On sait généralement une chose, à propos des anars, c’est qu’ils ont participé très souvent aux mouvements pacifistes, aux campagnes d’objection de conscience, qu’ils ont déserté pas mal de guerres aussi. En 14-18, les mutineries et les désertions étaient régulièrement menées par des tenants de ces vues politiques. On leur doit pas mal de chansons pacifistes, voire insurectionnelles, comme la Chanson de Craonne ou Mutin de 1917.
Comme tous les anarchistes, ou peu s’en faut, la guerre me fait horreur; en outre, je m’inscris largement dans la tradition de Chomsky, Bricmont ((Lire son “Impérialisme humanitaire”, dont je parlais ici.)) et Baillargeon ((Lire entre autres “Les chiens ont soif. Critiques et propositions libertaires”, Agone, Québec, dont je cherche encore la date d’édition.)) pour n’évoquer que quelques théoriciens vivants de l’opposition à la “guerre humanitaire” et au “droit”, voire au “devoir d’ingérence”. Nous condamnons, avec raison et arguments auxquels nous n’avons jamais rencontré d’opposition valable, les interventions occidentales au Kossovo, en Afghanistan, en Irak, et dans bien d’autres situations. À propos, j’en profite pour manifester mon opposition lourde et claire à toute intervention occidentale présente ou future dans le cadre des actuelles révoltes en Afrique ou au Moyen-Orient.
Cependant, certains se demandent peut-être quelle a été la position des anarchistes dans tel ou tel cas. N’ont-ils pas participé à la Guerre d’Espagne, par exemple? Certes, encore serait-il plus juste de dire que “des anarchistes” (beaucoup, oui), et non “les anarchistes” s’y sont lancés avec enthousiasme et grand espoir de contribuer à l’établissement d’espaces libertaires dans l’Espagne républicaine, avec pour ambition, telles les communautés ou colonies anarchistes, de convaincre par le fait concret de la justesse de leurs idées.
Oui, si j’en avais eu l’occasion (et le courage), j’aurais volontiers pris le parti de la République en 1932 en Espagne.
Et à quelles autres guerres aurais-je accepté de participer? La Seconde guerre mondiale?
Si la Première relève de l’absolument exclu, pour ce qu’elle a été un véritable piège à travailleurs, on pourrait se poser plus de questions quant à la seconde. Ne fallait-il pas barrer la route à la barbarie nazie? Peut-être, comme sans doute il fallait barrer celle de Le Pen en 2002… Non, en pleine possession de mes moyens et de ma capacité de jugement, je n’aurais pas accepté de participer à la IIe Guerre Mondiale.
Pour deux raisons profondes. La première étant que les combattants de gauche et d’extrême-gauche ont été largement trahis à la fin des combats et n’ont pu faire valoir de leur valeur pour peser suffisamment dans la balance des négociations lors du retour des “démocraties”. Certes, il existe encore la fameuse déclaration de 1944, sur laquelle l’Etat-Providence a été fondée, mais je suis persuadé que cet Etat-Providence a surtout été réalisé en raison de sa nécessité circonstancielle. Lendemain de guerre, nécessité de relancer l’économie, grande quantité de blessés, d’invalides, grandes pertes dans la génération active, pression sociale, fragilité des gouvernants, a probablement plus poussé la caste au pouvoir à céder les bases des “30 glorieuses”, que l’on allait encore financer sur le dos des colonies et à coups d’endettements colossaux. La deuxième raison est peut-être plus cynique, mais elle ne doit pas être mal comprise. Certes, le nazisme est l’un des pires fléaux qui ait existé et qui existe encore, mais il était de toute façon pris en tenaille et, raisonnablement, on ne pouvait imaginer qu’il parvienne à vaincre le binôme URSS-USA, de quelque manière que ce soit. Aussi, le simple fait de lancer les maigres forces anarchistes, d’un simple point comptable, considérant que les forces réactionnaires, capitalistes, suffisaient largement à la boucherie, je n’aurais pas trouvé juste de m’engager, ni d’engager ceux qui partageient mes affinités à une telle aventure. Certes, résister passivement, refuser de collaborer, saboter, cacher résistants et fugitifs, soustraire des moyens aux envahisseurs, pourquoi pas? Mais cette guerre n’était pas plus celle des anarchistes -et de la gauche en général- que la Première Guerre Mondiale. Je sais qu’il y a beaucoup à objecter là-dessus, mais j’en ai l’intime conviction.
