cheval de Troie
Friday, December 16th, 2011La guerre était trop longue; il fallait l’écourter. Ulysse proposa un stratagème: les armées grecques feindraient de partir, écoeurée par 10 ans de siège et la perte de tant de héros; on déposerait en sacrifice pour apaiser les dieux une immense statue de bois représentant un cheval devant la porte de la ville… Vous connaissez la suite.
La crise de 2007-2008, une crise d’origine financière, et non pas immobilière, ne vous laissez pas berner, infligea un si lourd tribut aux grandes compagnies d’investissement (AIG, Lehman Brothers, Freddie Mac, Fanny Mae, Citybank, etc.), ainsi qu’à toutes les banques du monde qui avaient cru pouvoir jouer aux durs avec les mauvais plans hypothécaires étatsuniens, -si lourd- qu’on laissa entrer le cheval; on régla leur note (pas à tous, il fallait pas que ça se voie trop), histoire d’apaiser les divinités du marché (vous ne vous rendez pas compte? Perdre Dexia? Ou pire: la nationaliser!), et les soldats (on ne va pas dire les Grecs, ce serait mal venu) une fois entrés dans la place s’emparèrent de toutes les forces vives de la cité -la cité, ce sont les Etats, débordés par leur dépendance aux marchés, qui se prétendirent incapables de se sauver eux-mêmes après avoir sauvé les banques… Affaiblis par cet énorme mouvement de crédit, dont les petits apprentis-sorciers de la finance se virent soudain gorgés tels des enfants de jouets dans les soirées de noël hollywoodiennes, les Etats feignirent de ne pas voir le gigantesque jeu de spéculation dont firent l’objet leurs prétendues énormes dettes (combien d’entreprises de tailles internationales se portent très bien avec une dette à long terme supérieure à leur chiffre d’affaires? C’est pas le chiffre d’affaires qu’une banque regarde pour leur prêter du pèze, c’est leurs actifs).
“Pris à la gorge”, les Etats se rendirent au tout puissant marché. Priam fut aussitôt exécuté, Paris tué, la ville réduite en flamme… Le Welfare-State était frappé à mort… Et la démocratie, déjà que, bon, je vous raconte pas…
Dix ans, qu’elle durait, la guerre de Troie; cela faisait près de trente ans que le détricotage de l’Etat-providence hérité du keynésianisme était en chemin en Europe… La privatisation des transports, des soins de santé, la poste, l’eau, le gaz, l’électricité, la réduction des moyens de l’enseignement… En vingt ans, le service public faisait eau de toute part… Mais ce n’était pas encore assez rapide… Troie étouffait mais refusait de mourir… Et les investisseurs avaient soif de plus de marché… Il fallait en finir… Vite!
Alors, certes, ils n’ont pas fait exprès de créer cette crise, mais ça a dû carburer ferme dans la tête des quelques milliers de petits Ulysses qui dominent les quelques millions d’empaffés qui tournent autour des marchés financiers.
Ils se sont dits, he!, la voilà l’occasion! On lance quelques tirailleurs sénégalais en première ligne (qui spéculent sur les dettes), on attend la fin du bombardement, et hop! On envoie les panzers (les eurocrates, les gouvernements de technocrates – Oui, je sais, ma métaphore s’étale sur deux guerres et deux camps, je m’en fous).
Et du côté des gouvernants, qui avaient toujours plus de mal à trouver les stratagèmes pour faire avaler la pilule, on s’est dit, he!, ça y est! Sans les mains! D’ailleurs, on se les est liées depuis longtemps avec les limites posées à “Bruxelles” pour empêcher les peuples de trouver une solution hors de la Forteresse Europe, toute belle, toute propre, sans guerre depuis 70 berges (sauf dehors, évidemment).
Et le plus beau, c’est la tactique:
trop de dépenses? Faut les réduire.
Ça contracte la croissance? Ça fout la trouille aux marchés.
Ils augmentent nos intérêts? C’est qu’on dépense trop.
On les réduit? Ça contracte la croissance.
Ça fout la trouille aux marchés? Ils augmentent nos intérêts.
Trop de dépenses?…
Z’avez saisi? Même pas besoin de guerre,… avec un peu de chance… Juste un soupçon de terrorisme de temps en temps…
Et pas un coupable! Pas un responsable identifiable! Ou alors, si, mais trop nombreux, pas de noms, ou trop de noms, surtout des concepts… C’est un peu comme des milliers de petits chevaux de Troie qui partent au sacrifice…
Franchement, ils auraient pu y penser avant! Trente ans pour la trouver, la combine, ils ne sont pas si malins que ça…
Surtout que, à bien y penser, de sacrifice, il n’y en a point.
Mais si, voyez: pour qu’il y ait sacrifice, il faut que celui qui sacrifie y perde quelque chose: un fils, un ami, un amour, son pognon. Or, ceux qui ont perdu se sont bien ramassés, mais… ceux qui gagnent, ce sont tous ceux qui, même s’ils ont un temps perdu un poil de cul de blé, s’y sont retrouvés aussitôt après. C’est comme aux échecs ou aux dames: on peut perdre toutes ces pièces sauf les deux ou trois seules qui permettront de gagner la partie, l’important, ce n’est pas de conserver sa dame sur le jeu, mais de gagner la partie.
Et, là, ils sont en train de bien la gagner.
Parce que, si on ne fait pas quelque chose, genre, prendre la rue, arrêter le travail, couper le courant dans les banques, griller les archives des notaires, prendre d’assaut les parlements et les supermarchés, voire une panoplie de tout ça, croyez-m’en, contrairement à ce que certains “experts” s’amusent à tartiner, le “néolibéralisme”, il a de longues décades devant lui. Et pas les plus belles pour les maroufles.
Le gâteau retrécit? Les convives augmentent? Si on ne fait rien, même les miettes, ils vont les banquer.
Et ils les fileront aux gardiens de la tour d’où ils nous regarderont nous entre’bouffer.
On n’a pas le choix, mon z’ami: faut leur foutre au cul grave, oublier nos querelles de clochers et anticiper ce qui nous tombe sur la tête…
Mais grave…