Archive for the ‘politopics’ Category

Profession de non-foi

Wednesday, April 5th, 2017

Il ne s’agit pas d’un chèque en blanc.

J’aime bien la personnalité de Jean-Luc Mélenchon, mais je ne l’héroïse pas. Je ne suis pas aveugle, je sais d’où il vient. Mais je vois aussi la dynamique qu’il représente et surtout la dépersonnalisation de son programme.

J’attends beaucoup du projet de constituante et, à moins d’une trahison d’une ampleur telle qu’elle ferait passer celle de Hollande pour une dispute de bac-à-sable, je crois fondamentalement que cette constituante est une chance comparable pour les Européens à celle de 1789. Ce sera le moment des cahiers de doléances. C’est une porte ouverte vers la fin d’un Ancien Régime de moyenne catégorie -le régime présidentiel. C’est la possibilité de mettre fin au système des ministres. C’est la possibilité de confronter des idées en ébullition depuis quelques décennies. Les Français redécouvriront des discours clairs et cohérents qui s’élèveront au-dessus des mots abscons et volontairement imbuvables de juristes et d’énarques. Il y a des tonnes d’idées démocrates intéressantes. C’est une possibilité de discussion gigantesque à l’échelle nationale qui pourrait déboucher sur quelque chose comme la démocratie directe.

Et par effet domino, parce que la France est culturellement une fenêtre pour les Européens qui impressionne, à tort ou à raison, cela pourrait mener à des changements considérables. A condition qu’on ne se laisse pas embobiner par ceux qui prétendent conserver les manettes sous prétexte de Grande Peur et de Terreur.

democratie

Après l’Europe, qui sait?, l’Amérique Latine et l’Afrique… Et après ça, le Canada et certains pays d’Asie… Je sais que ça peut paraitre utopique, mais, désolé, il faut penser large, sinon on se perd dans un quant-à-soi ridicule.

Dans le climat actuel, la non-application de son programme en cas d’élection, c’est-à-dire essentiellement la constituante, le refinancement des services publics, le retrait de l’Otan et de ses implications guerrières, la négociation avec les partenaires des BRICS et d’autres pays non-alignés sur l’UE, la réappropriation de l’énergie et des centres de production stratégiques, etc., et donc la renégociation des traités (suivie immanquablement par l’article 50) signifierait une telle ébullition sociale que le gouvernement n’y survivrait pas.

Par ailleurs, JLM n’est pas seul: il doit assumer qu’une partie de ses soutiens, dont il dépend, veulent cette révolution citoyenne. Il n’a pas le soutien des banquiers et des médias, donc il doit s’appuyer sur ses troupes.

Enfin, c’est comme ça que je le vois.

Peut-être que je m’illusionne, mais je préfère alors cette illusion-là (je ne crois pas que ce soit une illusion) à l’espoir mis dans Asselineau ou dans un autre petit candidat dont la visibilité est (malheureusement) quasi-nulle. Je sais que pour un anar ça peut paraitre paradoxal, mais la seule voie actuellement viable pour tenter de remettre un peu de beurre sur les pâtes des Européens pauvres, c’est la FI par effet domino…

Y’a rien à tirer des 5stelle, y’a rien à tirer de Podemos, y’a rien à tirer de Syriza, y’a rien à attendre du Brexit conservateur, et des mouvements comme Die Linke ou le PTB ne sauraient se lever qu’avec un argument de poids comme celui d’un gouvernement français de gauche qui menace de sortir de l’UE.

Après, je ne suis pas en train de mettre ma tête sur le billot en toute confiance. Ce que j’aimerais, c’est contrôler le bracelet électronique autour de la cheville de JLM, évidemment. Mais bon, c’est ça ou une bonne vieille révolution.

Et je sais, je vois, que les populations ne veulent pas d’une bonne vieille révolution.

Croyez bien que j’en suis le premier désolé.

De quoi la France est-elle le nom ?

Tuesday, March 7th, 2017

Cette nuit, j’ai fait un curieux rêve. Je suivais les infos. On annonçait le décès de Mélenchon. Des images de ses derniers moments en public passaient en boucle. Comme on sait si bien le faire sur les chaines idiotes. J’ai passé le reste de la nuit dans le désespoir, incapable dans mon sommeil de faire la différence entre le songe et la réalité.

La puissance du rêve est parfois telle qu’elle emplit le corps de certitudes. Chez moi, c’est le plus souvent des réveils de personnes disparues, qui se réaniment et viennent me parler, telles que je me souviens d’elles. Ces moments me font parfois du bien, même si je me réveille alors au bord des larmes.
Mais là, dans le contexte politique que nous connaissons, mon imaginaire produisait l’état d’esprit dans lequel je serais en cas d’échec de JLM. J’étais tout simplement mal.

A bien y réfléchir, Mélenchon représente un espoir pour des millions de personnes, notamment des personnes comme moi qui ne croient plus ou n’ont jamais cru aux élections. C’est peut-être un songe creux. Peut-être Mélenchon est-il “comme les autres”, ainsi que m’en préviennent certains, et c’est possible. Mais comme le temps des révolutions est loin et que, physiquement, je me sens de moins en moins capable de les assumer, je me dis qu’une dernière tentative, et surtout la relative modération des promesses (constituante, retrait de l’Otan, renégociation des traités UE), tout cela semble… accessible, possible, et même tellement raisonnable, bien plus que mon collectivisme libertaire…

Imaginez les mois de fièvres de la constituante! JLM, vous produiriez une onde de “tourisme politique” telle qu’on n’en a plus connu depuis les premières années de Cuba ou la Ière Internationale…

Imaginez le choc de la sortie de l’Otan! Les cartes enfin redistribuées, de nouvelles relations entre un pays important et les pays des Brics et autres dits “émergents”.

Imaginez la renégociation des traités UE dans ce double contexte! Ne fut-ce que l’onde d’espoir pour des millions de déshérités de cette instance verticale insouciante du sort de ses travailleurs, et l’onde de choc pour son aristocratie…
Rien que pour ça, je voudrais être français et voter.

… ou la mort.

Monday, November 28th, 2016

Castro est mort.

Et c’était un dictateur.

On ne va pas le regretter, hein, Madame?

.

Après tout, il a mis des poètes en prison.

Comme Charles d’Orléans, comme Verlaine, et Chénier…

Et nous, comme nous ne savons rien faire de mieux,

Monsieur,

Nous poétisons.

Alors que lui criait des discours de sept heures à des foules immenses revêtu d’un costume militaire.

Jamais on n’aurait vu ça en Angleterre, Madame.

.

Et tout le monde ne pouvait pas avoir tout ce qu’il voulait.

Et les agriculteurs, Madame, ne pouvaient plus s’enrichir.

Alors ils sont partis s’enterrer dans les hôtels de Floride.

Jamais on n’aurait pu voir ça en Israël.

.

Et, Monsieur, c’est sûr, il n’y avait pas de liberté à Cuba, ça non, Madame.

Parce qu’on n’est pas libres en Corvette 59 décapotable, la guitare sur le dos.

C’est bon pour les touristes trois étoiles rouges, Monsieur.

Et qu’il n’y a pas de journaux, pas de télé, pas d’internet libres, Monsieur.

Jamais on n’aurait pu voir ça au Chili.

.

Et quand on voit les belles images des casinos et des plantations de canne à sucre,

Et les filles qui dansaient sous le nez des amis de Fulgencio,

Hein, Monsieur?

Et les fêtes financées par d’honnêtes entrepreneurs du grand pays frère,

Comme on pouvait le voir en Afrique du Sud,

Ah, ça, Madame.

.

Ce n’est quand même pas Le Monde Diplo qui va faire notre opinion,

Alors que Le Monde,

Alors qu’El País,

Alors que le New York Times, Monsieur,

Alors que l’European,

Oh, oui, on se souvient de la crise des missiles,

Qui faillit jeter le monde dans un tourbillon de feu,

Alors qu’aujourd’hui, n’est-ce pas, il est si tranquille,

Madame,

Comme on peut le voir au Darfour, en Syrie, au Soudan,

Comme on peut le voir en Colombie, en Irak, au Congo,

Comme on peut le voir en Ukraine, en Turquie, au Burundi…

.

Comment peut-on mettre, dans l’autre plateau de la balance,

L’alphabétisation de tous,

La musique, la danse, les échecs et le sport,

La médecine pour tous,

Le taux de mortalité infantile ridicule,

La sécurité alimentaire,

L’envoi de médecins un peu partout dans le monde,

L’université gratuite,

Monsieur,

Et aucun acte de guerre, sinon à l’appel des mouvements d’émancipation en Afrique et en Amérique Latine.

.

Aucun acte de guerre?

Quel pays civilisé,

Madame,

Ne produit aucun acte de guerre?

Contre-révolution

Friday, November 11th, 2016

Ce post ne fait pas suite aux clowneries récemment arrivées aux USA, en France ou au Brésil.

IL y a quelques mois, je publiais ici-même un bref aperçu de la révolution française, insistant sur certains éléments de cet événement avec l’objectif de faire réfléchir le lecteur sur les possibilités de parallèle avec notre époque. De parallèles, pas de comparaison.

La Terreur?

