01 Le monde selon thitho -intro

Le monde ne suffit pas

Le monde, comme disait l’autre, ne suffit pas… Alors on va démarrer au plus petit, au plus ridicule, au plus éphémère. Quelque chose qui n’a pas plus de vie que celui que son utilisateur décide et parfois même moins, parce qu’en définitive… Même de ce genre de conneries, on ne décide pas vraiment. De temps en temps, oui, on fait des choix, on exprime un soupçon de liberté. Mais, à bien y réfléchir, les libertés les plus importantes, on ne les a pas -à part une seule, j’en parlerai plus bas. Alors, oui, je peux acheter le dernier téléphone portable -ou pas-, je peux décider de ne pas regarder la finale de foot -mais échapperai-je aux produits dérivés qui encombrent la cité?-, je peux aussi décider de vivre d’un bol de riz par jour, et je peux même décider de le cultiver moi-même -mais, en raison des lois sur la propriété intellectuelle, je ne pourrai pas conserver les semences qui me permettront de le reproduire l’année prochaine-, je peux penser que le chanvre est bien plus qu’une plante qui fait rire quand on la fume, et je peux même le dire, mais il m’est tout de même plus difficile de la cultiver qu’un plant de tabac ou un cep de vigne -à moins de choisir l’illégalité, mais pour en cultiver tout un champ, ça ne va pas être coton (haha)…
Bref, la liberté est bien jolie, mais je ne crois pas qu’elle soit très populaire, malgré la propagande qui existe autour…
Ce que je veux dire, en définitive, c’est que je vais tâcher de ne pas me prendre trop au sérieux, parce que, pas plus Internet qu’autre chose ne nous permet d’influer véritablement sur grand’chose, en tout cas rarement en bien. Chaque fois qu’une invention ou une découverte aurait pu révolutionner le monde (la roue, le fer, le moulin, l’araire, la poudre, l’imprimerie, le chemin de fer, le télégraphe, le vaccin, l’informatique), une bande d’enfoirés, plutôt moins concurrents que complices, s’est arrangée pour en confisquer les aspects les plus progressistes et ne les distribuer qu’au compte-goutte, à leur plus grand profit. Pas de détail: je veux bien que certains hommes de pouvoir avaient peut-être de bonnes intentions à la base, mais si véritablement quelques effets du progrès techniques ont pu servir à soulager un peu l’humanité, c’est surtout parce que la pression sociale était telle qu’il leur fallait bien céder un peu de leur confort au bénéfice du plus grand nombre qu’ils méprisent et qu’ils craignent -essentiellement parce qu’ils n’ont toujours pas trouvé la solution à la douloureuse question: si nous leur sommes supérieurs, pourquoi mourons-nous aussi?
Encore une raison pour ne pas se prendre au sérieux et pour les tourner, eux aussi, en dérision: des peintures de Lascaux aux dernier film des frères Cohen, rassurez-vous, il ne restera rien, rien de rien, d’ici -difficile à dire- mille, dix mille ans? Peut-être plus… Il suffit de songer que Socrate, le Bouddha et Zoroastre, trois personnes qui ont probablement plus influencé l’antiquité qu’aucune autre (mais sûrement pas la vie et les souffrances du plus grand nombre), ne sont guère aujourd’hui plus que des légendes (en fait, elles l’étaient déjà devenues quelques siècles après leur mort) et nous ne savons d’eux que ce qu’on a bien voulu nous laisser savoir.

Tout ceci alors ne nous explique pas pourquoi je m’attarde sur un site internet et pourquoi j’y mêlerai aussi bien des informations sérieuses, des réflexions plus ou moins légères, des textes de fiction et certaines des références auxquelles j’accorde le plus de crédit. Pourquoi perdre mon temps à communiquer tout cela, si je sais et que je suis conscient de ma vanité?

Pourquoi perdre mon temps à communiquer

C’est une obsession.

On peut difficilement dire quelque chose d’autre. Ecrire, raconter, chanter, peindre, manifester, collectionner, procréer, tout cela, c’est la même chose: c’est un défi perdu dès le début fait à la mort et un désir de prolonger quelque chose que l’on sait irrémédiablement vain. Même la conscience humaine, je n’y crois pas; du moins, je ne crois pas qu’elle ait la moindre chance de survivre très longtemps. Le temps de l’homme est probablement déjà plus près de sa fin que du début -et je me demande pourquoi j’écris encore “probablement”.

