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Limites et anarchie

Tuesday, July 31st, 2012

La liberté totale n’existe pas; elle exigerait que nous soyons sans limite, éternels, que notre jugement soit sûr et profond, bref que nous ne puissions être que parfaits, à l’instar d’un dieu chrétien.

Par l’absurde, cette définition nous entraînerait dans la plus complète détermination en ce que, parfaits, nous ne pourrions produire que du parfait -ce qui, à l’évidence, ne fut pas le cas d’un dieu chrétien, mais passons.

Par l’absurde encore, cette définition de la liberté totale impliquerait que nous ne puissions être nous, je veux dire multiples, plusieurs, nombreux,…

En suite de quoi, nous ne pourrions être des individus, puisque les individus ne le sont qu’au sein de groupes, ne le sont que par opposition au nombre, au pluriel, au multiple.

La liberté totale, si elle est impossible, serait-elle souhaitable? Il semble que Sade nous montre le contraire: par liberté totale, nous entendons la possibilité pour son détenteur de faire à l’autre ce qu’il veut. Pour autant qu’un instant de fureur ou de méchanceté le frappe et les destins de Sodome et Gomorrhe ressembleront à des plaisanteries.

Qu’est-il d’ailleurs besoin de se tourner vers des exemples bibliques ou des références littéraires pour le montrer? Il suffit de rappeler la capacité d’hommes au quotidien pour montrer combien ils peuvent abuser de leurs prochains. Si ces capacités sont loin d’être générales, elles touchent suffisamment de nos semblables pour que nous soyons autorisés à nous protéger des Mussolini, des Sharon, des Schneider, des Empain, des Rockfeller, mais aussi de tous leurs valets, des Eichmann, des Finkelstraus, des Thiers, des Friedman ou des Lincoln.

Notre souci doit être de cultiver la liberté tout en questionnant les devoirs de limites que nous devons malheureusement lui imposer. Cette limite réside dans la capacité de nuire.

La capacité -c’est le maître mot.

Nous ne pourrons jamais tout à fait empêcher un être humain de s’emparer d’un couteau, mais nous pouvons l’empêcher d’armer un escadron, ou même une escouade.

Nous ne pourrons jamais tout à fait empêcher un père de subjuguer ses enfants, mais nous pouvons lui retirer le pouvoir d’hypnotiser des foules.

Nous ne pourrons jamais tout à fait empêcher un mari de tuer sa femme sans prévenir, mais nous pouvons l’interdire de faire croire qu’elle l’a mérité.

Tout ce que l’accumulation des richesses permet aux détriments de certains, de quelques-uns ou d’une immensité, nous pouvons l’empêcher.

Il suffit d’empêcher la possibilité d’entasser des biens et de les capitaliser.

Et alors, il ne restera plus à chacun que le droit de hurler alentour de soi.

Et ce sera bien tout.

Et l’écho lui répondra.

Et nous serons libres parce que nul ne le sera totalement.

L’utopie, non; le désir…

Friday, July 13th, 2012

Je compte, en lisant le livre de Barjavel, Le Voyageur Imprudent, à combien de misères s’évalue ma joie de pouvoir contempler mon fils, rond et rose -je veux dire le contraire de faible et malade, comme l’histoire a porté la toute grande majorité des humains à ce jour. Naïveté, non; capacité de flouter ma conscience par moments, lorsque je ne la confronte pas à la lucidité de tels travaux -comme d’autres… J’aurais pu prendre Fallet, Proudhon, Camus, bien d’autres…

Nous possédons tous les outils aujourd’hui pour renverser les inexorabilités de la nature -celles que consacrent les darwinistes sociaux -manger ou être mangé -vaincre ou périr, et qui semblent justifier à leurs yeux toutes les bassesses envers le reste du genre humain pour entasser le plus possible de biens dans des forteresses imprenables. Nous pouvons mettre ces outils à la disposition de tous en quantité égale, histoire de permettre à chacun d’obtenir une chance plus ou moins égale de rechercher un bonheur fugace et léger sur Terre avant l’obscurité totale. Mais ce que nous possédons, une minorité considère juste de se l’accaparer.

Que retardent-ils, sinon le passage dans l’éternité de l’oubli? Aussi, accumulent-ils des quantités effarantes de souffrances pour de futiles instants que l’on peut compter en années, en décennies, qu’on comptera peut-être en un peu plus que cela dans quelques temps -À quoi bon? Ces sursis sont minables, ce qui les permet méprisables.

Abolissons la possibilité d’encercler les biens qui permettraient de soulager la plus grande partie des souffrances de l’humanité (avant, qui sait, d’aborder celles du monde); abolissons la propriété privée, mais aussi celle de l’État; abolissons les privilèges, les verticalités, les “grands hommes”, qui ne seraient rien sans tous ceux qui les ont portés -à tort et dans l’ignorance-; abolissons les limites iniques à la recherche du bonheur que sont les frontières, les hiérarchies, les serrures, les codes et les videurs.

En anarchie, il y aura toujours des secrets, des trahisons, des coups dans le dos: on ne sera pas meilleurs pour autant, mais les enjeux seront tellement moins importants… Impossible pour un crétin de déclencher une guerre, d’accumuler les moyens de former une armée, de “prendre possession” de terres, d’usines, de femmes… Il y aura toujours des crimes, c’est vrai, on imagine mal un monde sans Othello, même si Iago n’aura plus de raison d’être… Les motifs des racismes, des nationalismes, des impérialismes auront cependant disparu… J’ose affirmer que le temps de deux générations l’aura montré.

Des luttes d’ego? Certainement. Mais impossible de les étendre à grande échelle, puisque ces échelles n’existeront plus. Des combats de coqs? Eh oui, mais ils devront se débrouiller sans poulailler. Peu à peu, les femmes et les enfants apprendront qu’ils n’appartiennent pas à leurs pères; et les contrats n’existant plus, nul ne pourra prétendre aux petits caractères…

Il y aura toujours des disettes, des carences, des maladies, des épidémies, mais elles ne seront pas organisées et nul ne pourra profiter, spéculer, détourner, éluder, marchander, sacrifier, emmagasiner, confisquer, mégoter, ergoter, louvoyer, escamoter, banquer, voler, emprunter, s’approprier, légiférer, reporter, emporter, déporter, rapporter, dénoncer, étatiser, nationaliser, multinationaliser, privatiser, sécuriser, limiter, autoriser, comptabiliser, minauder, militariser, évincer, dépasser, gratter, grignoter, siphonner, emmurer, amonceler, évincer, juger, administrer, admonester, attribuer, convoiter, bref, démutualiser, décollectiviser, désindividualiser, sans que nous ne lui tombions sur le dos en lui en rappelant l’impossibilité, l’inanité, l’iniquité, l’inhumanité.

Au moins l’inhumanité telle que nous aurons redéfini l’humain.