Archive for the ‘économie mon amour’ Category

les traités de l’UE

Thursday, April 25th, 2024

A l’attention des utilisateurs de mon compte youtube, voici les documents que j’utilise lorsque j’évoque les traités de l’UE.

Attention! les documents officiels ont entre-temps été modifiés par des ajouts de protocoles et même des changements de numéro d’article (ainsi, j’ai retrouvé l’article 50, abrogé, au numéro 49A…). Histoire sans doute de nous perdre encore plus…

TUE pour lire le Traité sur l’UE tel que téléchargé en 2017 sur wikisource.
TFUE pour lire le Traité sur le Fonctionnement de l’UE tel que téléchargé en 2017 sur wikisource.

Addendum à la vidéo Figures du communisme (2): organiser la distribution

Saturday, September 11th, 2021

Dans le cadre de la vidéo en titre, sur ma chaine youtube, j’annonce une explication qui risquait de l’allonger un peu trop.
C’est à 15’40” que je propose une solution pour empêcher toute épargne qui permettrait de spéculer dans un système communiste en dépit de la présence de l’argent. Il y a d’autres obstacles qui permettraient de l’empêcher, mais un moyen très sûr serait l’instauration d’une inflation artificielle régulière et systématique.

Prenons un exemple. Mettons que vous entrepreniez machiavéliquement d’économiser sur vos 3000 euros de revenus mensuels la somme de 1000 euros en janvier. Et chaque mois vous épargnez un tiers de vos revenus. ceci en vue d’accumuler un gros bas de laine pour faire un achat massif au bout de, mettons, dix mois, de toutes les paires de chaussettes du quartier, afin de créer une pénurie de paires de chaussettes, ce qui vous permettrait de les vendre plus cher.

Ce serait très vilain.

Et bien, pour l’empêcher, c’est assez simple en fait. Il “suffit” ((Oui, bon, ça doit être mis en place, hein!.)) d’augmenter les prix et les salaires, mois après mois, pour produire une inflation continue qui détruit l’intérêt de l’épargne.

Mettons une inflation, pour faire simple, de 10%. ça veut dire que les prix et les revenus augmenteront de 10% par mois.

prix-salaire

Autrement dit, chaque mois, votre revenu augmentera de dix pour-cent, mais un produit qui valait 1000 euros en janvier gagnera chaque mois dix pour-cent d’augmentation de prix et en vaudra à la fin du mois d’octobre vaudra 1987,7 euros. Bref, en dix mois, votre épargne de janvier aura perdu près de la moitié de sa valeur. Donc, vous êtes plutôt incités… à dépenser tout votre revenu dès que vous le recevez.

Si vous avez des doutes, voyez ce qui se passe si on comptabilise chaque fois un tiers du revenu épargné, avec l’inflation (tableau ci-dessous). Au total, vous aurez épargné 14790,2 euros, ce qui représente, non pas 10 itens, mais seulement 7,44 itens qui étaient à 1000 euros en janvier, mais qui sont à 1987,7 euros en octobre. Bref, épargner pour spéculer ne marche pas.

prix-salaire-epargne

Autrement dit une épargne proportionnellement égale sans intérêt dans un univers en inflation constante est inintéressante, y compris dans un objectif spéculatif.

Dernier post sur réseau pas social

Tuesday, February 2nd, 2021

Voilà, je m’en vais. Je m’en vais de Facebook. Je n’y retournerai plus. Je ne veux plus y retourner parce que les bonnes raisons que j’avais pour y venir, puis pour y rester, n’existent plus.

Hélène Chatelain retourne ranger les factures de Nestor Burma.

Je ne peux pas dire que je vais regretter les engueulades, les insultes et les discussions qui tournent à vide.

J’ai retrouvé sur FB des personnes que j’avais perdu de vue depuis des décennies et ça m’a fait du bien de les retrouver. J’ai rencontré aussi des personnes très intéressantes, que je continuerai de voir autrement, parce que la technologie n’est pas la propriété de FB.

Car je ne dois pas tout cela à FB: ces retrouvailles auraient pu se faire autrement. Un réseau social, vraiment libre et vraiment social, ne marchande pas ses partages. D’ailleurs, à partir du moment où il y a marchandage, il n’y a plus partage, mais profit, caché ou non.

Je crains aussi que FB ne nous ait pas fait grandir, ni en tant qu’humains, ni sur le plan politique.

Ce qui nous fait grandir, ce sont les espaces conquis sur le marché, ce sont les exploits des gens qui se battent pour l’égalité, ce sont les collectivités qui se dressent contre l’Etat autoritaire (y compris en Europe), ce sont les défaites des grandes entreprises -car ce sont nos victoires.

Ce qui nous fait grandir, c’est de réduire les souffrances de tous, et non d’augmenter les jouissances d’un petit nombre.

Ce qui nous fait grandir, c’est l’accès de chacun aux conditions de vie qui nous permettent de vivre mieux que nos ancêtres, et non la confiscation de ces moyens par la distribution inégalitaire du capital.

Ce qui nous fait grandir, c’est de réaliser que nous sommes tous et chacun des individus qui ont droit à l’existence, sur toute la surface de la planète, et que nous faisons partie d’un ensemble gigantesque d’où nul n’est exclu. C’était ça, l’idée de la Révolution de 1789, imparfaite dans la réalisation, mais universelle dans l’esprit.

Ce qui nous fait grandir, c’est de constater que notre action permet d’améliorer la vie des humbles, et non de satisfaire les privilèges.

Ce qui fait de nous des gens bien, c’est quand nous renonçons à faire du tort, sous quelque prétexte que ce soit.

Ce qui nous fait grandir, c’est le Monde Diplomatique, c’est les voix libres que l’on retrouve sur les-crises.fr, ce sont les personnes qui animent des réseaux vraiment alternatifs comme Young Turks ou Democracy Now!, c’est le Manifesto en Italie ((Et on n’est pas obligé d’être d’accord avec tout ce qu’ils disent pour s’accorder sur ce fait.)), c’est plein de choses dans ce genre.

Ce qui nous fait grandir, ce sont les bonnes découvertes de journalistes libres, de réseaux courageux, de gens qui ne font que quelques centaines de vue, avec des arguments raisonnables.

Ce qui nous fait grandir, c’est aussi Pierre-Emmanuel Barré et GiedRé; c’est Giorgio Gaber et Carson McCullers; c’est la littérature qui ne cherche pas à vendre, mais à découvrir; c’est l’art et ceux qui nous font partager leur amour de l’art.

