Archive for November, 2011

Ils nous font marchier

Wednesday, November 30th, 2011

On évoque souvent les marchés pour expliquer beaucoup de choses, un peu tout et son contraire. Ils seraient à la fois responsables de la prospérité et du fonctionnement de l’économie, mais aussi coupables de mouvements irrationnels et fauteurs de crises. Toujours pointés du doigt, jamais bien identifiés, les marchés ne sont pourtant pas une abstraction, puisqu’ils agissent dans le monde concret et ill n’est pas difficile de les définir.

Une première remarque tient au fait qu’ils sont pluriels. C’est qu’il existe un marché des commodities, un marché des futures, un marché immobilier (et de ceux-là, il y en a un par région), un marché du travail (dont les marchandises sont, je vous le demande???), un marché obligataire (et celui-là ne nous fait pas tellement rire en ce moment), doublé d’un marché de la dette (qui nous amuse peu également), etc., etc. Bon, mais il est clair que ce n’est pas de tous les marchés qu’on parle, lorsqu’on dit “les marchés sont inquiets”, “les marchés sont euphoriques”, “paniques sur les marchés”, etc. ((On se demande parfois si les marchés ne prennent pas des acides suivis de barbituriques.))

Une deuxième prémisse est de rappeler le but des marchés en général. Je ne parle pas du but de chacun des acteurs qui est de tirer de son capital un profit pour chacune de ses activités sur la scène, mais bien du but que les idéologues ((De Smith, Ricardo et Mieses à Keynes et Stiglitz ou Krugman.)) des marchés leur attribue. Ils sont censés apporter par le jeu de l’offre et de la demande, de la concurrence et de la liberté d’entreprise au plus grand nombre ce qu’il désire et permettre un progrès humain le plus harmonieux possible. Vous jugerez comme vous l’entendrez, en ce qui me concerne, j’estime que les marchés sont loin du compte.

Chaque marché a, en outre, ses acteurs. Ceux-ci peuvent indifféremment se retrouver dans plusieurs marchés et chacun d’entre nous fait plus ou moins partie d’au moins plusieurs d’entre eux. La plupart d’entre vous, chers lecteurs, faites partie du marché du travail, je suppose que ce n’est pas une surprise. Mais aussi du marché de la consommation des ménages, évidemment, au sein duquel on distinguera éventuellement celui de la distribution des services (eau, gaz, électricité). Qui ne fait pas partie du marché automobile, à part les deux ou trois attardés que j’envie et qui se servent de leurs pattes ou de leurs vélos? Le marché de la communication, et celui des transports sont également des constantes assez générales ((Sans oublier les marchés politiques, et celui qui me désole le plus en tant que militant: le marché de la gauche.)).

Et puis, il y a “les marchés” dont nous ne sommes pas vraiment (nous, le commun des mortels, les externalités) ((Les externalités sont les acteurs qui ne savaient pas qu’ils faisaient partie du deal en cours. Parmi les externalités, on compte par exemple l’environnement, les chômeurs, les travailleurs. La plupart du temps, les externalités sont les victimes plutôt que les bénéficiaires de ces situations.)), les acteurs. Cependant, avant de parler de ces derniers, nous serions avisés de nous pencher sur le rationalisme de ceux qui nous concernent, en tant que consommateurs ou en tant que producteurs (salut, les patrons).

Prenons le marché des télécommunications. Nous constatons tous les jours à quel point celui-ci est faussé par l’impossibilité récurrente que nous subissons à comparer les différents produits qui nous sont proposés. Entre la téléphonie fixe, la téléphonie sans fil et les différents canaux d’internet, qui tous nous permettent de communiquer entre nous, à des tarifs variables, mais totalement incomparables car les conditions en varient systématiquement, il nous est impossible de faire un choix rationnel comme, a contrario, nous pouvons le faire entre deux marchands de pommes qui nous laisseraient goûter leur produit avant toute acquisition. Je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler tous les travers du marché des communications, vous y êtes fatalement confrontés si vous lisez ces lignes. Rien qu’entre les offres d’abonnements, toutes plus avantageuses les unes que les autres, il faudrait un programme informatique pourvu de centaines d’algorithmes pour parvenir à dépatouiller le meilleur rapport qualité/prix qui nous corresponde (si jamais il existe). En définitive, nos choix sont le plus souvent liés à des affects personnels qui ne concernent guère la qualité des produits, et seulement partiellement les prix.

