Archive for April, 2009

Priorités mal à droite

Thursday, April 30th, 2009

Je n’ai malheureusement pas vu le film de Paul Moreira sur le Dollaristan -entendez l’Afghanistan alimenté par l’héroïne traiditionnelle et la corruption financée par l’Occident-, mais j’en ai lu un petit compte-rendu dans le Canard Enchaîné du 22 avril dernier.

Parmi les nombreux flops rencontrés par le journaliste sur place, on compte celui des écoles prétendument réalisée par l’USAID ((organisme par ailleurs reconnu d’utilité publique par tous ceux qui ne supportent pas la vue d’un socialiste à moins de deux cent mille kilomètres, il est l’un des principaux organisateurs des troubles préputchistes dans de nombreux pays latino-américains, notamment.)) et dont le journaliste a pu vérifier la réalité:

“L’aide? dit le Principal. Ils ont construit un mur d’enceinte. Des toilettes. Les travaux se sont arrêtés là.”

De l’art de poser les priorités en matière scolaire: ce sont les murs qui encerclent l’école que l’on commence par poser, rien avant -et, ici, rien après.

-Maaaaaaiiiiiis, tu ne comprends pas: c’est pour éviter qu’on vole des trucs dans l’école qu’on commencer par les murailles.

Ben tiens: si vraiment on avait l’intention d’y accumuler des objets plus précieux qu’une règle en bois et un pot de craies de couleurs, ce ne sont pas les locaux qui risquaient de se servir sur la bête, mais bien les seigneurs de guerre qui règnent en maîtres absolus sur leurs petites portions de territoires -et, eux, ce ne sont pas des murs d’enceinte qui vont les arrêter.

Non, ceci est symptomatique de ce que, pour les autorités, pour l’idéologie dominante, représente ou doit représenter l’école: un espace clos, délimité, enfermé, détaché, soucieux d’enseigner, aussi bien aux enfants qu’aux parents, que les mondes productifs de savoir doivent être compartimentés, protégés, régulés, comme les mondes productifs de biens et de services, fondés sur la propriété et le profit.

Le parallèle avec l’usine et ses murs, le bureau et son service de sécurité, la prison aussi, est évident: l’école, loin de séparer l’enfant de la société, l’y intègre de force, le plonge dans la réalité de celle-ci, en lui en montrant ce qu’elle a de meilleur: l’enclosure.

C’est ainsi, chères têtes blondes, que vous produirez plus, plus vite et pour moins cher…

Ah, et en évitant de se bousculer dans les escaliers, s’il vous plaît…

Dictadouce

Friday, April 24th, 2009

La Folha de São Paulo, l’un des plus importants quotidiens du pays, bien à droite au niveau économique, mais qui se marque aussi par une nette préférence pour tout ce qui n’est pas Lula, bronzé, peu éduqué, petit, carrément brun, de gauche, trop intello, et vous avez saisi l’idée, ce quotidien, donc, a sorti récemment de jolies réflexions sur la dictature militaire qui sévit ici entre 1964 et 1988 ((Je dis 1988, bien qu’entre 1985 et 1989 ait sévi un président civil, mais clairement du parti des militaires. 1988 marque une rupture avec l’adoption d’une constitution qui promettait beaucoup de choses… à ceux qui y croyaient.)).

C’est au détour d’un article qui critiquait (pour la énième fois) le régime vénézuélien actuel, que la Folha, par l’entremise d’un éditorialiste, s’est permise de comparer les régimes militaires d’Amérique Latine, genre Pinochet, Stroesnner et le brésilien en particulier, avec le gouvernement élu au suffrage universel du président Chávez Fria.

Pour arriver à la conclusion que les généraux du pays de Pelé et de la Samba avaient été finalement assez cools. La preuve, Pelé pouvait y faire de la pub et la samba pouvait être dansée, même mal, par les touristes ((Y compris Pierre Richard dans le Retour du Grand Blond, pourtant excellent.)).

Et adopter l’expression “Ditabranda”, que l’on pourrait traduire par le titre repris ci-dessus… ((Ou plus précisément, mais ça perd son sel en jeu de mot, dictasouple.))

Dictadouce…

Plusieurs de ses collègues lui ont emboîté le pas quand les critiques ont commencé à fuser. Mal leur en a pris.

