Les cannachiffres

… ou les chiffres qui font rire.
(oui, bon, c’est léger)

Il est intéressant de lire que le PIB mondial (à parité de pouvoir d’achat, ce qui fait toujours du bien de le dire) a pratiquement doublé entre 1995 et 2007, passant de 34,5 mille milliards de dollars, à 65,3 des mêmes unités1.

Ce qui représente quand même pas mal de pognon2

Surtout quand on sait que, rien qu’en 2008, les fonds de pension privés aux USA ont perdu 22 pour-cent de leur valeur, c’est-à-dire 5.300 milliards de dollars3. Ce qui signifie qu’au début 2008, ils valaient (à vos calculettes) 24 mille milliards de dollars, autrement dit: plus de 35 pour-cent de la valeur du PIB mondial dans le même temps4.

Bien… Qu’est-ce que ça veut dire ça?…

Comme il a déjà été montré par ailleurs, la spéculation a tellement gonflé ces dernières années, que la valeur des avoirs financiers (boursiers ou non) ne représentait plus que des espérances totalement irrationnelles, qui n’ont plus rien à voir avec l’économie réelle, et même avec cette anomalie de l’esprit qu’est le PIB5.

Le problème, c’est que rien que les chiffres de l’économie dite réelle ne permettent plus à personne d’avoir la moindre prise sur ce qu’ils veulent dire. Il n’y a que les astronomes pour voyager avec un tel nombre de zéros avant la virgule. On a l’impression que les sorciers de l’économie tentent de calculer le nombre de fourmis qui colonisent le sous-sol de la planète.

Un autre chiffre absurde? Les USA ont accumulé 4.000 milliards de dollars de déficits commerciaux entre 2002 et 20076. Ceci parce que la croissance de leur propre PIB (exemplaire pour nombre des zozos qui commandent l’Europe jusqu’à il y a peu) tenait en grande partie sur une surconsommation basée sur l’endettement personnel.

Il est d’ailleurs amusant de se dire qu’en comparaison avec ces 4.000 unités sidérales, 2.000 autres sont tenues en réserve dans les banques chinoises et que ceux-ci sont les principaux créanciers des amerloques.

Bon, vous n’avez pas encore le vertige?

Vous n’êtes pas sans savoir que les deux paquets d’aide (sous forme de liquidités, garanties, crédits et autres petits cadeaux) aux banques américaines par l’administration Bush-Obama dépasseront les 1.500 milliards de dollars7. Vous savez sans doute aussi que les aides accumulées de l’ensemble des États accordées à leurs propres dévaliseurs (je veux dire: aux banques) totalisent 7.300 milliards de dollars, soit six fois le PIB du Brésil8 ou la moitié de celui des USA9.

-Mais oui, mais il faut, thitho, tu comprends pas… Sinon, tu sais, le système… Il va se casser la…

Ah.

Ok.

Bon.
(Même si, personnellement, s’il se casse la gueule, le système, je ne suis pas sûr que je pleurerais…)

Un petit détail, en passant: ce genre de chiffres, ça ne vous donne pas envie de dire que c’est beaucoup de pouvoir dans les mains de pas grand’monde? Hm?

Et puis, dans le même temps, le vice-président du FMI, John Lipsky, a aimablement annoncé, lors du sommet de Davos, que ledit Fonds mettait à la disposition des pays “en voie de développement” 250 milliards de dollars qu’il tenait “en portefeuille”. Le Japon était d’ailleurs prêt à y ajouter 100 milliards10.

Tout de suite on se sent mieux: c’est le genre de chiffres qu’on comprend. Même si le délégué indien s’est fendu d’une réflexion qu’on pourrait traduire par “tu te fous de notre gueule.”