Comment imaginer que l’ensemble des consommateurs -des acheteurs-, dotés d’intérêts, d’affinités (“J’ai pris Moxirange parce que ma copine l’a pris”) et d’intelligences si diverses puissent prendre des décisions rationnelles, faisant fonctionner librement un marché qui se trouve depuis longtemps extrêmement peu influencé par l’Etat. Et quand bien même il intervient, cette intervention peut être un argument favorable ou défavorable, en fonction des choix individuels. Les uns estimeront que l’Etat garantit l’emploi, la qualité, le service, d’autres qu’au contraire il leur nuit.

Portons tous ces arguments à l’échelle des marchés les plus importants (en termes financiers) qui sont bien plus diversifiés. Marché des garanties, des assurances, des devises, des obligations, des investissements, des produits dérivés,… le tout sous le regard des intérêts d’Etats qui, lorsqu’ils sont forts, sont capables d’influer plus ou moins, à travers divers organes et agences, sur leur ensemble.

Rappelons maintenant les acteurs de ces marchés: les Etats donc (qui offrent la garantie des monnaies et demandent des prêts), les banques (qui prêtent et investissent, qui servent aussi d’intermédiaires à de nombreux investisseurs), les entreprises, plus ou moins grandes (en recherches de prêts, mais aussi de possibilités de faire fructifier leurs liquidités), les fonds d’investissement (qui ne sont que des investisseurs parmi d’autres), et les milliers de milliers d’investisseurs qui agissent le plus souvent via des courtiers professionnels. Tous ces acteurs sont donc tantôt des institutions représentant des quantités impressionnantes d’intérêts divergents et variables, tantôt des individus dont les informations et les intelligences sont à ce point variées que l’idée même de transparence des marchés ne saurait être prise au sérieux. Et il faudrait ajouter encore tous les biais qui entravent la clarté: les intermédiaires et les informateurs (presse et initiés), pour avoir une idée honnête de la complexité des “marchés”.

Que les Etats interviennent, beaucoup, peu ou pas du tout, ne change pas grand’chose, lorsque l’on considère la masse si énorme des personnes impliquées (personnes morales, personnes physiques). Les Etats ne sont que des éléments parmi d’autres, certes d’importance, mais qui, pour les autres acteurs, ne sont que des obstacles (ou des soutiens) comme les autres. Après tout, les contraintes issues des Etats ne sont pas plus problématiques pour chacun d’entre eux que leurs collègues: ce sont simplement des facteurs dont il faut tenir compte, comme les concurrents, les circonstances extérieures ou le niveau individuel des informations. Des facteurs dont certains savent se servir, d’autres non. Imaginer un marché libre s’il était débarrassé des Etats n’est pas très malin. Il y a toujours des contraintes dans un marché, et les joueurs doivent jouer avec.

Au total, les marchés ne sauraient être rationnels, ni même suivre leur “rationalité” irrationnelle. Il ne peut y avoir de cohérence possible avec tous ces éléments pris dans leur ensemble ((Songez à l’équation #acteurs*#informations diverses*#marchés différents*#circonstances extérieures.)). Sans compter qu’avec l’apparition de phénomènes financiers différents tous les lustres, les exercices de prévision sont toujours en retard d’une guerre sur la réalité. Les économistes les plus sérieux sont suffisamment honnêtes pour reconnaître que leur art ne pourra jamais être une science ((Honnêtes, mais défendant encore le capitalisme qu’ils veulent sauver à tout prix.)). De grands principes généraux -des axiomes-, des variantes dans la défense du libéralisme, du marché, une reconnaissance échelonnée du rôle de l’Etat, voilà tout ce que peuvent sortir ces grands personnages. Mais aucune démonstration scientifique, pas de laboratoire, seulement des effets de manche, des morceaux de raisonnements souvent contradictoires, des équations qui pourraient montrer x choses différentes, des chiffres qui, pris isolément ou même en groupes, ne représentent chaque fois que des parties de réalité et surtout l’expression claire d’intérêts particuliers qui défendent chacun leur chapelle, elle-même ouvertement fondée sur l’égoïsme, la cupidité, sur une vision de la nature humaine étriquée et qui néglige ou nie la compassion, la solidarité, la coopération, l’entraide, quatre éléments fondamentaux du progrès humain et de la vie en société.

C’en est au point qu’ils estiment que l’expression de ces facteurs sont… des obstacles aux marchés.

On croit rêver: rien que pour cela, leur public devrait fondre.

Bienvenue chez vous

Friday, November 25th, 2011

http://gettingthevoiceout.wordpress.com/about/en-tant-que-refugie-tu-n-es-pas-le-bienvenu-en-europe/

En tant que réfugié, tu n’ es pas le bienvenu en Europe

Issa Salah 50 ans, Palestinien détenu au centre fermé 127bis à Steenokkerzeel depuis le 12 septembre 2011. Interview du dimanche 30 octobre 2011.