Les époques ne sont jamais comparables et les leçons de l’histoire sont avant tout des pistes de réflexion, pas des modèles à suivre ou à rejeter. Il ne s’agit pas non plus de faire croire que nous serions à la veille d’une nouvelle révolution française. L’idée n’est pas là, même s’il est vrai qu’il m’arrive de dire que “nous sommes en 1788”. Mon objectif, en proférant cette phrase qui peut paraître choquante (après tout, 1793 n’est qu’à quelques années de 1788, et nombre de personnes au capital culturel élevé pourraient penser que quelque chose leur pend au nez), n’est pas d’effrayer, mais de faire réfléchir sur les options à venir. A en illustrer aussi les possibilités sans devoir rallonger ce texte.

Car si la révolution française a fini par échouer entre les mains d’un dictateur (je parle de Napoléon, pour les esprits les moins éclairés et pour les savants les plus obtus), dont les crimes sont à mettre au même niveau que ceux des rois qui l’ont précédé ou des maniaques de ces deux derniers siècles que l’on a l’habitude d’honorer sans beaucoup réfléchir, si la révolution française n’est pas parvenue à résoudre les équations de la liberté et de l’égalité, ce n’était pas une fatalité.

Différentes routes plus ou moins rationnelles

Aujourd’hui non plus: il n’y a aucune fatalité dans le processus de dégradation de la démocratie, de réduction des acquis sociaux, de menaces sur les minorités. Il ne s’agit pas dans un premier temps de mettre des noms sur ces phénomènes, cela ne pourrait m’amener qu’à en oublier certains, lesquels seraient susceptibles de remplacer les pointés du doigt. Ce qui serait l’inverse de l’objectif. Il n’y aurait de fatalités que si nous acceptons de ne rien changer des structures de nos sociétés.

Il ne s’agit pas non plus de réduire l’avenir à deux possibilités, ce serait une erreur; il y en a au moins trois que j’identifie clairement et une quatrième que j’espère encore.

Il y en a peut-être d’autres, évidemment. Je ne suis pas éditorialiste, chroniqueur ou essayiste invité sur les chaines autorisées; je ne me ferme pas à mes propres spéculations.

Dégringolade

La première, et la plus évidente à l’oeil nu, quoique pas nécessairement la plus viable, est la poursuite de cette lente dégradation des conditions de vie, tant aux USA qu’en Europe, et qu’accompagnera une stagnation, voire un recul aussi, des conditions de vie dans le reste du monde: en raison de la fin de la croissance économique, par la force des choses, et en dépit des délires maniaques de certains économistes qui s’imaginent que l’économie virtuelle et financière peut poursuivre sans fin son ascension sur la famine des deux tiers de l’humanité, pour cette raison donc, le gâteau cessant de croitre, les prédateurs poursuivant leur quête d’accumulation, les parts congrues qui resteront aux classes inférieures (dont nous sommes, à moins que nous ne fassions partie des prédateurs) se réduiront petit à petit, le plus lentement possible pour réduire les risques de révoltes, ou en tout cas réduire le nombre de révoltés à chaque incident.

Le jour des morts

La deuxième possibilité serait que les prédateurs ne se satisfassent pas de cet arrêt de la croissance auquel ils refusent de croire parce qu’il n’est pas inscrit dans leur idéologie libérale. Le libéralisme, à l’instar du requin, réclame un mouvement continu, croissant, sans lequel il n’est plus nourri et meurt. Si les prédateurs refusent de se contenter de la lente réduction des avantages du plus grand nombre pour leur permettre de continuer à se goinfrer, mais trop raisonnablement à leur goût, alors le risque est qu’un nombre de plus en plus important de ces psycho-sociopathes tentent des coups de plus en plus audacieux, susceptibles de produire de plus en plus de victimes. Jusqu’au jour où l’enjeu pourrait en être une telle somme de vies, d’années de vie potentielles, d’environnements, de sociétés, d’acquis de base, que, ces prédateurs n’étant pas alliés, mais en concurrence perpétuelles, et leurs enjeux étant donc contradictoires, on en viendrait à une profusion telle de conflits, tournant en guerres toujours plus brutales, que l’espèce humaine pourrait disparaitre rapidement.

Certes, le risque d’une disparition prochaine de l’humanité est envisagée par une bonne série de futurologues, et comment pourrait-on ne pas être d’accord, puisque la théorie de l’évolution nous apprend que nous ne sommes qu’une étape dans le processus évolutif. Mais alors que le processus scientifiquement établi nous laissait espérer que notre espèce ne disparaitrait que progressivement au bénéfice d’une suivante, produit de notre propre espèce par filiation, cette seconde possibilité, elle, amènerait l’humanité à un stupide processus d’auto-destruction, triste, définitif et pourtant absolument pas inéluctable.

Autorité

La troisième possibilité, qui pourrait être la plus probable, si l’on admet que la plus grande partie de ces prédateurs aiment leurs enfants, c’est que ces derniers s’emparent par quartiers gigantesques des différents espaces de pouvoirs en jeu (géographiques, économiques, intellectuels, symboliques) et s’arrangent pour les conserver de manière autoritaire, quitte à laisser le reste de l’humanité dans un marasme qui les indiffère. Aux yeux des trois quarts de la population, cette situation est d’ores et déjà une réalité. Peut-être même ces trois-quarts souhaitent-ils que la même chose nous arrive… Un peu comme je me réjouissais hier de voir ces Etatsuniens crier “not our president”… Je me disais, tiens, c’est bien leur tour…

Peut-être que c’est notre tour… après tout, combien sommes-nous à avoir pleurer sur nos colonies? et sur nos néo-colonies?

Révolution et contre-révolution

Bien sûr, au cours du XXe Siècle, et même depuis la fin du XVIIIe Siècle, des mouvements laissaient entrevoir que la démocratie réelle puisse faire des progrès. La participation au pouvoir augmentait. Le pouvoir personnel tendait à diminuer. Mais les lieux de pouvoir se multipliaient, les richesses cumulables aussi et nous avons laissé nombre de leviers de pouvoirs entre les mains d’une poignée d’individus imbus de leurs puissances et de leurs avoirs.

De cette erreur sont nés les mouvements contre-révolutionnaires qui tendent à s’imposer depuis une cinquantaine d’années. Alors que nous avions gagné toute une série de droits, du moins en Europe Occidentale, et même aux USA, alors que ces droits et ces avantages semblaient s’étendre de plus en plus loin, en dépit de nombreux contre-feux, dans les pays qualifiés d’émergents, ce mouvement, désormais, peut-être en partie en raison de l’émancipation d’une grande partie du monde, mais plus sûrement parce que le capitalisme est arrivé au bout des possibilités de ses conquêtes sans réduire les acquis du plus grand nombre, est arrivé à son terme dans le cadre de la sociale-démocratie, espèce de compromis fragile entre le capitalisme libéré et la démocratie parlementaire. Désormais, la sociale-démocratie est faillie. Le capitalisme en a pris possession et refuse tout nouveau compromis, ayant mis sur le bûcher les traces des précédents.

La première et la troisième possibilités peuvent évidemment se combiner, et cela aussi ressemble à notre présent. La deuxième est une fin possible des deux autres.

Positive

Reste la quatrième, la plus souhaitable, moralement si on a un peu de morale, et surtout pour la plus grande partie de la population. Encore faut-il qu’elle parvienne à s’en convaincre.

La quatrième, c’est que nous soyons effectivement en 1788, que nous nous jetions avec allégresse sur 1789, et que nous arrêtions le processus entre 1793 et 1794, sans passer par la case Thermidor ((Le succès de la contre-révolution bourgeoise avec la chute des Montagnards, dont la figure la plus connue est Robespierre.)), et encore moins par celle de Brumaire ((18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799), premier temps de la prise de pouvoir de Napoléon Bonaparte.)), pour éviter la Restauration ((de Louis XVIII en 1814-1815.)) et le retour à la case départ, aggravée par le processus de concentration capitaliste qui en est résulté. Autrement dit, que la prochaine explosion démocratique ne se laisse pas embobiner effectivement par la minorité possédante soucieuse de conserver son pouvoir de domination -et de nuisance, bien que je veuille croire que cela ne soit qu’incidentel dans le processus-, ce qui implique que nous établissions très vite après cette explosion démocratique des structures qui empêchent le retour de toute concentration du pouvoir entre ceux qui ont intérêt à ce qu’il le reste.

Les occasions ont existé dans le passé, et cela doit plus nous donner de l’espoir que nous désespérer. La réalité est que les Thiers, les Barras, les Sieyès, les Poincaré ont souvent eu peur de tout perdre, et qu’ils ont été obligés de plonger leur pays dans des horreurs sans nom pour que leurs donneurs d’ordre ne perdent leurs quartiers.

L’argument de la contre-révolution restera toujours le même: seuls les possédants savent ce qui est bon pour le peuple. C’est le seul argument qui explique, par exemple, que les sièges d’administrateurs se trouvent cumulés entre les mains de quelques individus, que le gouvernement français vienne encore de décider de réduire le temps de parole des “petits candidats”, que les deux partis qui se partagent le pouvoir aux USA soient ceux qui reçoivent les financements des plus grands entrepreneurs du pays. Le simple fait que l’on ait fixé par la loi et les faits, quoique pas explicitement, que la liberté d’expression soit liée à la propriété des médias, et que ces derniers se trouvent dans la plus large proportion entre les mains d’une toute petite minorité liée au pouvoir financier et au pouvoir politique, que les rares tentatives de contester ce pouvoir, au Brésil ou au Vénézuéla, par exemple, soient agressivement condamnées avec une unanimité violente et sans aucune hésitation par les médias des autres pays, ce simple fait suffit à montrer que, effectivement, la lutte des classes est bien d’actualité, et que la classe du dessus veille bien à ce que les classes inférieures ne l’approchent jamais de trop près.

