Archive for September, 2010

Chronique des élections présidentielles locales VI

Thursday, September 23rd, 2010

Après les différents articles surtout consacrés au contexte et aux trois candidats principaux: Dilma Rousseff, José Serra et Marina Silva, je voudrais revenir en deux fois sur “ce que pense la gauche” au Brésil. La deuxième partie sera consacrée à quelques amis militants. La première aux médias.

1e partie: les médias de gauche.

Pour commencer, ne faut-il pas rappeler ce qu’on entend par gauche?
En effet, des trois candidats principaux, il appert qu’il n’y en a qu’une qui se réclame plutôt du centre (Marina) et les deux autres (Serra et Dilma) se revendiquent du centre-gauche. Or, on sait que les trois sont en faveur d’une économie de marché soutenue par un État actif et interventionniste, mais très modérément, voire peu enclin à redistribuer les richesses et à réformer les impôts pour les rendre socialement plus justes.

Ce sont clairement -selon les définitions adoptées par l’auteur de ce blog- trois candidats de droite.

Ensuite, il y a un candidat clairement de gauche, Plinio de Arruda Sampaio, qui plafonne à 2 pour-cent des intentions de vote, affilié au PSOL, un parti né d’une scission avec le PT, parti de Lula. Mais, même dans son parti, il n’a pas l’approbation de tous pour être encore trop modéré. C’est tout dire.

Et donc, il nous reste l’opinion de certains médias de gauche.
Aucun n’a pris le parti de Serra, ce qui est déjà un signe en soi. Ils laissent d’ailleurs peu de place au doute, sinon à un éventuel droit de réponse ((Le Monde Diplomatique Brasil de ce mois avait donné la possibilité à José Serra de participer à une confrontation entre les 4 candidats principaux, qu’il a déclinée.)).

Parmi mes lectures préférées, seul le Piauí ((Tous ces journaux existent en format-papier.)) a donné la possibilité au PSDB, le parti de José Serra, de s’exprimer dans ses reportages. C’est que cette revue, antiquement de gauche, s’est progressivement éloignée de tout positionnement pour faire du journalisme d’investigation “sans tendance”. Il y réussit assez bien, réalisant parfois des reportages d’une grande profondeur critique, tout en évitant pratiquement toutes les grilles de lecture possible. Ce qui le rend dans certains cas difficile et peu engageant, car peu engagé. Il est malheureusement largement soutenu par la publicité, et pas des plus socialement ou environnementalement intéressante. Par contre, ses qualités graphiques et artistiques sont appréciables.

Une autre revue mensuelle, beaucoup plus engagée, balance entre le réalisme du lulisme “qui-a-quand-même-amélioré-la-vie-de-beaucoup-de-monde”, et donc le ralliement pragmatique à Dilma, et une critique plus acerbe de tous les candidats, c’est le “Caros Amigos“, que j’ai déjà évoqué à plusieurs reprises dans ces colonnes. Globalement, elle vient de sortir un numéro spécial élection qui montre que les trois candidats principaux sont tirés (mais est-ce une surprise) par l’argent des grandes entreprises. Le capital est sauf. Heureusement, la critique aussi. Caros Amigos est relativement indépendant de la publicité et choisit plutôt des produits de type culturel.

Le seul hebdomadaire un peu intéressant, tant par la qualité journalistique que par son côté politique, c’est le CartaCapital, que j’ai déjà comparé, je crois, dans ces colonnes à Marianne (sur le plan économique) ou au Nouvel Obs (sur le plan politico-culturel). Ce qui est tout dire. Je le lis régulièrement parce que, à défaut de me convaincre sur bien des plans, il reste une des sources les mieux renseignées depuis le dessus, sans être outrageusement de droite. CartaCapital a clairement fait le choix de pousser “de manière (modérément) critique” la candidature de Dilma Rousseff.

(Tiens, je remarque depuis quelques semaines que, les sondages montrant de plus en plus une tendance vers cette dernière, que le camarade José Serra, ex-maire de São Paulo et ex-gouverneur de l’État de São Paulo, commence à perdre les faveurs de médias de droite aussi… L’explication en est simple: on prépare déjà la succession et on sacrifie le bouc émissaire pour lui attribuer la défaite pratiquement certaine…)

Parmi les revues de gauche, on comptera encore
Forum“, mensuel sérieux, apparu avec le Forum Social Mondial, attrayant, intelligent, plutôt en accord avec la militance pragmatique, susceptible d’ouvrir ses pages à des personnes qui ne plaisent pas au gouvernement Lula ou à qui il ne plaît pas, mais qui reste raisonnablement en sa faveur, et en tout cas résolument contre Serra. Son propos est proche des milieux universitaires, des intellectuels de gauche, les arguments y sont clairs, développés, intéressants. Au niveau publicitaire, on peut le comparer au Monde Diplomatique: il choisit visiblement ses annonceurs, comme le Caros Amigos.

