Limites et anarchie

La liberté totale n’existe pas; elle exigerait que nous soyons sans limite, éternels, que notre jugement soit sûr et profond, bref que nous ne puissions être que parfaits, à l’instar d’un dieu chrétien.

Par l’absurde, cette définition nous entraînerait dans la plus complète détermination en ce que, parfaits, nous ne pourrions produire que du parfait -ce qui, à l’évidence, ne fut pas le cas d’un dieu chrétien, mais passons.

Par l’absurde encore, cette définition de la liberté totale impliquerait que nous ne puissions être nous, je veux dire multiples, plusieurs, nombreux,…

En suite de quoi, nous ne pourrions être des individus, puisque les individus ne le sont qu’au sein de groupes, ne le sont que par opposition au nombre, au pluriel, au multiple.

La liberté totale, si elle est impossible, serait-elle souhaitable? Il semble que Sade nous montre le contraire: par liberté totale, nous entendons la possibilité pour son détenteur de faire à l’autre ce qu’il veut. Pour autant qu’un instant de fureur ou de méchanceté le frappe et les destins de Sodome et Gomorrhe ressembleront à des plaisanteries.

Qu’est-il d’ailleurs besoin de se tourner vers des exemples bibliques ou des références littéraires pour le montrer? Il suffit de rappeler la capacité d’hommes au quotidien pour montrer combien ils peuvent abuser de leurs prochains. Si ces capacités sont loin d’être générales, elles touchent suffisamment de nos semblables pour que nous soyons autorisés à nous protéger des Mussolini, des Sharon, des Schneider, des Empain, des Rockfeller, mais aussi de tous leurs valets, des Eichmann, des Finkelstraus, des Thiers, des Friedman ou des Lincoln.

Notre souci doit être de cultiver la liberté tout en questionnant les devoirs de limites que nous devons malheureusement lui imposer. Cette limite réside dans la capacité de nuire.

La capacité -c’est le maître mot.

Nous ne pourrons jamais tout à fait empêcher un être humain de s’emparer d’un couteau, mais nous pouvons l’empêcher d’armer un escadron, ou même une escouade.

Nous ne pourrons jamais tout à fait empêcher un père de subjuguer ses enfants, mais nous pouvons lui retirer le pouvoir d’hypnotiser des foules.

Nous ne pourrons jamais tout à fait empêcher un mari de tuer sa femme sans prévenir, mais nous pouvons l’interdire de faire croire qu’elle l’a mérité.

Tout ce que l’accumulation des richesses permet aux détriments de certains, de quelques-uns ou d’une immensité, nous pouvons l’empêcher.

Il suffit d’empêcher la possibilité d’entasser des biens et de les capitaliser.

Et alors, il ne restera plus à chacun que le droit de hurler alentour de soi.

Et ce sera bien tout.

Et l’écho lui répondra.

Et nous serons libres parce que nul ne le sera totalement.

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