Ceci n’est pas une transcription de son interview. Monsieur Issa Salah nous a demandé de rajouter certains éléments importants dont il n’a pas eu l’occasion de parler lors de l’interview. Il demande que son histoire soit connue de tous et diffusée.

“J’ai appris une chose ici : En tant que réfugié, tu n’ es pas le bienvenu en Europe. Ils te mettent en prison sans que tu ais commis de crime, ils te traitent sans aucun respect. Je conseille à tout le monde de rester sur le territoire arabe. Je pensais pouvoir lutter en Europe pour une Palestine libre, mais je vois maintenant que je ne suis pas le bienvenu et que je n’ai pas plus de droits ici. Mon souhait est de retourner en Palestine, où j’ai encore des frères et soeurs et de réunir ma famille, ou de rester en Belgique avec mon fils.”

Ses combats :

En 1967: la famille de Salah Issa fuit la Palestine. Issa a 6 ans. Ils s’installent à Beyrouth, dans le camp de réfugié Tel Al Za’atar. En raison du statut de réfugié palestinien au Liban, il a, comme tous les autres réfugiés palestiniens, suivit des cours dans les écoles de l’UNRWA.

Entre 1975-1974 suite à l’attaque du camp par le kata’eb militias libanais (Salah Issa a 14 ans) il devient combattant pour protéger le camp. L’OLP ordonne finalement aux combattants de se retirer vers la zone Beqaadans l’est du Liban. Il reste là un certain temps avant de revenir avec l’OLP à Beyrouth.

En 1982 suite aux conflits dans le Sud Libanil reprend le combat et y perd beaucoup d’amis. Il frôle lui-même la mort dans un raid de l’armée Israélienne. La même année, après l’expulsion de l’OLP du Liban il retourne en Syrie et y poursuit ses études (Grâce à un accord avec le régime syrien, il a l’occasion d’étudier la dentisterie).

En 1983 suite à la scission entre le Fatah et la Syrie, il passe trois mois en prison en raison de son activisme politique au sein du Fatah. Il est menacé d’expulsion s’il continue.
IL se rend à Chypre comme la majorité des combattants de l’OLP et choisit ensuite d’aller au Soudan. (“Under the agreed evacuation plan most of the PLO fighters will go to Cyprus and then be dispersed to Jordan, Syria, Iraq, Sudan, North and South Yemen, Tunisia and Greece.”)(http://news.bbc.co.uk/onthisday/hi/dates/stories/august/30/newsid_2536000/2536441.stm)

En 1985, Pauline Cutting (MAP) et lui-même retourne au Liban. Il vit à Burj IL Barajnehoù les réfugiés palestiniens vivent dans des conditions épouvantables.

En 1986, il retourne au Soudan après un nouveau passage à Chypre où il travaille en tant que dentiste.

En 1988, il revient au Liban. Il apprend que le ‘Fatah al Intifada’, un groupe militant soutenu par le gouvernement syrien a tué son père à cause de son soutien à l’OLP.
Il travaille à l’hôpital du croisant rouge Bar Elias à Beqaa. Il se marie et a des enfants.

En avril 2009, alors qu’il travaille, on essaye de le tuer avec une arme à feu. Son patient reçoit des balles dans le dos et reste invalide. L’agresseur de l’attaque est connu des autorités libanaises mais ils refusent d’enregistrer l’incident. D’après lui, c’est une attaque politiquement motivée.
Il travaille ensuite avec le Fatah et l’OLP au Liban où il est chargé d’enquêter sur la corruption au sein des groupes. Son patron est tué (Dr Kamal Mithat) car il était en possession de documents concernant la corruption au sein du Fatah.

En juin 2009, des membres du Fatah attaquent sa maison. Les renseignements libanais lui disent de quitter le Liban car ils sont incapables d’assurer sa sécurité.

Ses migrations :

Le 11 octobre 2009, il quitte le Liban avec un faux passeport, après 44 ans de vie sans droits. Il y laisse sa femme et son fils, en espérant pouvoir les faire venir un jour en Europe. Il part à la recherche d’un pays démocratique qui respecte les droits de l’homme, afin d’y continuer son activisme. Il désire être reconnu comme réel citoyen et bénéficier de droits. Isa Salah pense aller à Copenhague. Il traverse la Turquie et arrive à Budapest en Hongrie.