Ce qui nous fait grandir, ce sont les moments où nous reconnaissons que ce sont les travailleurs qui créent la richesse et la vie, ou la conservent quand il s’agit du personnel soignant, et pas le capital.

Ce qui nous fait grandir, c’est l’inverse du marché: c’est le partage, l’égalité et l’épanouissement dans la liberté d’aller et venir.

Ce qui nous fait grandir, c’est l’émulation, pas la compétition.

Ce qui nous fait grandir, c’est quand nous nous dépassons nous-mêmes pour en faire profiter les autres, et non quand nous dépassons les autres pour en profiter seul.

Ce qui nous fait grandir, c’est l’idée que notre vie aura été tournée vers les autres, et non vers une jouissance matérielle accumulée qui, de toute façon, ne fera l’objet d’aucun commentaire positif dans cent ans, et encore moins dans mille ans, et de plus aucun commentaire du tout, certainement, dans dix mille ans.

Ce qui nous fait grandir, c’est quand nous reconnaissons que, dans le temps et l’espace qui nous sont impartis, le sens de notre vie réside dans le peu de souffrance que nous causons et le bien-être que nous donnons aux autres.

Tout cela mis ensemble, ce qui fait que notre action pourra avoir un impact positif sur la vie de l’humanité, c’est aussi de ne plus sympathiser avec ceux qui encouragent le contraire, c’est-à-dire la division de la société, la confrontation des humbles entre eux et les privatisations des services;

ceux qui favorisent l’accumulation entre moins de mains;

ceux qui contribuent à la concentration des pouvoirs;

ceux qui insultent la démocratie et salissent l’expression populaire;

ceux qui prétendent remplacer l’expression populaire par les jeux télévisés et la consommation;

ceux qui refusent que le progrès soit partagé par tous;

ceux qui censurent;

ceux qui manient la rhétorique sans argument et qui dénigrent la raison que n’anime pas les sophismes; ceux qui, au total, encouragent l’exclusion derrière “l’égalité des chances”.

Voilà, ce dernier post, il est sur mon blog, et si vous voulez retrouver mes réflexions, c’est plutôt de ce côté-là qu’il faudra chercher.

N’allez pas dire ce que je n’ai pas dit: comme j’ai dû utiliser FB pendant un temps, je sais qu’il est indispensable à certains -jusqu’à ce qu’on trouve d’autres moyens -qui existent, qu’on doit promouvoir, qu’on doit soutenir.

Je voulais juste vous rappeler la réalité de ce qu’est l’espace de liberté de Facebook. C’est ceci:

L’Union contre les peuples – glossaire et bibliographie

Tuesday, May 28th, 2019

Voilà, on est tout près de la publication. Notre livre sur les Traités de l’UE, leur critique et nos propositions est presque fini. Enfin, presque… M’ouais…

La publication se fera en deux fois: une fois sur le net (ici) et une fois sur papier (éditions Le Cerisier).

La version internet sera probablement plus complexe, plus fouillée, mais aussi peut-être moins lisible. J’attends vos commentaires, soit par e-mail (thierry1thomas arobaz gmail point com), soit sur un réseau social quelconque où on s’est déjà rencontrés. Au fond, tout commentaire pourra être utile pour améliorer la version finale sur papier.

Je vais commencer par… la fin. Pourquoi? Parce qu’il s’agit du glossaire et de la bibliographie, lesquels sont indispensables pour lire l’ensemble. En effet, vous aurez l’occasion de le voir, nos définitions ne sont pas nécessairement les vôtres.

Voici donc le glossaire et la bibliographie de notre livre à paraitre.

A propos, on cherche toujours un titre

Le prochain post sera consacré à la table des matières, également très importante, en ce qu’elle vous permettra de me proposer de publier d’abord tel ou tel passage, sachant que tous les chapitres sont déjà écrits.

Pour les illustrations, elles sont toutes de moi et elles risquent fort de passer à la trappe dans le livre.

C’est peut-être pas plus mal 🙂

liberté, égalité, protectionnisme?

Sunday, December 16th, 2018

Exercice de style.

Comme je suis sur le point de terminer une publication papier, je pose quelques bases, en guise de test.

***

En économie, rien n’est simple, pas plus qu’en politique. Pourtant, s’y intéresser est crucial. Cela nous permet de comprendre le fonctionnement de nos adversaires. Et, avant même cela, de les identifier.

Est-il notre ami, celui qui défend l’ouverture des frontières?

Oui, s’il s’agit des frontières interdisant le passage des êtres humains. Mais qu’en est-il du libéral bleu-noir pour qui toute contrainte au marché des biens et des services est une abomination?

Si par ami on entend l’agréable convive capable de raconter des blagues de bon goût et de faire une critique constructive du dernier film à la mode, c’est probablement un ami.

Si par ami on entend quelqu’un qui nous veut du bien, le doute est permis.

Le libre-échange n’est pas une source d’égalité et de satisfaction des besoins. Le libre-échange est le développement de la concurrence entre toutes les travailleuses et les travailleurs du monde entier. Le libre-échange n’est pas source de prospérité partagée, mais de concentration des richesses entre des mains toujours moins nombreuses et plus égoïstes. Le libre-échange, c’est l’augmentation des opportunités pour celles et ceux qui en débordent déjà. C’est l’occasion de faire pression sur les plus pauvres en les menaçant de délocalisation.

Même au sein des forces conscientes du capitalisme et de la politique dominante, il arrive que l’on s’en rende compte. La conscience du danger que représente le libre-échange est vieille comme le capitalisme anglais. La prospérité de l’empire britannique s’est faite sur un espace séparé du reste du monde. Pareil pour l’empire étatsunien, dont le succès à la fois économique et démocratique fut le fait du parti républicain (anti-esclavagiste et protectionniste) contre le parti démocrate (esclavagiste et libre-échangiste).

1884: “Le parti républicain étant né de la haine du travail d’esclave et du désir que tous les hommes soient libres et égaux , il est irrévocablement opposé à l’idée de placer nos travailleurs en concurrence avec quelque forme de travail asservi que ce soit, en Amérique ou à l’étranger” ((Cité par Serge HALIMI dans Les puissants redessinent le monde, in Le Monde Diplomatique, juin 2014, p. 11. Halimi ajoute: “A l’époque, on pensait déjà aux Chinois.”))

On peut douter de la sincérité du parti républicain, que ce soit à cette époque ou aujourd’hui. Pour autant, le raisonnement tient. Les Chinois utilisés par les compagnies ferroviaires étaient sous-payés et maltraités. Les actionnaires de ces entreprises se gorgeaient sur leur dos pendant que les ouvriers terrassiers étatsuniens végétaient dans le sous-emploi. Le raisonnement se tenait et il se tient toujours: du côté ouvrier, ni les Chinois, ni les Etatsuniens n’y gagnaient.

