Archive for May, 2011

Guerres capitales

Monday, May 23rd, 2011

Une chose qu’on apprend de la lecture des analystes économiques, c’est l’existence et la violence des luttes entre les différentes factions du capitalisme.

Entre ceux qui exigent un taux d’intérêt de base plus élevé et ceux qui veulent le contraire ((C’est-à-dire un intérêt sur l’argent que les banques empruntent à la Banque Centrale. Par exemple, ce taux est relativement bas aux USA, il y fleurte souvent avec les 0%; chez nous il représente souvent à peu près un pour-cent; au Brésil, ce taux tourne autour de 10%.)) (le saviez-vous? pour déterminer sa politique, la Banque Centrale brésilienne interroge régulièrement 150 personnes, toutes issues du secteur financier); entre ceux qui crient harau sur les chômeurs, et ceux qui en veulent plus ((le plein-emploi, c’est à 0% de chômeurs? Surtout pas, ça tourne entre 1 et 7% suivant les têtes d’oeuf qui décident de ce qui est bien pour vous)); entre ceux qui régulent (surtout pour protéger le marché national, ou plus prosaïquement leurs propres intérêts) et ceux qui dérégulent (où l’on retrouvera plutôt les néo-classiques); etc.

Entre les (faussement) naïfs, genre Stiglitz, et les purs et durs, genre Mieses, Hayek, il y a bien des nuances…

Leur avantage, c’est que, dans tous les cas, ils se battent pour la même chose, donc leurs idées sont toujours gagnantes, quoi qu’il arrive, puisqu’elles se basent sur la concurrence, le rapport de force, la loi du plus fort.

Nous y voilà, sans doute bien: pourquoi ne pouvons-nous pas gagner, nous qui sommes opposés au marché? Parce que pour gagner, il faut participer au rapport de force, c’est-à-dire typiquement au marché. Que les capitaux, en l’occurrence, se comptent en hommes, en moyens de production, en armes, en villes, régions ou pays acquis à notre cause ou à la leur, en matières premières ou en tout autre chose n’importe pas: il s’agit toujours en fin de compte de découvrir sur l’indicateur de la balance le plus lourd des compétiteurs.

Il y a bien une solution, qui consiste à refuser le combat, justement, ou plutôt à le situer là où on ne l’attend pas. C’est toute la problématique de la créativité qu’il nous faut sans cesse développer dans le monde de la militance de gauche, car les boucliers du capital et du libéralisme sont nombreux, et eux aussi s’adaptent rapidement.

Les vieilles luttes syndicales, malheureusement, se placent typiquement dans ce type de combats, où les négociations se réalisent en fonction du rapport de force. Comme les syndicats ne sont plus revendicatifs, ne semblent plus avoir de marge de progression, c’est généralement sur base des régressions voulues par l’État ou le patronat qu’ils réagissent, bien plus remarquablement que sur des revendications positives.

Les grèves, les manifestations, les piquets, et autres manoeuvres classiques syndicales ne surprennent plus et sont régulièrement discréditées par les discours établis -de mauvaise foi- du genre “prise d’otage des usagers”. Il n’empêche que ça fonctionne, terriblement, parce que l’aspect positif de ces actions s’est éloigné de l’esprit des gens avec le corporatisme syndical, la lassitude, le statut de combat d’arrière-garde et l’excellente -et tragique- campagne de discrédit menée par les adversaires des travailleurs.

La lutte électorale est depuis longtemps perdue pour la gauche anti-capitaliste. Nous n’avons plus depuis longtemps, si tant est que nous l’avons jamais eue, l’occasion de gagner réellement des élections, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis d’Amérique. Dans ce cadre, le rapport de force, et donc l’importance de l’accumulation de capital (humain, financier, relationnel, émotionnel), est sans doute encore plus évident, et il est clair qu’il est à l’avantage des forces libérales, qu’elles soient classiques, modérées, sociales-démocrates ou fascistes: l’électeur a été réduit à choisir entre les différents gestionnaires du capital en fonction principalement de l’alternance des charges voulues par le système qui y trouve ses apparences démocratiques.

