Chronique des élections présidentielles locales VI
Après les différents articles surtout consacrés au contexte et aux trois candidats principaux: Dilma Rousseff, José Serra et Marina Silva, je voudrais revenir en deux fois sur “ce que pense la gauche” au Brésil. La deuxième partie sera consacrée à quelques amis militants. La première aux médias.
1e partie: les médias de gauche.
Pour commencer, ne faut-il pas rappeler ce qu’on entend par gauche?
En effet, des trois candidats principaux, il appert qu’il n’y en a qu’une qui se réclame plutôt du centre (Marina) et les deux autres (Serra et Dilma) se revendiquent du centre-gauche. Or, on sait que les trois sont en faveur d’une économie de marché soutenue par un État actif et interventionniste, mais très modérément, voire peu enclin à redistribuer les richesses et à réformer les impôts pour les rendre socialement plus justes.
Ce sont clairement -selon les définitions adoptées par l’auteur de ce blog- trois candidats de droite.
Ensuite, il y a un candidat clairement de gauche, Plinio de Arruda Sampaio, qui plafonne à 2 pour-cent des intentions de vote, affilié au PSOL, un parti né d’une scission avec le PT, parti de Lula. Mais, même dans son parti, il n’a pas l’approbation de tous pour être encore trop modéré. C’est tout dire.
Et donc, il nous reste l’opinion de certains médias de gauche.
Aucun n’a pris le parti de Serra, ce qui est déjà un signe en soi. Ils laissent d’ailleurs peu de place au doute, sinon à un éventuel droit de réponse ((Le Monde Diplomatique Brasil de ce mois avait donné la possibilité à José Serra de participer à une confrontation entre les 4 candidats principaux, qu’il a déclinée.)).
Parmi mes lectures préférées, seul le Piauí ((Tous ces journaux existent en format-papier.)) a donné la possibilité au PSDB, le parti de José Serra, de s’exprimer dans ses reportages. C’est que cette revue, antiquement de gauche, s’est progressivement éloignée de tout positionnement pour faire du journalisme d’investigation “sans tendance”. Il y réussit assez bien, réalisant parfois des reportages d’une grande profondeur critique, tout en évitant pratiquement toutes les grilles de lecture possible. Ce qui le rend dans certains cas difficile et peu engageant, car peu engagé. Il est malheureusement largement soutenu par la publicité, et pas des plus socialement ou environnementalement intéressante. Par contre, ses qualités graphiques et artistiques sont appréciables.
Une autre revue mensuelle, beaucoup plus engagée, balance entre le réalisme du lulisme “qui-a-quand-même-amélioré-la-vie-de-beaucoup-de-monde”, et donc le ralliement pragmatique à Dilma, et une critique plus acerbe de tous les candidats, c’est le “Caros Amigos“, que j’ai déjà évoqué à plusieurs reprises dans ces colonnes. Globalement, elle vient de sortir un numéro spécial élection qui montre que les trois candidats principaux sont tirés (mais est-ce une surprise) par l’argent des grandes entreprises. Le capital est sauf. Heureusement, la critique aussi. Caros Amigos est relativement indépendant de la publicité et choisit plutôt des produits de type culturel.
Le seul hebdomadaire un peu intéressant, tant par la qualité journalistique que par son côté politique, c’est le CartaCapital, que j’ai déjà comparé, je crois, dans ces colonnes à Marianne (sur le plan économique) ou au Nouvel Obs (sur le plan politico-culturel). Ce qui est tout dire. Je le lis régulièrement parce que, à défaut de me convaincre sur bien des plans, il reste une des sources les mieux renseignées depuis le dessus, sans être outrageusement de droite. CartaCapital a clairement fait le choix de pousser “de manière (modérément) critique” la candidature de Dilma Rousseff.
(Tiens, je remarque depuis quelques semaines que, les sondages montrant de plus en plus une tendance vers cette dernière, que le camarade José Serra, ex-maire de São Paulo et ex-gouverneur de l’État de São Paulo, commence à perdre les faveurs de médias de droite aussi… L’explication en est simple: on prépare déjà la succession et on sacrifie le bouc émissaire pour lui attribuer la défaite pratiquement certaine…)
Parmi les revues de gauche, on comptera encore
“Forum“, mensuel sérieux, apparu avec le Forum Social Mondial, attrayant, intelligent, plutôt en accord avec la militance pragmatique, susceptible d’ouvrir ses pages à des personnes qui ne plaisent pas au gouvernement Lula ou à qui il ne plaît pas, mais qui reste raisonnablement en sa faveur, et en tout cas résolument contre Serra. Son propos est proche des milieux universitaires, des intellectuels de gauche, les arguments y sont clairs, développés, intéressants. Au niveau publicitaire, on peut le comparer au Monde Diplomatique: il choisit visiblement ses annonceurs, comme le Caros Amigos.
“Brasil de Fato“, un hebdomadaire essentiellement proche des organisations non gouvernementales, des militants de base, des travailleurs, du Forum Social Mondial également, des indigènes. Généralement les articles y sont fort bons, mais la présentation est désagréable. La publicité en est absente. Brasil de Fato parle très peu des élections.