Nous nourrissons le désir de voir -un jour- l’ensemble des travailleuses et travailleurs du monde entier jouir des mêmes droits et libertés, que ces droits et libertés soient les plus élevés possibles, qu’il n’existe plus de concurrence, que la coopération et l’entraide soient la règle, mais nous savons qu’aujourd’hui l’ordre international, mené tant par l’OMC que par l’ONU, ne permet pas de concrétiser ce rêve.

Nous pensons que, stratégiquement, le protectionnisme social et environnemental est une clé pour le développement humain et mondial. Une clé, pas une solution définitive.

Si un territoire A représente un lieu de marché de consommation pour un territoire B, il nous semble juste que la population A, également productrice, ne soit pas confrontée à une concurrence déloyale, due au fait que la population B, également productrice, soit sous-alimentée, sous-protégée et qu’elle utilise des modes de production moins chers parce que plus polluants.

Qu’on le veuille ou non, poser des conditions à l’importation de biens dans un territoire sous prétexte de protections sociales ou de critères environnementaux, cela s’appelle du protectionnisme.

Qu’on le veuille ou non, la démocratie s’est développée dans des territoires séparés des autres par des frontières. Les empires se développent, autoritaires et expansionnistes. Les démocraties définissent des corps de citoyennes et citoyens, ce qui n’a pu se faire, dans l’histoire, que dans des réalités structurées, relativement étroites, dans lesquelles les gens parlaient un nombre de langues limitées, avaient des critères de fonctionnement social et économique relativement similaires. Les solutions acceptées par une population fonctionnant de manière démocratique tournent autour de concepts établis historiquement, géographiquement et anthropologiquement. On peut -et on doit- les faire évoluer, vers plus de démocratie, plus d’égalité, plus de liberté. On peut même imaginer de les révolutionner, mais cela doit se faire dans l’esprit que nous agissons pour la population, et non contre elle.

La coopération internationale, entre petits groupes, est tout à fait légitime: il est juste et bien de se parler entre syndicalistes de tous pays, de tenter d’aider des forces de résistance qui correspondent à nos idées; de même qu’il est raisonnable et humain de soutenir et d’aider, individuellement, les personnes en fuite ou en détresse, quel que soit le nom que la presse ou les politiques leur donnent.

Mais cela n’a rien à voir avec la diplomatie entre États ou le commerce international. Ce sont des lieux de pensée radicalement différents. Et cela ne signifie pas non plus que nous nous pliions aux règles du plus souple pour faire plaisir aux travailleuses et travailleurs les plus exploités.

Si nous voulons développer des systèmes économiques et sociaux justes, ici et ailleurs, nous ne pouvons pas encourager la concurrence entre ce que nous estimons juste et ce que nous estimons injuste. Nous devons toujours encourager le système le plus égalitaire et le moins impactant sur l’environnement.

Il ne s’agit pas d’interdire les relations commerciales avec des pays moins-disant fiscalement et moins exigeants sur le plan environnemental, mais de les encourager à s’améliorer sur ces points.

***

Mais il y a plus, bien plus.

Comme on l’a vu avec les négociations du TAFTA (qui n’ont à ce jour pas abouti et qui pourraient bien ne pas le faire tant que le camarade Trump reste aux commandes), le libre-échange tend à faire disparaitre (à “aplanir”) les règles de fonctionnement du marché: toute règle est une entrave; moins il y a de règle, plus la concurrence entre les forces productives est importante ((Le TAFTA était autant une menace pour les populations européennes qu’étatsuniennes.)). Les marchés s’ouvrent, mais c’est pour mieux détruire les entreprises socialement et environnementalement plus développées.

Détruire les règles qui entravent le commerce, poser dans le droit international cette destruction, c’est tenter de passer outre la démocratie qui a pour objectif de servir les populations et non l’économie.

Quant aux règles restantes, les grandes entreprises et fonds d’investissement aspirent à ce qu’elles soient arbitrées par des cours indépendantes des États.

Le libre-marché est une menace pour la démocratie.

Mes collègues profs et leur passivité

Saturday, December 15th, 2018

“Les enseignants, qui constituent l’un des coeurs sociologiques de la gauche, sont faiblement menacés par l’évolution économique. Contrairement à ce que suggère la rhétorique ultralibérale, qui insiste pour que toutes les conduites humaines soient déterminées par l’appât du gain ou la peur de la perte, les professeurs font fort bien leur travail, en l’absence de risque de marché. Mais, n’ayant pas à craindre au jour le jour le licenciement ou une compression de leur salaire, ils ne se sentent pas menacés d’une destruction économique, sociologique ou psychologique. Ils ne sont donc pas mobilisés contre la pensée zéro. Sans être le moins du monde “de droite”, statistiquement, ou favorables au profit des grandes entreprises, ils sont atteints de passivisme et peuvent se permettre de considérer l’Europe monétaire et l’ouverture aux échanges internationaux comme des projets idéologiques sympathiques et raisonnables. Ils ne sont aucunement “bénéficiaires” car, si aucune souffrance économique directe ne les atteint, ils subissent de plein fouet les effets sociaux indirects du chômage, à travers des élèves difficiles, rendus violents par le contexte de décomposition sociale et familiale. L’acceptation implicite de la gestion économique par cette catégorie sociale, idéologiquement et statistiquement beaucoup plus importante que les “bourgeois” ou les haut fonctionnaires, assure la stabilité européiste et libre-échangiste du Parti socialiste, dans ses tréfonds militants et non pas simplement parmi ses dirigeants. On peut ici formuler une prédiction de type conditionnel: si les enseignants viraient sur les questions de la monnaie unique et du libre-échange, la pensée zéro serait, du jour au lendemain, morte, et l’on verrait se volatiliser les prétendues certitudes du CNPF et de Bercy.”
(Emmanuel TODD, L’illusion économique, Gallimard Folio, Paris, 1999, p. 316-317)

Plan B : “Un divorce à l’amiable”

Tuesday, September 18th, 2018

l’expression “un divorce à l’amiable” est de Joseph Stiglitz. Imaginons qu’elle soit possible.

Pas d’esprit de revanche, pas d’acrimonie.