Les rares fois où l’extrême-gauche semble l’avoir emporté, à l’échelle d’une ville, d’une région ou d’un pays, on se rend compte assez rapidement que la perspective réelle est le plus souvent populiste, nationaliste ou gentiment sociale-démocrate, et que dans tous les cas elles finissent par servir, directement ou non, le marché. Les exemples récents qui eurent et continuent d’avoir lieu en Amérique Latine confirment largement cette observation: en aucun cas, la propriété privée, la liberté d’entreprise ou la privatisation des moyens de production n’ont été réellement menacées dans aucune des régions du monde où ‘la gauche’ a pu l’emporter, contrairement aux campagnes haineuses des presses conservatrices européennes ou américaines ((Américaines dans le sens du continent américain, et non étatsuien.)). Le marché, régulé ou non, y est sauf; les actionnaires y sont heureux.

Toutes les fois où le capital s’est trouvé déstabilisé, dans son acception politique ou entrepreneurial, ce fut à chaque fois sous l’effet de la surprise. Lorsque les mouvements populaires créent des événements inattendus, préparés ou spontanés, il se forge un espace, temporairement, dans lequel les effets de ces actions peuvent s’avérer concluantes, positives, réellement intéressantes. Le problème réside dans la durée. Quelques exemples peuvent venir des mouvements alter-mondialistes, de Via Campesina, des campagnes de conscientisation des voyageurs qui accompagnent malgré eux des sans-papiers en avion, des destructions de chantier de centres fermés, des radios alternatives, des blogs activistes. Il y a des milliers d’exemples. Des millions à travers l’histoire. Même les grèves et les manifestations, à l’origine, surprirent la réaction aristocrate ou bourgeoise. La Commune de Paris ou la révolte de Kronstadt furent autant de surprises pour le pouvoir en place. Mais chaque surprise devient ensuite prévisible, chaque événement nouveau devient vieux et en fin de compte, chaque espace gagné, s’il n’est pas alimenté par une nouveauté très rapidement, se perd rapidement. La réaction s’organise, le pouvoir cherche, puis trouve une parade, récupère ou détruit l’intrusion, et l’intègre finalement au marché, au rapport de forces. Où elle sait qu’elle est plus forte.

Ma réflexion me mène cependant à estimer que c’est bien sur ces terrains de la surprise, de la nouveauté, mais aussi de la joie, de l’enthousiasme, que nous devons toujours plus travailler. Les nébuleuses, myriades, mouvances, coopérations, coopératives, collectivités, communautés, équipes, cellules, concentriques, horizontales, locales, interlocales, etc. doivent multiplier les idées d’action, peut-être surtout dans l’esprit d’éviter, d’éluder la lutte, de séduire le plus de monde possible par la joie et la conscientisation de ce que nous sommes capables de faire, pour nous, ensemble, des milliers de choses, sans demander la permission, sans nous confronter directement aux forces réactionnaires, en trouvant des espaces auxquels elles n’avaient pas pensés, qu’elles avaient laissés libres parce qu’elles ne les avaient pas envisagés.

Paradoxalement, on pourrait penser que cette idée s’inspire du principe libéral qui veut que l’innovation soit récompensée par la création de nouveaux marchés et la promesse de succès basés sur le fait que l’on est le premier à avoir pensé à la disposition d’un produit ou d’un service. En réalité, ce n’est pas le cas. Toute prétendue innovation découverte sur le marché n’est généralement qu’une reconsidération d’un ancien besoin déjà assouvi, que l’on prétend satisfaire mieux, plus, plus vite ou moins cher. Quant à nous, il ne s’agit pas de satisfaire un besoin, mais de contourner les limites imposantes forgées par la réaction depuis des milliers d’années pour empêcher, freiner, le progrès social, sous quelque forme qu’il soit.