Ben oui, mais il faut bien rire un peu. En temps de crise, c’est tout ce qu’il nous reste…

  1. source: FMI []
  2. J’espère que vous le sentez, amis Européens, que vous bénéficiez de deux fois plus de biens et de services qu’il y a quinze ans? []
  3. Source: Época, 19 janvier 2009, p. 36. []
  4. Au Royaume-Uni, les fonds de pension s’élevaient, selon un calcul similaire, à près de 5.100 milliards de dollars. Les fonds des deux puissances anglo-saxonnes accumulées totalisaient dont l’équivalent de près de 45 pour-cent du PIB mondial à même époque. Attention: ceci ne signifie pas du tout qu’ils détiennent 45 pour-cent du PIB mondial, puisque les valeurs de ces fonds de pension sont, disons,… voyons,… comment dire,… virtuelles? []
  5. Théoriquement, cette chose représente la somme des valeurs de tous les biens et services finaux produits à l’intérieur d’un espace donné en un an. Bonjour le calcul réaliste, car 1) Il ne comprend que les données chiffrées en argent; 2) Il ne peut qu’évaluer la production clandestine, même chiffrée en argent. Bref, tout ce qui est économie familiale, informelle, conviviale, mais aussi tout ce qui passe par la criminalité (avant lavage d’argent) est exclu du PIB. Par nature ces économies sont difficiles à estimer, mais selon l’International Labor Office, ces chiffres osciellent entre 15 pour-cent pour les pays “developpés” et plus de 60 pour, vous savez, les “autres”. []
  6. source: CartaCapital, 4/2/2009, p. 61. []
  7. 700 milliards du plan Paulson, déjà, et on prévoit un petit 800 milliards avec Obama. []
  8. et, vous vous rappelez? l’économie du Brésil fait partie de celles où la moitié est encore dans le gris-noir. []
  9. source: Época, op. cit., p. 84. []
  10. source: José Fucs. []

2 Responses to “Les cannachiffres”

  1. Un Homme Says:

    Plusieurs questions…
    1/ tu parles du PIB mondial, comment est-il calculé? (j’ai pas trouvé ces chiffres sur le site du FMI)
    2/ tu parles de la valeur des fonds de pensions privés US et de leur part dans le PIB mondial, puis tu dis qu’il n’y a aucun rapport entre les deux. Pourrais-tu expliquer?
    3/ tu parles d’économie réelle: de quoi s’agit-il plus précisement?
    4/ tu dis que les chiffres de l’économie réelle sont astronomiques et ne signifient plus rien. Ce n’est donc pas d’une économie “réelle” qu’on parle?
    5/ pourrais-tu expliciter le lien entre le déficit commercial des USA et ce dont tu parles précédemment? Ou bien s’agit-il juste d’un autre exemple de chiffre “astronomique”?
    6/ l’objectif du post était-il de nous donner le vertige?
    7/ si je compte bien, le PIB des USA est donc de US$14600 milliards et leur plan de sauvetage représente donc grosso modo 10% du PIB; mais leur PIB est aussi 3,5 fois supérieur à leur déficit commercial. Que peut-on déduire de tout ça?
    8/ avec ou sans plan de sauvetage, il est douteux que le “système” (duquel parle-t-on?) se casse la gueule, non?
    9/ Pourrais-tu expliciter le lien entre l’astronomicité des chiffres que tu donnes et les formes de gouvernement?
    Quant à l’aide pour les pays en développement (quel bel euphémisme pour parler des zones que nous exploitons), faut-il rappeler que les “Objectifs du Millénaire” préconisaient que les pays riches consacrent 0,7% de leur PIB à “l’aide au développement” (et quand on sait ce que ça recouvre…). Ce qui, transposé à l’échelle du PIB mondial, représenterait US$457 milliards. Les US$350 milliards mentionnés ne sont donc pas très loin du compte…

