Archive for February, 2012

Et vice versa…

Saturday, February 18th, 2012

Le Soir est-il politiquement engagé?

Certes, oui, mais dans quelle direction? Analysons un article mis en ligne ce samedi pour s’en faire une petite idée:

Des navires de guerre iraniens franchissent le canal de Suez

Rien que le titre devrait nous mettre la puce à l’oreille: serait-ce que lorsque ce même canal est traversé par un navire étatsunien, britannique, français, israélien ou issu d’un autre pays de l’axe du bien, même non démocratique (tout peut se discuter), le Soir écrit-il un article? Vous allez me dire: c’est le contexte… L’Iran, les avancées nucléaires, le Détroit d’Ormuz…

De fait, ce contexte devrait nous être rappelé, avec toutes les bases étatsuniennes et alliée qui encerclent l’Iran, les prétentions civiles du nucléaire iranien, les deux à trois cents têtes nucléaires avérées de la première puissance militaire de la région (Israël) ((Jimmy Carter a récemment émis l’hypothèse que l’Iran puisse effectivement mentir et construire deux ou trois ogives nucléaires. Sa réaction était en réponse qu’il n’y voyait guère la moindre menace considérant la masse nucléaire que représente l’Etat d’Israël. Carter aurait pu aussi bien évoquer les milliers de têtes nucléaires étatsuniennes dont une grande quantité se trouvent stockées sur des navires dans la région dont question.)), et le fait que le Détroit dOrmuz se trouve dans les eaux territoriales de l’Iran bien plus que dans celles de n’importe quel Etat qui lui conteste le droit d’y envisager un blocus. Dont acte.

C’est la seconde mission en un an que les navires de guerre iraniens effectuent dans la Méditerranée.

Ciel! Et la première s’est bien passée? Que peut-on craindre de celle-ci?

Des navires de guerre iraniens sont entrés samedi en Méditerranée après avoir franchi le canal de Suez, a annoncé le commandant en chef de la marine l’amiral Habibollah Sayyari, cité par l’agence officielle Irna.

Il n’a pas donné de précisions sur la destination ou la mission de ces bâtiments, se bornant à indiquer qu’ils portaient « un message de paix et d’amitié » aux pays de la région mais « montrent également la puissance de la République islamique d’Iran ».

Jusqu’à preuve du contraire, ces navires iraniens (à moins qu’on nous ait menti depuis des décennies sur la puissance de feu de l’Otan) ne constituent en rien une menace pour aucune nation “libre” du monde. Le message de paix proclamé, il est vrai, serait sans doute plus crédible avec un navire de plaisance, un bateau-école ou un canot de Greenpeace, mais, bon, on a vu pire avec des messages similaires transportés par des porte-avions occidentaux ((Vu qu’ils ne sont pas des gens comme nous, on les imagine mal utiliser une colombe, évidemment.)).

Les navires ayant traversé samedi le canal de Suez pourraient être le destroyer Shahid Qandi et le bâtiment de soutien et de ravitaillement Kharg.

C’est pas pour dire, mais question précision de l’information, on a fait mieux… Cela dit, si le plus gros machin que les Iraniens nous envoie est un destroyer, même nos dragueurs de mines nationaux pourraient leur contester la prééminence en Mare Nostrum -on peut rire un peu…

Lors de la première mission en Méditerranée de la marine iranienne, les deux navires s’étaient rendus en Syrie pour une escale au port de Lattaquié avant de regagner la mer Rouge et l’Iran.

Ah ben revoilà la mission de l’an dernier… On peut pas dire qu’elle ait brillé par ses exploits guerriers… Et pourtant:

Cette première mission avait suscité de vives réactions de la part d’Israël qui l’avait qualifiée de « provocation » et avait mis sa marine en état d’alerte, tandis que Washington avait lancé un avertissement aux navires iraniens en leur demandant de « se conformer aux lois internationales et n’entreprendre aucune action qui pourrait compromettre la sécurité ».

Les Zuessa mettent-ils aussi en garde dans les mêmes termes les navires de guerre canadiens quand ils quittent un port proche des côtes du Maine ou de Colombia? Renâclent-ils à l’idée d’un baleinier japonais proche des eaux territoriales de l’Alaska? Sûrement pas: les Iraniens, ce sont sans doute de grands enfants qui ne respectent les règles QUE si on les leur rappelle…

Quant à Israël, oui, certes, bon… Ben oui… Mais on ne peut rien dire sur Israël, sinon on est antisémite, alors, bon, rien…

La nouvelle mission iranienne en Méditerranée intervient alors que les tensions entre Israël et l’Iran sont au plus haut, alimentées par la crise autour du programme nucléaire iranien et les récents attentats anti-israéliens en Inde et en Thaïlande attribués par l’Etat hébreu à Téhéran.