Il y a de nombreuses raisons pertinentes qui peuvent nous convaincre qu’une sortie est préférable à un maintien dans l’Union Européenne. La principale desquelles serait le refus de la part de nos partenaires de toucher aux traités en tout ou en partie. Négocier un plan A signifie clairement qu’il faille envisager un plan B. Se voiler la face en ergotant sur un plan B qui signifierait ajouter la menace de refus de jouer le jeu des traités tout en y restant consiste en un exercice de remise en question de soi-même qui risque de n’avoir pas de fin, et de réduire toute perspective de véritable changement à néant. Or, une politique de gauche signifie une politique de gauche, c’est-à-dire une politique qui ne peut être adoptée par les traités ((Je renvoie à la réflexion tenue par Marc BOTENGA, Les chaines des traités européens, in Lava, Automne 2017, p. 75-94, mais aussi à à peu près tout le propos tenu jusqu’ici dans l’ensemble de ce texte de réflexion sur les traités de l’UE et la nécessité de les réformer ou d’en sortir.)) ; et donc un plan A de négociation des traités vers plus de possibilités démocratiques et plus de libertés de choix politiques (conséquence logique de la démocratie) signifie qu’en l’absence de résultat, il n’y ait pas d’autre option que la sortie des traités, donc de l’Union Européenne. Cette sortie se fera peut-être par l’article 50. Disons que c’est la version la plus probable dans un environnement international que l’on désire serein et pacifique. Cela dit, lorsqu’on observe l’attitude des dirigeants européens chargés des négociations de sortie du Royaume-Uni de Grande-Bretagne suite au Brexit populaire et à la déclaration par la Première Ministre Theresa May de l’application de l’article 50, on peut se poser sérieusement la question : l’Union Européenne est-elle bien aussi respectable que l’on doive respecter ses normes de sortie à la lettre ?

Car l’article 50 implique une série de protocoles de négociations tels qu’entre le moment de la déclaration de son application et la réalité de la sortie de l’État déclarant, plusieurs années se passent au cours desquelles une certaine agressivité s’installe.

On peut avoir toutes les colères que l’on veut vis-à-vis des gouvernants britanniques : depuis 38 ans, ils ont plutôt participé à la droitisation de la société partout dans le monde ; dans la plupart des cas, ils ont suivi, voire précédé l’agressivité des États-Unis d’Amérique dans leur croisade contre les pays du Moyen-Orient. Mais derrière le gouvernant britannique, il y a des populations, au moins quatre peuples distincts, des couches de travailleuses, de travailleurs et de sans-emplois qui souffrent et qui ne méritent pas notre rancoeur. La politique Juncker-Barnier à l’égard du Royaume-Uni est indigne, car elle suppose que nos alliés britanniques soient désormais nos ennemis et qu’il faille leur rendre la vie la plus dure possible -tout simplement parce qu’ils ont choisi de quitter l’Union Européenne. Une telle attitude est non seulement déraisonnable, en ce qu’elle provoquera fatalement encore plus d’aigreur de la part des populations britanniques vis-à-vis des autres pays de l’Union Européenne, mais en plus elle est contraire à l’éthique des bonnes relations entre les peuples -où est donc passé ce fameux désir de paix qui a(urait) motivé la création de l’UE ? Cette attitude nous rappelle celle des gouvernants du XIXe Siècle et du début du XXe Siècle, qui négociaient avec les autres gouvernants, mais dans un esprit d’hypocrisie et d’absence totale de souci du bien-être des populations. Les préoccupations des gouvernants de ces époques, comme celles de Barnier et de Juncker, sont avant toute chose celles de trafiquants sans scrupule soucieux de conserver ou d’étendre leurs parts de marché au détriment de celles des autres, celles de stratèges focalisés sur les manières de faire le plus de mal possible à leurs anciens partenaires, afin d’effrayer tout autre État qui aurait l’idée de faire de même, celles enfin de gamins capricieux et revanchards qui n’attendent qu’un moment d’inattention pour filer un coup de latte dans les tibias du voisin qui a eu le malheur de leur déplaire.

Cela dit, je ne suis pas sûr que leur attitude vis-à-vis de leurs partenaires intra-union soit plus louable.

La souveraineté politique, la souveraineté économique, bref la démocratie

Un plan B ne sera évidemment pas une partie de plaisir. Mais si les conditions de la démocratie ne sont pas remplies, il sera inévitable. Privilégier l’économique sur le politique, comme le souhaiteraient les partisans d’un maintien inconditionnel dans l’UE, serait à la fois un très mauvais calcul et éthiquement erroné.

Un très mauvais calcul, car sur le court terme ce qui semblera une bonne idée (« éviter un retour en arrière », « se prémunir d’une chute de croissance », « conserver des liens commerciaux clairs avec nos partenaires », etc.) consistera en fait à nous lier toujours un peu plus les pattes et à nous interdire de réagir avec vigueur face à des problèmes de plus en plus vastes -car c’est bien ce qui se passera si nous nous résolvons à nous conduire en libéraux durant les décennies à venir, tant d’un point de vue social qu’environnemental.

Ethiquement erroné, car surtout nous allons toujours plus réduire la démocratie, en la soumettant aux règles ordolibérales auxquelles l’Union Européenne nous astreint de plus en plus. Sans être devin, nous pouvons deviner qu’il sera toujours plus difficile de « revenir en arrière » sur des règles de plus en plus contraignantes et laissant de plus en plus de pouvoir aux forces de l’économie financière, laquelle ne cédera évidemment pas de bonne grâce face à la démocratie.

L’Union Européenne a privé, ces dernières années, la Grèce de sa souveraineté politique en lui coupant toute possibilité de peser sur son économie dans un sens ou dans un autre qui lui aurait plu et qui n’aurait pas convenu aux créanciers du pays ((Stiglitz raconte les séquences Papandréou – Samaras – Tsipras assez longuement tout au long de son livre. Joseph STIGLITZ, L’Euro. Comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe, Les Liens qui Libèrent, 2016.)). La politique économique et politique de l’Union Européenne a pourtant systématiquement été négative pour les populations durant toutes ces années de crise ((Cf. STIGLITZ, op. cit., p. 315-316.)). Rien ne nous oblige à poursuivre dans ces directions. Rien ne nous oblige à suivre des règles qui conviennent au libéralisme classique, qu’il soit néo, ordo ou autre chose ((Stiglitz a d’ailleurs quelques bonnes idées à proposer aux Grecs s’ils devaient un jour s’émanciper de l’Union Européenne, comme par exemple de créer un système de financement électronique qui ne doive rien aux entreprises privées -à commencer par les banques ; J. STIGLITZ, op. cit., p. 316-318.)).

Si nous sommes de gauche, nous ne pouvons faire l’économie de cet effort.

