L’utopie, non; le désir…

Je compte, en lisant le livre de Barjavel, Le Voyageur Imprudent, à combien de misères s’évalue ma joie de pouvoir contempler mon fils, rond et rose -je veux dire le contraire de faible et malade, comme l’histoire a porté la toute grande majorité des humains à ce jour. Naïveté, non; capacité de flouter ma conscience par moments, lorsque je ne la confronte pas à la lucidité de tels travaux -comme d’autres… J’aurais pu prendre Fallet, Proudhon, Camus, bien d’autres…

Nous possédons tous les outils aujourd’hui pour renverser les inexorabilités de la nature -celles que consacrent les darwinistes sociaux -manger ou être mangé -vaincre ou périr, et qui semblent justifier à leurs yeux toutes les bassesses envers le reste du genre humain pour entasser le plus possible de biens dans des forteresses imprenables. Nous pouvons mettre ces outils à la disposition de tous en quantité égale, histoire de permettre à chacun d’obtenir une chance plus ou moins égale de rechercher un bonheur fugace et léger sur Terre avant l’obscurité totale. Mais ce que nous possédons, une minorité considère juste de se l’accaparer.

Que retardent-ils, sinon le passage dans l’éternité de l’oubli? Aussi, accumulent-ils des quantités effarantes de souffrances pour de futiles instants que l’on peut compter en années, en décennies, qu’on comptera peut-être en un peu plus que cela dans quelques temps -À quoi bon? Ces sursis sont minables, ce qui les permet méprisables.

Abolissons la possibilité d’encercler les biens qui permettraient de soulager la plus grande partie des souffrances de l’humanité (avant, qui sait, d’aborder celles du monde); abolissons la propriété privée, mais aussi celle de l’État; abolissons les privilèges, les verticalités, les “grands hommes”, qui ne seraient rien sans tous ceux qui les ont portés -à tort et dans l’ignorance-; abolissons les limites iniques à la recherche du bonheur que sont les frontières, les hiérarchies, les serrures, les codes et les videurs.

En anarchie, il y aura toujours des secrets, des trahisons, des coups dans le dos: on ne sera pas meilleurs pour autant, mais les enjeux seront tellement moins importants… Impossible pour un crétin de déclencher une guerre, d’accumuler les moyens de former une armée, de “prendre possession” de terres, d’usines, de femmes… Il y aura toujours des crimes, c’est vrai, on imagine mal un monde sans Othello, même si Iago n’aura plus de raison d’être… Les motifs des racismes, des nationalismes, des impérialismes auront cependant disparu… J’ose affirmer que le temps de deux générations l’aura montré.

Des luttes d’ego? Certainement. Mais impossible de les étendre à grande échelle, puisque ces échelles n’existeront plus. Des combats de coqs? Eh oui, mais ils devront se débrouiller sans poulailler. Peu à peu, les femmes et les enfants apprendront qu’ils n’appartiennent pas à leurs pères; et les contrats n’existant plus, nul ne pourra prétendre aux petits caractères…

Il y aura toujours des disettes, des carences, des maladies, des épidémies, mais elles ne seront pas organisées et nul ne pourra profiter, spéculer, détourner, éluder, marchander, sacrifier, emmagasiner, confisquer, mégoter, ergoter, louvoyer, escamoter, banquer, voler, emprunter, s’approprier, légiférer, reporter, emporter, déporter, rapporter, dénoncer, étatiser, nationaliser, multinationaliser, privatiser, sécuriser, limiter, autoriser, comptabiliser, minauder, militariser, évincer, dépasser, gratter, grignoter, siphonner, emmurer, amonceler, évincer, juger, administrer, admonester, attribuer, convoiter, bref, démutualiser, décollectiviser, désindividualiser, sans que nous ne lui tombions sur le dos en lui en rappelant l’impossibilité, l’inanité, l’iniquité, l’inhumanité.

Au moins l’inhumanité telle que nous aurons redéfini l’humain.

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