epistrephô

J’avançais sans sourire, l’encolure en feu, les épaules meurtries. Mes pas se faisaient plus lourds, plus profonds, plus vides à chaque mille. Le soir, enfin libéré, je me jetais au sol -un peu de paille, quelques étoiles, l’espoir qu’il ne pleuve pas. Mais pas plus aujourd’hui qu’hier je n’avais vu de ville, de village, de créature, ni de nature, de force ou d’ange. -Rien qui pût nourir mes rêves. Je restais endormi au même lieu chaque soir, certain de marcher le jour suivant encore.
Tous ceux qui s’approchaient de moi s’éloignaient rapidement. Je les connaissais peu. Je ne les connais pas -ils changent et mon regard ne change pas. Je marche, pourtant. Tous les jours j’avale un mille de plus. Tous les jours j’écrase un peu plus de route -un peu plus de travail.
Un jour, je me lèverai fatigué. Je ralentirai. Je regarderai vers le ciel. Mon regard sera toujours du même gris. Et, qui sait, peut-être verserai-je enfin de ces larmes qu’on a refusé de me donner. Alors, sans doute, je m’écroulerai -et je ne parviendrai plus à écarter les mouches qui tournent autour de mes yeux et de ma langue.
Et quelqu’un viendra me dire que j’aurai peiné en vain -qu’il n’y a plus rien -que tout recommence -que je ne sais pas -que l’or est ailleurs -que la vie s’arrête… Que sais-je?
Dois-je le tuer?