Brasil de Fato“, un hebdomadaire essentiellement proche des organisations non gouvernementales, des militants de base, des travailleurs, du Forum Social Mondial également, des indigènes. Généralement les articles y sont fort bons, mais la présentation est désagréable. La publicité en est absente. Brasil de Fato parle très peu des élections.

A Nova Democracia“, journal rouge-rouge, sans concession à l’égard du gouvernement, qu’il estime traître à la cause sociale, comme des deux autres candidats financés par les entreprises. Pas de pub. Quelques dessins de presse. Agressif, virulent, comme un CQFD, mais loin d’être aussi drôle.

Voici un extrait du dernier numéro, traduit par votre serviteur:
(…) les programmes des trois candidats de tête de la presse des monopoles, à savoir Dilma Rousseff, José Serra et Marina Silva, se limitent à un noyau commun de contenus basés sur les engagements assumés par Luiz Inacio (Lula) en 2002 avec la fameuse “Lettre au peuple brésilien” ((Un document que Lula présenta peu avant les élections de 2002 et qui le montrait comme immensément plus modéré qu’au cours des précédentes élections. Il s’y engageait notamment à “respecter les engagements et les obligations du pays”, à soutenir aussi bien les grandes entreprises agricoles que les familiales, autrement dit que malgré sa promesse (non tenue après 8 ans) de réforme agraire, celle-ci serait faite en accord avec ceux qui la refusent depuis toujours, il y parle de croissance, de compétitivité, de large coalition avec les entreprises, de règlement de la dette, au moins autant sinon plus que de redistribution des richesses, etc.)). Celle-ci révélait toute la servitude du candidat d’alors aux desseins du Fonds Monétaire International, de la Banque Mondiale, de l’Organisation Mondiale du Commerce et des autres organismes dirigés par la Maison Blanche et par les oligarchies financières internationales.

Or, s’il y a au fond une extrême convergence, il reste bien peu de place pour différencier les propositions, autrement dit, chacun fait bien attention de réaffirmer chaque fois, directement ou subliminalement, son engagement envers l’impérialisme, la grande bourgeoisie et la grande propriété terrienne, de l’ancien comme du nouveau types. (…)

Le “Monde Diplomatique Brasil” est loin d’arriver aux genoux de son modèle français, mais il est vrai que le défi était de taille. Cependant, les articles de fonds, scientifiques, sur l’Amérique Latine, sont souvent très intéressants. Par contre, les éditoriaux locaux sont peu développés. D’un autre côté, on trouve souvent des informations argumentées intéressantes. Enfin, une bonne partie du journal est le produit de traductions de la version française ou d’autres éditions du Monde Diplomatique dans le monde. Quant aux élections, il en critique le fonctionnement, les institutions, et essaie de ne pas se positionner entre les différents candidats.

On m’a encore conseillé ces journaux-ci, mais je n’ai pas encore eu le temps de les visiter:
“Portal Vermelho”,
“Agência Carta Maior”,
“Correio da Cidadania”,
“IHU Online”.

De manière générale, on peut dire que la presse de gauche est clairement consciente des limites des candidats en présence et, si certains journalistes ou éditorialistes se rangent à l’idée d’une Dilma, voire d’une Marina, la plupart estiment au mieux qu’il ne s’agirait dans les deux cas que d’un pis-aller. Le système est encore loin d’être satisfaisant et ne donne pas la chance, véritablement, à une lutte clairement polarisée. Mais est-ce une surprise?