Tiens, et ça n’a pas de lien avec les attentats attribués au Mossad et ayant touché des scientifiques iraniens sur le sol iranien? Ah ben non. Ou alors le Soir n’est pas au courant. Ni AFP, dont le journal reprend la dépêche.

Est-ce que le Soir, par ailleurs, ou AFP, font le décompte de l’ensemble des navires occidentaux qui manoeuvrent du côté d’Ormuz? des troupes qui patrouillent autour de la République, certes islamique, mais dotée d’un parlement élu, d’un président élu, qui ne nous réjouissent peut-être guère, mais bon, sommes-nous VRAIMENT une référence démocratique? Le Soir a-t-il véritablement produit un message intéressant, apaisant, propre à informer ses lecteurs autrement qu’en leur foutant la trouille-genre-attention-les-vilains-Perses-sont-à-deux-doigts-de-nous-envahir-avec-une-flotte-innombrable-d’au-moins-2-(deux!)-navires-de-GUERRE, oui, de guerre, de guerre, ça dit bien ce que ça veut dire, non?

Allez, ils nous ont déjà fait le coup avec Saddam, Mouamar et les autres… C’était sans doute des coups d’essai: si ça marche contre des dictateurs laïcs, ça marchera contre des présidents fondamentalistes: quelle différence après tout? Et puis, c’est dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleures soupes…

Bravo, Emile

Saturday, February 18th, 2012

Juste pour vous manifester mon affection récente et tardive pour un auteur de bandes dessinées pas banal, en dépit de ses principes a priori peu novateurs; Emile Bravo tente de retrouver les chemins de la bédé pour enfants, ou en tout cas pour jeunes, à travers sa vision de Spirou (Le Journal d’un Ingénu, largement primé) ou son personnage maintenant fétiche des épatantes aventures de Jules. Et pourtant, rien n’est simpliste, ni linéaire, dans les scénarios de cet excellent dialoguiste, au demeurant graphiste de grand talent.

Le trait un peu gras donne un beau relief à l’ensemble qui hésite avec subtilité entre ligne claire et nervosisme à la Franquin. Les ellipses narratives sont nombreuses et bien situées, et permettent d’équilibrer de longues sections de dialogues complexes, rendus très naturels par des coupures liées au contexte, comme un coup de téléphone qui hache le raisonnement d’une scientifique ou l’arrivée à destination des personnages occupés à discuter sur le mythe d’Orphée dont on n’aura le fin mot qu’en conclusion de volume.

L’auteur n’hésite pas à sacrifier ou faire disparaître un personnage secondaire avec plus de naturel que ceux qui ont tendance à les conserver par fidélité ou par souci d’efficacité. Ainsi, autour de Jules, il arrive qu’on ne voie pratiquement pas sa petite amie pendant presque tout un album -alors qu’elle est si attachante-, que tel ami, devenu trop grand (Jules vieillit moins vite que son entourage en raison de ses voyages spatiaux), disparaisse, que ses amis extraterrestres soient carrément absents au cours de telle ou telle aventure, en dépit du ressort comique potentiel qu’ils représentent et de l’évidence qu’ils ont acquise dans le vécu de notre héros.

Bravo étale avec sympathie et brio toute sa science, qui est grande, pour familiariser les enfants aussi bien avec la politique (dans le Journal d’un ingénu), avec la philosophie, la cosmologie, ou la physique, et même un brin de “théologie pour les nuls” (dans l’excellent “La question du père”). La science-fiction n’hésite pas à flirter avec le réalisme et Jules se retrouve de fait à cheval sur les deux styles, mais avec autant de bonheur que d’humour.

Les morales déversées par des extraterrestres délirants sont autant de possibilités de réflexions pour les jeunes, les plus jeunes et les moins jeunes. Enfin, il n’hésite pas à se mettre en danger en présentant une thèse scientifique en début de volume pour ensuite la démolir par la bouche (invisible) d’un autre personnage. Cette dialectique interne, accueillie par Jules auquel le lecteur ingénu (tel Spirou) peut s’identifier, enrichit encore le monde vivant, mobile, fluide de l’auteur.

On hésite toujours à fixer l’âge du public d’Emile Bravo. Parfois, on a un peu l’impression qu’il est plus jeune que soi; parfois, que la masse de dialogues s’avère inaccessible aux enfants; l’action de certaines pages tranchant avec l’inertie de beaucoup d’autres pourraient s’avérer un obstacle marketing à ses scénarios, mais ce n’est pas moi qui m’en plaindrai: j’adore.

Emile Bravo s’est également amusé à massacrer les contes traditionnels, mais je m’abstiendrai d’en dire trop, car je n’ai pour l’heure parcouru que l’un de ses volumes qui, pour drôle qu’il était, me convainquait moins.

J’en reviens à mon titre: Bravo, Emile.