Chronique des élections présidentielles locales III
Résumé des épisodes précédents:
Trois candidats, principalement, se disputent le siège de la présidence à partir de l’an prochain, au Brésil: José Serra, Dilma Rousseff et Marina Silva. Beaucoup d’intérêts s’entrechoquent autour d’eux.
Troisième partie: Marina Silva, actuellement créditée de 8 à 12% des voix au premier tour.
Membre du PT de la première heure, ex-ministre de l’environnement du Président Lula pendant près de six ans, Marina Silva a un parcours pour le moins atypique.
Originaire d’Acre, elle a grandi dans une famille très pauvre, dépourvue de droits scolaires pendant toute son enfance et n’a appris à lire et à écrire -contre le désir de son père- que… grâce à une maladie qui a failli la tuer et l’a clouée au lit suffisamment longtemps pour lui laisser le loisir de s’instruire. Elle ira ensuite jusqu’à l’université; à son crédit, malgré sa réussite, de refuser de servir d’exemple pour montrer que, même partant de rien, on peut arriver à tout: pour elle, être une exception ne permet pas de déterminer une règle. Et de continuer de réclamer un meilleur enseignement public.
Ensuite, elle a failli entrer au couvent. C’est un mariage qui l’en empêchera (elle a divorcé depuis). Plus tard, de catholique, elle virera évangéliste -c’est-à-dire membre d’une secte religieuse protestante. Entretemps, elle aura rencontré Chico Mendes, LE militant seringueiro des années 80′, assassiné pour avoir été une véritable épine dans le pieds des gros propriétaires terriens. Elle se consacrera à corps perdu à la cause de Chico Mendes.
Militante historique du PT depuis ses origines ou presque, Marina sera longtemps derrière Lula. Aujourd’hui, elle a quitté son parti, rejoint le PV (parti prétendument vert) et se présente aux élections sous cette couleur. D’aucuns estiment qu’elle pique des voix à Dilma Rousseff, la candidate de Lula, et qu’elle risque de soutenir indirectement José Serra. Sachant qu’il y a deux tours d’élections, ce raisonnement est pour le moins sujet à caution. Mais soit.
Revenons à la personne de Marina Silva.
Elle a la réputation de défendre exactement ce qu’elle dit, ce qui semble corroboré par sa sortie du gouvernement deux ans avant les élections; jusqu’au début de l’année, elle ne semblait pas destinée à se présenter. Ministre, elle a tenté de défendre, dit-elle, les intérêts de la nature, des peuples indigènes, elle était internationalement reconnue comme ZE militante écologiste. Ce qui ne l’a pas empêchée de participer -six ans!- à un gouvernement qui a poursuivi les programmes d’expansion de l’agriculture et de l’élevage sur les terres de l’Amazonie et de réalisation de gros ouvrages tels des barrages et des usines à gaz, sans compter le programme nucléaire local soutenu par la France: ses luttes avec le ministère de l’énergie et celui de l’agriculture se sont généralement soldées par des échecs. Elle a, semble-t-il, avalé pas mal de couleuvres sous le couvert du “réalisme” économique.
Même si l’on devait supposer une sincérité brimée et frustrée dans son chef, on ne peut s’empêcher de retoquer Marina Silva sur une récente déclaration qu’elle a faite dans le magazine Istoé: à la question “accepteriez-vous le financement de l’entreprise Vale?”, elle a répondu qu’elle estimait que cette entreprise respectait le droit social et l’environnement et que, oui, s’ils la contactaient, elle accepterait leur soutien.
Or, Vale est largement critiquée dans la presse de gauche (Caros Amigos, Brasil de Fato ((Caros Amigos: le site se trouve ici, mais vous devez naviguer dessus pour trouver la référence dans le numéro de mai 2010 de l’article Vale, a mineradora com as mãos sujas de sangue de Tatiana Merlino; et Brasil de Fato: Vale est une transnationale dont les pratiques sociales et environnementales sont combattues dans le monde entier.))) précisément pour son mépris pour les droits du travail et l’environnement dans l’ensemble des régions du monde où elle est active. De Marina, on craint une ignorance maladroite ou une tolérance coupable… Et ce n’est qu’un exemple qu’on pourrait multiplier.
Dans un autre registre, qu’on pourrait peut-être plus aisément lui pardonner, Marina Silva est hautement mystique, mélange allègrement les mérites de la science et de la foi ((Elle estime notamment que, si elle a été guérie de sa grave maladie étant jeune, c’est grâce à Dieu et à la médecine.)), s’oppose à l’avortement, par exemple, et n’accepterait de traiter des questions dites “éthiques” que via des réferendums. Il est clair que l’allusion à la démocratie directe devrait nous plaire ((Encore qu’elle critique fortement le régime vénézuélien pour son système participatif, allez comprendre.)), mais l’on sait parfaitement que l’influence conjuguée de toutes les sectes locales au Brésil amènerait fatalement plutôt à un recul des idées laïques qu’à des avancées.
Au total, même si, des trois candidats principaux, elle est la moins pire, Marina Silva, de jeune militante infatigable, est devenue, comme tous les autres, une jeune (elle a plus ou moins 50 ans) candidate infatigablement opportuniste.
Prochain épisode: José Serra