“A Nova Democracia“, journal rouge-rouge, sans concession à l’égard du gouvernement, qu’il estime traître à la cause sociale, comme des deux autres candidats financés par les entreprises. Pas de pub. Quelques dessins de presse. Agressif, virulent, comme un CQFD, mais loin d’être aussi drôle.
Voici un extrait du dernier numéro, traduit par votre serviteur:
(…) les programmes des trois candidats de tête de la presse des monopoles, à savoir Dilma Rousseff, José Serra et Marina Silva, se limitent à un noyau commun de contenus basés sur les engagements assumés par Luiz Inacio (Lula) en 2002 avec la fameuse “Lettre au peuple brésilien” ((Un document que Lula présenta peu avant les élections de 2002 et qui le montrait comme immensément plus modéré qu’au cours des précédentes élections. Il s’y engageait notamment à “respecter les engagements et les obligations du pays”, à soutenir aussi bien les grandes entreprises agricoles que les familiales, autrement dit que malgré sa promesse (non tenue après 8 ans) de réforme agraire, celle-ci serait faite en accord avec ceux qui la refusent depuis toujours, il y parle de croissance, de compétitivité, de large coalition avec les entreprises, de règlement de la dette, au moins autant sinon plus que de redistribution des richesses, etc.)). Celle-ci révélait toute la servitude du candidat d’alors aux desseins du Fonds Monétaire International, de la Banque Mondiale, de l’Organisation Mondiale du Commerce et des autres organismes dirigés par la Maison Blanche et par les oligarchies financières internationales.
Or, s’il y a au fond une extrême convergence, il reste bien peu de place pour différencier les propositions, autrement dit, chacun fait bien attention de réaffirmer chaque fois, directement ou subliminalement, son engagement envers l’impérialisme, la grande bourgeoisie et la grande propriété terrienne, de l’ancien comme du nouveau types. (…)
Le “Monde Diplomatique Brasil” est loin d’arriver aux genoux de son modèle français, mais il est vrai que le défi était de taille. Cependant, les articles de fonds, scientifiques, sur l’Amérique Latine, sont souvent très intéressants. Par contre, les éditoriaux locaux sont peu développés. D’un autre côté, on trouve souvent des informations argumentées intéressantes. Enfin, une bonne partie du journal est le produit de traductions de la version française ou d’autres éditions du Monde Diplomatique dans le monde. Quant aux élections, il en critique le fonctionnement, les institutions, et essaie de ne pas se positionner entre les différents candidats.
On m’a encore conseillé ces journaux-ci, mais je n’ai pas encore eu le temps de les visiter:
“Portal Vermelho”,
“Agência Carta Maior”,
“Correio da Cidadania”,
“IHU Online”.
De manière générale, on peut dire que la presse de gauche est clairement consciente des limites des candidats en présence et, si certains journalistes ou éditorialistes se rangent à l’idée d’une Dilma, voire d’une Marina, la plupart estiment au mieux qu’il ne s’agirait dans les deux cas que d’un pis-aller. Le système est encore loin d’être satisfaisant et ne donne pas la chance, véritablement, à une lutte clairement polarisée. Mais est-ce une surprise?
Un petit éclaircissement final:
Les élections du congrès fédéral et des assemblées des 27 États auront lieu en même temps. La confusion y est totale. Les affiches électorales, à São Paulo, comportent généralement le prénom du candidat, sa bouille, un vague slogan et, surtout, en très grand, le numéro qui le réprésente. Le signe du parti est souvent absent ((Un exemple ici lié est l’ancienne maire de São Paulo, “>Marta Suplicy. Je vous invite à écouter le petit poème dit en entrée de son site, suivie de la chanson -une pratique courante pour les candidats, en effet, est de lancer des espèces d’hymnes à leur personne. Si Marta s’associe à Lula et Dilma dans la chanson, on ne voit pas le nom de son parti sur son affiche.)), ou alors dévalorisé. On compte sur l’analphabétisme ou l’illettrisme pour focaliser l’attention des électeurs sur des détails graphiques, sur des souvenirs d’information, mais surtout sur “ce que le candidat a déjà fait pour” l’électeur. La relation contractuelle entre l’élu et son électorat rappelle évidemment de nombreuses situations en Europe, mais ici elles sont plus claires, plus évidentes, peut-être plus transparente. Le mot féodal est souvent utilisé par mes interlocuteurs. S’il est justifié, j’ai souvent envie d’évoquer le clientélisme à la romaine avec eux. Phénomène que nous sommes loin de méconnaître aussi en Europe.
Enfin, les alliances entre partis sont tellement complexes, d’un État à l’autre, parfois d’une ville à l’autre, que les électeurs ne peuvent plus rien y comprendre… Un parti dans l’opposition au fédéral peut s’associer à un autre proche de Lula dans tel État, avec à la clé une neutralité voire un engagement opposé à celui de son candidat officiel à la présidentielle, par exemple.
Alors, pour moi déjà qui n’ait aucune estime pour le système électoral et la particratie, à la limite, poussés jusqu’à leurs limites, ils en deviennent presque amusants… si le sujet n’était pas aussi sérieux.
On comprend peut-être mieux les difficultés de positionnement des médias de gauche.
Ou non?