12 heures d’affilées dans la constitution

Friday, December 15th, 2017

Le Brésil s’étant débarrassé de ses immondes leaders populistes gauchistes communistes barbus et enjuponés, il peut désormais libéraliser à outrance (mais progressivement) son économie.

Tout le monde le réclame: les patrons de l’agrobusinness, les patrons de la grande distribution, les patrons des mines, les patrons de la construction…

Mais qu’ils ne s’inquiètent pas: c’est en marche.

Les services dans la grande distribution de deux des plus grandes chaines du Brésil ont adopté la nouvelle législation qui leur permet d’imposer à leurs employés douze heures de travail continues, pour autant qu’elles soient suivies de 36 heures de repos et que le nombre d’heures de travail mensuelles ne dépasse pas la quantité légale ((Voir ici. Voir aussi mon précédent article ici, ainsi que l’article de ce mois dans le Monde Diplomatique signé par Anne Vigna.)).

Cette nouvelle législation a été reconnue comme constitutionnelle par le Tribunal Suprême Fédéral, le même qui s’est engagé frontalement contre le pouvoir des deux derniers présidents, Luis Ignacio Lula da Silva et Dilma Rousseff.

On ne le sait peut-être pas assez mais, jusqu’à l’année dernière, le Brésil faisait figure de bon élève en terme de progrès social à l’échelle du continent sud-américain, et de manière générale dans l’ensemble des pays émergents. Désormais, à moins d’un sursaut populaire, le libéralisme économique a repris les choses en main… Seulement le libéralisme économique?

Le libéralisme est-il soluble dans la démocratie?

Le libéralisme est une idée politique, me disent certains amis, qui encadre la démocratie et la permet. C’est le libéralisme politique qui a permis, me répète-t-on à l’envi, la liberté d’expression, par exemple, mais aussi la participation politique, le développement de l’égalité des femmes et des hommes ou la tolérance religieuse.

Il n’y a là qu’une demi-vérité, qui en fait un demi-mensonge.

Le libéralisme politique existe en tant qu’idée politique depuis Smith, Locke et Montesquieu; on peut la faire naitre encore plus tôt avec la pratique des Hanses ou des républiques italiennes de Gênes et Venise, voire dans les idées de Cicéron, mais disons que ce sont ces penseurs des environs de 1700 qui en sont les véritables pères fondateurs.

Cependant, l’ouverture à la tolérance, à l’égalité, à la participation politique ne se trouvaient que de manière empirique dans l’esprit de certaines personnalités ou, par à-coups seulement, dans certains écrits et de manière partielle et limitée ((L’esclavage, chez Say, est mollement combattu (il l’encourage circonstanciellement); chez Montesquieu, qualifié de “contre-nature”, mais “fondé sur une raison naturelle”; chez Smith, déconsidéré pour des questions d’efficacité. Cf G. VINDT, Les grandes dates de l’histoire économique, Alternatives Economiques, 2009, p. 146-149.)). On ne trouvera que très rarement des personnalités pour défendre le droit aux femmes à participer à la vie politique ((Condorcet et Olympe de Gouges défendaient ce droit, mais en même temps le conditionnaient au cens, ce qui le réduisait à une femme sur cinquante. Quant à Robespierre, il avait préconisé un système électoral fondé sur les traditions locales qui se basaient souvent sur le “foyer” comme base électorale, incluant donc automatiquement des femmes; Cf. Florence Gauthier ici.)), surtout dans les droits “libéraux” britannique ou français, par exemple. Les minorités religieuses n’ont que très imparfaitement le droit à la liberté d’expression jusqu’au XXe Siècle, et on peut nettement parler d’inégalité à cet égard jusqu’à nos jours dans de nombreux pays qui se targuent de libéralisme, à commencer par la minorité non-croyante. Il est toujours mal vu d’être athée aux Etats-Unis d’Amérique et les sondages à cet égard sont éclairants: la plupart des Etatsuniens préfèrent que leur fille se marie avec un Juif ou un noir-Américain plutôt qu’avec un athée.

Il fallait sans doute le développement du matérialisme, notamment à travers les progrès scientifiques, mais aussi les idées socialistes, pour que l’égalité des droits des femmes et des minorités philosophiques se développe. Quant à l’esclavage, il faut reconnaitre que son abolition a mis du temps à percer dans les esprits libéraux, et que certains y retourneraient volontiers, insinuant qu’un homme est tout à fait libre de choisir de se vendre jusqu’à la dernière goutte de sa sueur -sinon de son sang…

Je me souviens avoir suivi avec bonheur, vers 2003 ou 2004, une exposition sur l’anarchisme présentée et développée par la professeure Anne Morelli, qui montrait que les idéaux de mes ancêtres idéologiques ((Oui, oui, je suis, je reste anarchiste.)) étaient devenus en grande partie réalité: l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, un enseignement sans punition corporelle, la laïcité sur la place publique, la défense des droits des travailleurs, l’expression publique des non-possédants: tout cela, le libéralisme, au XIXe Siècle, n’en voulait pas. Et, en réalité, il préférerait encore s’en passer. C’est la lutte sociale, ce sont les idées socialistes et libertaires qui les ont poussées du bas vers le haut.

Le libéralisme politique n’est pas une garantie d’égalité des droits: le droit privé qui lui sert de base est resté un droit patriarcal et inégalitaire qui ne s’est fissuré qu’au contact de la réalité matérialiste sociale. C’est le matérialisme socialiste qui a poussé notamment vers le suffrage universel, qui n’avait jusqu’alors pas du tout été considéré comme une option acceptable par les élites libérales.

Il fallut attendre aussi les années 1970 pour que les femmes soient juridiquement les égales des hommes en Belgique, par exemple, et nous savons que le libéralisme politique n’a toujours pas établi une égalité stricte notamment en terme de traitement salarial ou de considération par rapport au travail. La longue lutte pour le droit d’accès aux urnes des femmes ne s’est achevée en Occident qu’en 1971, en Suisse. Et pourtant nous reconnaitrons sans doute tous que la Suisse est l’un des pays les plus libéraux qui soient. Non?


On oppose encore trop souvent égalité et liberté.

Quant à l’égalité des droits des personnes issues de minorités raciales, ethniques, nationale, d’origine ou quel que soit le mot que l’on utilise pour les désigner, elle met aussi du temps à trouver sa réalité. Le fait est que les tenants du libéralisme politique profitent largement de la mise en concurrence entre les différentes composantes de la population qu’ils ont contribué à diviser.