Alors, si je sais que c’est une obsession, si je sais que je suis malade et que je ne crois pas trop -plus trop- en la possibilité de changer ce monde en un truc un peu meilleur -au sens où moins nombreux seront les tyrans et les souffrances, plus nombreux les années vécues par tête de pipe et les plaisirs retirés de chacune… Si je sais cela… Si j’en suis bien conscient, je ne peux pas m’empêcher de penser à Sysiphe.

J’ai du mal à comprendre ceux qui me parlent d’une société accomplie, d’une histoire achevée, qui tentent de me persuader que la démocratie, la liberté, l’équité sont les piliers de nos vies. J’ai l’impression qu’ils me parlent une autre langue. Difficile de me prendre au sérieux, quand je me rends compte que certaines des personnes qui me sont le plus proches et qui prétendent que je suis à leurs yeux quelqu’un d’intelligent et sensé refusent d’entendre le tocsin quand moi ou d’autres le sonnent. Est-ce l’histoire des trois petits singes? Est-ce la paresse, la facilité, la peur?

La paresse, je ne sais pas: tous ceux qui me critiquent le plus sont des bosseurs invétérés, qui semblent adorer se lever tôt, abattre huit à douze heures de boulot chaque jour et ramener une paie invraisemblable à la maison.
La facilité? Mais chacun sait -c’est devenu un poncif- que nous vivons moins bien que nos parents et que nos enfants vivront moins bien que nous.
Alors, la peur… Mais quelle peur? Celle de faire la vague de trop qui nous emportera? Je hausse les sourcils… Cette vague, elle viendra, tôt ou tard, et que l’on parle de Diogène ou de Jim Morrison, oublie-t-on qu’ils sont parfaitement égaux devant la mort: l’un l’a rencontrée il y a plus de deux mille ans, l’autre il y a trente ans… Croyez-vous que Morrison soit plus vivant que Diogène?
Il n’y a pas à avoir peur; on ne peut avoir peur que de quelque chose qui pourrait arriver. La mort ne connaît pas le conditionnel…

Une autre vie

Laissez-moi rire d’abord un bon coup…

Voilà, c’est fait.

Il n’y a pas d’autre vie. La vie est ce qui sépare notre naissance de notre mort. Pas d’autre signification à ce mot. La vie après la vie, c’est une jolie expression poétique, mais rien, absolument rien, ne permet d’affirmer qu’effectivement il y a “une vie après la vie”. La poésie permet de dire des choses très insensées et de leur prêter une attention soutenue, d’en tirer des sens très profonds. Comme de dire “Dieu est mort” (Nietszche) ou “Merde à Dieu” (Rimbaud).
En réalité, les deux expriment une forme d’athéisme: dire que Dieu est mort, c’est affirmer qu’il n’existe pas puisque, selon toutes les obédiences, Dieu ne peut ni être né, ni mourir. Dire “Merde à Dieu”, c’est le nier également, car on ne peut le dire à une entité supérieure et absolue qui dominerait toute chose consciemment sans penser qu’il n’y en a pas.
Et il n’y en a pas.

Dire que j’ai longtemps hésité… Eté agnostique… Comme c’est mignon… Oh! Je ne m’en veux pas; tout le monde a le droit d’hésiter, et même de croire en Dieu. C’est tellement plus confortable, en fait. Tellement plus agréable de se convaincre qu’il y a bien quelque chose (avec un grand Q?) qui nous attend de l’autre côté… Après la mort… Et qui nous jugera (alors, ça, c’est le pompon!) pour ce que nous avons fait ou pas…

Si ce devait vraiment être le cas (mais je sais que non), j’espère que le gros Q n’est pas miséricordieux, qu’il est dur, qu’il est orgueilleux, qu’il est redoutable et intransigeant -exactement comme il est décrit dans l’Ancien Testament… Un Dieu de colère… Histoire de faire passer le goût du pain bénit à ceux qui auront mis tout leur art, toute leur verve, toute leur haine et toutes leurs frustrations à nous persuader du contraire. Je voudrais qu’il y ait encore, juste au moment de la rupture d’anévrisme, juste à l’angle de la dernière rue, pile au contact de la lame froide et dure, qu’il y ait encore un instant, très court, de prise de conscience du vide, du néant, qui s’apprête à nous engloutir -d’où nous venions et que nous allons rejoindre, petite parenthèse de vie accidentelle et sympathique -pour autant que nous fassions tout pour…
Et que cette conscience du néant qui arrive les fasse chier dans leur froc -au moins au figuré…

Alors quoi?