  2. thitho Says:

    alors oui:
    1) je n’ai pas trouvé ce chiffre sur leur site mais parmi les stats d’un économiste dans ma revue “préférée” CartaCapital. Le PIB peut être calculé de trois manières différentes, toutes plus biscornues l’une que l’autre. Le principe “simple” étant de calculer tout ce qui produit comme biens et services finaux dans un pays. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais je dénigre (un peu) le PIB dans ce post.
    2) Les fonds de pension ne participent pas en soi au PIB. Le PIB n’inclut pas dans les faits les sommes plus ou moins réelles détenues dans des sacs à mains virtuels des fonds de pension. Sans doute parce qu’on ne peut pas les voler à l’arraché (je plaisante). Ce qui était intéressant, c’était de constater à quel point le PIB mondial -qui pourtant est déjà grand-, représentant officiel de l’économie réelle, s’avère modeste par rapport aux “richesses produites” par l’économie financière.
    3) On entend par économie réelle celle qui s’occupe de la production des biens et des services. D’où l’importance accordée par un grand nombre de zozos (qu’on appelle politiciens, analystes, économistes, journalistes) au PIB, qui pourtant laisse de côté une grande partie de l’économie réelle (voir note 5).
    4) En effet, ce que je reproche au bidule, c’est de quantifier des choses réelles de manière tellement abstraite (leur valeur pécuniaire), alors qu’ils y mélangent tout (y compris les mines anti-personnelles, les reconstructions suite aux destructions de guerre, les abus des entreprises pharmaceutiques, les destructions programmées à coups de round-up) et oublient des éléments essentiels de l’économie (travail domestique -souvent féminin-, culture potagère individuelle ou familiale, les activités amicales, conviviales, d’entraide). Nous avons donc des chiffres astronomiques qui n’ont finalement que des liens assez lâche avec la vie réelle des gens, et donc leur économie.
    5) c’est en effet un autre chiffre astronomique qui ne signifie plus rien, sinon qu’une certaine quantité d’Américains (mais lesquels? Ceux qui étaient a priori solvables? Plus? Moins? Difficile de trouver ce genre de chiffres) se sont endettés au-delà de l’imagination pour faire tourner une machine de plus en plus vite… et puis quoi?
    6) L’objectif était de nous interroger sur la pertinence de ces chiffres. PAr exemple, est-il réellement intéressant de s’occuper d’accumulations abstraites de quantités de pommes, de poires et d’une infinité de fruits différents à qui une valeur artificielle (appelée valeur d’échange), alors qu’on nous a appris à l’école qu’on n’additionne pas des pommes et des poires, et a fortiori une infinité de fruits différents. (note: infinité est ici un abus de langage conscient, et il ne s’agit pas seulement de fruits.)
    7) Attention, leur PIB est 3,5 fois supérieur au déficit accumulé entre 2002 et 2007. Il manque d’ailleurs ici les chiffres du déficit budgétaire américain, lui aussi très important et que le FMI ne supporterait nulle part ailleurs. La taille du PIB par rapport à celle du déficit commercial n’est pas fondamentale. Par contre, de réaliser que les USA sont dans une situation de banqueroute théorique, vu qu’ils sont en déficits constants (commercial et budgétaire), pourrait être déjà plus révélateur. Mais ceci seulement si l’on s’intéresse à une économie fourre-tout où l’on accumule aussi bien la production et la vente d’armes, les problèmes de gestion hospitalière, le nombre d’avions super-polluants construits dans l’année, et qu’on oublie toute l’économie informelle dont je parlais plus haut.
    Bref, cela n’a pas d’autre intérêt que de nous faire peur.
    8) Comme je l’ai déjà écrit un peu plus tôt dans l’année, je ne crois pas du tout que la crise fasse disparaître le capitalisme. Au contraire, à son issue, les plus forts seront encore plus forts et ça ne montrera qu’une chose, c’est que, comme disait l’autre, “the system works”.
    9) je ne comprends pas bien la question.

    Pour terminer sur ta remarque, il faut noter
    a) que la nature des aides n’est pas précisée;
    b) que les fonds du FMI ne sont pas nécessairement émanant des seuls états dits développés;
    c) que le FMI dispose de 250 milliards et que c’est surtout le Japon qui met à disposition, lui tout seul, 100 milliards (encore qu’il s’agisse jusqu’ici surtout d’une promesse);
    d) que le délégué indien l’a trouvée saumâtre, sans doute en raison de la faiblesse du montant, mais aussi probablement en raison des conditions de la disponibilité dudit fond, qui n’étaient cela dit pas précisée dans ma source.

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