

Par euroxit, on appellerait la possibilité pour un ou plusieurs pays de sortir de l’euro, voire de l’UE, de telle sorte que ce n’est pas ces deux structures qui se débarrasseraient d’un trublion (comme pour un Grexit ou un Belxit), mais, au contraire, le trublion qui déciderait de reprendre ses billes et de se reconcentrer sur l’exercice de la démocratie, processus qui a été mis à mal à partir des lendemains peu chantants de la 2e guerre mondiale.

Même si on ne peut déterminer de ligne historique évidente, il existait, depuis la fin du XVIIIe Siècle, jusqu’en 1946, environ, une tendance, en Europe, à l’extension des processus démocratiques, que ce soit par l’exercice du vote (étendu jusqu’aux femmes en 46 presque partout, tout au moins dans l’Occident colonialiste), par la reconnaissance des syndicats ou par la généralisation de mutuelles et de coopératives de plusieurs types. Or, dès le début, les forces conservatrices ont cherché à réduire, freiner, voire retourner ce processus de démocratisation. Mais c’est sans doute avec les années qui ont suivi la 2e guerre mondiale que la réaction est parvenue à retourner le processus. Il faudrait évidemment augmenter notre analyse sur les processus de décolonisation, notamment, mais globalement ce qui suit prend ce prémisse comme base.

Tout part de l’attitude des USA et de Jeroen Dijsselbloem…

Pourquoi les USA craignent-ils un Grexit? Parce qu’ils aiment la démocratie grecque? Non. Parce qu’en cas de Grexit, c’est l’UE qui risque bien de disparaître à la suite, par petits morceaux ou en totalité. Les soldats Schauble, Fabius, Dijsselbloem sont là pour s’assurer que cela n’arrivera pas…
En effet, les USA, qui voient toujours trois centimètres plus loin (mais guère plus), savent qu’en cas de chute de l’UE, le TAFTA sera fatalement aussitôt remis en question, de même que la plupart des traités d’échange qui ont précédé, tant ceux patronnés par l’OMC, la BM ou le FMI, que de manière bi- ou multilatérale.
Or, en ce moment, si les USA “vont bien”, c’est dans la seule perspective (j’ai bien dit perspective) qu’ils puissent à nouveau étendre leurs marchés, d’une manière ou d’une autre, dans tous les sens, en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique Latine, dans les Fosses des Mariannes, sur Pluton, partout, quoi…

Or, là, ils ont assez bien atteint leurs limites dans pas mal d’endroits dans le monde(1).

S’ils augmentent leurs parts de marché en Russie pour avoir coupé les nôtres, ils ne peuvent cependant pas les développer beaucoup plus(2);
La Chine ne va plus aussi bien qu’avant, et de toute façon elle importe surtout des matières premières(3);
Le Japon poursuit sa stagnation -ça ne va pas mal, mais ça ne va pas mieux;
L’Amérique Latine pose pas mal de problèmes, ce qui a dû les surprendre, les USA, mais ils n’ont plus autant les moyens qu’avant de renverser des gouvernements qui leur sont hostiles -ils s’y essaient, mais, de toute façon, ces marchés de consommation ne sont pas encore très très intéressants, en fait;
L’Afrique, bon… En terme de production, c’est cool, mais les marchés de consommation sont encore trop faibles -sauf peut-être pour les vendeurs de cigarettes et de soda sombre;
Reste (encore et toujours) l’Europe qui, bien plus que l’Amérique Latine, est le pré carré des USA, depuis la 2e guerre mondiale (d’abord en partie, maintenant en totalité).

Or, les USA, depuis les années 50, se sont acharnés à transformer l’Europe en vaste marché unique afin de faciliter les négociations qui réduisent les barrières à leurs exportations (4). C’est plus facile de négocier avec Mario Monti qu’avec 28 gouvernements dont certains sont encore pourris de soucis électoralistes (5).

Et donc, l’UE pourrait bien ne pas survivre à cette crise…

Est-ce grave, docteur?

Que se passera-t-il en cas de dissolution de l’UE?

