Ce que j’entends par… déprofessionnalisation de l’enseignement

Bon, alors je dois définir deux ou trois choses.
En rapport avec les articles qui ont suscité débat un peu plus tôt dans l’année (dans l’ordre: ce premier, ce second, ce troisième, ce quatrième, et ce dernier, qui étaient consacrés à l’enseignement).

Je commencerai donc par:
déprofessionnalisation:
Je n’entends pas “professionnalisation” comme beaucoup qui y placent la compétence, le savoir-faire, le sérieux et l’abnégation. Pour moi, toutes ces qualités ne sont pas le monopole des professionnels. Et donc, j’entends par déprofessionnalisation l’émancipation d’une activité productrice, créatrice ou enseignante de sa nécessité financière. Il existe des professions trop importantes pour dépendre de leurs autorités payeuses. Que ce soit l’État ou le capital privé ne change rien: l’intention de l’un étant de reproduire son propre pouvoir, de l’autre de conserver les structures sociales à son avantage (ce qui revient d’ailleurs au même), ni l’un, ni l’autre ne devraient être en mesure de décider pour la population non possédante et non dominante de ce qui détermine leur existence. Ainsi l’enseignement, la santé, la justice, ne devraient pas être à la disposition des plus forts (ci-identifiés les nantis et les gouvernants).

Concernant l’enseignement et l’État, justement:
Je lisais récemment un article dans le Caros Amigos sur l’élitisme à l’école, à São Paulo. Le gouverneur de l’État, un ancien gauchiste passé à l’ennemi (actuellement l’un des leaders du plus puissant parti héritier de la dictature), José Serra, veut promouvoir le paiement des professeurs en fonction des résultats scolaires des élèves.

En voilà une idée qu’elle est bonne.

Je veux dire: elle n’est pas logique? Nous avons, professeurs, une obligation de résultat, au fond…
Non?
Si… Nous avons une obligation de résultat. Mais nous ne devrions rendre des comptes qu’à ceux qui nous font confiance -pas à ceux qui conditionnent notre salaire à une série de prérequis qu’ils affirment démocratiques parce que leurs auteurs ont été prétendument élus…

L’enseignant professionnel est exposé, et pas seulement dans le cas brésilien évoqué ici, à la surveillance de son autorité consulaire (de “consul”, autorité suprême sous la république romaine, élu tous les ans démocratiquement, le plus souvent grâce à la somme investie par son parti). Il est donc soumis à son bon vouloir. Qui a vu le film (ou lu la bédé) “Persépolis” se rappelle, je suppose, du personnage de l’institutrice iranienne de l’héroïne qui, avant la révolution de 78′, fait l’éloge du Shah, sans discussion possible, et, après, le voue aux gémonies et fait sienne la loi qui veut que toutes les filles doivent se couvrir de la tête aux pieds.

Combien de professeurs sont prêts à enseigner à leurs ouailles que les colonies ont eu un impact positif sur les populations soumises? Je veux dire: des professeurs d’aujourd’hui, normalement avertis, qui savent, qui ont étudié récemment, qui ont mai-68, Charonne et autre guerre d’Algérie derrière eux, que le colonisateur n’est pas légitime et que, si leurs vies n’étaient pas parfaites, les peuples colonisés n’ont pas bénéficié de la présence occidentale. Combien de professeurs, si on leur impose demain d’enseigner le contraire, oseront risquer leur salaire?

Combien de temps a-t-il fallu pour que les mutineries de 1916-1917 ne soient plus vues comme des trahisons à la patrie au cours d’histoire? Pour que Paris s’arroge enfin une Place de la Commune?

Si nous devons toucher un salaire pour notre travail d’enseignant, nous mettons en jeu notre intégrité, notre sens critique, notre loyauté envers nos élèves et notre matière. Selon moi, c’est contraire à la vocation de l’enseignant (tout comme de l’assistant social, du journaliste, du médecin, etc.).

Voilà pourquoi l’enseignant ne peut pas être professionnel. Parce qu’il doit être libre et sans contrainte; l’enseignant, comme l’artiste ou le chercheur, ne sera certain de pouvoir faire un bon travail que s’il l’exerce en conscience et dans le respect ce qu’il fait, et de ce pour quoi et pour qui il le fait. Son revenu ne peut dépendre de son activité d’enseignant: il doit donc être libéré de la nécessité de respecter un contrat et donc être assuré du minimum vital sans devoir rendre de comptes sur l’objet de son enseignement.

Qui surveillera l’enseignant? Vous, camarades, pas l’État, en qui votre confiance est mal placée… Ni une officine privée qui n’aura pour but que de servir les objectifs de ses financiers.

Au boulot…

à venir: définitions de l’école et de l’auto-discipline.

5 Responses to “Ce que j’entends par… déprofessionnalisation de l’enseignement”

  1. Un Homme Says:

    Pourquoi ne pas simplement dire “émancipation et indépendance des acteurs de l’enseignement” plutôt que “déprofessionalisation de l’enseignement”?

  2. MonsieurA Says:

    et sortir du temps de l’école..
    J’ai des classes de français depuis fin mai, ils ont passé une année entière, 36 heures par semaines enfermés, dont 4 ou 5 heure de français. Et ils n’ont pas appris grand chose…
    On a tenté de les rendre “sages”, c’est tout…
    Je cherche pas à les rendre sages, on s’amuse, on papote, et on apprend. Mais c’est fou la pression des collègues, leur intrusion dans ma dynamique de classe. Mon école est un panoptique…
    c’est devenu impossible pour moi…
    sans parler des programme,
    de la bonne “morale”,
    des points..
    rhaaaaa
    l’école est une blessure.
    J’ai pitié de mes élèves.
    Certains me disent que si, il y a des choses à faire…
    Peut-être, mais alors je n’en suis pas capable.
    Je suis mal.

    Fuir..

    Vous aussi élèves, fuyez…

  3. thitho Says:

    D’accord, e-m’sieur, tu me notes présent, alors?

  4. MonsieurA Says:

    Ben oui, si ça peut sauver tes allocs, pas de problème!

    (tiens et je remarque que dans mon commentaire j’ai fait des tonnes de fautes d’orthographe, rrhhooooo…)

  5. tito Says:

    Un Homme: pourquoi faire simple, quand on peut faire compliquer?
    Cela dit, oui, ça revient au même, ça ne m’embête pas, du moment qu’on comprenne de quoi qu’on cause dans le micro bien devant s’il vous plaît, merci.

    Sérieusement: je ne suis pas fermé à un changement de vocabulaire, mais j’aime bien confronter professionalisme à amateurisme en retournant les préjugés accollés à ces deux mots.

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