Un petit éclaircissement final:

Les élections du congrès fédéral et des assemblées des 27 États auront lieu en même temps. La confusion y est totale. Les affiches électorales, à São Paulo, comportent généralement le prénom du candidat, sa bouille, un vague slogan et, surtout, en très grand, le numéro qui le réprésente. Le signe du parti est souvent absent ((Un exemple ici lié est l’ancienne maire de São Paulo, “>Marta Suplicy. Je vous invite à écouter le petit poème dit en entrée de son site, suivie de la chanson -une pratique courante pour les candidats, en effet, est de lancer des espèces d’hymnes à leur personne. Si Marta s’associe à Lula et Dilma dans la chanson, on ne voit pas le nom de son parti sur son affiche.)), ou alors dévalorisé. On compte sur l’analphabétisme ou l’illettrisme pour focaliser l’attention des électeurs sur des détails graphiques, sur des souvenirs d’information, mais surtout sur “ce que le candidat a déjà fait pour” l’électeur. La relation contractuelle entre l’élu et son électorat rappelle évidemment de nombreuses situations en Europe, mais ici elles sont plus claires, plus évidentes, peut-être plus transparente. Le mot féodal est souvent utilisé par mes interlocuteurs. S’il est justifié, j’ai souvent envie d’évoquer le clientélisme à la romaine avec eux. Phénomène que nous sommes loin de méconnaître aussi en Europe.

Enfin, les alliances entre partis sont tellement complexes, d’un État à l’autre, parfois d’une ville à l’autre, que les électeurs ne peuvent plus rien y comprendre… Un parti dans l’opposition au fédéral peut s’associer à un autre proche de Lula dans tel État, avec à la clé une neutralité voire un engagement opposé à celui de son candidat officiel à la présidentielle, par exemple.

Alors, pour moi déjà qui n’ait aucune estime pour le système électoral et la particratie, à la limite, poussés jusqu’à leurs limites, ils en deviennent presque amusants… si le sujet n’était pas aussi sérieux.

On comprend peut-être mieux les difficultés de positionnement des médias de gauche.

Ou non?

Une chanson de Perret

Thursday, September 16th, 2010

Aujourd’hui, je vous livre, toute crue, une lettre que m’a écrite une de mes plus chères amies restée au bercail (mon bercail, pas le sein).

Pas de commentaire de ma part, rien qu’une longue réflexion émotionnelle, mais toujours, à son image, pétrie de rationnel.

L. me fait penser constamment à une chanson de Pierre Perret, par son enthousiasme, ses sautes de tristesse et ses rebonds fantastiques. Elle a voulu me faire partager ses impressions sur ce qui se passe en ce moment en France.

Je suis loin. Je ne peux que voir cela avec ses yeux.

Mais quels yeux!

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15 septembre 2010

Cher Thierry,

Comment vois-tu l’expulsion de rroms? Moi, je la vois très mal; très mauvaise… Je ne saurais jamais prendre la distance nécessaire pour en juger ((L. est rrom, née en Roumanie, vivant depuis quelques années en Belgique.)); mais que penses-tu des conséquences sociales de cette expulsion?

La France est un grand pouvoir politique et économique; elle peut donner le “la” de la chorale des politiques racistes qui vont se défouler par la suite; déjà, l’année passée, il y a eu des assassinats de rroms en Hongrie, des quartiers rroms brûlés en Roumanie, des enfants rroms maltraités par la police en Slovaquie, des skinheads qui ont attaqué un bidonville de rroms en Angleterre… et ce ne sont ici que des actes qui ont eu un écho dans la presse; au quotidien, ce qu’il y a à faire, c’est de nier tes origines et imiter, avec tout le dégoût que cela t’inspire, les imbéciles autour qui, sans cela, t’attaqueraient sans cesse… ou bien prouver tous les jours que tu es une personne, que tu n’es pas comme ceci, pas comme cela…

Instinctivement, depuis que j’ai une conscience, j’ai choisi la deuxième attitude; mais j’ai été entourée par des rroms qui, la plupart de temps, se niaient devant les Roumains même si, dans le dos, ils avaient autant de mépris pour les Roumains que les Roumains pour eux; d’autre part, les Roumains, devant eux, je devais tout le temps dire ou montrer que “ce n’était pas comme ça”, qu’ils avaient tort; mais le lendemain ils oubliaient et de nouveau je devais leur prouver que je n’étais pas inférieure à eux; et puis, les Roumains avaient les écoles; ça leur appartenait et moi j’étais avide de savoir… et je l’ai aspiré comme un éponge pendant les 5 premières années scolaire; puis j’ai gaspillé mon énergie dans des révoltes: je comprenais trop: mes fautes comptaient doublement et mes mérites étaient à peine remarqués; profs et élèves avaient le même regard: du mépris. Et je me suis alors battue; avec les poings; et j’ai commencé à mépriser leur mésestime abêtissante à mon tour. Et je serrais les dents lorsque l’envie de jouer à l’école avec eux était entravée par “je suis tsigane”… et, les rares moments où on oubliait et eux et moi, je jouais avec rage dans les jeux d’équipe et j’étais la meilleure…