La conclusion de ce post se trouve dans tous ceux qui précèdent.

Certes, ce genre de discours risque fort de tomber sous le coup de l’accusation selon laquelle des individus comme moi veulent “couper tout ce qui dépasse” et “niveler par le bas”.

Inutile de dire que cet argument ne tient que pour leurs avantages, et que leur objectif en nous accusant de cela est de refuser de considérer la souffrance et la douleur qu’eux-mêmes ont produit, produisent et produiront encore si, effectivement, on ne coupe pas ce qui dépasse de leur jeans et qu’on ne nivelle pas leur pouvoir.

L’économie de la modération

Saturday, June 4th, 2016

Dans ces temps de changements nécessaires, où l’humanité est probablement en grande partie en jeu, peut-être pas tant dans son existence mais au moins dans ce qui fait qu’elle en vaut la peine,

les débats fusent.

Mais

si vous remettez en question une base de la société existante,

— -et pourtant – axiome- il est nécessaire de le faire-

vous devenez quelque chose auquel vous ne vous attendiez peut-être pas.

Exemples.

Se faire l’écho d’un livre critiquant l’école…

“élitiste”

“égalité des chances”

“république”

“Condorcet”.

Prendre conscience de la vanité de la presse…

“liberté d’entreprendre”

“équilibre des pouvoirs”

“information”

“liberté d’expression”

Et donc, très vite… “fascisme”.

D’un jour à l’autre, vous vous apercevez que chacune de vos convictions devient suspecte

de clivage,

de fossé.

Très vite,

vous

devenez

un

extrémiste.

Il suffit de mettre en question une base de notre société, certaines décisions de nos gouvernants (élus) ou de figures médiatiques ((auto-)proclamées) importantes, pour que les termes d’extrémiste, de radical, puis de fasciste, vous soient accolés.

Et pourtant…

Ou plutôt “Mais alors”…

On pourrait dire qu’il n’y a jamais de démocratie aboutie, puisque, la démocratie supposant la confrontation des idées et la multiplicité d’icelles, toute nuance que le démocrate convaincu, à la fois de son amour de la démocratie et de la justesse de ses valeurs, se confronte à son propre orgueil lorsqu’il écoute les idées d’autrui.

Les certitudes sont autant de barrages à la synthèse possible.

— -On n’aura pas dit que la synthèse cependant serait souhaitable-

Ca y est, vous êtes extrémistes. Pas pour tout le monde, mais ceux qui ne vous considèrent pas extrémistes le seront bientôt, par effet domino… Par association…

Rassurez-vous, nous le sommes tous… Nous sommes tous l’extrémiste d’un autre. Nous sommes tous le radical, mais aussi le modéré d’un autre qui s’estime radical.

Nous avons probablement tous à l’esprit une ligne ou un tableau qui nous permet de classer nos proches et moins proches par rapport à nous-mêmes. Certains s’auto-définissent bien au centre, d’autres dans un coin ou en bout de ligne -d’autre modérément à gauche ou à droite… Certains aiment encore finasser (“centre-gauche”, “centre-droit”).

Evidemment, tous ne sont pas sincères. Pour certains, pour beaucoup, ces lignes et ces cadres n’existent que pour “exclure l’inadmissible” de la conversation possible. Par l’exclusion de tout ce qui n’est pas suffisamment dans une portion du cadre ou dans une fraction de la ligne, on instaure une forme de confort autour de règles qu’il devient impossible de remettre en question.

C’est ainsi que la propriété privée a été rapidement sacralisée, mais aussi toute une série d’autres idées comme le fait que “la démocratie c’est les élections” ou “les journaux doivent rester l’affaire de groupes privés” ou “L’Union Européenne, c’est la paix”, par exemple.

Combien de dimensions dans ce genre de schéma? Sur une ligne, une seule; dans un tableau, deux… mais on peut imaginer des cadres en trois dimensions, et on peut abstraire des systèmes plus complexes avec des ensembles, par exemple… Dans ces cas-là, notre cadre d’observation personnel risque fort de ne ressembler à aucun autre, ou alors de loin. Nous n’avons pas tous les même priorités.

Quelques sujets de réflexions qui peuvent alimenter ces schémas:

-la liberté de déplacement des biens et des capitaux

-celle des personnes

-la liberté d’informer

-celle d’être informé

-le droit à l’existence

-la propriété privée des moyens assurant à autrui son droit à l’existence

-l’accès aux services publics tels que le transport, l’éducation, les soins de santé

-la propriété des moyens et des lieux de production, de distribution et de communication

-la décision quant à la production et la distribution des biens et des services

-la question des biens et services essentiels et des biens et services superflus

-la démocratie sur les lieux de travail

-la gestion de la science et des savoirs dans l’Etat/hors l’Etat

-celle des arts et des techniques dans l’Etat/hors l’Etat

-celle des sports et des loisirs dans l’Etat/hors l’Etat

-la place de la religion dans la société

-la politique internationale: le droit d’ingérence, l’impérialisme politique et économique, etc.

Les dimensions de la société sont largement sous-estimées en nombre et en qualité.

Ce qui est très intéressant, aussi, mais également inquiétant, c’est que, pour certains, le simple fait d’envisager une telle liste est déjà hors de propos, inadmissible; ou alors, l’ordre des priorités devient un enjeu essentiel, et refuser certaines priorités devient objet d’exclusion.

On finira par se disputer

voire s’écharper

sur l’énonciation des termes.

Biens ou marchandises?

Droit à l’existence ou droit à la vie?

Instruction ou enseignement?

Pays ou nation?

Frontière ou limite?

Religion ou philosophie?

Laïcité ou neutralité?

Et nous revoilà exclus du dialogue, puisque les termes utilisés inadmissibles nous rendent infréquentables.

La Révolution Française, c’est (peut-être) maintenant.

Saturday, April 23rd, 2016

Les événements ou personnages de l’histoire qui suit paraîtront familiers à certains. Ce n’est pas une coïncidence.

En 1788, l’État du royaume de France était ruiné.
En 1788, le principal ministre du roi était un financier genevois.
En 1788, les paysans souffraient de la disette, des prix pratiqués par les spéculateurs et du droit féodal
En 1788, les « ouvriers parisiens » et des autres centres urbains souffraient de la disette, des prix pratiqués par les spéculateurs et de la faiblesse des investissements.
En 1788, une bonne partie de la bourgeoisie française vivait du commerce des colonies, et donc des esclaves.
En 1788, des petits-bourgeois lisaient Rousseau.

En 1789, la révolution n’était pas à l’ordre du jour.
En 1789, les bourgeois parvinrent à s’imposer au roi dans le rôle de réformateurs.
En 1789, il n’était pas question pour les « ouvriers parisiens » et de quelques autres centres urbains de se soucier des intérêts de classe de la bourgeoisie, laquelle aspirait à quelques changements en sa faveur.
En 1789, les « ouvriers parisiens » prirent la Bastille. Sans les paysans, qui honoraient le roi, ni les bourgeois, qui peinaient à conserver leur place de réformateurs.
En 1789, des paysans brûlaient des châteaux. Ce n’était pas la première fois, mais l’ampleur en était telle que le 4 août les « Saigneurs » de la terre firent semblant de mettre fin à un régime inique vieux de plusieurs centaines d’années.
En 1789, ce sont les femmes qui ramenèrent le roi à Paris pour le mettre sous la surveillance du peuple. C’était les journées des 5 et 6 octobre.
En 1789, quelques bourgeois écrivirent la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ». Dans les mois qui suivirent, ils spécifièrent que n’était pas citoyen toute personne qui voulait. Encore fallait-il le mériter. Par la bourse.
En 1789, des petits-bourgeois populomanes ((C’est de ce terme que Robespierre était qualifié par la Gazette de Paris en 1790. Burgot traitera plus tard les Jacobins de « populaciers ». Le mot populiste est une excellente alternative à populomane aujourd’hui.)) tentèrent de remettre en question la situation des esclaves dans les colonies. On leur répondit, depuis les bancs de la bourgeoisie, que l’économie en dépendait et qu’il fallait rester raisonnable.

En 1790, on se dit dans les salons bourgeois que la révolution, qui n’était pas à l’ordre du jour, était allée suffisamment loin.

En 1791, ouvriers et paysans continuèrent de s’agiter d’insatisfaction, ne se concertant pas, parlant peu. Quant aux esclaves, beaucoup ne savaient même pas ce que ce mot recoupait qui puisse être pire que leur propre condition.
En 1791, la garde bourgeoise fit feu sur les « ouvriers parisiens ».
En 1791, la garde bourgeoise mata des révoltes paysannes dans le sang.
En 1791, les premières révoltes d’esclaves ayant entendu parler de la Déclaration furent maitrisées.
En 1791, pourtant, le roi trahit les bourgeois…

En 1792, les bourgeois au pouvoir déclarèrent la guerre à l’étranger pour calmer les ardeurs des « ouvriers parisiens » et des paysans éparpillés dans tout le royaume.
En 1792, les « ouvriers parisiens », aidés par les fédérés de Brest et de Marseille, s’assemblaient démocratiquement et décidaient de, décidément, agiter l’Assemblée bourgeoise. Ce fut l’insurrection de la Commune, des sections. Ce fut le 10 août.
En 1792, des petits-bourgeois populomanes réclamèrent la citoyenneté pour tous. Quel scandale ! Mais les bourgeois s’y plièrent à certaines conditions : ils avaient entendu parler des moyens qui existaient pour manipuler les élections. En dépit des appels de certains petits-bourgeois (c’est peu connu), les femmes perdirent le peu de droits qu’elle avaient eu par le passé.
En 1792, les bourgeois furent forcés par la rue parisienne de déclarer la déchéance du roi et l’avènement de la République.
En 1792, les bourgeois, sous la pression, toujours, mais cette fois des flambées paysannes, appliquèrent une série de mesure pour réduire les droits des seigneurs (eh oui, le 4 août avait été une farce).
En 1792, une nouvelle Constituante fut élue majoritairement par les paysans, lesquels avaient bien d’autres soucis en tête -c’était la moisson, leurs gamins étaient à la guerre- et y envoyèrent les bourgeois locaux qui n’avaient rien à faire de leurs journées.

