Archive for November, 2016

… ou la mort.

Monday, November 28th, 2016

Castro est mort.

Et c’était un dictateur.

On ne va pas le regretter, hein, Madame?

.

Après tout, il a mis des poètes en prison.

Comme Charles d’Orléans, comme Verlaine, et Chénier…

Et nous, comme nous ne savons rien faire de mieux,

Monsieur,

Nous poétisons.

Alors que lui criait des discours de sept heures à des foules immenses revêtu d’un costume militaire.

Jamais on n’aurait vu ça en Angleterre, Madame.

.

Et tout le monde ne pouvait pas avoir tout ce qu’il voulait.

Et les agriculteurs, Madame, ne pouvaient plus s’enrichir.

Alors ils sont partis s’enterrer dans les hôtels de Floride.

Jamais on n’aurait pu voir ça en Israël.

.

Et, Monsieur, c’est sûr, il n’y avait pas de liberté à Cuba, ça non, Madame.

Parce qu’on n’est pas libres en Corvette 59 décapotable, la guitare sur le dos.

C’est bon pour les touristes trois étoiles rouges, Monsieur.

Et qu’il n’y a pas de journaux, pas de télé, pas d’internet libres, Monsieur.

Jamais on n’aurait pu voir ça au Chili.

.

Et quand on voit les belles images des casinos et des plantations de canne à sucre,

Et les filles qui dansaient sous le nez des amis de Fulgencio,

Hein, Monsieur?

Et les fêtes financées par d’honnêtes entrepreneurs du grand pays frère,

Comme on pouvait le voir en Afrique du Sud,

Ah, ça, Madame.

.

Ce n’est quand même pas Le Monde Diplo qui va faire notre opinion,

Alors que Le Monde,

Alors qu’El País,

Alors que le New York Times, Monsieur,

Alors que l’European,

Oh, oui, on se souvient de la crise des missiles,

Qui faillit jeter le monde dans un tourbillon de feu,

Alors qu’aujourd’hui, n’est-ce pas, il est si tranquille,

Madame,

Comme on peut le voir au Darfour, en Syrie, au Soudan,

Comme on peut le voir en Colombie, en Irak, au Congo,

Comme on peut le voir en Ukraine, en Turquie, au Burundi…

.

Comment peut-on mettre, dans l’autre plateau de la balance,

L’alphabétisation de tous,

La musique, la danse, les échecs et le sport,

La médecine pour tous,

Le taux de mortalité infantile ridicule,

La sécurité alimentaire,

L’envoi de médecins un peu partout dans le monde,

L’université gratuite,

Monsieur,

Et aucun acte de guerre, sinon à l’appel des mouvements d’émancipation en Afrique et en Amérique Latine.

.

Aucun acte de guerre?

Quel pays civilisé,

Madame,

Ne produit aucun acte de guerre?

Contre-révolution

Friday, November 11th, 2016

Ce post ne fait pas suite aux clowneries récemment arrivées aux USA, en France ou au Brésil.

IL y a quelques mois, je publiais ici-même un bref aperçu de la révolution française, insistant sur certains éléments de cet événement avec l’objectif de faire réfléchir le lecteur sur les possibilités de parallèle avec notre époque. De parallèles, pas de comparaison.

La Terreur?

Les époques ne sont jamais comparables et les leçons de l’histoire sont avant tout des pistes de réflexion, pas des modèles à suivre ou à rejeter. Il ne s’agit pas non plus de faire croire que nous serions à la veille d’une nouvelle révolution française. L’idée n’est pas là, même s’il est vrai qu’il m’arrive de dire que “nous sommes en 1788”. Mon objectif, en proférant cette phrase qui peut paraître choquante (après tout, 1793 n’est qu’à quelques années de 1788, et nombre de personnes au capital culturel élevé pourraient penser que quelque chose leur pend au nez), n’est pas d’effrayer, mais de faire réfléchir sur les options à venir. A en illustrer aussi les possibilités sans devoir rallonger ce texte.

Car si la révolution française a fini par échouer entre les mains d’un dictateur (je parle de Napoléon, pour les esprits les moins éclairés et pour les savants les plus obtus), dont les crimes sont à mettre au même niveau que ceux des rois qui l’ont précédé ou des maniaques de ces deux derniers siècles que l’on a l’habitude d’honorer sans beaucoup réfléchir, si la révolution française n’est pas parvenue à résoudre les équations de la liberté et de l’égalité, ce n’était pas une fatalité.