Indignations d’intellos, désabonnements et autres manifestations se sont naturellement succédées. Et de remuer la merde, naturellement, car la Folha et son groupe éditorial, en 1964, avaient clairement pris parti pour la junte putschiste. Elle faisait l’éloge des flingages de résistants (appelés bien sûr terroristes) et se félicitait, à l’instar de la classe entrepreneuriale, du “miracle économique” des annés 71-74, qui fit tout de même dire à l’un des présidents-généraux: “L’économie du Brésil va bien, mais pas le peuple.”

Raison de cette offensive révisionniste ((Le révisionnisme est un mot trop souvent employé de manière péjorative. À l’époque de Dreyfus, les révisionnistes étaient, faut-il le rappeler, ceux qui voulaient revoir le procès du bonhomme.))?
On en distingue plusieurs possibles.

La première serait de tenter de diminuer les mérites des résistants qui, depuis 25 ans, se battent (eux ou leurs familles) pour faire reconnaître leurs droits à des indemnisations, trés contestées du côté des nantis, des résistants parmi lesquels on compte aussi la très probable candidate du PT aux prochaines présidentielles, Dilma Rousseff ((À l’époque, franchement communiste.)), qui fut arrêtée, torturée et emprisonnée plusieurs années ((Le plus ironique est que le fort probable candidat de la droite est également un ancien résistant de gauche devenu, disons, pragmatique, le très sérieux gouverneur de SP, José Serra.)).

La seconde pourrait être une tentative d’auto-réhabilitation, puisque la Folha est mouillée jusqu’au cou dans l’entreprise militaro-putschiste de ’64 qui attire ces dernières années les foudres des historiens et des mouvements cherchant à faire comparaître les bourreaux et leurs commanditaires en justice ((La gauche brésilienne se plaint régulièrement du fait que l’Argentine, le Chili et même certains pays d’Amérique centrale, parviennent à confronter les anciens tortionnaires à la justice, alors que Lula et consorts traînent ici les pieds.)).

Une troisième motivation possible serait, selon certains, de préparer une éventuelle nouvelle fournée de mini-coups à l’échelon des États où la gauche (modérée, hein) a tendance à trop souvent l’emporter.

Enfin, il existe un lien possible avec la crise économique actuelle: le néo-libéralisme s’en est pris plein les dents. Or, celui-ci était bien sûr collé aux basques des dictatures latino-américaines. Les journaux et revues des milieux conservateurs sont ici en pleine panique et développent des arguments de plus en plus incohérents pour tenter de sauver ce qui peut l’être des théories ultralibérales qu’ils ont défendues depuis des dizaines d’années ((Tout en se parant de l’objectivité et de la neutralité journalistique que l’on devine aisément.)). Parmi ces arguments, la défense, même modérée, des régimes qui ont le mieux et le plus contribué à la diffusion de ces théories semble naturelle.

Toujours est-il que ça ne prend pas toujours aussi facilement.

Dans un prochain numéro, si je vous ai suffisamment mis l’eau à la bouche, je vous raconterai un peu les aventures des principaux quotidiens et hebdomadaires que l’on rencontre à São Paulo…

Je suis vicié

Monday, April 20th, 2009

“Tu es accro”, me dit Cláudia, en portugais (du Brésil). et c’est pas faux, malheureusement.

Je suis branché trois à quatre fois par jour (ouvrable) sur le site www.imperiaonline.org, qui présente un jeu en ligne, multi-joueurs (c’est pas rien de le dire, on doit être plusieurs milliers sur le même “royaume”), basé sur l’exploitation de fiefs médiévaux et la lutte de seigneurs plus ou moins grands, genre wargame, mais sur une dimension que seul internet pouvait offrir, probablement.

Je ne discuterai pas du réalisme du jeu (les fiefs sont artificiellement écartés les uns des autres, il n’y a pas de géographie précise, la religion ne joue aucun rôle, il y a techniquement moyen de tenir des centaines de milliers de paysans sous sa domination sans posséder un seul soldat, etc.). Par contre, il y a quelques éléments du jeu et des comportements induits par celui-ci qui sont très intéressants -quoiqu’inquiétants, surtout dans mon chef.