En 1793, les bourgeois sacrifièrent le roi, qu’ils ne pouvaient plus défendre aux yeux des « ouvriers parisiens », désormais « sans-culottes » et trop souvent trahis. Les paysans, désinformés, ne comprirent pas. On ne leur rendait toujours pas leurs terres.
En 1793, les bourgeois assemblés à Paris furent si effrayés par les « ouvriers parisiens » et leurs amis, qu’ils laissèrent les quelques petits-bourgeois populomanes parmi eux écrire une nouvelle Déclaration et une nouvelle Constitution. Ces textes furent les plus révolutionnaires établis par une Constituante jamais promulgués en France.
En 1793, les petits-bourgeois populomanes voulurent abolir l’esclavage dans les colonies. Les bourgeois des colonies tinrent bon, durent faire face à des révoltes. Mais c’était loin, les colonies. Les « ouvriers parisiens » et les paysans avaient d’autres soucis : la guerre, les spéculateurs, les moissons, le manque de travail.
En 1793, un petit-bourgeois populomane nommé Marat fut assassiné par une gamine manipulée par des bourgeois partis agiter le bocage normand contre la révolution.
En 1793, les petits-bourgeois populomanes abolirent les droits seigneuriaux qui persistaient.
En 1793, les bourgeois parvinrent à rejeter la faute de leurs torts sur les paysans. Ils furent considérablement aidés en cela par les bondieusards récalcitrants au progrès social. Plus tard, les bourgeois mirent sur le compte des populomanes les massacres de Vendée.
En 1793, il faut bien le dire, les petits-bourgeois populomanes animés de bonnes intentions étaient peu nombreux, mais en plus, certains de leurs idées, ils passaient trop de temps à se critiquer les uns les autres, voire à se battre. C’est sûr, ils n’étaient pas préparés à tout ça. C’est sûr, c’était encore de grands enfants. C’est sûr, on a des conclusions à en tirer.

En 1794, les petits-bourgeois populomanes s’attaquèrent aux spéculateurs. Ils en supprimèrent bien quelques-uns, mais il en restait tant…
En 1794, ayant bien divisé les « ouvriers parisiens », les paysans et les petits-bourgeois populomanes, les bourgeois firent massacrer ces derniers, qui commençaient à devenir sacrément prétentieux avec leurs mesures de gauche. Parmi eux, quelques noms –Robespierre, Saint-Just, Couthon– devinrent symboles de monstruosité. On ne lutte pas contre la liberté d’entreprendre impunément. C’était Thermidor.
En 1794, une fois seuls au pouvoir, les bourgeois réprimèrent les « ouvriers parisiens ». Les paysans étaient loin, et de toute façon ils avaient des guerres et des moissons devant eux.
En 1794, les bourgeois confirmèrent qu’ils ne s’attaqueraient plus à la spéculation et firent semblant de regarder ailleurs quand on leur parlait d’esclavage.

En 1795, les bourgeois mirent fin à la guerre qu’ils avaient allumée contre les paysans. Ils comptaient bien réutiliser quelques fois le stratagème.
En 1795, les bourgeois réécrivirent encore une fois la Déclaration et la Constitution. Ce fut le grand bond en arrière.

En 1799, comme les bourgeois ne parvenaient pas à gérer les guerres extérieures qu’ils avaient allumées et les miettes de démocratie qu’ils avaient conservées à leur avantage, ils désignèrent les plus cupides d’entre eux qui choisirent le plus retors d’entre eux, lequel fit la guerre aux paysans et aux ouvriers de l’Europe entière pendant seize ans. Toussaint Louverture creva seul dans une cellule. L’esclavage fut rétabli officiellement et ne fut aboli qu’en 1848.

On ne résume pas la Révolution française en quelques lignes.

Mais si, en fait, on peut le faire. On vient de le faire.

Et ensuite, on s’interroge, et on cherche à voir si on ne peut pas remplacer certains mots par d’autres, peut-être en changeant quelques faits, en allongeant les délais, en se demandant si certaines choses ne se sont pas déjà répétées à quelques reprises…

Ceci est ma tentative d’appui à la réflexion qui marine en ce moment sur les Nuit debout et autres mouvements plus ou moins actifs, plus ou moins conscients, qui, à l’échelle de la France, de la Belgique, de l’Europe peut-être, s’agitent, se demandent, hésitent à s’allier.

Alors, certes, tous n’ont pas les mêmes ambitions, les mêmes problèmes, les mêmes soucis.

Mais tant qu’ils ne chercheront pas à s’associer, ils continueront de faire rire les bourgeois

Paysans, “ouvriers parisiens”, esclaves, petits-bourgeois, français, européens, de plus loin… Il n’y a pas de centres, évidemment, mais si les choses doivent partir de Paris, si les choses doivent partir d’un milieu social plutôt que d’un autre, si le résultat pouvait en être un grand chambardement, pourvu que nul ne s’en réclame pour s’arroger de place ensuite, qu’importe, et qu’elles partent…

Echec à la reine, bis.

Tuesday, April 12th, 2016

Le même article que précédemment, mais réactualisé les 11 et 12 avril.