Rassurez-vous, pour nous, rien de pire que ce qui devrait se passer si l’UE devait survivre. Si l’UE survit, nous perdrons progressivement le reste de nos avantages sociaux, acquis au cours de la première moitié du XXe Siècle, avec comme dernier bocage de résistance, sans doute, l’enseignement public (sponsorisé, certes, mais bon), les hôpitaux publics (qui se transformeront peu à peu en mouroirs) et la police (mais la police conservant son monopole de la violence intérieure à l’Etat reste essentiellement au service de la propriété, donc, bof…). Pour combien de temps? Pas beaucoup: même l’enseignement à terme sera entièrement privatisé (et bonjours alors le retour à la situation du XIXe Siècle). Les hôpitaux seront gérés par des associations religieuses et nous verrons des tas de petites mères Thérésa pulluler, non en Inde, mais sur notre continent. Adieu la capote. Quant à la police… Boh, pour ce que ça changera (6)…

Alors que si l’UE se dissout, même si nous aurons encore du mal à financer école, hôpitaux et police, au moins aurons-nous le choix de décider de le faire, et de le faire dans notre intérêt, ainsi que de récupérer les rênes d’autres services que, jusqu’ici, nous parvenions à maintenir au service des gens, et pas au service des profits, comme les transports, l’énergie, l’eau, les communications, la production pharmaceutique, la recherche, même l’armée (si vous voulez), etc.

Mais non, vous dira-t-on, vous voulez replonger au Moyen-Âge!

Au niveau de l’organisation sociétale, ce ne serait pas mal (7).

Mais de toute façon, le plus grand risque auquel nous faisons face, ce serait de nous retrouver dans la situation d’une société industrielle à reconstruire, dont le modèle navigue entre le début du XXe Siècle et les années 70 (8), avec toute une série d’acquis technologiques que même les pires des capitalistes ne pourraient pas nous enlever, à moins de nous déclarer la guerre de manière unilatérale et de perdre à jamais nos marchés (9)…

Le plus grand risque est de nous retrouver dans la situation de certaines régions d’Amérique Latine aux démocraties en construction, mais il existe d’autres perspectives, comme celle de l’Islande, par exemple, qui, sauf erreur de ma part, n’a pas remis les chars à rennes au goût du jour.

Pas encore assez de notes en bas de page, pas encore assez d’explications, mais une foule de points de discussions, que je retrouve sous d’autres formes chez Lordon, Sapir, Bricmont, et bien d’autres, dont quelques-uns qu’on ne peut citer qu’en risquant d’être définitivement catalogués comme populiste, nationaliste, voire fasciste ou anti-sémite…

Mais en même temps qu’a-t-on à perdre encore?

(1) Le capitalisme, d’où qu’il vienne, tel un requin, ne peut s’arrêter de grandir. C’est presque une loi qui a d’ailleurs été érigée en religio -à moins que ce ne soit l’inverse- et qui nous est constamment illustrée par le mythe de la croissance continue. Lorsqu’un économiste qui se prend au sérieux s’attache au mythe de la croissance continue comme facteur principal de création de richesse, on peut légitimement s’interroger sur son honnêteté intellectuelle (il est fatalement capitaliste) ou sur sa compétence, s’il se croit sincèrement de gauche. Ainsi, un Thomas Piketty n’est jamais qu’une espèce de Keynes version moderne: un capitaliste qui prétend sauver le capitalisme de lui-même en lui proposant de faire une petite cure d’homéopathie.
Or, la croissance passe par l’exploitation toujours plus importante de marchés de consommation, suivant la croissance de marchés de production; on ne peut pas sortir de là. Même si ces marchés sont avant tout financiers, virtuels ou fantasmés, il faut qu’ils existent. On peut se poser la question de leur réalité, tant qu’ils créent de la valeur économique, les capitalistes sont contents. On peut se poser aussi la question de leur utilité en terme de bien-être, de mieux-être, mais ce n’est pas la préoccupation des capitalistes. On peut aussi se poser d’autres questions annexes, comme celles de l’environnement ou de l’emploi, mais, de nouveau, pour le capitaliste, ça n’a pas d’importance in se. L’important, c’est que le gâteau s’agrandisse et que l’accès au gâteau permette aux capitalistes de faire grandir leur part.

(2) En effet, les sanctions qui touchent la Russie, et qui en contre-partie touchent l’Europe, n’ont pas touché les parts de marché des échanges entre USA et Russie. Non, ne cherchez pas l’erreur, il n’y en a pas.