Pour commencer, le jeu est basé à la fois sur la compétition et la coopération; naturellement, l’ennemi d’hier peut devenir l’allié de demain et vice versa. Le type qui m’a appris à jouer était l’un de mes voisins. Je lui ai promis qu’en échange de ses conseils, je ne l’attaquerais jamais. Deux semaines après, je commençais à le décimer. Belle mentalité. Mais bon, ce n’est qu’un jeu…

Je suis devenu leader d’une alliance (que j’ai fondée et appelée “Alliance Rebelle”, bonjour la référence de niveau élevé), ce qui, en soit, est déjà bien contradictoire pour un anarchiste, mais bon, ce n’est qu’un jeu…

En tant que leader, je donne des ordres, je coordonne, je nomme aux charges d’officier scientifique, de diplomate, de général… Le tout arbitrairement (et rarement de manière très intelligente). Et surtout, si les joueurs ne m’obéissent pas, j’expulse.

Mais bon, ce n’est qu’un jeu.

Il y a aussi les joueurs qui quittent l’alliance parce qu’elle ne les satisfait pas. C’est leur droit, naturellement, mais le dernier qui l’a fait l’a amèrement regretté: je l’ai sauvagement écrabouillé parce que je le considérais potentiellement dangereux. Il a abandonné ((Par contre je viens d’aider un autre dans le même cas, allez comprendre.)).

Mais ce n’est qu’un jeu…

Enfin, on peut attaquer ses adversaires de plusieurs manières différentes. La principale est de s’en prendre uniquement à leurs armées. La plus lucrative, potentiellement, est de piller les villages, massacrant les paysans… Je l’ai fait quatre fois, j’ai dû tuer une centaine de milliers de paysans.

Maiiiiiiiis, ce n’est qu’un jeu.

Une dimension du jeu très intéressante est celle de pouvoir faire virtuellement ce que vous ne voudriez jamais faire dans la vie réelle. La question, ensuite, est de se demander si, effectivement, vous ne voudriez jamais le faire pour des raisons morales, pour des raisons humanistes, ou bien par crainte de la désapprobation publique?

Et si le jeu avait un effet sur la vie réelle? Et si vous en étiez à moitié conscient, pas tout à fait, mais quand même un peu?

Voir le petit post sur Milgram et Burger pour un début de réponse…

né noir, mort blanc

Saturday, April 18th, 2009

Machado de Assis est l’une des figures littéraires les plus importantes du Brésil. Un trait de sa vie remarquable est qu’il était considéré comme noir à la naissance (et donc de basse extraction), mais qu’avec la reconnaissance et le succès, il est mort “blanc” -c’est-à-dire qu’il était désormais considéré comme fréquentable.

Détail? Sûrement pas. Étonnante capacité de l’homme à se contredire lui-même dans le discours, dans l’esprit, sans même parfois s’en rendre compte.

Cependant, généralement, ce retournement est conscient. Dans le cas de Machado, c’est le regard de l’autre qui a évolué, il n’en était lui-même pas responsable. Mais, le plus souvent, ce sont les choix personnels qui marquent ce regard.

Exemples?

Pascal Smet, responsable politique “socialiste” flamand de Bruxelles (c’est pas de ma faute si on le définit comme cela) est né petit-fils de résistant (c’est lui, en tout cas, qui s’en vantait, lorsqu’il dirigeait l’administration chargée des expulsions en Belgique pour se défendre des accusations de comportement douteux que nous lui assénions). Il mourra, à nos yeux et à moins d’un acte de repentance genre auto-critique à la chinoise, comme l’un des fonctionnaires les plus zélés de la politique d’éloignement des sans-papiers.

Malraux, mort en 1946, serait resté le héros de la gauche. Il est mort gaulliste…

Une seconde chance est souvent ce qui est refusé à la plupart des hommes. Rares sont ceux qui en bénéficient face à la postérité, à la justice des palais, à “l’histoire-qui-juge”, souvent vite…

Curzio Malaparte, s’il était mort avant 1930, aurait été considéré comme un simple pion du fascisme comme des milliers d’autres. Il est décédé bien plus tard, avec la reconnaissance littéraire que l’on sait. De même que Günter Grass, au fond, a eu de la chance de survivre et de dépasser l’horreur d’avoir servi dans les troupes nazies. Et on ne peut que s’en réjouir.