Les haines intraclassistes, surtout en bas, y sont encouragées afin de contenir la lutte sociale.

Aujourd’hui que le socialisme recule un peu partout, le libéralisme politique ne fait pas mystère de ses velléités de réinstaller de la sauvagerie dans les rapports humains.

L’accès à la justice gratuite est restreint; demain, il sera sans doute nul.

La négociation paritaire patron-salarié, trop encadrée par les syndicats au goût des libéraux, se transforme peu à peu en négociation bilatérale, plus libérale, parce que fondée sur un rapport d’égalité apparente stricte, ce qui affaiblit d’autant la position du salarié, puisque celui-ci est généralement moins au fait de ses droits que le patron ou que les conseillers de celui-ci. Cette tendance est particulièrement visible en France depuis l’instauration de la loi ElKhomri(-Macron).

On voit d’ailleurs se développer un schéma identique au niveau international avec l’augmentation des négociations bilatérales entre états, ce qui ne peut qu’affaiblir la position des états les moins forts.

C’est cela le libéralisme politique.

La démocratie est-elle soluble dans le libéralisme politique?

Oui, mais, sans le libéralisme, pas de presse libre, pas d’expression libre!

Où a-t-on vu cela? La presse est apparue au XVIIe Siècle, avec les gazettes françaises et britanniques -elle n’a donc pas eu besoin du libéralisme politique pour apparaitre; la censure y était dramatiquement forte, naturellement, mais celle-ci resta réelle jusqu’au XXe Siècle -alors que le libéralisme politique domine depuis cent cinquante ans.

Se souvient-on de la censure qui frappa Hara Kiri le lendemain de la mort du général de Gaulle? Et pourtant, c’est à un gouvernement très libéral, celui de M. Pompidou, que nous la devons.

Si la censure n’est plus aussi forte qu’auparavant, nous pouvons constater régulièrement la pratique de l’auto-censure dans une presse dont les petits soldats sont de plus en plus impuissants par la précarité de leur situation. Un journaliste indépendant est un journaliste crève-la-faim. Internet permet de contourner partiellement cette donne, mais de nombreux journalistes de qualité en sont réduits à la soumission ou à la marginalisation. Et en attendant c’est l’information concrète qui en souffre ((Ce sujet mériterait un long développement. Je vous renvoie aux sites d’Acrimed, de Les-Crises, du Monde Diplomatique, mais aussi de NordPresse, par exemple, et parmi nombre d’autres. En Belgique, nous manquons sans doute de structures de vlogs et de sites indépendants capables de se financer pour nous informer professionnellement; ce défi est particulièrement complexe en raison de la petite taille de notre pays et de la faiblesse de sa population francophone.)).

A nouveau, il n’y a pas de corrélation entre libéralisme politique et liberté.

Le libéralisme politique s’accommode fort bien de restrictions de libertés. Nous le voyons encore aujourd’hui avec la multiplication des mesures d’exception pour cause de terrorisme. La situation est certes grave, mais elle l’est beaucoup moins, objectivement, que dans les années 70 et 80, lorsque nous risquions réellement en raison de la situation politique une guerre mondiale sur un simple coup de sang de l’un ou l’autre des dirigeants étatsunien ou soviétique.

Aujourd’hui, ce risque n’existe que parce que le libéralisme politique a permis l’élection d’une personnalité qui jouissait précisément de l’ensemble des libertés d’expression -et d’action- que ce mouvement d’idée revendique, sans aucune restriction. Lui et son alter ego démocrate, Madame Clinton, se sont retrouvés seuls candidats possibles d’une élection complètement anachronique aux yeux de n’importe quelle personne soucieuse de démocratie qui surgirait d’outre-espace et qui se poserait la question: comment se fait-il qu’un tel système se prétende démocrate? Comment se fait-il que deux fraudeurs, menteurs notoires, criminelle de guerre pour l’une, homme d’affaires sans scrupule, failli à plusieurs reprises et totalement en contradiction dans ses actes par rapport à ses paroles lors de sa campagne électorale pour l’autre puissent prétendre au poste élu considéré le plus important dans le monde? Précisément parce que la raison et les intérêts du plus grand nombre ne sont pas respectés par le libéralisme politique: ces intérêts ne sont pas poussés par l’inégalité réelle entre les citoyens, une inégalité qui existe du fait du capital économique, social et culturel des êtres humains, entérinés par le libéralisme politique; quant à la raison, elle n’a pas de poids face à la sacro-sainte propriété privée et à la liberté d’enrichissement sans limite.

Dans le même temps, l’auto-proclamée “Communauté internationale” a pu accepter et reconnaitre successivement un grand nombre de coups d’Etat ou d’élections truquées ((A suivre encore la situation actuelle au Honduras.)), ainsi que leurs résultats; les mêmes Etats supposés libres sont alliés à certaines des pires dictatures actuelles, notamment au Moyen-Orient ou en Extrême-Orient, sous prétexte d’intérêts globaux, mais sous couvert d’intérêts privés. Le libéralisme politique a bon dos.

L’application des idées de Locke, Montesquieu et Smith, toute bonne foi mise à part, signifie en réalité la confiscation du pouvoir par une élite (élue) dans un système qui se prétend démocratique ((Ceci est d’ailleurs clairement revendiqué par Tocqueville.)), qui se qualifie de libéral, et qui a réussi le tour de force de faire avaler à la plupart des têtes pensantes que cette situation est belle et bonne. A moins qu’elles ne s’en accommodent.

La réalité, c’est que les poussées réellement démocratiques qui ont eu lieu au cours de ces deux cents à trois cents ans, au sein de systèmes politiques qualifiés de libéraux, venaient et viennent toujours de la rue, de la pression sociale, des organisations les plus horizontales possibles ((Même si une horizontalité totale parait impossible aux yeux de Lordon. Encore une discussion à reprendre.)). Sans pression sociale, il n’y a pas de progrès social, il n’y a pas d’égalité. Et sans égalité, la liberté est un luxe de possédant. Le libéralisme politique refuse de reconnaitre ce fait.

Ou plutôt, il prétendra le reconnaitre, mais seulement dans un droit hypocrite, qui permettra progressivement à tout un chacun d’accepter un contrat de travail inique, en toute liberté, dans une situation d’inégalité manifeste, mais béatement niée dans le marasme glauque de “l’égalité des chances”.

Comme si la nécessité quotidienne de manger aujourd’hui n’existait pas. Comme si demain vous n’accepterez pas de travailler douze heures par jour si c’était la seule possibilité qu’il vous reste pour nourrir votre famille.

