La confusion des genres, pages 28-33

(Passage précédent: p. 22-28)

On comprend que le boutonneux Yvan ait eu le désir de tenter d’attirer l’attention de la mignonne, et ce par tous, ou plutôt les seuls moyens à sa disposition: l’insolence et la rouerie. Il espérait sans doute, sinon lui du moins son inconscient (pour autant qu’il existe), que, suite à ses multiples provocations vis-à-vis de ses parents et de la moitié des adultes de l’assemblée, Sophie, épatée, l’inviterait à aller faire une balade dans les environs ensoleillés, à visiter une grange ou un fenil dont ils découvriraient les espaces confortables pour… Mais, en fait, sitôt le repas terminé, son père et mon oncle empoignèrent leurs raquettes, leurs balles et leurs sacs de sport et Sophie les suivit dans le fond du jardin avec une bouteille de soda noir, pour assister à leurs échanges hebdomadaires, dans le cadre des préparatifs des interclubs à venir. Sa démarche chaloupée et sa main tenant légèrement la bouteille bien connue encore ruisselante de froid faisait penser à une publicité exactement faite pour ce qu’elle était en train de faire : créer une frustration chez le spectateur. Or, près du terrain, il n’y avait aucun espoir que les adolescents, à supposer qu’elle en soit tentée, trouvent le moindre espace couvert, discret ou caché qui permettent quelque chose qui ressemble à la Chasse aux papillons selon Brassens.

Yvan avait beau être, selon moi, un idiot (et je veux dire que je pense aujourd’hui qu’Yvan à l’âge de 14 ans, était un idiot; à celui que j’avais alors, jamais il ne me serait venu à l’esprit de penser cela, vu que je ne pouvais qu’admirer, envier ou en tout cas me surprendre de ses audaces et de ses exploits qui étaient pourtant à la portée de n’importe quel maladroit abruti par une acné perturbant les prétentions sociales), il ne l’était pas suffisamment pour ne pas comprendre qu’il n’arriverait à rien ce jour-là avec Sophie (et je n’eus aucune difficulté, plus tard, pour apprendre qu’elle ne le laissa jamais approcher à moins d’un mètre si ce n’est lorsqu’il vint assister aux obsèques de son grand-père et qu’il l’embrassa sur la joue pour lui présenter ses condoléances. Ce baiser a priori anérotique, à peine appuyé de ses joues fraîchement rasées, inspira à Yvan une érection qui allait le gêner pendant la moitié de la cérémonie. Ils avaient dépassé vingt ans tous les deux, mais l’approche de la joue de Sophie lui avait permis de glisser son regard sur l’épaule ronde et souple encore, qu’elle n’avait dissimulée qu’aux regards directs et laissé à portée des obliques comme ceux de qui s’approchaient pour la serrer contre eux par sympathie apparente pour son deuil. Sophie était déjà la fiancée d’un futur médecin de campagne dont la rente allait lui assurer un avenir tranquille de bourgeoise pondeuse, mais elle sentait déjà la nostalgie du regard des hommes sur les parties de son corps et le destin d’une Bovary lui chatouillait les extrémités avant même d’avoir épousé son ennui. Yvan, de son côté, se rappela à la vue du grain doré de sa peau encore lisse et appétissante, toutes ces apparitions qu’elle avait pu faire chez son père durant leur adolescence et qui l’avaient laissé insatisfaits. Ce sont toutes les sensations qui l’avaient agité alors, toutes les sèves qui avaient grimpé le long de ses membres, toutes ces démangeaisons qui, pendant la cérémonie, l’empêchèrent de rester immobile sur son siège, puis debout en écoutant les hommages au moment de la descente du cercueil, après avoir traîné pendant une demi-heure entre l’église et le cimetière au milieu de tout le village en cortège. Il avait par contre oublié ce qui allait suivre durant l’après-midi que je raconte maintenant). Une fois les deux hommes et la jeune fille descendus vers le terrain, Yvan disparut de la terrasse où nous restions encore tous, les enfants à vider les restes du dessert, les adultes à siroter les derniers cafés et les premiers digestifs.
Les frères d’Yvan se sentaient l’envie de jouer au foot et leur aîné, dont ils aimaient les coups de butoir, leur devenait subitement indispensable. Ils avaient déjà sorti le ballon, les gants et les poteaux de but de la cabane, mais ils ne s’entendaient pas sur celui qui devrait aller le chercher. Comme ils en venaient aux mains et que je craignais de voir la partie de foot dégénérer en combat de catch, je proposai d’aller, moi, le ramener. Ils se calmèrent, s’accordèrent sur ma proposition et s’en furent dans une partie plus large du jardin installer l’artisanale cage. J’entrai dans la maison. Le rez-de-chaussée baignait dans le silence, aussi montai-je les escaliers pour aller jusque dans sa chambre. La porte était fermée, mais je n’ai pas pris de précaution pour l’ouvrir. Il y a peu de chances qu’Yvan se soit attendu à mon arrivée. Il était à moitié étendu sur son lit, à moitié adossé à son mur, le pantalon et le caleçon au bas de ses pieds, les genoux largement écartés, sa main droite encore sur son sexe, recouverte du même liquide jaunâtre qui venait d’en sortir. Je ne savais pas trop à quoi je faisais face, étant encore trop jeune pour en avoir même l’idée, aussi ne m’étonnai-je que du fait qu’il était à moitié nu –et pas de la moitié politiquement correcte- à une heure où il était encore fort tôt pour songer à dormir. Je ne me suis même pas demandé ce que pouvait être ce qui continuait de sortir de son pénis et ne ressemblait que de loin à ce qui devait en sortir habituellement.