Alors à quelle autre guerre aurais-je accepté de participer en tant que combattant -et donc voué à un éventuel (voire probable, vu mes capacités physiques) sacrifice?
Il faut savoir que ce n’est pas une mince affaire que de répondre à cette question, car elle implique le seul véritable sacrifice qu’un anarchiste estime véritablement réel: celui de sa vie, et éventuellement celui de celle de ses proches. Nous n’avons pas de promesse de paradis ((Les anarchistes croyants sont les moins courants.)), pas de noble cause du genre la Nation, la Raison d’État, les Valeurs traditionnelles ou le Portefeuille du Père, non, nous n’avons que l’humanisme, la compassion, la raison, l’amour de la liberté et de l’égalité et l’absence totale de considération pour les biens quand il s’agit de la vie d’autrui.
Se battre pour notre le mode de vie occidental? pépette! Pour le pétrole? des clous! Pour la démocratie représentative fondée sur la campagne électorale du plus couillu? Polop!
Alors quoi?
Je l’ai déjà mentionnée, la Guerre d’Espagne et, par association d’idée, la Commune de Paris-Lyon-Marseille et autres… Deux guerres perdues, deux espoirs assassinés par les forces conservatrices -dans un cas largement tolérées par les démocraties bourgeoises qui allaient négocier la neutralité de Franco pour 1940, dans l’autre cas avec une absence totale de considération pour ce qui fondait la société d’alors dans les villes françaises, aka le peuple.
J’aimerais dire que j’aurais pu participer à des guerres de décolonisation, mais j’ai trop l’impression que les peuples s’y sont fait baiser par les pseudo-nationalistes qui se sont emparés des rênes, soutenus par l’un ou l’autre pouvoir financier à côté. D’un autre côté, évidemment, en tant qu’Occidental, je ne me serais senti autorisé à y participer que si j’avais été “l’un d’eux”.
Par contre, perdu pour perdu, j’aurais suivi Geronimo, Sitting Bull, Crazy Horse, Cochise, et tous les autres, sans hésitation. Si j’avais été des leurs, évidemment…
Ceci par opposition à la fuite de mes responsabilités en 40 en Europe Occidentale…
Dans le même ordre des choses, et tout aussi désespéré, j’aurais voulu empêcher l’avancée des Bandeirantes au Brésil, si j’avais été Guarani, ou tout autre natif d’Amazonie.
Je me serais sans doute lancé dans de nombreuses jacqueries sous l’Ancien Régime, aussi. Pour l’abolition des privilèges… Mais j’aurais aussi tenté de résister aux enclosures, ces saloperies qui ont fondé le capitalisme terrien moderne. Il y a eu beaucoup d’occasions de ce genre qui se sont malheureusement terminées très mal pour les “horizontaux”…
D’un autre côté, il y a de nombreux cas où je ne me serais pas vu prendre parti: France ou Angleterre? Lancastre ou York? Vercingétorix ou César? Rien à foutre. Tous des couillus qui se foutaient royalement des peuples qu’ils manipulaient, taxaient, dépiautaient au passage, histoire de montrer qui étaient les chefs.
D’autres fameux conflits dits de libération où je me serais réfugié à l’ombre en attendant la connerie passer: 1776 (Etats-Unis), 1640 (Grande-Bretagne), 1066 (même endroit), Guerre de Cent Ans, et toutes les clowneries pseudo-nationales où il s’agissait plus de choisir le nouveau maître qui allait remplacer l’ancien. Pas de ça, l’ami, pour moi… Tout n’est pas bon dans le cochon…
Et la guerre de sécession? Tel un petit Blutch, j’aurais tout fait pour la déserter. Il est de notoriété publique que l’esclavage n’était qu’un prétexte et qu’il fallut attendre longtemps avant que les Noirs jouissent véritablement de droits dans le Sud des USA… Ne rigolons pas: 1861-1865 a été un autre de ces pièges à cons…
En définitive, ça ne fait pas beaucoup de conflits… Grosso modo, ceux qui marquèrent une véritable vocation de libération issue du peuple, non de l’élite; aucune guerre nationale ou nationaliste; pas la plus petite intromission religieuse, ah! ça non!
De toute façon, la guerre étant toujours le produit d’un rapport de force, la seule valable ne peut qu’être motivée par un souci populaire de se débarrasser, même de manière illusoire ou désespérée, de l’impérialisme et du capitalisme.
Tiens, et 1917? Ah ben oui… Si j’avais été Russe, Ukrainien, en 1917, je me serais fait baisé dans les grandes largeurs… comme tous les anarchistes de l’époque…