L’échiquer brésilien en 2016
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20-21 mars 2016 – Thierry Thomas (notes complémentaires les 11 et 12 avril 2016)
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L’actualité brésilienne est terriblement complexe à comprendre, surtout pour qui ne suit les événements que de loin et via les médias traditionnels européens. Il est difficile de vous donner toutes les sources dont je me suis servi pour rédiger les notes qui suivent. Cependant, vous pouvez en retrouver l’essentiel sur les sites repris en note de bas de page, outre, pour ce qui concerne les éléments institutionnels, Wikipedia (qui n’est pas une source en soi, mais une base de faits à vérifier) ((-epoca.globo.com
-CartaCapital.com.br
-le Monde Diplomatique et sa version brésilienne : le Monde Diplomatique Brasil
-noticias.uol.com.br
-folha.uol.com.br
-globo.com
-des éléments de sites du parti PcdoB : pcdob.com.br.
-vermelho.com.br et opovo.com.br
-https://theintercept.com/2016/03/18/o-brasil-esta-sendo-engolido-pela-corrupcao-da-classe-dominante-e-por-uma-perigosa-subversao-da-democracia/
-brasildefato.com.br
-plusieurs amis brésiliens, témoins directs, acteurs et observateurs raisonnables et consciencieux, et effrayés de la perspective actuelle
-mes propres connaissances du Brésil, où j’ai vécu quatre ans et demi, et mon propre blog thitho.allmansland.net, bien que peu actualisé ces derniers temps.)).
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Le Brésil est-il au bord d’une dictature du prolétariat ?
Non. Je n’irai pas jusqu’à dire « malheureusement, non ». Cela dit, il est bon de renverser un certain nombre de certitudes locales. Certains canards méritent qu’on leur casse quelques pattes.
A l’écoute de la RTBF ((Une petite exception : cette « Opinion » de Laurent Delcourt: https://www.rtbf.be/info/opinions/detail_bresil-les-ressorts-d-une-crise-politico-judiciaire?id=9256565. Mais l’article ne rentre guère dans le détail des circonstances telles que vous les trouverez ici.)), à la lecture de quotidiens belges en ligne, le gouvernement de Dilma Rousseff tendrait dangereusement vers une forme autoritaire et corrompue, alors que des millions de courageux citoyens seraient descendus dans la rue pour défendre l’action d’un juge fédéral, auquel certains vont jusqu’à s’associer sous le slogan « Nous sommes tous Sergio Moro ».
Or, si cela ressemble à la réalité, ça n’en a que l’apparence.
S’il est vrai que le gouvernement Dilma Rousseff est actuellement secoué par une série de scandales, il faut savoir que la présidente elle-même n’est pas soupçonnée de quoi que ce soit, sinon de chercher à défendre son prédécesseur ((Or, même cette hypothèse, nous le verrons plus bas, n’est pas nécessairement correcte. Je pense personnellement que l’entrée de Lula dans le gouvernement est plus un coup tactique pour affaiblir le partenaire principal de la coalition, le PMDB, afin de le forcer à rester au gouvernement. Mais cette note en bas de page est l’élément le plus conjecturel de cet article. Note du 11 avril 2016 : le coup tactique a en partie réussi, puisque la plupart des ministres PMDB sont restés au gouvernement jusqu’à ce jour.)).
Par contre, on ne parle pas beaucoup des membres des différents partis qui composent sa majorité actuelle et qui eux sont pleinement éclaboussés par des accusations de corruption, concernant notamment l’entreprise semi-privée, semi-publique Petrobras ; parmi les personnes concernées, en tête figure l’actuel président de la chambre des députés, Eduardo Cunha, ennemi intime de la présidente, et qui barre systématiquement toute possibilité de changements de législation vers la gauche.
Le plus « cocasse », c’est que nombre de ces personnages, députés, éclaboussés par l’opération judiciaire nommée « Lava-Jato » ((Note du 11 avril 2016: entre-temps Cunha a été éclaboussé, parmi bien d’autres, dans le scandale des Panama Papers.)), se trouvent en première ligne pour demander l’impeachment de la présidente (autrement dit, sa destitution « légale »).
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Comment cela est-il possible ? Le gouvernement brésilien n’est-il pas de gauche.
Non. Il ne l’est pas. Il faut d’abord savoir que la présidente a beau avoir été élue au second tour avec plus de 50 pour-cent des voix exprimées, elle a dû, tout comme lors de son premier mandat, et tout comme son prédécesseur, Luis Inácio Lula da Silva, s’allier avec plusieurs partis de droite dure, le premier desquels étant le parti du vice-président, Michel Temer, mais aussi d’Eduardo Cunha, le PMDB ((Il faut savoir qu’au cas où l’impeachment contre Dilma aboutirait, le président en exercice au Brésil serait Michel Temer et son vice-président Eduardo Cunha. Ca fait réfléchir. Note du 11 avril 2016: entre-temps, le PMDB a rompu officiellement avec le gouvernement, mais la plupart des ministres issus de ce parti, eux, par contre, sont restés au gouvernement. Par goût du pouvoir? Difficile à dire, surtout au vu de la position du PMDB devant le vote en commission chargée de lancer ou d’arrêter la procédure d’Impeachment.)).
Sur 23 ministres, le PT et le PMDB en comptent 5 chacun. Mais ils n’auraient pas encore la majorité à eux seuls. A gauche, seul le PCdoB compte un ministre, celui de la défense. Mais plusieurs autres partis sont également représentés dans le gouvernement : le PSD, le PDT, le PTB, le PROS et le PR, chacun comptant un ministre. Tous les autres ministres sont considérés « indépendants » ((Quelques indépendants sont considérés plus ou moins proches de certains partis.)).
Cette alliance entre le PT et ces partis qui se considèrent tous au centre, ou peu s’en faut, montre déjà que, tant Lula (qui eut jusqu’à 8 partis alliés dans son gouvernement lors de son premier mandat, le sien propre n’atteignant guère plus de 18 % des députés au parlement), que Dilma Rousseff, ou même leur parti ne peuvent guère être totalement responsabilisés pour la politique dans son ensemble, ni pour ses bons, ni pour ses mauvais côtés.
D’autant qu’il faut encore se rappeler deux choses :
-D’une part, le Brésil est une fédération de 26 Etats, plus le District Fédéral de Brasilia, la capitale. Les Etats disposent d’une vaste autonomie, d’un pouvoir qui réduit fortement celui de la République Fédérale. Nombre d’entre eux sont éclaboussés de scandales également.
Au sein des Etats, les mêmes partis actuellement au pouvoir au niveau fédéral sont parfois alliés, mais aussi souvent adversaires. Et, parmi les alliés du PT, certains d’entre eux sont alliés avec le principal parti de l’opposition : le PSDB. Ainsi, dans l’État d’Espírito Santo, le PMDB et le PSDB se partagent le gouvernement ; au Maranhão, le PCdoB, de gauche, est allié avec le PSDB, de droite ; dans le Mato Grosso, le gouvernement se partage entre le PSDB et le PSD. Toutes ces alliances au sein des Etats créent fatalement des tensions avec le gouvernement fédéral. Mais il est également vrai que l’appartenance à un parti, au Brésil, ne signifie pas que l’on suive une ligne politique déterminée nationalement. Et cela sera éclairé par le point suivant.
-Car, d’autre part, les députés et sénateurs, quoique membres de partis, se distinguent surtout par leur appartenance à divers groupes d’intérêts. Outre qu’ils sont en moyenne des hommes blancs d’une cinquantaine d’années et détenteurs d’un patrimoine d’un millions de reais ((Cf. L. OUALALOU, Au Brésil, « trois cents voleurs avec des titres de docteurs », Monde Diplomatique, nov. 2015, p. 10-11. Très bon article, mais écrit il y a plus de cinq mois, et donc déjà obsolète face à l’actualité, malheureusement.)), ils se caractérisent avant tout par leurs organes de financement, leur appartenance entrepreneuriale ou même leur religion.
Ainsi, les députés représentant le lobby agroalimentaire sont 153, sur 513 ; les entrepreneurs 207. Sachant que seuls 69 députés sont du PT, on peut évaluer les difficultés qu’ils doivent avoir d’imaginer même proposer une réforme agraire ou une meilleure défense de l’environnement -si tant est d’ailleurs qu’ils le désirent, ce qui n’est pas souvent le cas ((Ajoutons encore une petite précision : le Congrès est dominé par des personnalités établies depuis des décennies dans la politique brésilienne. Eduardo Cunha était déjà impliqué politiquement en 1982 auprès du PDS ; Renan Calheiros, l’actuel président du sénat, député d’État en 1978, à l’époque de la dictature. Rappelons que la démocratie n’est rétablie au Brésil qu’en 1988. Le PMDB, dont sont membres ces deux personnalités, était le seul parti d’opposition autorisé sous le régime de la dictature, jusqu’en 1985. Il est pratiquement incontournable encore dans la plupart des régions du Brésil. Son clientélisme ferait passer celui des partis socialistes européens pour de l’amateurisme pur.)).
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« Golpe » ?
Il ne s’agit pas ici de défendre Dilma Rousseff ou son prédécesseur, mais de se rappeler que la démocratie brésilienne est très jeune ((La constitution la plus récente a été promulguée en 1988.)). Les réflexes autoritaires sont très fréquents dans la société brésilienne.
Une certaine nostalgie de l’époque où l’on ne remettait pas en question l’autorité des « colonels » locaux (chefs de réseaux de clientélisme) se reflète dans l’impunité dont jouissent encore les assassins des militants de gauche des régions rurales, par exemple, dans la découverte régulière de situations d’esclavages sur des latifundias ou dans le fait que la Police Militaire, principale force publique de l’État, est la police qui tue le plus au monde.
La gauche brésilienne n’est pas satisfaite de l’action des gouvernements Lula et Dilma, mais elle est consciente de la menace qui pèse sur le pays, et c’est elle notamment qui a appelé, le 18 mars, à un ensemble de manifestations, non pas tant pour « défendre le gouvernement Dilma » que pour appeler au respect des formes démocratiques ((Soyons justes: nombre des manifestants, tout de rouge vêtus, appuyaient et appuient toujours le PT, Dilma et Lula. Note du 11 avril 2016: les partis de gauche, y compris ceux qui ne sont pas au pouvoir, continuent, en compagnie de nombreux bloggeurs, activistes, groupes sociaux divers, de participer aux mouvements de refus d’impeachment. Une lecture superficielle de la politique mettrait Marina Silva et son parti Rede dans les exceptions à ce phénomène, mais il faut bien se rendre compte que Marina Silva n’est pas de gauche. “Candidate écologiste”, elle est surtout favorable à un rapprochement avec les USA et se positionne farouchement en évangéliste sur le plan sociétal. Par contre, on trouvera avec un certain étonnement une figure très modérée, Ciro Gomes, parmi les opposants à l’Impeachment.)).
En effet, lors des manifestations « jaunes et vertes », culminant le 13 mars, les slogans allaient parfois jusqu’à l’appel à l’intervention militaire (notons, par ailleurs, que jusqu’ici les forces militaires sont restées loyales au gouvernement, bien que la Police Militaire ait montré des signes de partialité dans son comportement vis-à-vis des manifestants, agissant aux ordres du Gouverneur de l’État, et à São Paulo il s’agit de Geraldo Alckmin, sur lequel nous reviendrons plus loin ; la Police Civile, elle, répond aux ordre du Gouvernement Fédéral).
