Archive for September, 2009

L’école en question

Friday, September 18th, 2009

Le but qu’il faut poursuivre, qui est réalisable, c’est d’assurer à tous des possibilités éducatives égales. Confondre cet objectif et la scolarité obligatoire, c’est confondre le salut et l’Eglise.

Réflexion intéressante issue de “Deschooling society”1, quoique certainement iconoclaste.

L’école est devenue la religion mondiale d’un prolétariat modernisé et elle offre ses vaines promesses de salut aux pauvres de l’ère technologique.

En effet, depuis Condorcet, Ferry et j’en passe, il semble que l’école soit une nécessité de gauche, que l’égalité ne puisse s’atteindre que via les institutions scolaires et que chacun ne puisse avoir sa chance que dans une société où les enfants auront tous l’occasion de suivre les programmes institutionnels le plus tard possible.

Douce illusion.

Non, terrible illusion, puisque en réalité l’école est sise dans une société basée sur des principes dits démocratiques reposant sur la liberté d’entreprise, cette dernière valorisant la diversité d’acquisition culturelle et savante. On ne peut le lui reprocher, ceci étant nécessité par ses autres principes: la concurrence, l’inégalité, la différence sociale. Pas de développement du marché, des technologies, du commerce, de la variété des mouvements économiques sans une grande différence marquée chez les acteurs sociaux.

L’inégalité est donc une nécessité, et donc l’école, aussi démocratique puisse-t-elle se prétendre, ne pourra faire qu’entériner cette soif de différence et ira jusqu’à la favoriser. Une école dans un monde comme celui dans lequel nous vivons ne peut que favoriser l’inégalité. Prétendre le contraire est au mieux ignorance des faits, au plus évident un mensonge (électoral).

Ce n’est pas tout à fait le propos d’ivan Illich, qui veut signifier plus dans son livre que l’insititution école, dans son établissement propre, s’oppose essentiellement à la réalisation de son intention, qui serait l’égalité de l’enseignement dans la perspective d’autonomiser ses apprenants2. Voici quelques-unes des idées développées dans le livre cité:

1) Aussi bien de manière interne, au sein d’une nation, on aura beau augmenter le budget de l’enseignement comme on voudra, au total ce seront toujours en moyenne les enfants des classes les plus riches qui en bénéficieront, et les inégalités ne cesseront de se creuser au sein de la société. Il est évident que l’on pourra tenter tant qu’on voudra de rendre les “chances” égales au sein de l’école, cela ne servira à rien, puisque le marché économique (commerce, travail,…) est tel que les parents voudront toujours privilégier leurs ouailles au détriment des autres et tenteront de ce fait de “pallier” au mieux à la prétendue égalitè scolaire. Ils useront d’abord des différences issues de l’institution en privilégiant les meilleures écoles pour leurs enfants, puis, si cela ne suffit plus, si par extraordinaire l’état devait parvenir à niveler le niveau scolaire de toutes les écoles (ce qui est proprement impossible), ils offriront à leurs descendants des conditions supérieures à celles des moins nantis. C’est une mathématique patrimoniale indépassable tant qu’existera la société basée sur la propriété, la famille et la valorisation du succès individuel3.

2) En outre, on s’apercevra rapidement que le statut du nombre d’années scolaires réalisées se dévalorisera au fur et à mesure que les prétendus progrès dans l’enseignement institutionnel se feront. Il est facile de constater que les huit premières années scolaires qui, jusqu’au début du vingtième siècle, suffisaient en Occident pour se faire une place parmi les intellectuels locaux, représentent aujourd’hui une base non suffisante pour quelqu’un qui cherche tout simplement du travail. Quand un instituteur était autrefois formé à seize ans, il lui faut aujourd’hui attendre un brevet obtenu au mieux vers 21 ans. En outre, dans le passé, ce titre permettait à son porteur d’obtenir, au moins en apparence, une haute considération locale et une influence certaine sur ses concitoyens, aujourd’hui il est peu reconnu, voire déconsidéré. C’est que l’instituteur est devenu une denrée courante, il est directement dévalorisé par ses collègues des niveaux supérieurs et son salaire est d’ailleurs moindre par rapport à celui de ces derniers. En définitive, il devient donc toujours de plus en plus cher et de manière de plus en plus insupportable, de tenter de produire une scolarité gènéralisée et efficiente.

3) Au niveau international, ces deux phénomènes ne pourront que mettre en concurrence directe les états et marqueront de manière encore plus évidente les travers qui en découlent à l’échelon mondial: ce sont les nations les plus riches qui bénéficient avant tout de la valorisation de l’institution scolaire et plus on avance dans le temps, moins l’unité scolaire garde de sa valeur, et plus il faut d’années prestées à l’école pour obtenir une valeur continue: l’inflation scolaire matraque donc d’entrée toute nation qui désire participer au jeu scolaire où elle est condamnée à suivre le rythme des “meilleures” qui, elles, ne désireront jamais se laisser rattraper.