Ensuite, à 15 ans et demi, j’ai quitté l’école avec des larmes de colère à cause de deux nouveaux collègues de classe imbéciles. Et j’ai travaillé; de tout mon cœur; dans les champs. Il faisait beau et j’étais forte. Mais après quelques années je me suis rendu compte des perspectives: me marier et vivre la vie sans aucune dignité, supporter la jalousie ou l’envie de faire valoir sa supériorité d’un mari machiste, me laisser abattre par les soucis économiques et sociaux. Ou aller dans la ville et trouver un travail qui me rendrait indépendante? Mais le taux de chômage parmi les gitans augmentait en flèche et en plus je n’avais pas fait d’études; constat amer de la nécessité d’un diplôme. Mais au moins je savais avec certitude ce que je ne voulais pas de la vie; il restait à découvrir ce que je voulais. Mais le contexte ne s’y prêtait pas; souvent je m’arrêtais de penser au futur par crainte de ne pas découvrir que je voulais l’impossible…

Et j’ai commencé à faire tout à l’envers; lorsque j’ai rencontré Henry ce fut la première fois dans ma vie que j’ai eu l’occasion de dire “oui, c’est comme ça…” et plus encore: Henry mettait des mots sur ce que je pensais, sur ce que je ressentais par rapport au monde, à la vie; et il me regardait comme si j’étais une personne; une personne… j’avais 26 ans et lui 62; on a fait équipe et on s’est mariés et on a partagé depuis un quotidien où je ne devais pas démontrer à chaque fois que je sortais que j’étais une personne; j’ai pu alors me concentrer sur autre chose: le savoir. Et j’ai appris des tas des choses; et ça m’a plu. Tellement. Non plus gaspiller son énergie dans une résistance sourde qui mène à un épuisement sans résultat mais apprendre, s’enrichir; arriver à dépasser l’angoisse d’être regardée comme un rien à tout moment et sans aucune raison; juste celle de sa couleur, son origine, des choses dont on n’est pas responsable.

Mes révoltes enfouies, j’ai su aimer un homme, une femme, des arbres et des lieux, et des musiques nouvelles… et découvrir la vie à travers des tas de choses belles ou quelques fois moches.

Je commençais à contourner les gens qui me demandaient “tu es de quelle origine” parce j’en avais marre de répondre et de les observer ensuite prêts à me mettre une étiquette en fonction de leurs connaissances; j’ai toujours voulu être une personne. Et quand j’ai constaté que je répondais beaucoup plus souvent “je suis gitane” que “je m’appelle L.” ce fut désagréable; et je répondais “je suis chinoise, suèdoise, sénégalaise, …” n’importe quoi… En réalité je ne suis qu’une personne; et je m’intéresse aux gens, pas à leurs origines: ce qu’ils aiment, ce qu’ils n’aiment pas, leurs avis, leurs regards, leurs voix, leurs voies… Ils ne sont rien par leur origine; ils sont quelques chose par eux mêmes. C’est juste devant les discriminations que j’ai envie de revendiquer; j’ai revendiqué que je suis gitane devant les Roumains, homosexuelle devant les homophobes, athée en face des croyants, et si je pouvais j’aurais dit que je suis noire en face de ceux qui n’aime pas les noirs, que je suis handicapée en face de ceux qui méprisent les handicapés, etc…

Pourtant je suis si bien lorsque je ne dois rien dire de tout cela; et je suis juste là à bavarder de tout et de rien et sans me douter que l’autre en face te considère autre chose qu’une personne.

Et à quoi s’attendre maintenant quand, après des décennies, on nous a de nouveau officiellement étiquetés comme des parias? expulser les rroms… j’ai été choquée qu’en France cela se passe comme ça; je n’ose pas imaginer la vague de violences “banales” … banales? oui, parce que… parce que … je en sais même pas quoi dire, Thierry; je me sens impuissante; et j’aurais voulu ne pas savoir lire… et j’aurais voulu… ne pas connaître cette réalité.

Que faire, Thierry? remettre de nouveau le bouclier et sortir les flèches venimeuses?