Différentes routes plus ou moins rationnelles

Aujourd’hui non plus: il n’y a aucune fatalité dans le processus de dégradation de la démocratie, de réduction des acquis sociaux, de menaces sur les minorités. Il ne s’agit pas dans un premier temps de mettre des noms sur ces phénomènes, cela ne pourrait m’amener qu’à en oublier certains, lesquels seraient susceptibles de remplacer les pointés du doigt. Ce qui serait l’inverse de l’objectif. Il n’y aurait de fatalités que si nous acceptons de ne rien changer des structures de nos sociétés.

Il ne s’agit pas non plus de réduire l’avenir à deux possibilités, ce serait une erreur; il y en a au moins trois que j’identifie clairement et une quatrième que j’espère encore.

Il y en a peut-être d’autres, évidemment. Je ne suis pas éditorialiste, chroniqueur ou essayiste invité sur les chaines autorisées; je ne me ferme pas à mes propres spéculations.

Dégringolade

La première, et la plus évidente à l’oeil nu, quoique pas nécessairement la plus viable, est la poursuite de cette lente dégradation des conditions de vie, tant aux USA qu’en Europe, et qu’accompagnera une stagnation, voire un recul aussi, des conditions de vie dans le reste du monde: en raison de la fin de la croissance économique, par la force des choses, et en dépit des délires maniaques de certains économistes qui s’imaginent que l’économie virtuelle et financière peut poursuivre sans fin son ascension sur la famine des deux tiers de l’humanité, pour cette raison donc, le gâteau cessant de croitre, les prédateurs poursuivant leur quête d’accumulation, les parts congrues qui resteront aux classes inférieures (dont nous sommes, à moins que nous ne fassions partie des prédateurs) se réduiront petit à petit, le plus lentement possible pour réduire les risques de révoltes, ou en tout cas réduire le nombre de révoltés à chaque incident.

Le jour des morts

La deuxième possibilité serait que les prédateurs ne se satisfassent pas de cet arrêt de la croissance auquel ils refusent de croire parce qu’il n’est pas inscrit dans leur idéologie libérale. Le libéralisme, à l’instar du requin, réclame un mouvement continu, croissant, sans lequel il n’est plus nourri et meurt. Si les prédateurs refusent de se contenter de la lente réduction des avantages du plus grand nombre pour leur permettre de continuer à se goinfrer, mais trop raisonnablement à leur goût, alors le risque est qu’un nombre de plus en plus important de ces psycho-sociopathes tentent des coups de plus en plus audacieux, susceptibles de produire de plus en plus de victimes. Jusqu’au jour où l’enjeu pourrait en être une telle somme de vies, d’années de vie potentielles, d’environnements, de sociétés, d’acquis de base, que, ces prédateurs n’étant pas alliés, mais en concurrence perpétuelles, et leurs enjeux étant donc contradictoires, on en viendrait à une profusion telle de conflits, tournant en guerres toujours plus brutales, que l’espèce humaine pourrait disparaitre rapidement.

Certes, le risque d’une disparition prochaine de l’humanité est envisagée par une bonne série de futurologues, et comment pourrait-on ne pas être d’accord, puisque la théorie de l’évolution nous apprend que nous ne sommes qu’une étape dans le processus évolutif. Mais alors que le processus scientifiquement établi nous laissait espérer que notre espèce ne disparaitrait que progressivement au bénéfice d’une suivante, produit de notre propre espèce par filiation, cette seconde possibilité, elle, amènerait l’humanité à un stupide processus d’auto-destruction, triste, définitif et pourtant absolument pas inéluctable.

Autorité

La troisième possibilité, qui pourrait être la plus probable, si l’on admet que la plus grande partie de ces prédateurs aiment leurs enfants, c’est que ces derniers s’emparent par quartiers gigantesques des différents espaces de pouvoirs en jeu (géographiques, économiques, intellectuels, symboliques) et s’arrangent pour les conserver de manière autoritaire, quitte à laisser le reste de l’humanité dans un marasme qui les indiffère. Aux yeux des trois quarts de la population, cette situation est d’ores et déjà une réalité. Peut-être même ces trois-quarts souhaitent-ils que la même chose nous arrive… Un peu comme je me réjouissais hier de voir ces Etatsuniens crier “not our president”… Je me disais, tiens, c’est bien leur tour…

Peut-être que c’est notre tour… après tout, combien sommes-nous à avoir pleurer sur nos colonies? et sur nos néo-colonies?

Révolution et contre-révolution

Bien sûr, au cours du XXe Siècle, et même depuis la fin du XVIIIe Siècle, des mouvements laissaient entrevoir que la démocratie réelle puisse faire des progrès. La participation au pouvoir augmentait. Le pouvoir personnel tendait à diminuer. Mais les lieux de pouvoir se multipliaient, les richesses cumulables aussi et nous avons laissé nombre de leviers de pouvoirs entre les mains d’une poignée d’individus imbus de leurs puissances et de leurs avoirs.