En novembre 2009, il s’y fait arrêter. Il passe alors 230 jours dans différentes prisons hongroises. Ils prennent 17 fois ses empreintes digitales, et lui font subir de nombreux interrogatoires afin de lui retirer des informations sur ses activités politiques. Le 21 avril 2010, il est transféré dans un centre ouvert pour lui permettre de demander l’asile. Il ne veut pas demander l’asile en Hongrie, vu les mauvais traitements qu’il a subit. Il obtient un passeport Egyptien avec lequel il part pour la Syrie.

En juin 2010, il arrive en Syrie et y cherche de l’aide médicale, mais il ne veut pas rester là. Il essaie de renouveler son passeport palestinien. Il l’obtient en décembre 2010, accompagné de la preuve qu’il y a plus de 3 mois qu’il a quitté la Hongrie et qu’il réside en Syrie

En janvier 2011, il part vers la Belgique à la recherche de son fils qui y réside depuis janvier 2010.

Il voyage en voiture et arrive à Istanbul le 25 janvier 2011. Il quitte la Turquie en camion et arrive en Belgique le 2 Février 2011

Le 3 février 2011, Issa Salah demande l’asile au CGRA à Bruxelles.
Il est envoyé dans le centre ouvert de Gembloux. Après 4 mois il est transféré dans un autre centre ouvert à Herbaymont. C’est là qu’il apprend que sa demande d’asile est refusée. Une demande 9ter pour raison médicale est aussi refusée.

Le 12 septembre 2011, il est appelé pour une interview à l’Office des étrangers : il se fait alors arrêter et transférer au centre fermé 127 bis. On lui annonce qu’il sera renvoyé vers la Hongrie. Issa Salah a très peur. Il ne veut pas retourner en Hongrie après l’ expérience terrible qu’il a eu là-bas. Son avocat obtient une suspension de cette expulsion vers la Hongrie.

Par contre, on lui fait signer un document disant qu’il ne demandera plus l’asile dans aucun pays européen. Issa Salah signe le document (sans l’accord de son avocat) et demande un retour volontaire vers la Palestine.

Le 19 octobre 2011, Issa apprend que son retour vers la Palestine est refusé par les autorités Israéliennes qui refusent de lui délivrer une carte verte.

On le menace de l’expulser vers la Syrie, pays par lequel il est passé pour venir en Belgique. De peur de se retrouver en Syrie où il risque des gros problèmes suite à ses implications comme activiste et ses liens avec l’OLP, il demande un retour volontaire (vers le Liban cette fois-ci), même s’il sait que le Liban risque aussi de le refuser à cause de ses opinions politiques.

Au centre fermé, il vit dans des conditions très difficiles : la nourriture est très mauvaise, il y a 1 wc pour les 30 détenus, la température dans les pièces est très basse. De plus, il a de gros problèmes de santé et souffre de plusieurs pathologies. Il a plusieurs rendez-vous chez des spécialistes dans le courant de novembre et décembre et il semble qu’une opération chirurgicale soit envisagée.

L’avocat refait une demande de régularisation 9ter sur base médicale et lui propose de faire une demande de statut “apatride”, car il ne pourra pas rentrer ni en Palestine, ni au Liban. Mais Issa Salah ne veut pas de ce statut d’«apatride» car il veut pouvoir circuler librement et retourner en Palestine, y rassembler sa famille qui y vit…

Ce 25 novembre 20011, on va l’amener à l’ambassade du Liban pour obtenir un laissez-passer pour pouvoir l’expulser vers le Liban……

A suivre……

L’agitée du facial et l’outré sans accent.

Tuesday, November 22nd, 2011

“Qu’on arrête les slogans: il n’y a pas de petite, moyenne ou grande classe. Il n’y a que des hommes et des femmes.” ((Le Soir, 22/11, p. 2))

Laurette Onkelinx est une professionnelle de la politique depuis plus de trente ans. On peut difficilement penser qu’il s’agisse ici dans son chef d’une phrase lancée sous le coup de l’émotion. Et c’est bien ça le pire: la pseudo-défenderesse des travailleurs ((Comme elle s’affirmait encore sur RTL hier soir et sur Matin-Première aujourd’hui.)) entérine -est-ce une surprise, certes non- la fin de la lutte des classes.

Qu’à la limite elle ne distingue plus la classe moyenne de celle des travailleurs, soit, c’est même de bonne composition dans un pays prospère comme le nôtre, en comparaison des deux tiers des Etats où ça n’est pas encore le cas, mais qu’elle y intègre la “grande classe” (drôle d’expression), il y a de quoi faire bondir même un syndicaliste FGTB expérimenté.