Sarkozy n’est pas un type bête; s’il a osé faire ce qu’il a fait c’est qu’il a senti l’opinion publique… J’ai beau dire que c’est Hitler qui a tué les juifs et qu’il est mort; je n’oublie pas que plein des gens l’ont soutenu; et c’étaient des gens qui eux aussi ont haï les juifs; et c’est le cas maintenant: si Sarkozy s’exprime, c’est qu’il sait qu’au moins 50% de la population est de son côté.

Je sens qu’il y aura des choses très injustes que les gitans vivront à cause de ça: des humiliations, des jugements collectifs, des complexes d’infériorité; les conséquences ne seront pas les moindres ni au niveau de l’individu, ni au niveau de la communauté…

Je ne sais pas pourquoi je t’ai raconté tout mon parcours de vie. Peut-être parce que je me sens un peu écrasée… en tout cas ce soir. Mais demain je vais essayer de trouver une attitude; une qui me semblera juste.

Je t’écrirai un jour sur les vacances, sur les gens et sur les… je ne sais plus.

🙂 t’écrire m’a apaisée.

A bientôt Thierry,

Bisou,

L.

The Last Valley (1970)

Monday, September 13th, 2010

J’ai revu récemment un “bon vieux film”…

Dirigé par James Clavell (Monsieur “Shogun”), avec des acteurs à l’époque jeunes et brillants: Omar Sharif et Michael Caine, parmi bien d’autres. En pleine guerre de Trente Ans, les mercenaires passent la saison chaude à faire la guerre, tantôt pour un camp, tantôt pour l’autre, au gré des décisions des capitaines, que Michel Onfray appelle avec admiration Condottiere, et qui ne sont rien d’autre que des aventuriers, le plus souvent sans aucune compassion.

Quand l’hiver approche, ils pillent les sédentaires pour ravitailler les campements. il vaut mieux ne pas être sur leur passage.

Au début du film, Vogel, un instituteur en fuite (Omar Sharif), tente d’échapper à une meute d’une vingtaine de ces loups menés par un capitaine froid, athée (Michael Caine). Il arrive dans un village qui semble en paix et parvient à convaincre le capitaine de ne pas raser le village et de l’occuper pour survivre.

Les villageois, menés par le plus riche d’entre eux (Nigel Davenport, impressionnant dans son rôle d’exploiteur local, mécontent de se retrouver un étage en dessous) et un prêtre pur et fanatique (Per Oscarsson, convaincant), vont devoir subir l’occupation. Les mercenaires, partagés entre catholiques, protestants et cyniques nihilistes, vont avoir du mal à rester calmes. Les négociations sont périlleuses et Vogel est au milieu, détesté par -presque- tous.

Tout l’intérêt du film réside dans ces dialogues, brefs, saccadés, voire stylisés, mais peut-être plus proches pour cela de la réalité, quand on songe à la rapidité avec lesquelles des hommes et des femmes doivent souvent prendre des décisions cruciales, impératives, dans des situations précaires.

Il n’y a pas de paroles fortes, résumant une réalité, ou de phrases saisissantes. Les vérités sont prosaïquement posées, les points de vue changeants, en fonction des intérêts, les esprits alternativement froids et chauds travaillent la psychologie du prochain au corps, avec le sens de la mesure, de la conscience qu’un coup trop loin mène le fou dans la gueule du cheval et que la reine peut tomber devant n’importe quel pion. C’est une partie d’échecs où il y a autant de joueurs que de pièces et où il n’y a pas de camp bien établi.

La morale est battue en brèche, l’éthique écrasée, l’individu mis à mal -mais défendu-, sous le poids de la nécessité. Vogel devient l’intermédiaire indispensable de tous, à l’origine pour préserver sa propre vie -et peut-être motivé par un dernier soupçon d’humanité-, et il est haï pour cela.

Ne vous attendez pas à des scènes d’action remarquables. L’action, elle, est là, mais, malgré l’excellente qualité des acteurs, elle manque de vigueur et de vraisemblance. Qu’importe, ce n’est pas ça qui motive le film, mais une longue interrogation sur ce qui peut encore faire qu’un homme reste un homme quand tout ce qui le construisait disparaît dans les décombres d’un massacre. Et plutôt qu’un film de guerre, il s’agit d’une réflexion sur ce qu’il reste de l’homme au coeur de la guerre. Un Platoon avant la lettre, en somme.

