Madame Galant, vous avez sorti au cours d’un interview la phrase “Nous sommes le pays où c’est le plus facile d’entrer, de s’installer et de devenir Belge (sic)”. Outre que votre phrase comporte une lapalissade sur laquelle je ne m’étendrai pas (où peut-on devenir belge, sinon en Belgique?), vous ne connaissez manifestement pas la condition des étrangers en Belgique, pour les mettre ainsi au pilori au profit de votre image politique. Ou si vous la connaissez, vous êtes d’une inhumanité crasse.
Par ailleurs, il serait intéressant de confronter votre point de vue à celui de M. Eric Besson, qui disait le 5 novembre 2009, sur france 3, dans l’émission “Ce soir ou jamais”, que la France était le pays qui accordait le plus de cartes d’identités; par ailleurs dans une émission de septembre 2010, il a évoqué le fait que la France est le pays qui accorde le plus la nationalité française((Les deux émissions se trouvent facilement sur Dailymotion, et je viens de retrouver la dernière citation dans le Canard Enchaîné.)).
Certes, en apparence, vous ne parlez pas de la même chose -devenir belge >< la nationalité française - facile de >< accorder le plus... il semble que l'on puisse jouer sur les mots: la Belgique n'est peut-être pas le pays où l'on accorde le plus de cartes d'identités, ni la France celui où il est le plus facile de devenir (allez, ne chipotons bas, même si j'aurais pu mettre "belge") français.
Mais en tout état de cause vous utilisez le même argument, la même rhétorique -que j'ai entendue en Italie lorsque j'y vivais, d'ailleurs, dans la bouche d'autres conservateurs-, dans le même but: faire peur aux électeurs (la veille de Noël, c'est sympa), histoire de rappeler votre fonds de commerce, dans ce qu'il représente de plus bas: l'attaque contre ceux qui ont le moins de possibilité de se défendre, et qui pourtant accumulent toutes les conditions pour obtenir un minimum de clémence.
Les émigrés qui, désespérés par les conditions économiques ou politiques de leur pays d'origine, qu'ils n'ont le plus souvent pas quitté de gaieté de coeur, se retrouvent dans la plupart des cas dans des pays limitrophes du leur ((Le moindre scientifique sérieux sur la question vous montrerait que la plupart des déplacements de population se font à l’intérieur du pays, si pauvre soit-il, puis dans les pays limitrophes, puis dans des pays du même continent, avant d’envisager l’exil vers le Premier Monde, région la plus riche de la planète.)), avec l’espoir d’y revenir, car, pour beaucoup, quitter la terre de ses ancêtres, c’est infiniment plus difficile moralement, mentalement, que pour un Européen d’avoir la chance de devenir “Expat” et de faire fortune dans un pays “en développement”, avant de revenir profiter de nos systèmes sociaux, dont nous devrions être fiers, plutôt que de les détricoter lentement, mais c’est une autre histoire.
Quand ils arrivent “chez nous”, “dans notre maison”, pour utiliser la détestable nomenclature de Monsieur Pascal Smet à l’époque où il occupait le poste de directeur aux expulsions, c’est en dernier ressort, et en espérant que la région du monde (le “Premier Monde”) qui est fréquemment co-responsable de la ruine de leur pays ait un minimum de compassion pour eux.
Mais non: alors même qu’ils participent activement et positivement à notre économie, qu’en toute grande majorité ils aimeraient bien se voir régularisés pour pouvoir bénéficier d’une certaine tranquillité d’esprit, que, tout naturellement, ils préfèrent voir leur famille à leur côté plutôt que de la savoir encore dans les affres d’une guerre, d’une famine ou d’une misère endémique là où ils l’ont laissée ((Et quel “Expat” de longue durée ne préfère pas emmener ses mômes et son conjoint avec lui, quand il en a?)), la Belgique, comme bien d’autres pays privilégiés, les confine dans des situations en marge du droit, non parce qu’elle ne pourrait pas les intégrer dans ses frontières, mais parce que les gouvernants (qui alternent, et dont vous faites donc partie, à moins de vous désolidariser de la politique du MR et du PRL depuis plus de 30 ans, quand il est au pouvoir) bénéficient d’une telle situation qui leur permet de détourner les yeux des électeurs de leur incurie dans d’autres matières: regardez, ces étrangers profiteurs, ils ne font rien qu’à nous envahir.
En outre, cela fait des années maintenant que, histoire de tourner en rond, on parle d’immigration choisie, de sélection des immigrés, en fonction de nos intérêts, oubliant que ce faisant on réduit encore d’autant les forces vives des pays dont on fait venir les intellectuels, les spécialistes; d’un autre côté, le pillage des anciennes colonies continue, mais ça, je suppose que malgré la pseudo-repentance du gouvernement belge, ça ne mérite pas le moindre intérêt.
Votre argumentation qui se permet de mettre en concurrence la situation des Belges les plus démunis avec celle des étrangers en situation irrégulière est l’une des pires attitudes humaines qui soient: vous poursuivez la politique qui a été menée par les plus immondes gouvernants de la planète et de l’histoire qui, pour assurer leur trône, jetaient et jettent encore les plus malheureux de leur système les uns contre les autres. Pourquoi ne pas faire une politique anti-roux, anti-sorcière, anti-juive, tant que vous y êtes?
Mais c’est proprement inutile: vous savez parfaitement bien que les partis traditionnels se féliciteront toujours de conserver ce matelas de haine sociale pour les coups durs, pour justifier le fait qu’ils n’ont aucune imagination quand il s’agit de mener une contre-politique aux assauts des agresseurs financiers, quand on critique les avantages fiscaux des plus privilégiés ou de grandes entreprises pour qui la Belgique est un paradis fiscal (combien de milliardaires français en Belgique, déjà?), quand vous ne pouvez plus culpabiliser “l’Europe”, “la conjoncture”, “la crise”, “les Flamands”, ou que sais-je encore pour votre incapacité à assumer la défaite de votre système de pensée: le capitalisme.