C’est une phrase, en pleine crise institutionnelle, lourde de sens, en dépit des rodomontades du MR et du VLD, des pseudo-renoncements du PS et du SP.A: elle signifie clairement que les “libéraux” (ou les partis de centre-droite, ou les neuneus, ou tout ce que vous voudrez mettre à leur place) n’ont théoriquement plus grand’chose à craindre d’un parti qui s’affiche encore avec un grand S sur son drapeau: en réalité, la dérégulation libérale est en route à l’échelon de l’Union Européenne, comme au fédéral, depuis des dizaines d’années. La seule chose que les pseudos-libéraux peuvent craindre, c’est que dans un jour prochain, ils perdent le reste de leur fond de commerce -a’pu’rin’à défend’, on a tout-. Sinon, pourquoi le MR de Charles Michel ne cesse-t-il de répéter qu’il est là pour défendre les travailleurs?

Comment expliquer qu’une rhétorique se retrouve à ce point retournée dans les bouches des communicants politiques?
Ce n’est pas neuf, évidemment: les éléments de discours des différents partis “de gauche” européens qui reprennent en choeur les nécessités de compétitivité, de productivité, suivent des logiques largement capitalistes: essayez de retrouver ces idées positivement dans un texte de Marx ou de Kropotkine, vous serez, je pense, bien en peine.
De l’autre côté, la “droite populiste” ne cesse depuis des dizaines d’années de se reposer sur des éléments de discours qui semblent compatir à chaudes larmes sur les ‘classes moyennes’. Qui le leur reprochera? Mais est-ce vraiment ceux qui “se tracassent quand une chaudière tombe en panne” ((Ch. Michel, Matin Première, à deux reprises: c’est donc bien un élément de communication.)) que le MR défend? Le MR et le VLD veulent faire encore baisser la dette publique au pire moment possible. Voilà une logique intéressante…

J’entends le fils Michel ce matin dire qu’il est prêt à envisager de faire supporter une plus grande partie de l’effort sur les revenus et les richesses les plus importants. Il chipoterait juste sur les modalités d’une nouvelle taxe.

Allez, Charlie, vas-y, propose une modalité qu’on rigole. Chiche.

Jean Ziegler, Atlas de la faim.

Sunday, November 6th, 2011

Obscur, ce titre? Allons, qui ne connaît la croisade planétaire de l’Helvète le plus propre (dans sa tête), dont rares doivent être les fans issus du monde bancaire. Ziegler est le héraut des affamés de la Terre (ou des damnés de la faim). Il a écrit un énième bouquin sur le sujet, que je ne peux que vous recommander de lire incessamment tant il brûle d’actualité. Ziegler est encore parvenu à y mettre de nombreux événements (évènements selon la nouvelle orthographe, donc on va tenter de s’y coller) de cette année encore, pour montrer que décidément les instances internationales, à commencer par le FMI, ne font rien de bon pour enrayer la chose. Certes, on s’en doutait un peu, mais il est toujours bon de pouvoir étayer nos discussions d’exemples concrets.

Pour preuve, un seul exemple (parmi combien!!!), que je reprendrai ici, celui du Niger, qu’il explique au chapitre 3 de la première partie.

“Le Niger est un magnifique pays du Sahel de plus de un million de kilomètres carrés, qui abrite certaines des cultures les plus splendides de l’humanité -celles de Djerma, des Haoussa, des Touaregs, des Peuls ((Il faut reconnaître à Ziegler une verve émotionnelle touchante, qui tranche avec son propos dont le ton est immensément argumenté, posé, rationnel. Cette double tendance, chez lui, a probablement l’intention de faire vibrer la fibre humaniste et de nous convaincre par la raison. Ce n’est pas un exercice facile, mais il est remarquable dans l’efficacité, aussi bien écrite qu’orale, lorsqu’il intervient dans une émission de radio (comme Là-bas si j’y suis, l’an dernier) ou de télévision (encore récemment chez l’à peine satisfaisant Mattéi.)) (…)Le Niger possède 20 millions de têtes de bétail, chameaux blancs, zébus à cornes en lyre, chèvres (notamment la jolie chèvre rousse de Maradi ((quand on vous disait qu’il était lyrique.)) ), moutons, ânes. Au centre du pays, les sols sont gorgés de sels minéraux qui donnent aux bêtes qui les lèchent une chair extraordinairement ferme et goûteuse.

“Mais les Nigériens sont écrasés par leur dette extérieure. Ils subissent donc la loi d’airain du Fonds monétaire international (FMI). Au cours des dix dernières années, celui-ci a ravagé le pays par plusieurs programmes d’ajustement structurel successifs.