Quelques critiques:
http://movies.nytimes.com/movie/review?res=9C0CE7DC163BE53BBC4151DFB766838A669EDE

http://thisislandrod.blogspot.com/2010/02/last-valley-1970.html

http://www.in70mm.com/news/2008/valley/index.htm

À l’Ouest, rien de nouveau…

Saturday, September 4th, 2010

Texte trouvé ici. Tout ça pour dire que je ne suis pas mort, que le blog vit encore, et que les choses ont peu changé en 20 ans…
Ce n’est pas la fin de l’histoire, ça non!

LES SAIGNEURS DE LA TERRE DANS LE TIERS-MONDE LA DETTE TUE : UN AUSCHWITZ TOUS LES SIX MOIS..
SLOOVER,JEAN

Vendredi 22 mars 1991

LES SAIGNEURS DE LA TERRE

Dans le tiers monde, la dette tue: un Auschwitz tous les six mois. Justice, réclament certains. De plus en plus nombreux…

Deux milliards et demi de dollars. C’est la somme annuelle qu’il faudrait désormais dégager pour sauver les 40.000 enfants qui meurent de faim chaque année dans le tiers monde. Une somme considérable. Enorme, même, diront certains. Pourtant…

Pourtant, deux milliards et demi de dollars, c’est le prix de 5 bombardiers «high tech». C’est ce que l’URSS dépense chaque année en… vodka. C’est le budget publicitaire annuel des fabricants de cigarettes américains. C’est 2 % des dépenses militaires des pays occidentaux. Et c’est loin, très loin des 100 milliards de dollars que – sans compter les destructions – les coalisés ont dépensés dans le Golfe pour écraser la machine de guerre du «Maître de Bagdad». Alors, efficace l’ordre économique mondial? Cet ordre sur lequel le marché, dorénavant, règne en maître?

Certains, en tout cas, ne le pensent pas, que du contraire. Et parmi eux, un certain nombre de personnalités – comme l’agronome René Dumont, le chanteur Renaud, le syndicalite suisse Jean Ziegler… – ont décidé de le crier fort et clair: Nous vivons dans un monde où toutes les conditions du bonheur sont réunies, mais où le plus fort taux de croissance est atteint par… la misère. En cause: un impérialisme économique qui saigne à blanc le tiers monde et l’écrase sous le poids de la dette!

Ces mots, s’ils paraissent presque d’un autre âge, servent pourtant désormais de bannière aux Comités pour l’Annulation de la Dette du tiers monde (CATDM). Des Comités qui, depuis quelque temps, exercent, dans ce sens, une pression grandissante sur les instances financières internationales: FMI, G7,… C’est dans la perspective de prochaines actions que, tout récemment, la branche belge a organisé un colloque à l’ULB sur le thème: «Dette du tiers monde: bombe à retardement». Une manifestation qui a rassemblé près d’un millier de personnes. Visiblement le sort de l’hémisphère sud laisse de moins en moins indifférent…

C’est l’écrivain français Gilles Perrault, auteur – entre autres – du célèbre «L’Orchestre rouge» et initiateur de l’Appel international pour l’Annulation de la Dette, qui a ouvert les débats. Il nous explique pourquoi et comment, ses compagnons et lui, entendent «ranimer l’espérance»…

JEAN SLOOVER

Gilles Perrault, tout le monde, un jour ou l’autre, emprunte de l’argent, s’endette. Les pays du tiers monde, comme vous, comme moi. Pourquoi devrait-on effacer l’ardoise de ces pays plutôt que la vôtre? Que la mienne? Ou celle de la Belgique qui traîne derrière elle, depuis des années, un fardeau de 7.000 milliards de francs?

Parce que ces pays sont, eux, en état d’extrême urgence. parce que, là-bas, dans le tiers monde, la dette tue. Elle tue au travers des politiques d’austérité – volontaires ou imposées – que son remboursement implique. Dans ces pays où les gens n’avaient déjà presque rien, la rigueur signifie automatiquement des économies sur la nutrition, la santé, l’éducation…

Bref, la non-satisfaction des besoins les plus élémentaires des populations. L’Unicef a calculé l’impact de la dette: la mort de 40.000 enfants par an. Un Auschwitz tous les six mois… Des chiffres effrayants. Des chiffres qui ne nous interpellent pas; qui nous réquisitionnent. Au-delà de toute considération politique. Ne rien faire, c’est, tout simplement, de la non-assistance à personne en danger…

L’annulation de la dette changerait-elle pour autant le cours des choses?