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Mais que se passe-t-il alors ?
Depuis que le PT est au gouvernement, plusieurs groupes d’influence ont manifesté leur insatisfaction, voire leur frustration.
Les premiers de ces groupes sont les médias traditionnellement de droite, à commencer par la chaîne de télévision Globo, qui participa largement au maintien de la dictature et fut très longtemps l’obstacle principal à l’élection de Lula, contribuant entre deux feuilletons à le ridiculiser au cours des campagnes électorales de 1988 à 2002.
Mais la Globo n’est pas seule : les journaux O Globo, A Folha de São Paulo, O Estado de São Paulo, les revues Veja, Época et Istoé se démarquent aussi par leur militantisme anti-PT((Je ne cache pas qu’une des motivations de l’existence de cet article est de tenter d’enjoindre les médias européens d’utiliser d’autres médias que ceux-ci pour informer leurs auditoires. Note du 11 avril 2016: le mouvement anti-Globo populaire au Brésil atteint actuellement des sommets qui m’impressionnent personnellement. Il a toujours été réel, mais il pourrait pour la première fois remettre en question la prédominance de cette famille médiatique brésilienne.)).
Les rares médias « de gauche » ou indépendants sont peu diffusés et sous-financés. Ainsi le CartaCapital de l’éternel opposant démocrate Mino Carta ou le Brasil de Fato, ouvertement marxiste, par exemple. Peu diffusés, ils ne peuvent de toute façon pas lutter contre des chaînes de télévision privées conservatrices. Les chaînes de radio ne sont guère plus diversifiées ((Pour se faire une idée des médias de gauche au Brésil, voir mon article remontant déjà à 2010 : http://thitho.allmansland.net/?p=1440 qui ne recouvre pas les publications récentes ni les blogs militants, dont certains sont de hautes qualités.)).
S’il n’y avait que les médias… Mais les gros entrepreneurs, quoique choyés sous les gouvernements Lula-Dilma, se sont également ligués contre les « affreux gauchistes » (pour rappel, Lula est un ancien syndicaliste et Dilma une ancienne militante communiste) ((Je n’insisterai pas ici, quoiqu’il le faudrait, sur le racisme social latent au Brésil, où les classes les plus élevées ne supportent guère l’idée que les classes les plus pauvres puissent imaginer avoir des droits… Je ne dis même pas des droits égaux, mais simplement des droits à l’expression, à des services…)). Ainsi, en réaction à la nomination, certes discutable, de Lula comme ministre, des fédérations d’entrepreneurs se sont liguées pour lancer un… appel à ne pas payer l’impôt fédéral. Ceci n’est rien d’autre qu’une incitation à commettre un délit grave. Sachant que la justice s’occupe activement du cas de Lula, ces syndicats patronaux tentent d’influer de manière totalement illégale sur la situation politique.
Et pourtant, ce n’est pas parce que Lula est devenu ministre qu’il échappera à la justice. Certes, il ne sera plus poursuivi par le même juge fédéral, Sergio Moro, lequel travaille avec la Police Fédérale, mais il existe au Brésil un tribunal spécial autorisé à juger des situations impliquant des ministres en exercice. Et ces juges du Tribunal Suprême Fédéral, bien que parfois nommés par Lula lui-même, ne lui sont pas spécialement favorables, contrairement à une série de rumeurs à ce sujet ((Note d’actualisation: entre-temps, Lula a été empêché de devenir ministre sur décision du Tribunal Suprême Fédéral. La situation n’est cependant pas tout à fait clarifiée à son sujet.)).
Le plus emblématique d’entre eux, Gilmar Mendes, nommé par l’alors président Fernando Henrique Cardoso en 2002, lui-même entaché de nombreuses irrégularités et soupçonné de « gentillesse » à l’égard de personnalités douteuses, a promis un traitement sans concession à Lula. Or il a été chargé de la plupart des dossiers “Lula”. Il n’y a donc aucune raison de penser que Lula échapperait à une éventuelle condamnation s’il devait être reconnu coupable.
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Les médias, les entrepreneurs… C’est tout ? Non.
Au sein du Congrès, de nombreux députés, y compris de sa majorité théorique, menacent la présidente d’une procédure d’impeachment. Ce qui signifie qu’elle risque la destitution si la procédure aboutit. Et pourtant, si l’on considère les causes juridiques de cette procédure, force est de reconnaître que le dossier ne la concerne… jamais ((Note du 11 avril 2016 : les raisons politiques se sont multipliées: on accuse notamment Dilma Rousseff d’avoir manipulé des chiffres pour assurer sa réélection en 2014, mais aussi d’avoir opéré des changements sur le budget de l’État suite à l’aggravation de la crise. Aucune de ces raisons ne semble pourtant justifier, si elles étaient avérées, de procédure d’impeachment. C’est cependant sur celles-ci qu’une Commission du Congrès devait trancher ce 11 avril pour savoir si la procédure va de l’avant ou s’arrête.)). Mais cela ne gène pas ses opposants, dont nous avons déjà parlé, parmi lesquels beaucoup lui reprochent d’avoir empêché la privatisation du Pre-Sal, ces champs pétrolifères récemment découverts et pour lesquels Dilma comptent bien que le Brésil, dans son ensemble, puisse profiter, à l’instar du Vénézuéla ou de la Norvège.
L’opposition du PSDB, José Serra ((Qui fut candidat malheureux contre Dilma aux élections présidentielles en 2014.)) en tête, a déposé un contre-projet en 2015 pour renverser cette logique et compte bien l’appliquer si elle revient au pouvoir. On reproche aussi à Dilma dans les milieux financiers d’avoir réduit les possibilités de bénéfices dans les banques en jouant avec les taux d’intérêt jusque là hyper favorables aux « monnayeurs ».
Les médias conservateurs, les députés nostalgiques du « colonélisme », les grands entrepreneurs fatigués de devoir négocier leurs marchés privilégiés, et même les banques, cela fait déjà beaucoup… Mais on ne peut s’empêcher de se demander s’il n’y a pas aussi derrière tout ça une petite influence extérieure. Ce ne serait pas la première fois, sans même remonter jusqu’au coup d’État de 1964. Le gouvernement brésilien a déjà été bousculé pour sa « mauvaise gestion » de la forêt amazonienne, mais aussi pour son intrusion dans les dossiers iranien, syrien ou libyen, par exemple.
En effet, depuis Lula et notamment son excellent ministre des affaires étrangères, l’indépendant Celso Amorim, le Brésil a cessé de figurer dans le « jardin » des USA. Conscients de la force potentielle du Brésil en Amérique Latine, et de l’importance de l’Amérique Latine dans le monde, Lula et Celso Amorim ont initié une nouvelle manière de considérer la politique internationale, impliquant notamment le pays dans le mouvement des BRICS, avec la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Dilma, bien que plus modérément, a suivi la même ligne. Le PSDB, dans l’opposition depuis 2003, lui, s’était distingué pour son suivisme étatsunien durant la présidence de Fernando Henrique Cardoso.
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Et ces manifestations, alors ?
Le 13 mars, nous avons pu assister à de nombreuses manifestations, impliquant en effet des centaines de milliers de personnes, peut-être trois millions de Brésiliens dans de nombreuses villes du pays ((Si l’on en croit le décompte de la Police Militaire, curieusement très généreuse.)). Ces manifestants, généralement, apparaissaient sur les images, bien blancs, équipés de lunettes de soleils et habillés de jaune et de vert. Peu représentative de la société brésilienne, plus métissée dans son ensemble, faut-il le rappeler ((Les enquêtes ont révélé que les manifestants étaient en moyenne largement plus diplômés que la moyenne des Brésiliens.)).
Rappelons que deux « manifestants » du 13 mars, Aécio Neves, sénateur du Minas Gerais, et Geraldo Alckmin, gouverneur de l’État de São Paulo, se faisaient l’écho du sentiment de dégoût pour la corruption… Or, l’un comme l’autre sont sujets à scandales. Alckmin est impliqué dans un honteux détournement de repas scolaires dans les écoles publiques, de prévarication dans le cadre du creusement du métro et de rapports peu avouables avec des chefs de gangs. Quant à Aécio Neves, il est soupçonné de détenir des fonds illégaux dans un paradis fiscal, de tremper dans des trafics d’influence à Minas Gerais, sans compter que l’un de ses proches amis se trouve empêtré dans une sombre affaire de drogue retrouvée dans… son hélicoptère personnel. Inutile de dire que de tous ces scandales touchant le PSDB, mais aussi le PMDB, les médias traditionnels parlent peu ces derniers temps ((Il faut aussi reconnaître que l’apparition de Aécio Neves et Geraldo Alckmin ne fut pas accueillie que par des applaudissements : certains manifestants lancèrent des « voleurs » et des « opportunistes » aux deux représentants du parti d’opposition.)).
Le héros de cette manifestation, le juge Sergio Moro, connu pour son action de « nettoyage » de corruption dans les entreprises de construction, venait de divulguer par voie de presse des « éléments de preuve » à charge contre Dilma et Lula, principalement un enregistrement de conversation téléphonique qui s’avéra, par lui-même, totalement illégal, car relevé hors de tout mandat. Non seulement il était illégal, mais en plus sa divulgation ne respectait pas le secret de l’instruction. Mais il y a plus : les éléments incriminant Lula et Dilma ne relevaient que de l’interprétation erronée de quelques mots lancés par Dilma. Moro l’a lui-même reconnu : il n’y a pas grand-chose dans ces enregistrements. Autrement dit, le juge fédéral a jeté de l’huile sur le feu de manière illégale et illégitime. Mais, une fois l’huile versée, évidemment, le feu est difficile à éteindre. D’autant que les médias ne contribuent pas à remettre ces éléments dans l’ordre et le contexte adéquats.
Alors, pourquoi le juge fédéral a-t-il fait cela ? (23 mars 2016)
Note supplémentaire du 11 avril 2016: Rien de ce qui précède n’a perdu de sa pertinence. Les doutes à l’égard de l’action judiciaire de Sergio Moro sont de plus en plus étayers. Les grands pontes du PMDB négocient avec le PSDB la possibilité -et surtout les suites- de l’impeachment possible de Dilma Rousseff, qui n’est pourtant pas plus justifié en faits.
Cette procédure suit actuellement son cours, dans un contexte tumultueux, où le Congrès ne parvient pas à redorer son image ((Il faut aussi reconnaître que l’apparition de Aécio Neves et Geraldo Alckmin ne fut pas accueillie que par des applaudissements : certains manifestants lancèrent des « voleurs » et des « opportunistes » aux deux représentants du parti d’opposition.))…
Les grands médias traditionnels, de la Globo aux revues nostalgiques de l’époque de l’esclavage, ne parviennent guère à se dépêtrer. Ils se disputent les appuis des figures politiques de l’opposition, accusent à tour de bras au fur et à mesure des rumeurs et des faits plus ou moins avérés, ne s’entendant que sur une chose: la promotion de l’impeachment et le discrédit du mouvement social qui s’y oppose.
De leur côté, les mouvements sociaux et les médias “dominés” sont nombreux et vivants au Brésil. Paradoxalement, donc, ce sont ces derniers, déçus par le PT, qui pourraient participer au sauvetage du gouvernement de Dilma Rousseff, même privée (de manière ambiguë) de son principal partenaire, le PMDB.
A suivre… de près!