Le FMI a notamment ordonné la liquidation de l’Office national vétérinaire, ouvrant le marché aux sociétés multinationales privées de la pharmacopée animale. C’est ainsi que l’Etat n’exerce plus aucun contrôle effectif sur les dates de validité des vaccins et des médicaments. (…)

“Désormais, les éleveurs nigériens doivent acheter sur le marché libre ((Les libéraux iront peut-être dire qu’il manque des guillemets ici??)) de Niamey ((A 1000 km de la côte atlantique.)) les antiparasitoses, vaccins et autres vitamines pour traiter leurs bêtes aux prix dictés par les sociétés multinationales occidentales.”

Ziegler raconte ensuite comment les éleveurs, vite déstabilisés par ces prix ruineux, en viennent à abandonner leurs activités rurales et grossir les populations des bidonvilles.

“A ce pays de famines récurrentes, où la sécheresse expose périodiquement hommes et bêtes à la sous-alimentation et à la malnutrition, le FMI a imposé la dissolution des stocks de réserve détenus par l’Etat -et qui s’élevait à 40000 tonnes de céréales. L’Etat conservait dans ses dépôts ces montagnes de sacs de mil, d’orge, de blé afin, précisément, de pouvoir venir en aide, dans l’urgence, aux populations les plus vulnérables en cas de sécheresse, d’invasion de criquets ou d’inondations.

“Mais la direction Afrique du FMI à Washington est d’avis que ces stocks de réserves pervertissent le libre fonctionnement du marché. En bref: que le commerce des céréales ne saurait être l’affaire de l’Etat, puisqu’il viole le dogme sacro-saint du libre-échange.

“Depuis la grande sécheresse du milieu des années 1980, qui avait duré cinq ans, le rythme des catastrophes s’accélère.

La famine attaque désormais le Niger en moyenne tous les deux ans.

((J. ZIEGLER, Destruction massive. Géopolitique de la faim, Paris, Seuil, octobre 2011, p. 57-58.))

Ziegler explique ensuite que le Niger est pourtant la deuxième source d’uranium dans le monde, mais qu’Areva, société française, sous contrôle d’ailleurs de la République des droits de mon… de l’Homme, en conserve jalousement les droits d’exploitation sans pratiquement aucun bénéfice pour le Niger, dont l’ancien président Mamadou Tanja a tenté de changer la donne en mettant Areva en concurrence avec une entreprise chinoise ((Notons que ceci ne disculpe probablement pas Tanja des charges de corruption qui pèsent sur lui, mais il est éclairant que le bonhomme a pu rester au pouvoir tant qu’il n’inquiétait pas la position de la société française d’exploitation d’uranium, ndt.)).

“La sanction fut immédiate. Au matin du 18 février 2010, un coup d’Etat militaire porta au pouvoir un obscur colonel du nom de Salou Djibo. Celui-ci rompit toute discussion avec les Chinois et réaffirma “la gratitude et la loyauté” du Niger vis-à-vis d’Areva.”

((Op. cit., p. 59. Ziegler précisé en note que l’actuel président élu du Niger est un “brillant ingénier des mines et cadres d’Areva.))

Ziegler pose ensuite que la tragédie de la faim endémique au Niger pourrait être évitée par un simple programme d’irrigation, proposé par la très gauchiste Banque Mondiale elle-même. Mais, comme le Niger ne peut toucher aux dividendes de l’Uranium, elle n’a pas le premier cent pour initier le projet.
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Il est remarquable de constater que, plus le marché est libre, moins il a de possibilités de l’être véritablement. La demande, dans des situations de flux tendus organisés, sera toujours soumise aux dictats de l’offre qui organisera sa raréfaction ou supprimera la concurrence par sa capacité à user des bras armés locaux ou extérieurs. C’est une règle générale ((dont les exceptions ne sauvent pas le système.)): aussi bien les Etats aux ordres des multinationales, que les organisations internationales à ceux des entreprises jalouses de leurs droits à fixer les prix les plus absurdes, que les Nations dites avancées, civilisées ou démocratiques, que les trois ensemble, n’ont de cesse de réduire la possibilité des collectivités fragilisées (qu’elles soient de pays émergents, de communes en difficultés plus près de nous, d’organisations régionales, d’associations de soutien aux plus démunis) de s’organiser, de se défendre, de prévoir le pire, au nom de la sacro-sainte loi de l’offre et de la demande, du marché libre, qui ne se préoccupent pas du quotidien des individus, mais seulement des joies des flux tendus, des exaltations des marges de profit et des orgasmes de ses innovations en tous genres.