C’est, en tout cas, un préalable. Il faut d’ailleurs, non pas annuler la dette, mais l’abolir. Comme on a aboli l’esclavage. C’est notre revendication. Radicale. La dette est un cancer. Et quand on découvre une tumeur, on ne l’enlève pas à moitié…

Ne pensez-vous pas, néanmoins, que… l’abolition de la dette puisse avoir un effet négatif considérable sur l’économie occidentale?

D’abord, il faut se rappeler qu’une grande partie des difficultés de remboursement des pays «pauvres» sont dues à l’augmentation vertigineuse des taux d’intérêt induite par l’appel massif des Etats-Unis aux marchés des capitaux en raison de leurs déficits commercial et budgétaire: les USA sont, aujourd’hui, le pays le plus endetté du monde. Leur endettement intérieur équivaut approximativement à six fois la dette de l’ensemble du tiers monde! Ensuite, au-travers des intérêts payés, les pays du tiers monde ont d’ores et déjà remboursé deux ou trois fois le capital emprunté. Par ailleurs, 20 à 25 % des sommes prêtées ont été accaparées par les dirigeants locaux et se sont immédiatement retrouvées sous forme de dépôts privés dans les coffres des banques occidentales. Les institutions financières occidentales, ont ainsi non seulement «le beurre», mais aussi une partie non négligeable de «l’argent du beurre». Enfin, il faut distinguer les dettes d’Etat à Etat et les dettes privées. Les dettes que l’on efface sont des dettes d’Etat à Etat. Les entreprises privées, elles, n’effacent rien: elles revendent leurs créances aux pouvoirs publics lesquels financent le non-remboursement de leurs titres par l’impôt. les profits sont ainsi privatisés et les pertes, socialisées…

Mais, quel que soit le payeur en dernier ressort, il y a quand même perte. Une vaste opération d’abolition de la dette aurait donc malgré tout un impact substantiel sur nos économies. Pensez-vous que l’opinion publique occidentale soit prête à l’accepter?

Il faut être clair: l’immense majorité des gens ne ressentirait pas grand chose. Certes, les banques souffriraient. Mais il n’y aura pas d’effondrement: l’impact principal se concentrera sur les plus riches.

Pas d’«Apocalypse Now» économique, donc, en cas d’annulation de la dette?

La preuve: lorsqu’il est dans l’intérêt du système d’abandonner ses créances, il le fait sans hésiter. Car, tous les pays ne sont égaux devant la dette.

Exemple?

L’Egypte. Les Etats-Unis ont annulé la dette du Caire en échange de son soutien à la coalition anti-irakienne et de l’envoi d’un contingent de soldats dans le Golfe… Par contre, la Jordanie et d’autres alliés de Saddam Hussein – que nous détestons – ont vu geler les prêts qu’ils avaient sollicités auprès des organismes financiers internationaux.

Précisément. Ne croyez-vous pas qu’en soustrayant les pays du tiers monde à leurs obligations financières, vous allez surtout déserrer la corde qui entoure le cou de nombreux régimes dictatoriaux?

Nous avons beaucoup réfléchi à cette question. La dette de pays dirigés de manière autoritaire ne doit être abolie que si, en même temps, les fortunes personnelles souvent colossales – voyez le Zaïre – accumulées par leurs dictateurs dans les banques du Nord sont redistribuées à leurs peuples.

Mais n’est-ce pas un peu utopique?

Non. C’est ce qui s’est fait pour les Philippines après la chute de Marcos. Il est vrai que telle était la volonté des Etats-Unis… Cela étant, les régimes démocratiques sont tout autant victimes de la dette que les peuples des pays dictatoriaux. Les militaires argentins ont perdu le pouvoir à cause des Malouines. Mais c’est la dette qui met aujourd’hui en péril la jeune démocratie à Buenos Aires…

Vous disiez tout à l’heure que l’abolition de la dette n’est qu’un préalable pour sauver le Sud. Un préalable à quoi?

A l’instauration d’échanges moins inégaux entre les deux hémisphères. La réalité est d’une simplicité désarmante: les pays du tiers monde ne peuvent pas vivre avec ce qu’ils vendent en raison des prix insuffisants auxquels on le leur achète. Point à la ligne. Les drapeaux métropolitains ont cessé de flotter sur les édifices des ex-colonies. Mais les prix des matières premières continuent à être fixées à Londres, à Chicago, à New York… Et, non seulement, il y a les termes de l’échange, mais il y a aussi ce que l’on échange. Car, dans bien des cas, les pays du tiers monde ont, pour diverses raisons politiques ou économiques, été contraints de substituer à leurs cultures vivrières traditionnelles des cultures de type industriel destinées à l’exportation vers les économies des anciennes métropoles. D’où la contrainte d’importer sans cesse davantage les produits de consommation courante autrefois produits sur place. Etc. Il faut changer, remodifier tout cela. Redistribuer les richesses.