Si l’origine-or de nos mondes
Se résumait à ce noir A;
Si j’aimais cette belle immonde
Pour un lys blanc qui la noira;

Si ces deux forces se croisaient
Pour n’être qu’une et décevoir
Le lepton brun qui vous toisait
Depuis son trop vide abreuvoir;

Si ma Perse était si commune
Qu’on la vidait d’un trait trop noir
Entre un salon et la Commune,
Entre un bock et un laminoir;

Si ces “choses récentes”, pauvres,
Ne révélaient finalement
Que l’ombre d’une aube éteinte au vr-
Ai vidé de nos éléments;

Si ces longs traits d’encre verts dis-
Paraissaient loin, bien loin, de leur
Ambition; si l’or ne verdis-
Sait pas sous le verbe de l’heurt;

Si rien n’interrompait la cor-
Ruption du corps hors de nos âges;
Si la lutte était vaine encore,
Malgré l’amour, la peur, la rage;

S’il était vraiment beau et doux
De défuncter pour la patrie;
Zi l’hiber n’édait abrès dout
Qu’une saison où tout se trie:

Les armes, les âmes, les puits
Fragiles; si l’homme n’était
Qu’un êtron de passage, et puis
Rien!; si un bon pétard n’ôtait

Pas un moment l’illusion sourde
qu’un mur à l’Ouest, un autre à
l’Est sont essentiels; si la lourde
Emprise du “ça craint sot” tra-

Vail devait rester agrippée
A mes pauvres organes fa-
Tigués; si la face frippée
De mon âme humaine s’enfa-

Rinait demain, sans réponse -oh!
Tu réponds?-, malgré mes appels
Persévérants -je crois- et sots,
Peut-être; si l’or du scalpel

M’ouvrait en vain post mortem -ou
Mieux: post vitam, soyons exacts;
Si mon ami Eros amou-
Reux sortait premier d’un exa-

Men victorien ou freudien; si
Mon âme s’y trouvait second;
Si j’y précédais Rimb’ aussi;
Si nous nous réveillions, cons,

Avec la révélation triste
Que rien -rien-, au-delà d’ailleurs,
Et en deça d’hier, n’existe;
Si devenir tribun, mayeur,

Notaire ou mac est le venin
Véritable de la vie, oh!
Chers vénérables; si l’inin-
Téressante enseigne trop hau-
Te perchée au-dessus des firmes
Pharmaceutiques et des hô-
Pitaux privés ne nous confirme

Rien d’autre, Saigneurs, à nos êtres,
Que la faiblesse très connue
Du matos qui les aide à être;
Si la vérité est si nue…


Eh! Précisément

Ca fait huit ans que j’ai écrit ces vers-là… Après eux et quelques autres, de la même eau, je me suis arrêté d’écrire pendant plusieurs années.
-T’as bien fait, pourquoi as-tu repris?
Je ne sais pas… Vraiment…
Ca me démangeait… Notamment parce que, précisément, j’avais l’impression que parler à ce niveau-là était le seul moyen de toucher un peu… un peu… ceux qui, sinon, n’écoutent que les vitrines et les soucis de leurs portefeuilles…
Eh! Précisément, c’est là que je voudrais arriver: on ne peut pas parler à la plupart des gens avec la raison pour leur montrer qu’ils se trompent. Ils préfèrent les mythes, les contes, les morales à la mords-moi-l’Oedipe, ils leur faut des machines en plastique qui chantent en blond et en playback, il leur faut des trucs qui ont “du succès”, c’est-à-dire qui “marchent”. On ne peut pas leur parler, d’ailleurs, je suis certain que ces vers, là-haut, feront décrocher la plupart de ceux qui ont entamé ce texte (s’ils ne sont pas partis avant)…

C’est leur liberté aussi. A propos, je disais plus haut que je parlerais de cette fameuse seule grande liberté qu’il nous reste: le suicide ou la lutte. Songez-y, vous qui, pour la plus grande partie, vous suicidez tous les jours…