Désirer le marché libre dans une société de 7 milliards d’individus dont les aspirations sociétales sont extrêmement diversifiées, dont les organisations traditionnelles (et parfois bien plus démocratiques que les nôtres) ne sont le plus souvent pas en demande de changement, en tout cas pas par l’extérieur, dont les équilibres sont fragiles, mais résistants depuis des siècles, parfois des millénaires, et menacés en permanence aujourd’hui par les lubies des règles commerciales internationales, désirer donc le marché libre, c’est passer à la moulinette les droits à la vie, à l’alimentation, à la santé de la plupart de ces femmes, de ces enfants et de ces hommes.

Les discours qui prétendent que le sacrifice de “quelques-uns” (potentiellement un milliard, quand même, en ce moment) pourrait amener dans l’avenir au mieux-être progressif de tous sont de terribles menaces rhétoriques car ce mieux-être est promis depuis plus de deux siècles par les mêmes raisonnements dont les effets sont toujours, disent-ils, repoussés à plus tard à cause même des interventions des Etats qui les empêchent de s’accomplir.

Or, aucun Etat au monde ne s’arrêtera jamais, “par delà le bien et le mal”, d’intervenir, soit pour le profit de ses populations, soit -plus souvent- pour le profit de ceux qui sauront le manipuler. Les libéraux -les vrais libéraux- ne pourront donc montrer la véracité de leur discours -si tant elle qu’il y ait une once de vrai dedans- qu’une fois ces Etats disparus.

La disparition de ces Etats, si on y réfléchit quelques minutes c’est, en deux temps, une terrible et meurtrière transition, certainement très longue, qui mènera une proportion gigantesque (à mon avis plus des deux tiers) de la population à une mort prématurée et sans doute horrible (guerre, famine, épidémies, pour ne parler que des fléaux les plus évidents), qui n’épargnera aucune région et qui aura pour résultat (deuxième temps) une situation où les plus “chanceux” se seront appropriés des espaces plus ou moins bien protégés qu’ils défendront au moyen de petites armées privées contre les voisins immédiats et d’alliances d’intérêts mutuels avec des pairs qui ne manqueront pas de se retourner les uns contre les autres à la moindre occasion d’agrandir leurs forteresses.

Même la réduction de l’Etat aux seules fonctions régaliennes (justice, police, armée) n’aide pas à sauver le système. N’oublions pas que ce type d’Etat a déjà existé par le passé (Rome fonctionnait sur ce modèle) et qu’il était particulièrement impérialiste et violent.

Le libéralisme, n’en déplaise aux plus sincères d’entre eux, se décline en réalité selon ses principes économiques, depuis très longtemps (Selon moi, on peut en établir les prémisses aux époques de constitution des premières cités-Etats, avec l’élaboration des premiers principes de la propriété impliquant l’abusus.)). Les Etats, jouets de lobbies, de groupes de pression, dirigés par les hommes liges des milieux d’intérêts privés, ne sont guère plus que des facteurs d’importances sur les places des marchés internationaux et même nationaux.

Sur un marché, celui qui en connaît le mieux les facteurs divers et qui peut les manipuler à son avantage est celui qui s’en tirera le mieux. Celui qui a un bras au ministère des affaires économiques ou dans une caserne militaire n’aura aucun mal à faire jouer les leviers en sa faveur de la même manière qu’un entrepreneur parviendra à user de son service marketing pour mentir mieux que son concurrent sur l’intérêt de son produit. Le libéralisme ne pourvoit pas le monde des meilleurs produits au meilleur prix pour les deux acteurs de la vente. Il obéit à la loi du plus roublard.

On n’en sort pas: le libéralisme, c’est un (joli) leurre dangereux.

Je suis contre.

Soixante ans que nos biberons sentent le sapin…

Tuesday, November 1st, 2011

Ce n’est certes pas après la lecture d’un simple article du Monde que je me prétendrai spécialiste du scandale ou supposé tel du Bisphénol A, mais j’en retire tout de même un enseignement très intéressant.

J’y ai appris que le conflit entre scientifiques payés sur fonds publics -qui trouvaient dans 90% des cas des effets biologiques du bisphénol, et donc en mettaient en évidence la dangerosité potentielle- et ceux qui étaient financés par les entreprises qui vivent notamment de son exploitation -du bisphénol A, donc-, ces derniers ne trouvant -bien sûr- rien, était basé sur des principes méthodologiques. Selon l’auteur de l’article, qui s’est inspiré essentiellement de ses contacts avec certains des premiers, dont un Monsieur vom Saal, une Madame Soto, non par parti pris, mais parce que les intervenants de l’autre bord ne répondaient pas à leurs questions, les scientifiques qui trouvaient des effets se fondaient sur des protocoles d’expériences récents, alors que ceux qui ne trouvaient rien -ceux qui étaient donc payés par les entreprises, donc- se fondaient sur des protocoles d’il y a 60 ans.

