Elections du 25 mai
Coïncidence : au moment où je songeais à écrire ce texte, je recevais sur un réseau social d’une part, dans ma boîte électronique de l’autre, l’expression de deux copains sur les raisons, bonnes ou mauvaises, de voter ou de ne pas le faire.
De mon côté, il ne saurait être question de donner un conseil, encore moins une consigne sur ce qu’il faudrait faire le 25 mai prochain. D’autant que j’hésite encore moi-même.
J’hésite ? Oui. J’ai été dans le passé et je serai sans doute dans le futur abstentionniste, par conviction et par raison, dans la lignée de la plupart des anarchistes et pour la même raison que nombre de révolutionnaires qui savent parfaitement que les élections n’amènent pas la révolution, qu’elles en sont même un frein.
Or, je suis révolutionnaire. J’aspire à la révolution. Je l’espère comme un bon vin, pourvu qu’elle soit d’un bon tonneau.
Je suis de ceux qui estiment qu’une révolution, même violente, est moins violente que l’inertie, dont les crimes ne sont pas comptabilisés.
Pour autant, je ne suis pas un fanatique ou un dogmatique de l’abstention, mais plutôt un modéré raisonné. L’abstention n’est qu’un moyen, insuffisant en soi, et qui nécessite un accompagnement d’actions et de discours dont nous sommes globalement privés à une échelle utile à ce jour.
Ils sont loin les jours où les anarchistes avaient une audience un peu conséquente.
Par ailleurs, même certains de ces derniers ont estimé que des élections pouvaient être à l’occasion stratégiquement utiles. Malatesta appelait en son temps les travailleurs à voter pour désigner des représentants dans certaines circonstances. Proudhon fut même député. Des Espagnols ont participé à la République de gauche des années 30. Un raisonnement qui n’est pas loin d’être le nôtre aussi était celui de Poutou aux dernières élections présidentielles, utilisant celles-ci pour faire passer un message, ce qui dans le fonctionnement des campagnes électorales françaises est rendu remarquablement possible, tout en appelant à ne pas voter pour lui.
Pour autant, il est clair que les élections ne sauraient nous satisfaire, non seulement nous-révolutionnaires, mais nous-personnes de gauche, qui savons ou devons prendre conscience de ce que les campagnes électorales sont gagnées par la capacité à accumuler du capital dans des structures qui sont tout sauf démocratiques : les partis. Ne nous laissons pas marcher sur les arpions par les faux camarades qui tentent de nous faire encore croire que certains partis traditionnels fonctionnent démocratiquement : nous avons tous eu vent de preuves que même au sein des plus jeunes ce n’était pas vrai. Nous n’avons pas non plus le droit de nous laisser berner par les grandes tirades sur le vote prétendument utile et sur le pire auquel nous échapperions sans les grosses machines qualifiées du centre-gauche. Les réalités grecques, espagnoles ou italiennes sont là pour nous prouver que ces discours sont fallacieux. Les conquêtes sociales, désormais du domaine du passé, ont toujours été plus le fait de la pression de la rue que des efforts des députés sociaux-démocrates.
Voter « à gauche » comme en appellent régulièrement les partenaires sociaux qui nous règlent nos chômages à la place de l’Etat ne signifie pas que nous fassions barrage aux velléités libérales. Au contraire : en offrant aux conservateurs et aux libéraux des partenaires étiquetés socialistes, nous les aidons à justifier leurs propres politiques qui paraissent le fruit d’un savant pseudo-compromis leur permettant d’alimenter des marchés inégaux de consommation, avec une stratification de la société qui n’a guère varié en deux cents ans, à bien y réfléchir, avec des niveaux économiques et culturels toujours aussi distants entre les classes privilégiées, les classes moyennes et … les autres… Si ces derniers peuvent s’offrir à crédit des réfrigérateurs et des tablettes, ce n’est qu’aux dépens, outre des habitants des « ateliers du monde », qu’on ne devrait jamais oublier, également des légitimes progrès sociaux qui, eux, se sont vus tailler des croupières ces quarante dernières années : nos acquis salariaux passent de plus en plus dans des dépenses bénéficiant à des entreprises privées (communication, életro-ménager, transports individuels, etc.) et de moins en moins aux services publics qui, pourtant, sont des garants bien plus pertinents de notre liberté (médecine publique, enseignement, transport public, distribution d’eau et d’énergie, etc.).
Alors qu’une société équilibrée aurait sans doute plutôt cherché à développer ces derniers services tout en les mettant progressivement dans les mains et sous le contrôle de collectivités infra-nationales désintéressées, qu’elle aurait cherché à intégrer dans ces services une alimentation saine et suffisante, le développement d’énergies renouvelables, des moyens d’information et de communication sociaux, la gestion des ressources naturelles et surtout celle du travail, du temps de travail, du partage du travail pénible, de la formation continue, etc., etc., la nôtre, au moment où elle atteignait un haut degré de conscience d’elle-même, s’est enfermée -a été enfermée- dans l’aveuglement de l’aristocratie élective pour concentrer de plus en plus haut les niveaux de pouvoirs et détruire le lien entre le politique et le social, réaffirmant par contre le lien entre le politique et le capitalisme privé.