4) Enfin, Illich constate à son époque que l’institution scolaire ne vise absolument pas à valoriser l’autonomie et la capacité de l’apprenant à choisir ses apprentissages et à les réaliser, mais au contraire chercher-t-elle à le réduire le plus possible à un consommateur scolaire, et de la préparer à consommer d’ailleurs passivement toute sa vie.

Quelques passages illustratifs issus de la seule introduction:

Le système de la scolarité obligatoire, s’il conduit inévitablement à une ségrégation au sein de la société, permet également une sorte de classement entre les nations. Ainsi s’établit une véritable hiérarchie internationale, où chaque “caste” fonde sa dignité sur le nombre d’années de scolarité défini par ses lois. Certes, ce chiffre n’est pas sans rapport avec celui du produit national brut per capita, mais si ce dernier demeure pour la plupart des citoyens d’un pays relativement abstrait, le premier suscite au contraire une réaction affective beaucoup plus profonde, voire douloureuse.4

(…) au cours de la scolarité, on confond l’instruction et le r^ole que l’on jouera dans la société. Pourtant, apprendre ne signifie-t-il pas acquérir quelque compétence ou quelque savoir nouveau, tandis que la promotion sociale se fonde sur des opinions que d’autres se font de vous? Ainsi, s’instruire dépend souvent de quelque instruction reòue, mais la sélection pour un r^ole social, pour un emploi sur le marché du travail, dèpend de plus en plus de la seule durée des “études”.5

Beaucoup continuent à croire, à tort, que l’école mérite la confiance publique, (…) alors m^eme qu’elle n’est plus que la détentrice d’un monopole et que loin d’égaliser les chances, elle en assure la rèpartition.6

Mais, me diront les plus gauchistes d’entre vous7, ce problème entier aura disparu le jour où notre monde aura basculé dans le saint communisme et où l’institution scolaire sera au service de l’égalité. Rien n’est cependant moins certain, car, comme le dit Illich, l’institution scolaire, par son essence propre, a pour objet la reconnaissance de statuts différents, et non l’égalité de l’enseignement. Les tentatives pour gommer les différences (uniformes, suppression des points, bourses et autres) n’ont d’ailleurs pas réussi à écorner le principe de la promotion sociale inégalitaire et inhérente que l’école entérine -malgré de nombreux enseignants idéealistes, mais aussi avec l’aide de bien d’autres à qui cela correspond exactement.

Ce problème, je l’ai abordé ici le plus brièvement possible; il fait partie des principaux sujets de mes inquiétudes personnelles. Moi, enseignant, je suis en rupture avec la mère de mon travail: l’école. Paradoxale, mais nécessaire remise en question.

  1. La citation, ici, vient de sa traduction, au titre abusif “une société sans école”, parue au Seuil (points), en 1971, p. 27. []
  2. Illich n’est pas un révolutionnaire abouti comme un communiste ou un anarchiste; cependant ses idées sont largement novatrices, bouleversantes et peu en accord avec la société de consommation passive dans laquelle il a vécu. []
  3. Notons que les développements les plus anti-patrimoniaux de ce texte ne sont pas illichiens, mais miens. []
  4. op. cit., p. 25. []
  5. op. cit., p. 28-29. []
  6. op. cit., p. 29-30. []
  7. Pendant que les autres s’empresseront d’aller inscrire leurs blondinets dans ce qu’ils trouveront de meilleurs avec l’appui de leur carte de parti si nécessaire, d’une sainte indulgence ou plus concrètement d’une contribution monétaire. []

les juges y croient.

Friday, September 4th, 2009

En lisant un article sur Todd Willigham, un Texan condamné à mort pour avoir incendié sa maison et causé la mort de ses trois filles, et qui vient d’être disculpé, 5 ans après son exécution, j’ai eu l’occasion de lire cette petite ligne effarante:

dans une récente décision, deux juges de la Cour suprême ont affirmé que l’exécution d’un homme ayant prouvé son innocence restait «valable» dans la mesure où il a bénéficié d’«un procès juste et équitable».

C’est ce qui s’appelle distinguer la vérité de la vérité judiciaire…

En fait, la justice, vue sous cet angle, devient une affaire de foi. Sans devoir m’arrêter au cas Willigham, qui semble avoir jeté un homme en enfer sur des bases frisant l’amateurisme, il appert que le principe de la justice d’État, dans bien des cas, ne repose pas sur la nécessité de faire justice, mais bien sur celle de calmer les masses à n’importe quel prix.

La justice, c’est la religion des États laïques.

Ne l’ont-ils pas confisquée aux curés du passé?

J’ai beau le savoir depuis longtemps, je ne peux pas m’empêcher de lever les sourcils, d’écarquiller les yeux et de me demander comment certaines personnes parviennent à conserver leur confiance dans un monde qui, de fait, ne nous assure même pas un minimum de sécurité juridique