Contre-révolution

Friday, November 11th, 2016

Ce post ne fait pas suite aux clowneries récemment arrivées aux USA, en France ou au Brésil.

IL y a quelques mois, je publiais ici-même un bref aperçu de la révolution française, insistant sur certains éléments de cet événement avec l’objectif de faire réfléchir le lecteur sur les possibilités de parallèle avec notre époque. De parallèles, pas de comparaison.

La Terreur?

Les époques ne sont jamais comparables et les leçons de l’histoire sont avant tout des pistes de réflexion, pas des modèles à suivre ou à rejeter. Il ne s’agit pas non plus de faire croire que nous serions à la veille d’une nouvelle révolution française. L’idée n’est pas là, même s’il est vrai qu’il m’arrive de dire que “nous sommes en 1788”. Mon objectif, en proférant cette phrase qui peut paraître choquante (après tout, 1793 n’est qu’à quelques années de 1788, et nombre de personnes au capital culturel élevé pourraient penser que quelque chose leur pend au nez), n’est pas d’effrayer, mais de faire réfléchir sur les options à venir. A en illustrer aussi les possibilités sans devoir rallonger ce texte.

Car si la révolution française a fini par échouer entre les mains d’un dictateur (je parle de Napoléon, pour les esprits les moins éclairés et pour les savants les plus obtus), dont les crimes sont à mettre au même niveau que ceux des rois qui l’ont précédé ou des maniaques de ces deux derniers siècles que l’on a l’habitude d’honorer sans beaucoup réfléchir, si la révolution française n’est pas parvenue à résoudre les équations de la liberté et de l’égalité, ce n’était pas une fatalité.

Différentes routes plus ou moins rationnelles

Aujourd’hui non plus: il n’y a aucune fatalité dans le processus de dégradation de la démocratie, de réduction des acquis sociaux, de menaces sur les minorités. Il ne s’agit pas dans un premier temps de mettre des noms sur ces phénomènes, cela ne pourrait m’amener qu’à en oublier certains, lesquels seraient susceptibles de remplacer les pointés du doigt. Ce qui serait l’inverse de l’objectif. Il n’y aurait de fatalités que si nous acceptons de ne rien changer des structures de nos sociétés.

Il ne s’agit pas non plus de réduire l’avenir à deux possibilités, ce serait une erreur; il y en a au moins trois que j’identifie clairement et une quatrième que j’espère encore.

Il y en a peut-être d’autres, évidemment. Je ne suis pas éditorialiste, chroniqueur ou essayiste invité sur les chaines autorisées; je ne me ferme pas à mes propres spéculations.

Dégringolade

La première, et la plus évidente à l’oeil nu, quoique pas nécessairement la plus viable, est la poursuite de cette lente dégradation des conditions de vie, tant aux USA qu’en Europe, et qu’accompagnera une stagnation, voire un recul aussi, des conditions de vie dans le reste du monde: en raison de la fin de la croissance économique, par la force des choses, et en dépit des délires maniaques de certains économistes qui s’imaginent que l’économie virtuelle et financière peut poursuivre sans fin son ascension sur la famine des deux tiers de l’humanité, pour cette raison donc, le gâteau cessant de croitre, les prédateurs poursuivant leur quête d’accumulation, les parts congrues qui resteront aux classes inférieures (dont nous sommes, à moins que nous ne fassions partie des prédateurs) se réduiront petit à petit, le plus lentement possible pour réduire les risques de révoltes, ou en tout cas réduire le nombre de révoltés à chaque incident.

Le jour des morts

La deuxième possibilité serait que les prédateurs ne se satisfassent pas de cet arrêt de la croissance auquel ils refusent de croire parce qu’il n’est pas inscrit dans leur idéologie libérale. Le libéralisme, à l’instar du requin, réclame un mouvement continu, croissant, sans lequel il n’est plus nourri et meurt. Si les prédateurs refusent de se contenter de la lente réduction des avantages du plus grand nombre pour leur permettre de continuer à se goinfrer, mais trop raisonnablement à leur goût, alors le risque est qu’un nombre de plus en plus important de ces psycho-sociopathes tentent des coups de plus en plus audacieux, susceptibles de produire de plus en plus de victimes. Jusqu’au jour où l’enjeu pourrait en être une telle somme de vies, d’années de vie potentielles, d’environnements, de sociétés, d’acquis de base, que, ces prédateurs n’étant pas alliés, mais en concurrence perpétuelles, et leurs enjeux étant donc contradictoires, on en viendrait à une profusion telle de conflits, tournant en guerres toujours plus brutales, que l’espèce humaine pourrait disparaitre rapidement.

Certes, le risque d’une disparition prochaine de l’humanité est envisagée par une bonne série de futurologues, et comment pourrait-on ne pas être d’accord, puisque la théorie de l’évolution nous apprend que nous ne sommes qu’une étape dans le processus évolutif. Mais alors que le processus scientifiquement établi nous laissait espérer que notre espèce ne disparaitrait que progressivement au bénéfice d’une suivante, produit de notre propre espèce par filiation, cette seconde possibilité, elle, amènerait l’humanité à un stupide processus d’auto-destruction, triste, définitif et pourtant absolument pas inéluctable.

Autorité

La troisième possibilité, qui pourrait être la plus probable, si l’on admet que la plus grande partie de ces prédateurs aiment leurs enfants, c’est que ces derniers s’emparent par quartiers gigantesques des différents espaces de pouvoirs en jeu (géographiques, économiques, intellectuels, symboliques) et s’arrangent pour les conserver de manière autoritaire, quitte à laisser le reste de l’humanité dans un marasme qui les indiffère. Aux yeux des trois quarts de la population, cette situation est d’ores et déjà une réalité. Peut-être même ces trois-quarts souhaitent-ils que la même chose nous arrive… Un peu comme je me réjouissais hier de voir ces Etatsuniens crier “not our president”… Je me disais, tiens, c’est bien leur tour…

Peut-être que c’est notre tour… après tout, combien sommes-nous à avoir pleurer sur nos colonies? et sur nos néo-colonies?

Révolution et contre-révolution

Bien sûr, au cours du XXe Siècle, et même depuis la fin du XVIIIe Siècle, des mouvements laissaient entrevoir que la démocratie réelle puisse faire des progrès. La participation au pouvoir augmentait. Le pouvoir personnel tendait à diminuer. Mais les lieux de pouvoir se multipliaient, les richesses cumulables aussi et nous avons laissé nombre de leviers de pouvoirs entre les mains d’une poignée d’individus imbus de leurs puissances et de leurs avoirs.