C’est un peu comme si on cherchait à déterminer le lieu d’alunissage d’astronautes sur la Lune en regardant avec des jumelles.(vom Saal)

Pas spécialement rassurant.

Je ne ferai pas le procès ici de ces scientifiques ou supposés tels qui travaillent pour la Dow Chimicals et autres grandes bienfaitrices de l’humanité (après tout, le plastique qui recouvre mon clavier ne viendrait-il pas de leurs usines?). Je suppose que d’autres le feront bien mieux que moi. Mais je ne peux m’empêcher de penser à ces lieux communs qui veulent que le service public, c’est le conservatisme, l’immobilisme, le confort, le fonctionnarisme et autres clichés, alors que le privé tablerait sur le progrès, l’innovation, la course en avant…

Comme si l’économie et l’histoire corroborait ces cartes postales.

Tiens! L’industrie automobile, par exemple, déteste l’innovation réelle, celle qui change les choses, celle qui amène ou amènerait à une véritable réduction de la consommation: changer les patrons d’achat du symbole de la société de consommation, c’est un risque tellement énorme, et il aura fallu ces dernières années pour qu’enfin ces dinosaures tendent à s’effondrer sur eux-mêmes sous les coups de boutoir de la nécessité et des crises économiques. ((Personnellement je ne peux que prévoir à terme une nouvelle crise, celle de la surconsommation individuelle, qui devrait nous réenfermer dans le local en dehors des transports publics d’ici, quoi?, un quart de siècle, sans doute. Ca m’étonnerait que l’automobile passe sans dommage ce cap.))

La résistance aux réglementations d’Etat basées sur le principe de précaution, sur la découverte d’un danger pour la santé publique ou sur le souci de réduire les effets secondaires contre-environnementaux de notre mode de vie est telle que les parlements, sous perfusion des intérêts particuliers des bétonneurs et autres marchands de bien-être, mettent souvent des années, voire des décennies pour prendre les mesures les plus élémentaires qui réduirait la nocivité de la consommation humaine, pour nous-mêmes comme pour la planète et ses autres habitants.

Le conservatisme critiqué par Messieurs Michel père et fils ne se situe peut-être pas seulement là où ils veulent bien le voir.

Une fois de plus, il ne faut pas généraliser: on parle bien ici de grosses entreprises, d’intérêts à 6 chiffres ou plus, pas de PME, de petites boîtes qui tentent de devenir grandes. Encore que…

Encore que, ce n’est pas d’elles, peut-être, que l’on parle, mais Ford a commencé dans un garage, tout comme Windows ou Apple -ou peu s’en faut. Et aujourd’hui, ce sont plutôt des représentants de l’immobilisme que de l’innovation. Mais bon, cessons de jouer au yo-yo sur le sujet, revenons à la constatation: l’entreprise n’est innovante que si ça l’arrange bien et conservatrice dans le même cas. Bref, elle est là où le pognon l’appelle, et ce n’est pas souvent dans la direction du mieux-être collectif.

Ceci aussi pour expliquer une fois encore pourquoi, si je ne suis pas contre les manipulations génétiques ou les nanotechnologies en soi, c’est uniquement si -et seulement si- les progrès, les découvertes, les utilisations faits dans ces domaines restent intégralement sous contrôle de la collectivité par le biais d’associations horizontales indépendantes à la fois de l’Etat et des entreprises, et qui soient habilitées à stopper toute initiative qu’elles jugeraient dangereuses ou potentiellement dangereuses, jusqu’à consultation populaire bien raisonnée, bien documentée, sous protocole adéquat.

Une entreprise de taille respectable, c’est un peu comme un grand Navigateur sur un OS Windows: il fait tout pour t’empêcher de penser à le virer et il ralentit toute la machine, sous prétexte que, sans lui, rien ne marcherait.

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Ah oui, quant aux patentes, brevets et autres exclusivités mortifères, je suppose que l’on aura compris. Qu’on rémunère les chercheurs à l’heure de travail, qu’on leur accorde quatre semaines de congé par découvertes prépayées intéressantes, et qu’on ne la ramène pas sur l’indispensable nécessité de rentabiliser la recherche: ça fait deux cents qu’on nous emmerde avec ce concept qui a contribué à l’augmentation des inégalités de par le monde. Alors, que vivent la science et la technologie, mais au sein des masses, pas dans le giron des portefeuilles anonymes.

Evidemment, avec la gouvernance mondiale actuelle, ce beau programme n’est pas pour demain. Mais bon, je veux bien faire de la politique, si c’est à ma sauce.