Burger et Milgram

Qui a vu le film I comme Icare se souvient sans doute mieux de l’expérience de Milgram que d’autres. Au moins superficiellement.

Stanley Milgram est ce psychologue américain qui avait été frappé par la posture tranquille et innocente d’Eichmann, lors de son procès en Israël en 1961-1962, pour avoir été l’un des artisans principaux de l’achemienment des Juifs jusqu’aux camps de concentration et d’extermination, pendant la deuxième guerre mondiale. Eichmann se défendait sobrement, reconnaissant chacun des actes d’acusation, mais refusant de les assumer, prétendant qu’ils n’étaient que l’exécution d’ordres de supérieurs.

Milgram, effrayé par la capacité d’obéissance du bonhomme, mais surtout pas l’insistance avec laquelle il arguait de cette obéissance au “Fürherprinzip” pour justifier de ses actes ((Il se glorifiait lui-même d’avoir 5 millions de morts sur la conscience.)), décida de procéder à une expérience pour s’assurer que ses compatriotes ne suivraient pas la voix du nazisme.

En réalité, il constata que près de deux tiers de la population américaine ((Il étendit ensuite son expérience à d’autres pays, et les résultats ne changèrent guère.)) étaient capables d’infliger consciemment des blessures mortelles à des personnes étrangères, sous prétexte qu’il s’agissait d’un ordre reçu par une autorité (en la matière, une autorité scientifique).

L’expérience de Milgram bouleversa les convictions sur le modèle démocratique, soit-disant porteur de valeurs humanistes ((De mon côté, je pense que le visionnage d’un documentaire sur cette expérience a dû être l’une de mes expériences d’ado les plus importantes et ce fut en tout cas l’un de mes principaux déclics quant à mes convictions politiques.)).

Une expérience de Milgram, édulcorée, à plus petite échelle ((Ce qui tend à montrer que les moyens en science humaine tombent en vrille, faute de sponsors…)), et réalisée par le professeur Burger montre que les choses n’ont malheureusement guère évolué. L’espoir du professeur Burger était que l’éloignement des expériences autoritaires du XXe Siècle aurait assagi la population.

Malheureusement, pour qui fait l’expérience de la gestion par l’Administration des sans-papiers, des chômeurs, des femmes maltraitées, pour ne parler que des cas les plus flagrants en Europe Occidentale ou aux USA, il est évident que ce n’est pas la proximité des régimes autoritaires qui est responsable de cette inclination humaine.

Cependant, il ne peut s’agir de la propre nature humaine, puisque, a contrario, plus de trente pour-cent des cobayes ont refusé de poursuivre l’expérience malgré la pression de l’ordre.

Pour ma part, je blâme l’ensemble des structures sociales et politiques responsables du système éducatif oppressif, répressif, conservateur, concurrentiel et conformiste. Nous y apprenons à nous plier à des comportements aussi idiots que destructeurs, voire auto-destructeurs, valorisant la consommation maladive, la concurrence ((Qui n’a pas besoin d’adjectif.)), l’obéissance aveugle, l’absence de critique de l’autorité dans la plupart des cas et la crainte de l’autre.

L’apprentissage de l’obéissance aveugle, qu’elle s’exerce à l’armée, dans la rue ou en entreprise, est le fait d’un retard flagrant des conceptions d’éducation de manière générale dans nos sociétés dites civilisées.

La facilité avec laquelle la plupart des gens acceptent la répression de manière générale, les inégalités les plus criantes, tant en fait qu’en droit ((Comment peut-on admettre de telles différences de traitement en justice, entre le pauvre bougre incapable de comprendre les borborygmes du droit et ‘bénéficiant’ d’un avocat de garde et le fils de bonne famille bardé d’une équipe de bavards uniquement consacrés à son problème.)), mais aussi un système économique fondé sur la loi du plus-fort-dès-le-départ-même-si-y-a-des-exceptions-qui-la-cautionnent, tout cela me permet d’affirmer sans crainte que, sans un changement complet de conception de la société, l’expérience de Milgram sera toujours d’actualité, et il sera même chaque fois surprenant de trouver 30 pour-cent de personnes qui refuseront d’obéir à des ordres imbéciles.

À la limite, ce sont eux les imbéciles…

2 Responses to “Burger et Milgram”

  1. wa Says:

    les désobéissants civils (ou autres;-)) existent encore thitho

  2. thitho Says:

    Mais comme me disait un ami, hier, ils risquent d’être de moins en moins nombreux…

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