De cette erreur sont nés les mouvements contre-révolutionnaires qui tendent à s’imposer depuis une cinquantaine d’années. Alors que nous avions gagné toute une série de droits, du moins en Europe Occidentale, et même aux USA, alors que ces droits et ces avantages semblaient s’étendre de plus en plus loin, en dépit de nombreux contre-feux, dans les pays qualifiés d’émergents, ce mouvement, désormais, peut-être en partie en raison de l’émancipation d’une grande partie du monde, mais plus sûrement parce que le capitalisme est arrivé au bout des possibilités de ses conquêtes sans réduire les acquis du plus grand nombre, est arrivé à son terme dans le cadre de la sociale-démocratie, espèce de compromis fragile entre le capitalisme libéré et la démocratie parlementaire. Désormais, la sociale-démocratie est faillie. Le capitalisme en a pris possession et refuse tout nouveau compromis, ayant mis sur le bûcher les traces des précédents.

La première et la troisième possibilités peuvent évidemment se combiner, et cela aussi ressemble à notre présent. La deuxième est une fin possible des deux autres.

Positive

Reste la quatrième, la plus souhaitable, moralement si on a un peu de morale, et surtout pour la plus grande partie de la population. Encore faut-il qu’elle parvienne à s’en convaincre.

La quatrième, c’est que nous soyons effectivement en 1788, que nous nous jetions avec allégresse sur 1789, et que nous arrêtions le processus entre 1793 et 1794, sans passer par la case Thermidor ((Le succès de la contre-révolution bourgeoise avec la chute des Montagnards, dont la figure la plus connue est Robespierre.)), et encore moins par celle de Brumaire ((18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799), premier temps de la prise de pouvoir de Napoléon Bonaparte.)), pour éviter la Restauration ((de Louis XVIII en 1814-1815.)) et le retour à la case départ, aggravée par le processus de concentration capitaliste qui en est résulté. Autrement dit, que la prochaine explosion démocratique ne se laisse pas embobiner effectivement par la minorité possédante soucieuse de conserver son pouvoir de domination -et de nuisance, bien que je veuille croire que cela ne soit qu’incidentel dans le processus-, ce qui implique que nous établissions très vite après cette explosion démocratique des structures qui empêchent le retour de toute concentration du pouvoir entre ceux qui ont intérêt à ce qu’il le reste.

Les occasions ont existé dans le passé, et cela doit plus nous donner de l’espoir que nous désespérer. La réalité est que les Thiers, les Barras, les Sieyès, les Poincaré ont souvent eu peur de tout perdre, et qu’ils ont été obligés de plonger leur pays dans des horreurs sans nom pour que leurs donneurs d’ordre ne perdent leurs quartiers.

L’argument de la contre-révolution restera toujours le même: seuls les possédants savent ce qui est bon pour le peuple. C’est le seul argument qui explique, par exemple, que les sièges d’administrateurs se trouvent cumulés entre les mains de quelques individus, que le gouvernement français vienne encore de décider de réduire le temps de parole des “petits candidats”, que les deux partis qui se partagent le pouvoir aux USA soient ceux qui reçoivent les financements des plus grands entrepreneurs du pays. Le simple fait que l’on ait fixé par la loi et les faits, quoique pas explicitement, que la liberté d’expression soit liée à la propriété des médias, et que ces derniers se trouvent dans la plus large proportion entre les mains d’une toute petite minorité liée au pouvoir financier et au pouvoir politique, que les rares tentatives de contester ce pouvoir, au Brésil ou au Vénézuéla, par exemple, soient agressivement condamnées avec une unanimité violente et sans aucune hésitation par les médias des autres pays, ce simple fait suffit à montrer que, effectivement, la lutte des classes est bien d’actualité, et que la classe du dessus veille bien à ce que les classes inférieures ne l’approchent jamais de trop près.

La conclusion de ce post se trouve dans tous ceux qui précèdent.

Certes, ce genre de discours risque fort de tomber sous le coup de l’accusation selon laquelle des individus comme moi veulent “couper tout ce qui dépasse” et “niveler par le bas”.

Inutile de dire que cet argument ne tient que pour leurs avantages, et que leur objectif en nous accusant de cela est de refuser de considérer la souffrance et la douleur qu’eux-mêmes ont produit, produisent et produiront encore si, effectivement, on ne coupe pas ce qui dépasse de leur jeans et qu’on ne nivelle pas leur pouvoir.