Yvan, que mon arrivée avait surpris, réfléchit vite, bien plus vite qu’il ne nous y avait habitué. Il me dit de fermer la porte avant même que je n’aie eu le temps de lui parler de football. Puis il m’intima de m’approcher jusqu’à son lit. La chambre était toute petite, pourvue à peine d’un lit à ressorts branlants, recouvert d’une couverture de serge brune, et d’une fenêtre aux vitres sales découpée en quatre carreaux qui laissaient passer un soleil poussiéreux ; je me souviens avoir encore noté que l’un des carreaux semblait plus récent que les autres. Sur l’appui de la fenêtre, exagérément grand, très bas, caractéristique de maisons anciennes dans la région, il avait entreposé ses bandes dessinées, des histoires de western et de policiers de l’école franco-belge sans grand intérêt. Sous son lit, il avait jeté son sac qui contenait les trois pièces de vêtements qui faisaient son week-end et les cahiers qu’il était censé étudier pour l’école et sur lesquels il prétendra avoir passé deux heures à sa mère une fois rentré en ville.

Yvan me dit de me baisser entre ses jambes. Son sexe, qui avait commencé à mollir une fois la satisfaction atteinte au doux souvenir de Sophie, recommença à se dresser. Je me mis sur les genoux et il posa son autre main sur mon épaule, dirigeant doucement, mais fermement ma tête en direction de son gland. Il me dit de le sucer, ce que j’allais m’appliquer à faire sans chercher à comprendre, mais à peine l’avais-je touché qu’un nouveau jet de sperme m’arriva sur les lèvres, entre les dents et sur la langue, j’eus un mouvement de recul aussitôt et me retrouvai sur mes jambes. Après avoir contenu un léger spasme, Yvan me demanda, avec un sourire énigmatique, ce que ça goûtait. Je suppose aujourd’hui qu’il se l’était demandé de nombreuses fois, avait souvent hésité à en tirer un échantillon pour le mettre dans sa bouche et que ma présence impromptue lui avait paru une excellente occasion de satisfaire sa curiosité sans avoir à se souiller comme je suppose qu’il considérait ce qu’il m’avait fait. Ou alors sa question devait compenser la frustration de ce qu’il espérait que je fasse, à savoir lui pomper le gland suffisamment pour qu’il en ressente un véritable orgasme, ce que je n’avais pas été et n’aurait plus pu être capable de faire après avoir déjà reçu sa semence, non que cela me parut indécent ou horrible, notions qui m’étaient totalement étrangères, mais parce que le goût de son sperme m’était apparu écœurant dès les premières larmes. Je le lui dis, caractérisant son foutre –que je n’appelai pas comme cela, à dire vrai je me contentai de dire « ça » pour le désigner- de « fromage » et j’émis le désir de sortir pour aller boire un verre d’eau.

Yvan parut déçu, son sexe aussi d’ailleurs. Il s’était de nouveau réduit à son état basique entre ses doigts qui l’agitaient encore machinalement et en sortaient quelques dernières gouttes qui salirent le drap beige de son lit défait. Il me dit que bon, je pouvais partir, mais il exigea de moi, sur un ton menaçant, que je ne parle de ceci à personne. Comme aucun membre de ma famille ne faisait partie de l’ordre de mes confidents, je n’eus pas de mal à le lui promettre. Je m’étonne encore de la facilité de cet échange : Yvan semblait effectivement persuadé que je n’en parlerais à quiconque, et à vrai dire je respectai ma parole, mais plus parce que l’événement m’indifférait que par réelle loyauté. Ce n’est d’ailleurs que de nombreuses années plus tard, lorsque mes propres hormones commencèrent à m’agiter, que je compris plus ou moins ce qu’il s’était passé, et en fait il me fallut encore attendre bien des années, la première fois que j’eus l’occasion de sucer réellement le sexe de mon premier partenaire masculin, pour que me revînt toute la scène et que ses circonstances se redessinent entièrement dans mon esprit. Alors, je m’aperçus à quel point Yvan, selon les normes sociales en vigueur dans la plupart des pays du monde dit libre, avait abusé de ma personne et de, si j’avais parlé à ma mère de la chose –sic-, tous les ennuis qui auraient pu en découler –re-sic- pour lui.

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