Le jour des fous (1)

(première partie d’une nouvelle écrite il y a déjà quelques années. À suivre par épisode)

Il était une fois une région du monde qui, comme presque toutes les régions du monde, était soumise à des dieux puissants qui se foutaient en réalité de ce qui pouvait bien s’y passer. Cette région du monde, comme la plupart des régions du monde habité, abritait des terres cultivables, des rivières, des puits, des murs, des maisons, des places, des statues, des temples…
Comme dans toutes les régions du monde habité d’hommes et d’images de dieux, on y retrouvait une petite quantité de personnages, plus puissants, qui faisaient office de prêtres.

Dans cette région du monde, les dieux les plus puissants s’appelaient Poséidon, Hadès, Zeus, Heraklès, Arès… Il y avait bien aussi quelques déesses, mais, comme souvent, elles servaient de faire-valoir à leurs conjoints. Et plus aucun habitant ne se souvenait d’un vieillard qui aurait raconté aux enfants comment, avant, bien avant, Athéna, Artémis, Héra ou quelqu’autre avait organisé la vie des familles…

Dans cette région du monde, comme dans beaucoup de régions du monde, les dieux les plus importants étaient arrivés dans les bagages de puissantes castes dominées par les pères, montés sur des chevaux, accompagnés de légendes toutes neuves et d’armes en fer, de rites impérieux et d’une certaine révérence pour le droit de conquête et de richesse qui jusque là n’avait pas été une priorité…

Il était une fois, donc, une région du monde comme beaucoup d’autres. Celle-ci se trouvait au bord de la mer, une mer magnifique, sans marée, une mer où les histoires de dauphins le disputaient aux récits de sirènes, une mer qui fournissait aux hommes une nourriture illimitée et apportait les commerçants d’autres régions du monde, mais aussi l’angoisse des naufrages et des attaques barbares. Une région du monde où l’autre, l’étranger, était considéré avant tout comme un danger, et ce n’était qu’ensuite, s’il avait fait ses preuves, qu’on pouvait envisager de le laisser entrer pour montrer ce qu’il avait à vendre.

Une région du monde assez commune, au fond, où les hommes étaient heureux de faire partie du bon sexe, où les femmes qui survivaient à leurs premières couches se félicitaient d’avoir choisi les bonnes divinités, les bons rites, les bonnes prêtresses, où les enfants qui passaient 7 ans se réjouissaient de pouvoir jouer une ou deux heures après avoir travaillé au champ, au port ou dans l’atelier de leurs pères -quand ceux-ci vivaient encore…

Une région du monde où le soleil était généreux, régulier, peu changeant, où les neiges étaient rares et où les pluies venaient presque toujours lorsqu’il le fallait pour combler les puits et les citernes -et sans doute était-ce la raison pour laquelle les pères des pères de ses habitants l’avait choisie pour demeurer. Une région du monde dure et exigeante, comme toutes les régions du monde, où les hommes travaillaient du matin au soir pour permettre à leurs enfants de faire plus tard comme eux, et ainsi de suite. Une région où, comme dans toutes les régions du monde, on s’arrêtait de travailler avec la nuit tombée…

Une région où, de temps en temps, une canicule, une tempête, une maladie peu connue, une attaque imprévue, emportaient la moitié des richesses et des vies de la cité. Où les survivants avaient pris l’habitude de remercier les dieux d’avoir épargné l’autre moitié, et l’on rebâtissait les murs, les temples, on réparait les bateaux, les filets, on réapprenait à vivre sans les morts, on se dépêchait de se remarier, de refaire des enfants, on veillait à ce que les patrimoines parviennent aux héritiers, et on engraissait un peu les prêtres afin d’assurer leur médiation entre le pauvre profane ignorant et le sacré inconnu…

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