Course
Je m’étais déguisé en semi-pro -pas certain d’être vrai -je ne sais pas. J’ai remonté les nids jaunes, les oreilles accrochées à ces diables de rythmes en boîte. L’espace était encore doré. Mes jambes étaient déjà lourdes. Je digérais. Les chars de l’enfer et les fureurs rouges, orange et vertes me faisaient tordre la tête -une colonne de fumée me ralentit aux portes du souverain. Les échos de la ville ne m’effleuraient pas. Les contours alentours m’arrivaient flous. Je ne respirais que pour vivre. Seuls mes pieds touchaient parfois terre. La visière sur le front, sur la nuque, un cliquetis de tour Eiffel sinistre, un décodeur magnétique adroit, mes lèvres murmuraient parfois les sorties de théâtres, les coeurs autour du monde, les samplings lunaires -j’aimais ça. Ma hanche droite m’a alerté dans la première ascension -je touchais à nouveau terre plus souvent -plus lourdement -ce corps se rappelait à moi -j’ai tenté un saut dans les champs dorés -je passais alors devant l’empire du plastique (brutal retour).
Plus loin. Déjà un demi-tour. Je me sens proche. Un couple, un cycliste, un chien et le truc qui l’accompagne en général au bout d’une laisse. La terre est toujours bien là. Elle m’enfonce un peu plus quand j’accroche dans l’ombre de mes rétines les cannes d’anciennes étoiles proches du trou noir.
Je passe une dernière vitesse -j’accroche- c’est plus difficile que… Là-bas, au loin, les aiguilles me narguent de leur invisibilité -quelques frères d’armes me soutiennent -mais de réaliser qu’elle est encore si loin -je ne comprends pas tout de suite que je marche… que mes pieds brûlent dans leurs cuirs… que mes poumons réclament l’Everest -il n’était plus loin mais il m’écrasait de sa proximité -pourquoi hésitons-nous encore là?
Est-ce en rêve que j’ai repris ma course? Était-ce réel lorsque le bronze incohérent de liberté sembla se révéler à moi? et ces insectes écrasés qui me grimpaient sur les cuisses et le dos -d’où venaient-ils?
Je pédalais encore dans le vide -bien sûr, qui espère arriver? Je souffrais en cadence, écroulé, le coeur à la Chaplin, au vinyl d’avant-guerre. Mes bras lançaient d’un côté, de l’autre. Ma langue était jaune, je me ramassais sur moi, je m’étendais le plus loin possible. Mes chaussures à bas, mes cuirs à l’air, ma chemise en feu. Je sentis distinctement, alors, pendant une longue minute -une minute bercée d’Islande- ce dont on me parlait quelques fois, qu’on me disait essentiel pour éprouver la beauté de la matière, fondre en elle et crier aux ciels, je sentis seul, sans les mains, le nez aux étoiles effacées par les richesses de la ville, je sentis la mer allée avec le soleil.
Je me revoulus ivre.