De cette erreur sont nés les mouvements contre-révolutionnaires qui tendent à s’imposer depuis une cinquantaine d’années. Alors que nous avions gagné toute une série de droits, du moins en Europe Occidentale, et même aux USA, alors que ces droits et ces avantages semblaient s’étendre de plus en plus loin, en dépit de nombreux contre-feux, dans les pays qualifiés d’émergents, ce mouvement, désormais, peut-être en partie en raison de l’émancipation d’une grande partie du monde, mais plus sûrement parce que le capitalisme est arrivé au bout des possibilités de ses conquêtes sans réduire les acquis du plus grand nombre, est arrivé à son terme dans le cadre de la sociale-démocratie, espèce de compromis fragile entre le capitalisme libéré et la démocratie parlementaire. Désormais, la sociale-démocratie est faillie. Le capitalisme en a pris possession et refuse tout nouveau compromis, ayant mis sur le bûcher les traces des précédents.

La première et la troisième possibilités peuvent évidemment se combiner, et cela aussi ressemble à notre présent. La deuxième est une fin possible des deux autres.

Positive

Reste la quatrième, la plus souhaitable, moralement si on a un peu de morale, et surtout pour la plus grande partie de la population. Encore faut-il qu’elle parvienne à s’en convaincre.

La quatrième, c’est que nous soyons effectivement en 1788, que nous nous jetions avec allégresse sur 1789, et que nous arrêtions le processus entre 1793 et 1794, sans passer par la case Thermidor ((Le succès de la contre-révolution bourgeoise avec la chute des Montagnards, dont la figure la plus connue est Robespierre.)), et encore moins par celle de Brumaire ((18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799), premier temps de la prise de pouvoir de Napoléon Bonaparte.)), pour éviter la Restauration ((de Louis XVIII en 1814-1815.)) et le retour à la case départ, aggravée par le processus de concentration capitaliste qui en est résulté. Autrement dit, que la prochaine explosion démocratique ne se laisse pas embobiner effectivement par la minorité possédante soucieuse de conserver son pouvoir de domination -et de nuisance, bien que je veuille croire que cela ne soit qu’incidentel dans le processus-, ce qui implique que nous établissions très vite après cette explosion démocratique des structures qui empêchent le retour de toute concentration du pouvoir entre ceux qui ont intérêt à ce qu’il le reste.

Les occasions ont existé dans le passé, et cela doit plus nous donner de l’espoir que nous désespérer. La réalité est que les Thiers, les Barras, les Sieyès, les Poincaré ont souvent eu peur de tout perdre, et qu’ils ont été obligés de plonger leur pays dans des horreurs sans nom pour que leurs donneurs d’ordre ne perdent leurs quartiers.

L’argument de la contre-révolution restera toujours le même: seuls les possédants savent ce qui est bon pour le peuple. C’est le seul argument qui explique, par exemple, que les sièges d’administrateurs se trouvent cumulés entre les mains de quelques individus, que le gouvernement français vienne encore de décider de réduire le temps de parole des “petits candidats”, que les deux partis qui se partagent le pouvoir aux USA soient ceux qui reçoivent les financements des plus grands entrepreneurs du pays. Le simple fait que l’on ait fixé par la loi et les faits, quoique pas explicitement, que la liberté d’expression soit liée à la propriété des médias, et que ces derniers se trouvent dans la plus large proportion entre les mains d’une toute petite minorité liée au pouvoir financier et au pouvoir politique, que les rares tentatives de contester ce pouvoir, au Brésil ou au Vénézuéla, par exemple, soient agressivement condamnées avec une unanimité violente et sans aucune hésitation par les médias des autres pays, ce simple fait suffit à montrer que, effectivement, la lutte des classes est bien d’actualité, et que la classe du dessus veille bien à ce que les classes inférieures ne l’approchent jamais de trop près.

La conclusion de ce post se trouve dans tous ceux qui précèdent.

Certes, ce genre de discours risque fort de tomber sous le coup de l’accusation selon laquelle des individus comme moi veulent “couper tout ce qui dépasse” et “niveler par le bas”.

Inutile de dire que cet argument ne tient que pour leurs avantages, et que leur objectif en nous accusant de cela est de refuser de considérer la souffrance et la douleur qu’eux-mêmes ont produit, produisent et produiront encore si, effectivement, on ne coupe pas ce qui dépasse de leur jeans et qu’on ne nivelle pas leur pouvoir.

Une “brève histoire” de la consommation actuelle

Wednesday, September 16th, 2015

C’est l’histoire du libraire qui râle sur Amazon et utilise Uber;

l’histoire du taximan, qui râle sur Uber et prend un vol Ryan-Air;

l’histoire du pilote d’avion qui râle sur Ryan-Air et possède des actions chez Mittal;

L’histoire de l’ex-ouvrier métallo qui râle sur Mittal et achète une Dacia;

l’histoire de l’ex-ouvrier Renault qui râle sur la Dacia et va chez Lidl;

l’histoire du petit producteur qui râle sur Lidl et épargne sur KeytradeBank;

l’histoire de l’employé de banque qui râle sur Keytrade Bank et offre ses cadeaux via gift.be;

L’histoire du fleuriste qui râle sur gift.be et achète ses pompes sur Zalando;

l’histoire du dernier cordonnier qui râle sur Zalando et réserve ses vacances sur Booking.com;

l’histoire du voyagiste qui râle sur Booking.com et inscrit son fils sur des cours en ligne;

l’histoire du professeur d’université qui râle sur les cours en ligne et achète son ordinateur chez Vanden Borre

l’histoire du détaillant en informatique qui râle sur Vanden Borre et achète son vélo chez Decathlon;

l’histoire du petit vendeur de vélo qui râle sur Decathlon et achète ses pilules bleues en ligne;

l’histoire du pharmacien qui râle sur les sites de ventes de médocs en ligne et ne lit que la presse gratuite;

l’histoire du journaliste qui râle sur la presse gratuite et est abonné chez Carrefour Mobile;

l’histoire de l’employé de téléphonie qui râle sur Carrefour Mobile et regarde ses films et séries sur Netflix;

l’histoire du petit exploitant de cinéma qui râle sur Netflix et achète ses dvds et livres sur Amazon…

C’est l’histoire d’une société de consommation qui est arrivée à son climax avant fermeture…

Et si vous vous demandez pour le titre entre guillemets, c’est parce qu’il y a des historiens low-cost qui s’amusent à écrire des “brèves histoires”, et que ça aussi ça m’énerve…

Tiens, je vais aller m’acheter des chocolats sur merde-en-ligne.be…