Je suis conscient de n’avoir rien écrit ici de bien nouveau, que beaucoup d’entre vous auront l’impression, simplement, de ne lire que ce qu’ils pensaient déjà. Mais je ne vois pas très bien où cette idée simple a pu déjà être formulée par écrit, ni théorisée, ce dont elle aurait peut-être besoin.

Nouveau paradoxe, d’ailleurs, dans cette perspective: l’écrire, la théoriser, ne l’expose-t-elle pas à la fragilisation?

Et comme je ne suis pas soc-dem…

Friday, May 13th, 2011

Ce matin, sur une radio écoutée au hasard -j’crois bien qu’c’était RTL, à l’écoute de la p’tite nimatrice, j’entendais deux économistes défendre avec leurs petits ongles du FMI et de l’OCDE une réforme de la pension “comme on la connaît” afin de la conserver, parce qu’on n’a jamais eu, paraît-il, autant besoin de la solidarité… ((J’ai découvert après-coup qu’il s’agissait de Jean Hindriks et Ivan van de Cloot, de l’Itinera Institute.))

Je n’avais pas souvent entendu défendre une réforme de droite, conservatrice, avec autant d’aplomb comme si c’était une mesure de gauche… En définitive, l’idée était d’étendre la solidarité dans le temps, en insistant sur la longueur de la carrière plutôt que sur l’âge, tout en considérant la pénibilité de certaines professions, possibilisant mi-temps de travail et demi-pension, et blablabla, et blablabla… Tout pour éviter, disaient-ils, la pension individuelle -sans les avoir nommés, les fonds de pension privés, je suppose…

Ça, on ne peut pas le leur reprocher, sans doute… Mais, blème, comme chaque fois que j’entends ce genre de truc, j’ai la même réaction -ah merde, un truc primaire-: encore un combat d’arrière-garde qui ne fera qu’alimenter la course en arrière.

Un véritable programme de gauche, je veux dire, balisé sur la solidarité, devrait reprendre les choses dans le bon ordre, c’est-à-dire complètement à l’envers. Ce n’est pas en terme de gngngn, tirage de corde pour freiner la chute du bidule, qu’il faut réfléchir à la société solidaire et libertaire, mais bien en termes d’égalité et de liberté.

Je peux me tromper, mais je vois au moins cinq éléments qui doivent figurer comme les préoccupations principales d’un individu de gauche, a fortiori un politicien. Et ce dans le plus grand réalisme, sans du tout estimer qu’il doive s’agir d’un voeu pieux, d’une jolie intention, d’une douce utopie, mais au contraire d’une nécessité de base, à imposer comme le socle même de toute idée de gauche.

En dehors de ces cinq points (sans préjugé de ce que j’aurais par ailleurs oublié), pas de gauche possible.

Il s’agit de:

1) la garantie du droit aux soins de santé selon les principes du choix du soin par le patient, ses médecins et/ou ses proches -s’il fallait le préciser, sans que des préoccupations d’ordre financier n’en soient des barrières;

2) une véritable liberté et une égalité intégrale de l’enseignement, prolongé tout au long de la vie, co-organisé du bas vers le haut;

3) une éradication de l’hypocrisie du “nivellement par le bas” dans toutes les matières, en particulier le droit au logement qui devrait supplanter la liberté d’accumuler des résidences et des espaces résidentiels égoïstes;

4) une reconsidération du droit à l’alimentation centrée sur un équilibre qualitatif, une réappropriation des espaces productifs, un retour aux coopératives, une revalorisation d’une économie participative;

5) la simple considération de la sécurité de ces droits en dehors de toute considération circonstancielle, comme, tiens, pris au hasard, une crise, par exemple, ou, tiens, un autre exemple, une baisse des profits des maîtres des forges.

Tout le reste, transport, liberté de déplacement, d’expression, temps de travail raisonnable, ben, ça devrait venir en suite de ça. Je veux parier que des populations qui puissent disposer de ces cinq constantes pourront assurer le reste.