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L’économie de la modération

Saturday, June 4th, 2016

Dans ces temps de changements nécessaires, où l’humanité est probablement en grande partie en jeu, peut-être pas tant dans son existence mais au moins dans ce qui fait qu’elle en vaut la peine,

les débats fusent.

Mais

si vous remettez en question une base de la société existante,

— -et pourtant – axiome- il est nécessaire de le faire-

vous devenez quelque chose auquel vous ne vous attendiez peut-être pas.

Exemples.

Se faire l’écho d’un livre critiquant l’école…

“élitiste”

“égalité des chances”

“république”

“Condorcet”.

Prendre conscience de la vanité de la presse…

“liberté d’entreprendre”

“équilibre des pouvoirs”

“information”

“liberté d’expression”

Et donc, très vite… “fascisme”.

D’un jour à l’autre, vous vous apercevez que chacune de vos convictions devient suspecte

de clivage,

de fossé.

Très vite,

vous

devenez

un

extrémiste.

Il suffit de mettre en question une base de notre société, certaines décisions de nos gouvernants (élus) ou de figures médiatiques ((auto-)proclamées) importantes, pour que les termes d’extrémiste, de radical, puis de fasciste, vous soient accolés.

Et pourtant…

Ou plutôt “Mais alors”…

On pourrait dire qu’il n’y a jamais de démocratie aboutie, puisque, la démocratie supposant la confrontation des idées et la multiplicité d’icelles, toute nuance que le démocrate convaincu, à la fois de son amour de la démocratie et de la justesse de ses valeurs, se confronte à son propre orgueil lorsqu’il écoute les idées d’autrui.

Les certitudes sont autant de barrages à la synthèse possible.

— -On n’aura pas dit que la synthèse cependant serait souhaitable-

Ca y est, vous êtes extrémistes. Pas pour tout le monde, mais ceux qui ne vous considèrent pas extrémistes le seront bientôt, par effet domino… Par association…

Rassurez-vous, nous le sommes tous… Nous sommes tous l’extrémiste d’un autre. Nous sommes tous le radical, mais aussi le modéré d’un autre qui s’estime radical.

Nous avons probablement tous à l’esprit une ligne ou un tableau qui nous permet de classer nos proches et moins proches par rapport à nous-mêmes. Certains s’auto-définissent bien au centre, d’autres dans un coin ou en bout de ligne -d’autre modérément à gauche ou à droite… Certains aiment encore finasser (“centre-gauche”, “centre-droit”).

Evidemment, tous ne sont pas sincères. Pour certains, pour beaucoup, ces lignes et ces cadres n’existent que pour “exclure l’inadmissible” de la conversation possible. Par l’exclusion de tout ce qui n’est pas suffisamment dans une portion du cadre ou dans une fraction de la ligne, on instaure une forme de confort autour de règles qu’il devient impossible de remettre en question.

C’est ainsi que la propriété privée a été rapidement sacralisée, mais aussi toute une série d’autres idées comme le fait que “la démocratie c’est les élections” ou “les journaux doivent rester l’affaire de groupes privés” ou “L’Union Européenne, c’est la paix”, par exemple.

Combien de dimensions dans ce genre de schéma? Sur une ligne, une seule; dans un tableau, deux… mais on peut imaginer des cadres en trois dimensions, et on peut abstraire des systèmes plus complexes avec des ensembles, par exemple… Dans ces cas-là, notre cadre d’observation personnel risque fort de ne ressembler à aucun autre, ou alors de loin. Nous n’avons pas tous les même priorités.

Quelques sujets de réflexions qui peuvent alimenter ces schémas:

-la liberté de déplacement des biens et des capitaux

-celle des personnes

-la liberté d’informer

-celle d’être informé

-le droit à l’existence

-la propriété privée des moyens assurant à autrui son droit à l’existence

-l’accès aux services publics tels que le transport, l’éducation, les soins de santé

-la propriété des moyens et des lieux de production, de distribution et de communication

-la décision quant à la production et la distribution des biens et des services

-la question des biens et services essentiels et des biens et services superflus

-la démocratie sur les lieux de travail

-la gestion de la science et des savoirs dans l’Etat/hors l’Etat

-celle des arts et des techniques dans l’Etat/hors l’Etat

-celle des sports et des loisirs dans l’Etat/hors l’Etat

-la place de la religion dans la société

-la politique internationale: le droit d’ingérence, l’impérialisme politique et économique, etc.

Les dimensions de la société sont largement sous-estimées en nombre et en qualité.

Ce qui est très intéressant, aussi, mais également inquiétant, c’est que, pour certains, le simple fait d’envisager une telle liste est déjà hors de propos, inadmissible; ou alors, l’ordre des priorités devient un enjeu essentiel, et refuser certaines priorités devient objet d’exclusion.

On finira par se disputer

voire s’écharper

sur l’énonciation des termes.

Biens ou marchandises?

Droit à l’existence ou droit à la vie?

Instruction ou enseignement?

Pays ou nation?

Frontière ou limite?

Religion ou philosophie?

Laïcité ou neutralité?

Et nous revoilà exclus du dialogue, puisque les termes utilisés inadmissibles nous rendent infréquentables.