Oedipe, homme d’État

Les personnalités politiques sont-elles des femmes et des hommes d’État, ou essentiellement des arrivistes et les purs agents d’une partie de la population, qui a, décidément, gagné la lutte des classes?

La crise actuelle ne fait qu’ajouter éléments après éléments à cette intuition que la plupart d’entre nous partageons au café du commerce: “tous pourris”, “corruption et compagnie”. Difficile d’argumenter contre cela lorsqu’on constate à quel point l’intérêt particulier, l’addition des prolongements de carrières indus sont la norme dans le fonctionnement de celles et ceux qui s’affichent années après années malgré leur incapacité ou leur malhonnêteté.

Il est rare de rencontrer des individus pour qui nous pourrions garder une once de respect pour le travail accompli. Même éventuellement des personnalités avec lesquelles nous ne partageons pas toutes les idées.

Lors de mon séjour au Brésil, j’ai eu l’occasion de suivre des éléments de carrière d’au moins deux personnalités pour qui mon respect n’est jamais tombé.

Il s’agissait, en premier, de l’ex-présidente Dilma Rousseff qui, malgré les concessions à répétition qui lui ont finalement coûté son poste, tentait malgré tout de garder un cap médian qui justifiait, pensait-elle, sa prise de pouvoir.

Elle s’est trompée, et a même fini par l’admettre une fois démise, lorsqu’elle a reconnu qu’il ne fallait décidément pas négocier avec les forces capitalistes. C’était trop tard. Pour autant, elle éprouvait et éprouve encore sans doute une véritable empathie pour les Brésiliens dont elle fut plusieurs fois ministre puis présidente élue à deux reprise.

Lors du gouvernement Lula, une autre personnalité fit de la diplomatie brésilienne une véritable alternative à ce qui était alors exercé presque partout dans le monde.

Celso Amorim fut le contraire d’un valet de la politique extérieure étatsunienne. Il fut probablement l’une des raisons principales de l’offensive généralisée que le Brésil dut souffrir par la suite, car il avait su installer une véritable diplomatie indépendante, capable d’influer sur les négociations dans les lieux de conflit habituellement réservés aux forces impérialistes occidentales.

Plus encore que leurs compétences, c’est leur bonne volonté, à tous deux, mais aussi la capacité d’empathie de Dilma Rousseff et le choix de retrait de Celso Amorim, qui m’ont marqué.

L’une et l’autre avaient encore probablement pas mal de choses à offrir à leur pays, mais peut-être aussi au monde, comme figures d’homme et de femme d’État.

Il y a de ces figures dans le passé, remarquables non pas tant par leur présence scénique ou leur souci de prolonger leur carrière, que par leur capacité à faire un pas de côté quand ils en sentaient la nécessité ou surtout par le sacrifice qu’ils firent de leur carrière. L’art de ne pas insister, en un sens. De savoir quel est l’intérêt à défendre.

A nouveau, et malgré tous les désaccords de fond que je peux avoir avec elle, je ne peux que mettre en avant la figure de Dilma Rousseff, probablement une des rares personnalités politiques de premier plan avec qui j’aurais sans aucun doute plaisir à discuter et partager un repas, une soirée, une véritable tentative d’entente.

Réponse à celles et ceux qui pensent que je ne suis pas capable de faire de compromis. Je le suis, mais j’ai un degré d’exigence tel que je connais plus de chameaux capables de passer à travers le chas d’une aiguille que de personnalités politiques avec lesquelles je trouverais intéressant de discuter.

Ce petit texte avait aussi pour vocation de mettre en contraste ces deux personnalités et celles qui sont incapables de trouver la moindre inspiration dans la souffrance humaine et dans le sort collectif de leurs populations.

Réécoutez Oedipe-roi, dans la pièce de Sophocle, qui finit, pour le bien de son peuple, par demander d’être banni lorsqu’il réalise avoir été la cause -bien involontaire- du malheur de la cité.

“Je le sais, vous souffrez tous; mais quelle que soit votre souffrance, pas un ne souffre autant que moi. Car votre douleur vous est propre: chacun a la sienne, pas celle de l’autre; tandis que mon coeur gémit sur la ville et sur moi (…). [Votre] douleur me pèse plus que le souci de ma personne.”

Sophocle, Oedipe-Roi, Prologue.

Peut-on en dire autant de ce tas-ci?

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