(3) Comme je le disais par ailleurs, les USA ne voient jamais à très longue échéance: pour la plupart des idéologues américains, le court terme, voire le très court terme, est tout ce qui importe, car c’est le temps de l’entreprise, tout simplement, c’est le temps du bilan comptable, c’est le temps de la distribution des dividendes. Ce n’est même pas le temps des élections, puisque les élections n’ont qu’une importance marginale aux USA. Il y a bien une débauche de capitaux qui se déplacent au cours des campagnes électorales, et cela peut paraître important, mais en réalité la plupart des “généreux donateurs” parient sur les deux chevaux en course. Vous devez imaginer un tiercé géant où il n’y aurait que deux combinaisons gagnantes et pour lesquelles plus vous pariez sur les deux combinaisons, plus vous êtes sûrs de gagner dans les deux cas, et si vous ne pariez que sur une des deux combinaisons une petite somme, qu’elle soit gagnante ou pas, cela n’a pas d’importance: vous perdez dans les deux cas.

(4) La “découverte” récente des relations entre Spaak, Schuman, Monnet et les USA, notamment, mais aussi la main-mise des USA sur l’Italie qui risquait de virer à gauche, la condescendance des USA vis-à-vis des dictatures des pays du Sud (Espagne, Portugal, Grèce), pourvu qu’elles leur soient favorables, la mise sous tutelle de la Grande-Bretagne, la relation conflictuelle mais tout de même finalement fraternelle avec l’Allemagne, d’abord de l’Ouest, puis dans son entier, les efforts finalement aboutis pour rallier la France à l’Otan, etc., tout cela devrait nous rappeler que, guerre froide ou pas, il a toujours été important pour les USA de maintenir son emprise sur l’Europe.

(5) Je reprends le même sujet qu’un peu plus haut: il s’agit de ramener le temps de la démocratie (relative, certes, mais bon) au temps de l’entreprise. Or, le temps de l’entreprise ne peut pas être celui des disputes parlementaires ou celui des tribunaux, mais bien celui des arbitrages menés par des gens qui s’entendent avec le monde de l’entreprise. Donc, des techniciens sont mis au pouvoir dans les institutions afin d’organiser la justice autour d’organismes privés d’arbitrages rapides.

(6) J’oserais dire que la survie de l’UE et/ou de l’euro serait la solution la plus pessimiste à mes yeux.

(7) Je ne peux pas développer mon idée ici, mais, oui, l’organisation sociétale au Moyen-âge possède pas mal de qualités, en dépit de ses manquements technologiques; je l’ai déjà dit par ailleurs, et je tente de le développer quand j’en ai le temps dans un ouvrage un peu plus conséquent: à l’instar d’un Kropotkine, même si c’est pour d’autres raisons et dans d’autres formules, je pense que nous avons à apprendre de ces structures sociétales. Je me distingue de mon vieux barbu de géographe anarchiste en ce que, selon moi, ce sont plus les villages de paysans qui représentent le modèle démocratique à suivre que celui des corporations urbaines. Mais bon, en fait, ce ne sont que des détails, comme j’essaierai aussi de le montrer un jour.

(8) Sur le plan du confort de vie, de l’espérance de vie, mais avec en plus les instruments de communication que nous connaissons, les médicaments, les infrastructures médicales, etc., bref, avec tout un tas d’instruments qui, certes, peuvent se raréfier, mais restent infiniment plus performants qu’au milieu du XXe Siècle. Donc, une chute au Moyen-âge, dans le mauvais sens du terme, est totalement impossible. La maintenance d’un service minimum dans une structure même lâche permettra de toute façon de conserver un certain niveau de confort. Même si vos panneaux solaires tombent en rade, vous aurez de toute façon moins de besoin en électricité sur le moyen terme. Les écrans vont cesser de se multiplier, vont finir par se réduire en nombre, etc. Bon, ici, je suis conscient que la discussion va être énorme.

(9) L’organisation de la société va rapidement tourner autour de préoccupations finalement assez similaires à celles de Cuba après la révolution. Mais, de toute façon, beaucoup de pays se trouveront dans le même état et l’interdépendance sur base d’une coopération pourrait s’installer avec un peu de bonne volonté, pourvu que les pays restés capitalistes ne nous envoient pas des sous-marins pour couler nos galions…