Qui? Vous?

Les peuples du tiers monde. Ils savent que le marché les affame, les tue…

Est-ce que vous n’avez pas du Sud une vision lyrique, romantique? Gilles Perrault ne rêve-t-il pas son tiers monde?

Certains d’entre nous l’ont fait dans les années soixante: la chine, Cuba, la légende de Che Guevara, le Vietnam, l’Algérie, la Palestine… ont, tour à tour, incarné les espérances de ceux qui attendaient la grande délivrance. C’est vrai. Nous, nous ne sommes pas comme cela. Nous portons sur le tiers monde un regard sans illusion. Nous sommes lucides. Conscients des gaspillages éhontés, des monstruosités mégalomaniaques, des dictatures, de la complicité des bourgeoisies compradores, des achats d’armes, des massacres… C’est pourquoi, comme le dit René Dumont de l’Afrique, l’urgence pour le tiers monde, c’est aussi la démocratie. Pas nécessairement une démocratie à l’occidentale avec élection tous les quatre ans. Mais un régime qui donne aux gens des droits fondamentaux, comme l’éducation, et leur offre la possibilité de maîtriser davantage leur destin. D’avoir leur mot à dire dans l’allocation des ressources. Le nouvel ordre économique pour lequel nous nous battons est indissociable d’un nouvel ordre politique.

C’est quoi ce nouvel ordre économique?

La justice. La justice dans les échanges. La fin du (néo)colonialisme, si vous préférez.

Mais le capitalisme est plus vivant, plus fort que jamais?

On dit cela. On dit que le capitalisme a triomphé. Si c’est vrai, alors ce sera le triomphe des cimetières. Car c’est le sort de la planète qui est en jeu. La dette, non seulement pousse le tiers monde à la famine – jamais autant d’hommes ne sont morts de faim! – mais le contraint aussi à un gaspillage effréné de ses ressources naturelles. La déforestation n’est qu’un exemple parmi d’autres de cet «écocide» qui nous concerne tous. Que nous soyons du Nord ou que nous soyons du Sud, nous sommes tous sur le même Titanic…

C’est à une véritable révolution mondiale que vous appelez?

Aujourd’hui, le mot est quasiment obscène. Mais c’est bien de cela qu’il s’agit. D’un changement radical du système économique mondial. Ce sera la révolution ou le chaos!

Vercors a dit récemment que si le futur devait se limiter au capitalisme sauvage, ce serait à désespérer. Le tiers mondisme, c’est l’alternative?

Je préfèrerais le terme «Mondialisme». Ou, pourquoi pas, «Internationalisme». Cela étant, nous ne sommes pas à la recherche d’une cause. La libération du Sud vis-à-vis des contraintes du marché mondial s’impose d’elle-même. Au simple vu des chiffres.

Pourtant, à l’Est, les masses populaires sont descendues dans les rues pour exiger exactement le contraire. Pour revendiquer une économie de type (néo)libéral?

Et maintenant elles manifestent pour protester contre le chômage, l’inflation, la crise… Et c’est là, précisément, que se situe notre rôle: sortir les fausses idées de la tête des gens. Montrer que si le marché peut être efficace à une certaine échelle, ailleurs, vu d’ensemble, il peut être totalement dysfonctionnel. Que s’il nous semble, à nous qui vivons dans l’aisance, largement bénéfique, c’est parce que d’autres, les trois quarts de l’humanité qui végètent loin de nos chaumières, ne disposent pas du minimum vital. Que si le marché gagne ici, c’est parce qu’il tue là-bas. Et que l’on ne peut pas, raisonnablement, entrer comme cela dans le XXIe siècle.

Est-il normal de laisser, à notre époque, se développer l’épidémie de choléra qui frappe le Pérou, alors qu’avec les moyens actuels, l’éradication de cette maladie ne pose aucun problème?

Lénine disait: «La cravate de l’ouvrier anglais est payée par la sueur du coolie indien». C’est cela que vous voulez nous faire comprendre?

Je ne connaissais pas l’expression, mais c’est tout à fait cela. A cette exception près qu’aujour-d’hui ce n’est plus d’une simple cravate qu’il s’agit, mais d’un costume complet…

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