Note du 12 avril : la Commission de l’Assemblée a voté la poursuite de la procédure d’Impeachment, dans une ambiance fiévreuse et dramatique. La plupart des députés ayant voté en ce sens sont eux-mêmes visés par la fameuse « Opération Lava-Jato », dont ils espèrent la fin en cas de destitution de la présidente ((Voir note 20 pour les conséquences)).

Échec à la reine

Wednesday, March 23rd, 2016

L’échiquer brésilien en 2016
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20-21 mars 2016 – Thierry Thomas

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L’actualité brésilienne est terriblement complexe à comprendre, surtout pour qui ne suit les événements que de loin et via les médias traditionnels européens. Il est difficile de vous donner toutes les sources dont je me suis servi pour rédiger les notes qui suivent. Cependant, vous pouvez en retrouver l’essentiel sur les sites repris en note de bas de page, outre, pour ce qui concerne les éléments institutionnels, wikipedia (qui n’est pas une source en soi, mais une base de faits à vérifier) ((-epoca.globo.com
CartaCapital.com.br
le Monde Diplomatique et sa version brésilienne : le Monde Diplomatique Brasil
noticias.uol.com.br
folha.uol.com.br
globo.com
-des éléments de sites du parti PcdoB : pcdob.com.br
vermelho.com.br et opovo.com.br
https://theintercept.com/2016/03/18/o-brasil-esta-sendo-engolido-pela-corrupcao-da-classe-dominante-e-por-uma-perigosa-subversao-da-democracia/
brasildefato.com.br
-plusieurs amis brésiliens, témoins directs, acteurs et observateurs raisonnables et consciencieux, et effrayés de la perspective actuelle
-mes propres connaissances du Brésil, où j’ai vécu quatre ans et demi, et mon propre blog thitho.allmansland.net, bien que peu actualisé ces derniers temps.)).

D’avance, mes excuses pour la longueur de cet article, mais il n’y avait pas moyen de faire plus simple, contrairement à ce qu’un “papier” du Soir, de la Libre ou de la RTBF le suggérerait.

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Le Brésil est-il au bord d’une dictature du prolétariat ?

Non. Je n’irai pas jusqu’à dire « malheureusement, non ». Cela dit, il est bon de renverser un certain nombre de certitudes locales. Certains canards méritent qu’on leur casse quelques pattes.

A l’écoute de la RTBF, à la lecture de quotidiens belges en ligne, le gouvernement de Dilma Rousseff tendrait dangereusement vers une forme autoritaire et corrompue, alors que des millions de courageux citoyens seraient descendus dans la rue pour défendre l’action d’un juge fédéral, auquel certains vont jusqu’à s’associer sous le slogan « Nous sommes tous Sergio Moro ».

Or, si cela ressemble à la réalité, ça n’en a que l’apparence.

S’il est vrai que le gouvernement Dilma Rousseff est actuellement secoué par une série de scandales, il faut savoir que la présidente elle-même n’est pas soupçonnée de quoi que ce soit, sinon de chercher à défendre son prédécesseur ((Or, même cette hypothèse, nous le verrons plus bas, n’est pas nécessairement correcte. Je pense personnellement que l’entrée de Lula dans le gouvernement est plus un coup tactique pour affaiblir le partenaire principal de la coalition, le PMDB, afin de le forcer à rester au gouvernement. Mais cette note en bas de page est l’élément le plus conjecturel de cet article.)).

Par contre, on ne parle pas beaucoup des membres des différents partis qui composent sa majorité actuelle et qui eux sont pleinement éclaboussés par des accusations de corruption, concernant notamment l’entreprise semi-privée, semi-publique Petrobras ; parmi les personnes concernées, en tête figure l’actuel président de la chambre des députés, Eduardo Cunha, ennemi intime de la présidente, et qui barre systématiquement toute possibilité de changements de législation vers la gauche.

Le plus « cocasse », c’est que nombre de ces personnages, députés, éclaboussés par l’opération judiciaire nommée « Lava-Jato » ((Note du 11 avril 2016: entre-temps Cunha est éclaboussé, parmi nombre d’autres, dans le scandale (?téléguidé?) des Panama Papers.)), se trouvent en première ligne pour demander l’impeachment de la présidente (autrement dit, sa destitution « légale »).

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Comment cela est-il possible ? Le gouvernement brésilien n’est-il pas de gauche.

Non. Il ne l’est pas. Il faut d’abord savoir que la présidente a beau avoir été élue au premier tour avec plus de 50 pour-cent des voix exprimées, elle a dû, tout comme lors de son premier mandat, et tout comme son prédécesseur, Luis Inácio Lula da Silva, s’allier avec plusieurs partis de droite dure, le premier desquels étant le parti du vice-président, Michel Temer, mais aussi d’Eduardo Cunha, le PMDB ((Il faut savoir qu’au cas où l’impeachment contre Dilma aboutirait, le président en exercice au Brésil serait Michel Temer et son vice-président Eduardo Cunha. Ca fait réfléchir. Note du 11 avril 2016: entre-temps, le PMDB a rompu officiellement avec le gouvernement… Encore que… la plupart des ministres issus de ce parti, eux, par contre, sont restés au gouvernement. Par goût du pouvoir?)).

Sur 23 ministres, le PT et le PMDB en comptent 5 chacun. Mais ils n’auraient pas encore la majorité à eux seuls. A gauche, seul le PCdoB compte un ministre, celui de la défense. Mais plusieurs autres partis sont également représentés dans le gouvernement : le PSD, le PDT, le PTB, le PROS et le PR, chacun comptant un ministre. Tous les autres ministres sont considérés « indépendants » ((Certains indépendants sont considérés plus ou moins proches de certains partis.)).

Cette alliance entre le PT et ces partis qui se considèrent tous au centre, ou peu s’en faut, montre déjà que, tant Lula (qui eut jusqu’à 8 partis alliés dans son gouvernement lors de son premier mandat, le sien propre n’atteignant guère plus de 18 % des députés au parlement), que Dilma Rousseff, ou même leur parti ne peuvent guère être totalement responsabilisés pour la politique dans son ensemble, ni pour ses bons, ni pour ses mauvais côtés.

D’autant qu’il faut encore se rappeler deux choses :

-D’une part, le Brésil est une fédération de 26 Etats, plus le District Fédéral de Brasilia, la capitale. Les Etats disposent d’une vaste autonomie, d’un pouvoir qui réduit fortement celui de la République Fédérale. Nombre d’entre eux sont éclaboussés de scandales également.

Au sein des Etats, les mêmes partis actuellement au pouvoir au niveau fédéral sont parfois alliés, mais aussi souvent adversaires. Et parmi les alliés du PT, certains d’entre eux sont alliés avec le principal parti de l’opposition : le PSDB. Ainsi, dans l’État d’Espírito Santo, le PMDB et le PSDB se partagent le gouvernement ; au Maranhão, le PCdoB, de gauche, est allié avec le PSDB, de droite ; dans le Mato Grosso, le gouvernement se partage entre le PSDB et le PSD. Toutes ces alliances au sein des Etats créent fatalement des tensions avec le gouvernement fédéral. Mais il est également vrai que l’appartenance à un parti, au Brésil, ne signifie pas que l’on suive une ligne politique déterminée nationalement. Et cela sera éclairé par le point suivant.

-Car, d’autre part, les députés et sénateurs, quoique membres de partis, se distinguent surtout par leur appartenance à divers groupes d’intérêts. Outre qu’ils sont en moyenne des hommes blancs d’une cinquantaine d’années et détenteurs d’un patrimoine d’un millions de reais ((cf. L. OUALALOU, Au Brésil, « trois cents voleurs avec des titres de docteurs », Monde Diplomatique, nov. 2015, p. 10-11. Très bon article, mais écrit il y a plus de cinq mois, et donc déjà obsolète face à l’actualité, malheureusement.)), ils se caractérisent avant tout par leurs organes de financement, leur appartenance entrepreneuriale ou même leur religion.

Ainsi, les députés représentant le lobby agroalimentaire sont 153, sur 513 ; les entrepreneurs 207. Sachant que seuls 69 députés sont du PT, on peut évaluer les difficultés qu’ils doivent avoir d’imaginer même proposer une réforme agraire ou une meilleure défense de l’environnement -si tant est d’ailleurs qu’ils le désirent, ce qui n’est pas souvent le cas. ((Ajoutons encore une petite précision : le Congrès est dominé par des personnalités établies depuis des décennies dans la politique brésilienne. Eduardo Cunha était déjà impliqué politiquement en 1982 auprès du PDS ; Renan Calheiros, l’actuel président du sénat, député d’État en 1978, à l’époque de la dictature. Rappelons que la démocratie n’est rétablie au Brésil qu’en 1988. Le PMDB, dont sont membres ces deux personnalités, était le seul parti d’opposition autorisé sous le régime de la dictature, jusqu’en 1985. Il est pratiquement incontournable encore dans la plupart des régions du Brésil. Son clientélisme ferait passer celui des partis socialistes européens pour de l’amateurisme pur.))

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« Golpe » ?

Il ne s’agit pas ici de défendre Dilma Rousseff ou son prédécesseur, mais de se rappeler que la démocratie brésilienne est très jeune ((La nouvelle constitution a été promulguée en 1988)). Les réflexes autoritaires sont très fréquents dans la société brésilienne.

