Archive for December, 2012

Extraits d’Imbrications

Friday, December 21st, 2012

De mon incapacité à convaincre les personnes qui m’étaient proches depuis tant de temps (et que dire de mon frère, qui venait d’accepter de se présenter aux prochaines élections parlementaires sous une bannière qui criminalisait depuis presque toujours tous les mouvements auxquels j’avais participé depuis la fin de mon adolescence), je ne ressentais aucune frustration, aucun sentiment d’inaboutissement, seulement un énorme complexe de culpabilité, du fait que j’estimais avoir l’intelligence nécessaire pour les amener à nous suivre et que, n’y parvenant pas, cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : c’était ma propre personnalité, prétentieuse ou méprisante, comme on me l’avait déjà soulignée, qui les empêchait de s’accorder pour changer de route et participer à un monde effectivement meilleur, plus égal et plus libre, moins dangereux et moins désespéré. Pourtant, au cours de maintes discussions, je m’étais aussi entendu dire que, si je me présentais, les mêmes personnes qui me taxaient d’orgueil surdimensionné et de mépris pour leurs intelligence, juraient qu’elles voteraient pour moi, persuadées que j’apporterais quelque chose de nouveau et peut-être parviendrais à résoudre les problèmes qui les touchaient particulièrement. Comme il n’en aurait pu être question, les élections dans le cadre d’une démocratie représentative figurant pour moi l’aboutissement de l’exploitation intellectuelle des masses et ne pouvant en aucun cas permettre l’émancipation des populations, je me renfermais lors de ces discussions dans un discours brumeux –souvent lié à l’alcool y ingurgité- qui devait justifier de ma position (« Nan, c’est pas de l’antiparlementarisme primaire ! Et, nan, j’suis pas poujadiste ! ») et qui ne servait généralement qu’à faire croire à mes interlocuteurs que ma paresse restait plus forte que mon ambition révolutionnaire ou que mes belles idées n’étaient destinées qu’à les rester (« un’idea, un concetto, un’idea, Finché resta un’idea, é soltanto un astrazione… »), qu’en fin de compte ma position politique n’était qu’une posture –au moins, évitais-je probablement le terme d’imposture de la part de ceux qui m’aimaient.

Friday, December 14th, 2012

J. TARDI, Moi René Tardi prisonnier de guerre au Stalag IIB, Casterman, 2012.

Jacques Tardi ne nous déçoit pas, même quand il se met en difficulté.

Plus de 160 pages de récits relatant l’histoire d’un soldat de la IIe guerre mondiale.

Ce serait peut-être banal ou juste un témognage intéressant si ce n’était pas le travail de Jacques Tardi, qui parvenait à nous toucher sur la Guerre de 14-18, à laquelle avait participé son grand-père; cette fois, c’est son père, servant d’un char Hotchkiss, capturé dès 1940, qui raconte à son fils dix ans de sa vie, de 1935 à 1945. René Tardi passera notamment plus de quatre ans dans un stalag allemand, sur la Mer Baltique. Un récit étonnant, présenté comme un dialogue entre le père prisonnier et son fils âgé d’une quinzaine d’années. Tardi s’est inspiré, pour reconstruire cette belle relation avec son père décédé depuis 1986, des cahiers que ce dernier avait rédigé pour lui quelques années avant de mourir.

Changeant de période, d’horizon, il n’est plus en France, ni aux alentours des années 1910. Son souci du détail, de l’information, mêlé à son sens de la mise en scène, de l’adaptation, nous offre plus qu’un reportage au sein du monde des prisonniers de guerre. Il prête également à son père ses vieux réflexes anarchistes -à moins qu’ils ne fussent authentiques-, ce qui n’est pas pour nous déplaire. A un détail près, Tardi ne cherche jamais à embellir ou à manipuler l’histoire pour nous la rendre. Il la dessine telle qu’il la lit.

Tardi, pour la première fois à ma connaissance, se déshabille lui-même et n’hésite pas à montrer la passion qu’il devait éprouver pour son père, une passion de petit garçon qui vécut ses premières années sans son père, d’un adolescent bouleversé par le caractère fermé, colérique de son paternel.

Le résultat, c’est probablement l’un des meilleurs opus (auquel ont participé ses enfants et sa femme) de ce géant sans Dieu, ni maître, comparable en vigueur à “Ici-même” et dans le souci de la reconstitution à “C’était la guerre des tranchées”.

Jacques Tardi, une fois de plus, n’a pas pu nous décevoir.