Beigbeder aurait pu mourir jeune et rester le petit con de droite qu’il était. Bon, il ne mourra que petit con de gauche.

Combien d’Albert Speer auraient fini par s’éveiller et rejeter le nazisme s’ils en avaient eu l’occasion, la chance, l’opportunité?

Et combien de membres du MR déchireront-ils leur carte de membre avant de mourir, histoire de se racheter?

Mais aussi, a contrario, combien de communistes des premiers temps seraient devenus staliniens s’ils avaient survécus? Combien de jeunes anarchistes morts en Espagne seraient devenus Johan Vande Lanotte?

Problématique effleurée par Sartre dans Huis-clos…

Anniversaires, je vous hais

Thursday, April 16th, 2009

Sir Charles Spencer “Charlie” Chaplin aurait eu 120 ans aujourd’hui.

Ça m’amuse toujours de voir les commémorations effectuées par les médias dominants sur un personnage comme Chaplin qui, de son vivant, fut surtout critiqué pour son engagement politique (ambigu) et ses frasques conjugales et moins conjugales par les défenseurs de la loi et de l’ordre moral.

À nous, qui nous gaussons des anniversaires, de la Fox et des médias-qui-mentent en général, nous reste le souvenir du cinéaste et du résistant aux idées dominantes, d’un personnage hors du commun dans le monde du 7e art et des films parmi les plus importants jamais réalisés et joués.

Et ça nous suffit pour l’installer au sein de notre panthéon de mythes fondateurs…

Ça manque un peu, des rues Charlot, des écoles Charlie Chaplin, tiens. (voir post précédent)

Rue des moustaches tombantes

Wednesday, April 15th, 2009

Ça fait un moment que je pense à un truc, trés bête en apparence, mais qui a son importance.

Les noms des rues, les monuments à la gloire des grands esprits.

Ici, à São Paulo, le dernier président de gauche, João Goulart, qui fut renversé par une dictature militaire ((Largement soutenue par le gouvernement amerloque Kennedy, puis Johnson.)), est signalé sur une poignée de ruelles, alors que des dirigeants de la junte, eux, sont répétés inlassablement tous les jours à la radio, parce qu’il y a des bouchons sur les grandes artères. Il n’y a pas eu de révision historique, dans le pays… Et ce n’est pas près de venir.

Il y a même une petite rue Monsanto, juste en face de mon lieu de travail. Je l’emprunte pour aller de l’appartement d’une élève à l’école.

mais bon, elle est petite.

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Je pense, à Bruxelles, à cette large avenue Charles Woeste, ministre du XIXe Siècle, qui s’opposait au Suffrage Universel, mais pas vraiment pour les même raisons que moi.

Je pense à l’avenue Léopold III, à l’avenue Baudouin; sans parler de la statue de Léopold II à poil près de la Gare centrale…

Il y a aussi les Rogier, Ducpétiaux et autres “révolutionnaires” de 1830, toutes sommités qui mériteraient surtout un beau placard historique.

À la place de l’avenue Charles Woeste, je verrais bien une Allée des Souris de Laboratoire.

Et sur la Place Albert Ier, un Square des Chevaux morts à la guerre.

Puis, à la place de la statue imbécile d’Elizabeth, une évocation de la musique libre, sans entrave et sans concours.

Et plutôt que de donner aux écoles des noms de politiques de deuxième division, on pourrait (à défaut de les détruire) leur donner des noms plus poétiques, ou de personnages un tant soit peu plus intéressants, comme John Lennon, Henry Miller (ce qui serait cocasse), Anaïs Nin (dont l’histoire serait aussi marrante à raconter) ou, à la limite, Marguerite Yourcenar ((J’ai bien encore d’autres idées, mais elles vont perdre encore en popularité.)).

L’esprit de clocher, plus encore que le chauvinisme, le localisme politique de ceux qui espèrent sans doute gagner après leur mort l’octroi à leur nom d’une impasse ou d’une contre-allée, n’est rien moins qu’un réducteur de pensée.

De toute façon, qui se souvient de Dansaert, Dailly, Jacquemin, Max, Bordet ((Pourtant prix Nobel.))?

Alors une petite suggestion: débaptisez votre avenue et trouvez-lui un nom plus sexy, pour voir.

