Je suis vicié

“Tu es accro”, me dit Cláudia, en portugais (du Brésil). et c’est pas faux, malheureusement.

Je suis branché trois à quatre fois par jour (ouvrable) sur le site www.imperiaonline.org, qui présente un jeu en ligne, multi-joueurs (c’est pas rien de le dire, on doit être plusieurs milliers sur le même “royaume”), basé sur l’exploitation de fiefs médiévaux et la lutte de seigneurs plus ou moins grands, genre wargame, mais sur une dimension que seul internet pouvait offrir, probablement.

Je ne discuterai pas du réalisme du jeu (les fiefs sont artificiellement écartés les uns des autres, il n’y a pas de géographie précise, la religion ne joue aucun rôle, il y a techniquement moyen de tenir des centaines de milliers de paysans sous sa domination sans posséder un seul soldat, etc.). Par contre, il y a quelques éléments du jeu et des comportements induits par celui-ci qui sont très intéressants -quoiqu’inquiétants, surtout dans mon chef.

Pour commencer, le jeu est basé à la fois sur la compétition et la coopération; naturellement, l’ennemi d’hier peut devenir l’allié de demain et vice versa. Le type qui m’a appris à jouer était l’un de mes voisins. Je lui ai promis qu’en échange de ses conseils, je ne l’attaquerais jamais. Deux semaines après, je commençais à le décimer. Belle mentalité. Mais bon, ce n’est qu’un jeu…

Je suis devenu leader d’une alliance (que j’ai fondée et appelée “Alliance Rebelle”, bonjour la référence de niveau élevé), ce qui, en soit, est déjà bien contradictoire pour un anarchiste, mais bon, ce n’est qu’un jeu…

En tant que leader, je donne des ordres, je coordonne, je nomme aux charges d’officier scientifique, de diplomate, de général… Le tout arbitrairement (et rarement de manière très intelligente). Et surtout, si les joueurs ne m’obéissent pas, j’expulse.

Mais bon, ce n’est qu’un jeu.

Il y a aussi les joueurs qui quittent l’alliance parce qu’elle ne les satisfait pas. C’est leur droit, naturellement, mais le dernier qui l’a fait l’a amèrement regretté: je l’ai sauvagement écrabouillé parce que je le considérais potentiellement dangereux. Il a abandonné ((Par contre je viens d’aider un autre dans le même cas, allez comprendre.)).

Mais ce n’est qu’un jeu…

Enfin, on peut attaquer ses adversaires de plusieurs manières différentes. La principale est de s’en prendre uniquement à leurs armées. La plus lucrative, potentiellement, est de piller les villages, massacrant les paysans… Je l’ai fait quatre fois, j’ai dû tuer une centaine de milliers de paysans.

Maiiiiiiiis, ce n’est qu’un jeu.

Une dimension du jeu très intéressante est celle de pouvoir faire virtuellement ce que vous ne voudriez jamais faire dans la vie réelle. La question, ensuite, est de se demander si, effectivement, vous ne voudriez jamais le faire pour des raisons morales, pour des raisons humanistes, ou bien par crainte de la désapprobation publique?

Et si le jeu avait un effet sur la vie réelle? Et si vous en étiez à moitié conscient, pas tout à fait, mais quand même un peu?

Voir le petit post sur Milgram et Burger pour un début de réponse…

6 Responses to “Je suis vicié”

  1. Christophe Says:

    Il y a une partie de notre cerveau qui ne distingue pas la réalité du virtuel; ce qui nous permet de “vivre” de l’intérieur un film, par exemple, en s’identifiant à un personnage, ou une cause, avec des émotions très fortes.

    La question, c’est une fois dans le réel, est-ce que ce qui sait ce qu’est le réel est capable de faire la part des choses. Encore une fois, notre être biologique est une magnifique “machine”, capable de plein de trucs; mais y a-t-il un pilote dans l’avion? Qui sait choisir, d’après les circonstances, un comportement adéquat à la situation?

  2. thitho Says:

    ouuuuuhhuhuuuoouuuuuh

  3. oise Says:

    Thitho, c’est pas toi qui, il y a quelques temps, me disais que je jouais trop aux escape games ? Auxquels TU m’as initiée? JE RIS !! ;o)

  4. thitho Says:

    agheuuuueueueue

  5. Julien Uh Says:

    C’est amusant d’aborder le sujet via les jeux vidéo. C’est là que l’on y voit sans doute la violence la plus facile à déceler, la plus immédiate : je suis chef de guerre, je te mets sur la gueule et il y a du sang partout. mais jouer, adulte, à ce type de trucs a pour moins moins d’impact que jouer à “Destin” à 8 ans (http://fr.wikipedia.org/wiki/Destins_(jeu) : si, si, rappelez-vous) ou au Monopoly.
    Cela montre en tout cas que les médias dominants (qui matraquent sur la violence et le jeu viédo) ont un impact important sur ta vision du jeu et donc que ta question ne peut pas être retenue comme pertinente. Mwouarf, je plaisante

  6. thitho Says:

    Le problème n’est pas dans le sang et la violence directe, mais bien dans la médiatisation du meurtre, et ici du massacre. Je suis bien d’accord que le jeu n’est pas le problème en soi; ce jeu, ici, n’est pas plus violent que, en effet, le Monopoly ou Destin, ou Stratego, ou les échecs. Simplement, il me met en situation de donner des ordres de massacre qui mobilisent des troupes, les envoient à des distances très éloignées; ça met des heures pour arriver sur les lieux du combat, etc. Bref, ça met une distance entre moi et le fait même de l’activité qui me rappelle un peu Eichmann…

    C’est tout…
    On se surprend à aimer des choses qui, dans la vie, a priori, nous seraient détestables: donner des ordres, envoyer des hommes en massacrer d’autres, voler les richesses du voisin, se coaliser, traïr, etc.

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