Depuis maintenant plusieurs générations, depuis que les élections existent peut-être, nous sommes à la recherche de moyens pour changer le cours de la longue domination de cette aristocratie élective ((Cf. le tout récent livre, intéressant et modéré, de D. Van Reybroeck « Contre les élections », pour s’en convaincre)).
Il existe des alternatives naturellement. La collégialité des charges, la révocation des mandats, le tirage au sort, le renouvellement continu des cadres, l’ostracisme des stars, le vote sur des programmes et non sur des personnes, la collectivisation des moyens de production et de distribution, mais aussi des services publics (à ne pas confondre avec la nationalisation), la valorisation des cercles d’intérêts collectifs tels que les syndicats, les mutuelles, les corporations, etc.), les collectivités locales établies en démocratie directe, etc.
Aucune de ces alternatives n’est la solution en soi, mais toutes présentent, chacune, une partie de la solution, plus démocratiques que le système représentatif qu’on nous vend depuis les deux grandes révolutions du XVIIIe Siècle. Et « qu’on nous vend » est l’expression juste, car nous le payons cher.
Pour autant, je ne saurais dire si, aujourd’hui, voter ou ne pas voter est la bonne solution. Y’en a-t-il une ? Je pense avoir exposé ci-dessus que je ne le pense pas. Voter pour un grand parti est clairement une erreur. La maîtrise du pouvoir est actuellement entre les mains de quelques partis, et ces partis sont entre les mains de quelques barons, ces barons étant eux-mêmes dans des cercles dont ils partagent les sièges avec les principaux tenants du capitalisme et des médias ((Il serait temps que G. Geuens ait un successeur valable pour mettre son excellent livre à jour)).
Dès lors, le choix de ne pas voter est un bon choix, parce qu’il contribue, s’il ne reste pas un cas isolé, à fragiliser la légitimité auto-proclamée des élites particrates.
Mais voter peut également être un bon choix, si le vote se porte sur des personnes qui ne se font pas d’illusion sur l’implication de ce choix (qui ne considèrent donc pas que notre vote est un chèque en blanc) ou sur des personnes qui remettent en question la légitimité du système connu sous le nom de « démocratie représentative électorale ».
On peut dire sans trop de risque de se tromper que les bonnes raisons tactiques pour voter aujourd’hui sont rares. Si l’on fait ce choix, donc, tactiquement, il s’agit avant tout de sanctionner les pseudo-partis de gauche comme le PS ou Ecolo.
Une autre bonne raison de voter, c’est de le faire pour des personnes en qui on a confiance et qui, elles, estiment que le vote est encore utile, pour autant qu’elles n’appartiennent pas à l’un de ces grands partis. Je sais qu’en disant cela, même au milieu de mes précautions oratoires, je parais me contredire moi-même, et j’en suis conscient. Mais si je reste convaincu de ce que je viens de poser dans les trop nombreuses lignes qui précèdent, nous ne pouvons affirmer en notre âme et conscience que nous sommes détenteurs de la vérité, et même qu’il n’existe qu’une vérité.
Pour ne prendre que cet exemple, qui n’est que représentatif, et pas exclusif, je connais de longue date quelques personnes qui ont co-fondé récemment un parti et se sont lancés dans cette aventure. Je les estime et les considère à la fois dans leur action et dans leur pensée. Je les sais sincères et courageux, même si, au sein même de leur mouvement, ils ne sont pas seuls et qu’ils courent toujours le risque de ne plus faire partie du courant dominant, d’être récupérés par des forces moins progressistes.
J’ai cependant suivi le processus de création de leur parti et je respecte leur démarche, même si elle n’est pas aussi à gauche que je l’aurais pu espérer.
Il est à peu près certain, cependant, que j’aurais sans doute eu le même genre de discours si j’avais eu l’âge que j’ai il y a une trentaine d’années, au moment où le mouvement écologiste s’est transformé en parti.
Ce qui me montre que nous devons nous méfier de nos décisions et ne pas les prendre pour des acquis intangibles ; nous sommes susceptibles de nous tromper parce que les éléments, les circonstances et les hommes changent et peuvent nous tromper, volontairement ou non.
En guise de conclusion, je me contenterai de rappeler quelques évidences : si vous ne votez pas, agissez ; si vous votez, ne votez pas à droite, et donc à l’évidence ni PS, ni Ecolo, qui sont deux partis du pouvoir, de l’inertie, de l’incapacité à penser en dehors des marchés et vers d’autres solutions. Je sais qu’il reste quelques esprits de gauche au sein des partis verts, mais nous ne pouvons nous y tromper : bien que ces personnes soient honnêtes et sincères, elles contribuent surtout à offrir à Ecolo ou à Groen une caution que ces partis ne méritent pas. Si vous votez, votez à gauche. Choisissez de préférence des personnes connues pour leurs idées ou leurs sympathies libertaires.
Et je termine donc sur un conseil, alors que j’avais commencé en disant que je n’en donnerais pas.
Il ne faut jamais croire quelqu’un qui promet.