Burger et Milgram

Wednesday, April 8th, 2009

Qui a vu le film I comme Icare se souvient sans doute mieux de l’expérience de Milgram que d’autres. Au moins superficiellement.

Stanley Milgram est ce psychologue américain qui avait été frappé par la posture tranquille et innocente d’Eichmann, lors de son procès en Israël en 1961-1962, pour avoir été l’un des artisans principaux de l’achemienment des Juifs jusqu’aux camps de concentration et d’extermination, pendant la deuxième guerre mondiale. Eichmann se défendait sobrement, reconnaissant chacun des actes d’acusation, mais refusant de les assumer, prétendant qu’ils n’étaient que l’exécution d’ordres de supérieurs.

Milgram, effrayé par la capacité d’obéissance du bonhomme, mais surtout pas l’insistance avec laquelle il arguait de cette obéissance au “Fürherprinzip” pour justifier de ses actes ((Il se glorifiait lui-même d’avoir 5 millions de morts sur la conscience.)), décida de procéder à une expérience pour s’assurer que ses compatriotes ne suivraient pas la voix du nazisme.

En réalité, il constata que près de deux tiers de la population américaine ((Il étendit ensuite son expérience à d’autres pays, et les résultats ne changèrent guère.)) étaient capables d’infliger consciemment des blessures mortelles à des personnes étrangères, sous prétexte qu’il s’agissait d’un ordre reçu par une autorité (en la matière, une autorité scientifique).

L’expérience de Milgram bouleversa les convictions sur le modèle démocratique, soit-disant porteur de valeurs humanistes ((De mon côté, je pense que le visionnage d’un documentaire sur cette expérience a dû être l’une de mes expériences d’ado les plus importantes et ce fut en tout cas l’un de mes principaux déclics quant à mes convictions politiques.)).

Une expérience de Milgram, édulcorée, à plus petite échelle ((Ce qui tend à montrer que les moyens en science humaine tombent en vrille, faute de sponsors…)), et réalisée par le professeur Burger montre que les choses n’ont malheureusement guère évolué. L’espoir du professeur Burger était que l’éloignement des expériences autoritaires du XXe Siècle aurait assagi la population.

Malheureusement, pour qui fait l’expérience de la gestion par l’Administration des sans-papiers, des chômeurs, des femmes maltraitées, pour ne parler que des cas les plus flagrants en Europe Occidentale ou aux USA, il est évident que ce n’est pas la proximité des régimes autoritaires qui est responsable de cette inclination humaine.

Cependant, il ne peut s’agir de la propre nature humaine, puisque, a contrario, plus de trente pour-cent des cobayes ont refusé de poursuivre l’expérience malgré la pression de l’ordre.

Pour ma part, je blâme l’ensemble des structures sociales et politiques responsables du système éducatif oppressif, répressif, conservateur, concurrentiel et conformiste. Nous y apprenons à nous plier à des comportements aussi idiots que destructeurs, voire auto-destructeurs, valorisant la consommation maladive, la concurrence ((Qui n’a pas besoin d’adjectif.)), l’obéissance aveugle, l’absence de critique de l’autorité dans la plupart des cas et la crainte de l’autre.

L’apprentissage de l’obéissance aveugle, qu’elle s’exerce à l’armée, dans la rue ou en entreprise, est le fait d’un retard flagrant des conceptions d’éducation de manière générale dans nos sociétés dites civilisées.

La facilité avec laquelle la plupart des gens acceptent la répression de manière générale, les inégalités les plus criantes, tant en fait qu’en droit ((Comment peut-on admettre de telles différences de traitement en justice, entre le pauvre bougre incapable de comprendre les borborygmes du droit et ‘bénéficiant’ d’un avocat de garde et le fils de bonne famille bardé d’une équipe de bavards uniquement consacrés à son problème.)), mais aussi un système économique fondé sur la loi du plus-fort-dès-le-départ-même-si-y-a-des-exceptions-qui-la-cautionnent, tout cela me permet d’affirmer sans crainte que, sans un changement complet de conception de la société, l’expérience de Milgram sera toujours d’actualité, et il sera même chaque fois surprenant de trouver 30 pour-cent de personnes qui refuseront d’obéir à des ordres imbéciles.

À la limite, ce sont eux les imbéciles…