Figurez-vous que j’ai un homonyme plutôt sympa: Bernard Thomas. Pas le général fusillé pendant la Commune, non, l’ancien chroniqueur du Canard Enchaîné.
Je suis en train de me coltiner un recueil des chroniques qu’il écrivait dans les années 70-80 (intitulé “Ca n’arrive qu’aux autres”, aux Editions du Rocher, édité en 1999). Ce garçon savait y faire. Ses textes sont malheureusement toujours d’actualité, souvent.
Ainsi celui-ci, j’espère qu’il ne me tiendra pas rigueur de le retranscrire, daté du 21 septembre 1983:
Sidi, prends ton fourbi!
La gauche, qui se voilait, avec les émigrés, une face exclusivement tournée vers les droits de l’homme, mise au pied du mur d’argent, découvre soudain les rigueurs du réalisme. Des mesures sont prises qui n’ont guère à envier à celles que préconisaient naguère Fontanet, Stoléru ou Bonnet.
(Note du transcripteur: je ne connais que le dernier, tristement célèbre homme de main giscardien)
Les rafles se succèdent au coeur de Paris: la dernière, le 13 septembre, portait le joli nom de “salubrités”. A Saint-Denis, soixante clandestins turcs dénoncés par leurs voisins. A Douai, dix basanés menottés de manière musclée en pleine audience. Les tribunaux, en vertu d’une loi qui ne date pas de l’ancien régime mais du 10 juin 1983, ont acquis le droit de reconduire les indésirés à la frontière séance tenante: la 23e chambre vient de le faire cette semaine. La rumeur venue de Dreux effraie. On sent le racisme rôder, courir, gonfler. Moins chez les 100 000 familles chères à M. Marchais, naturellement (ndt: les familles les plus fortunées que le PC voulait taxer, exproprier, etc.). On peut à la rigueur s’y payer le luxe de ne pas être raciste: on voit les choses de plus haut, du haut d’un duplex. Cela rend tolérant. C’est quand on lutte pour sa peau qu’on a parfois tendance à ne pas aimer celle des autres.
Tout cela est vrai et il n’y a pas de remède miracle. Cependant me tombe entre les mains une gazette au papier jauni qui décrit en photos sépia “l’image de la guerre” – celle de 14-18 s’entend. Quelques légendes placées sous ces clichés au hasard des pages m’ont frappé: “Les spahis caracolent dans nos villages du front.” Ah qu’ils étaient beaux nos défenseurs, en djellaba blanche, la chéchia crânement posée sur la tête! Et touchants, avec ça: “Les spahis gardent leur coutume: chaque jour le métchouï les réunit.”
ndt: vous connaissiez cette orthographe, vous?
Ils accouraient du monde entier pour nous sauver: “A la caserne Maubourg, les troupes annamites s’instruisent et se préparent…” “Les Sénégalais et les Soudanais arrivés en France… sont habillés à la française avec la capote du fantassin et la bourguignotte des tranchées!” Des braves à trois poils, et des grands enfants: “Ils dansent une ronde” sur les ruines fumantes de Verdun. Avant de reprendre en choeur le refrain de Déroulède qui est celui du régiment:
“En avant, tant pis pour qui tombe
La mort n’est rien. Vive la tombe,
Quand le pays en sort vivant.
En avant!”
ndt: on savait rigoler, à l’époque… Ca change de la Chanson de Craonne…
Car c’était leur pays que le nôtre, à ces braves tirailleurs, spahis, chasseurs d’Afrique au grand coeur, que notre générosité avait dotés d’ancêtres gaulois!
Un correspondant m’envoie une photo qu’il vient de prendre au cimetière militaire d’Altkirch, en Alsace. “Vous remarquerez les tombes musulmanes au premier plan, m’écrit-il. Ces émigrés-là ont définitivement voté pour que vive la France de 39-45. Ils ont voté par leur peau. Il y en a d’autres dans d’autres cimetières de France…”
On n’a pas eu le temps de les expulser ceux-là. Et ils ne proliféreront pas.
Je me demande, là, subitement, ce que feraient les fachos de ces tombes, une fois tous les étrangers foutus dehors ou dans des camps de travail…