Une certaine nostalgie de l’époque où l’on ne remettait pas en question l’autorité des « colonels » locaux (chefs de réseaux de clientélisme) se reflète dans l’impunité dont jouissent encore les assassins des militants de gauche des régions rurales, par exemple, dans la découverte régulière de situations d’esclavages sur des latifundias ou dans le fait que la Police Militaire, principale force publique de l’État, est la police qui tue le plus au monde.

La gauche brésilienne n’est pas satisfaite de l’action des gouvernements Lula et Dilma, mais elle est consciente de la menace qui pèse sur le pays, et c’est elle notamment qui a appelé, le 18 mars, à un ensemble de manifestations, non pas tant pour « défendre le gouvernement Dilma » que pour appeler au respect des formes démocratiques ((Soyons justes: nombre des manifestants, tout de rouge vêtus, appuyaient et appuient toujours le PT, Dilma et Lula. Note du 11 avril 2016: les partis de gauche, y compris ceux qui ne sont pas au pouvoir, poursuivent, en compagnie de nombreux bloggeurs, activistes, groupes sociaux divers, de participer aux mouvements de refus d’impeachment. Une lecture superficielle de la politique mettrait Marina Silva et son parti Rede dans les exceptions à ce phénomène, mais il faut bien se rendre compte que Marina Silva n’est pas de gauche. “Candidate écologiste”, elle est surtout favorable à un rapprochement avec les USA et se positionne farouchement en évangéliste sur le plan sociétal. Par contre, on trouvera avec un certain étonnement une figure très modérée, Ciro Gomes, parmi les opposants à l’Impeachment.)).

En effet, lors des manifestations « jaunes et vertes », culminant lors du 13 mars, les slogans allaient parfois jusqu’à l’appel à l’intervention militaire (notons, par ailleurs, que jusqu’ici les forces militaires sont restées loyales au gouvernement, bien que la Police Militaire ait montré des signes de partialité dans son comportement vis-à-vis des manifestants, agissant aux ordres du Gouverneur de l’État, et à São Paulo il s’agit de Geraldo Alckmin, sur lequel nous reviendrons plus loin ; la Police Civile, elle, répond aux ordre du Gouvernement Fédéral).

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Mais que se passe-t-il alors ?

Depuis que le PT est au gouvernement, plusieurs groupes d’influence ont manifesté leur insatisfaction, voire leur frustration.

Les premiers de ces groupes sont les médias traditionnellement de droite, à commencer par la chaîne de télévision Globo, qui participa largement au maintien de la dictature et fut très longtemps l’obstacle principal à l’élection de Lula, contribuant entre deux feuilletons à le ridiculiser au cours des campagnes électorales de 1988 à 2002.

Mais la Globo n’est pas seule : les journaux O Globo, A Folha de São Paulo, O Estado de São Paulo, les revues Veja, Época et Istoé se démarquent aussi par leur militantisme anti-PT ((Je ne cache pas qu’une des motivations de l’existence de cet article est de tenter d’enjoindre les médias européens d’utiliser d’autres médias que ceux-ci pour informer leurs auditoires. Note du 11 avril 2016: le mouvement anti-Globo populaire au Brésil atteint actuellement des sommets qui m’impressionnent personnellement. Il a toujours été réel, mais il pourrait pour la première fois remettre en question la prédominance de cette famille médiatique brésilienne.)).

Les rares médias « de gauche » ou indépendants sont peu diffusés et sous-financés. Ainsi le CartaCapital de l’éternel opposant démocrate Mino Carta ou le Brasil de Fato, ouvertement marxiste, par exemple. Peu diffusés, ils ne peuvent de toute façon pas lutter contre des chaînes de télévision privées conservatrices. Les chaînes de radio ne sont guère plus diversifiées. ((Pour se faire une idée des médias de gauche au Brésil, voir mon article remontant déjà à 2010 : http://thitho.allmansland.net/?p=1440 qui ne recouvre pas les publications récentes ni les blogs militants))

S’il n’y avait que les médias… Mais les gros entrepreneurs, quoique choyés sous les gouvernements Lula-Dilma, se sont également ligués contre les « affreux gauchistes » (pour rappel, Lula est un ancien syndicaliste et Dilma une ancienne militante communiste) ((Je n’insisterai pas ici, quoiqu’il le faudrait, sur le racisme social latent au Brésil, où les classes les plus élevées ne supportent guère l’idée que les classes les plus pauvres puissent imaginer avoir des droits… Je ne dis même pas des droits égaux, mais simplement des droits à l’expression, à des services…)). Ainsi, en réaction à la nomination, certes discutable, de Lula comme ministre, des fédérations d’entrepreneurs se sont liguées pour lancer un… appel à ne pas payer l’impôt fédéral. Ceci n’est rien d’autre qu’une incitation à commettre un délit grave. Sachant que la justice s’occupe activement du cas de Lula, ces syndicats patronaux tentent d’influer de manière totalement illégale sur la situation politique.

Et pourtant, ce n’est pas parce que Lula est devenu ministre qu’il échappera à la justice. Certes, il ne sera plus poursuivi par le même juge fédéral, Sergio Moro, lequel travaille avec la Police Fédérale, mais il existe au Brésil un tribunal spécial autorisé à juger des situations impliquant des ministres en exercice. Et ces juges du Tribunal Suprême Fédéral, bien que parfois nommés par Lula lui-même, ne lui sont pas spécialement favorables, contrairement à une série de rumeurs à ce sujet ((Note d’actualisation: entre-temps, Lula a été empêché de devenir ministre. Note du 11 avril 2016: la situation n’est pas tout à fait clarifiée à son sujet.)).

Le plus emblématique d’entre eux, Gilmar Mendes, nommé par l’alors président Fernando Henrique Cardoso en 2002, lui-même entaché de nombreuses irrégularités et soupçonné de « gentillesse » à l’égard de personnalités douteuses, a promis un traitement sans concession à Lula. Or il a été chargé de la plupart des dossiers “Lula”. Il n’y a donc aucune raison de penser que Lula échapperait à une éventuelle condamnation s’il devait être reconnu coupable.

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Les médias, les entrepreneurs… C’est tout ? Non.

Au sein du Congrès, de nombreux députés, y compris de sa majorité théorique, menacent la présidente d’une procédure d’impeachment. Ce qui signifie qu’elle risque la destitution si la procédure aboutit. Et pourtant, si l’on considère les causes de cette procédure, force est de reconnaître que le dossier ne la concerne… jamais. Mais cela ne gène pas ses opposants, dont nous avons déjà parlé, parmi lesquels beaucoup lui reprochent d’avoir empêché la privatisation du Pre-Sal, ces champs pétrolifères récemment découverts et pour lesquels Dilma comptent bien que le Brésil, dans son ensemble, puisse profiter, à l’instar du Vénézuéla ou de la Norvège.

L’opposition du PSDB, José Serra ((Qui fut candidat malheureux contre Dilma aux élections présidentielles.)) en tête, a déposé un contre-projet en 2015 pour renverser cette logique et compte bien l’appliquer si elle revient au pouvoir. On reproche aussi à Dilma dans les milieux financiers d’avoir réduit les possibilités de bénéfices dans les banques en jouant avec les taux d’intérêt jusque là hyper favorables aux « monnayeurs ».

Les médias conservateurs, les députés nostalgiques du « colonélisme », les grands entrepreneurs fatigués de devoir négocier leurs marchés privilégiés, et même les banques, cela fait déjà beaucoup… Mais on ne peut s’empêcher de se demander s’il n’y a pas aussi derrière tout ça une petite influence extérieure. Ce ne serait pas la première fois, sans même remonter jusqu’au coup d’État de 1964. Le gouvernement brésilien a déjà été bousculé pour sa « mauvaise gestion » de la forêt amazonienne, mais aussi pour son intrusion dans les dossiers iranien, syrien ou libyen, par exemple.

En effet, depuis Lula et notamment son excellent ministre des affaires étrangères, l’indépendant Celso Amorim, le Brésil a cessé de figurer dans le « jardin » des USA. Conscients de la force potentielle du Brésil en Amérique Latine, et de l’importance de l’Amérique Latine dans le monde, Lula et Celso Amorim ont initié une nouvelle manière de considérer la politique internationale, impliquant notamment le pays dans le mouvement des BRICS, avec la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Dilma, bien que plus modérément, a suivi la même ligne. Le PSDB, dans l’opposition depuis 2003, lui, s’était distingué pour son suivisme étatsunien durant la présidence de Fernando Henrique Cardoso.

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Et ces manifestations, alors ?

Le 13 mars, nous avons pu assister à de nombreuses manifestations, impliquant en effet des centaines de milliers de personnes, peut-être trois millions de Brésiliens dans de nombreuses villes du pays ((Si l’on en croit le décompte de la Police Militaire, curieusement très généreuse.)). Ces manifestants, généralement, apparaissaient sur les images, bien blancs, équipés de lunettes de soleils et habillés de jaune et de vert. Peu représentative de la société brésilienne, plus métissée dans son ensemble, faut-il le rappeler ((Les enquêtes ont révélé que les manifestants étaient en moyenne largement plus diplômés que la moyenne des Brésiliens.)).

Rappelons que deux « manifestants » du 13 mars, Aécio Neves, sénateur du Minas Gerais, et Geraldo Alckmin, gouverneur de l’État de São Paulo, se faisaient l’écho du sentiment de dégoût pour la corruption… Or, l’un comme l’autre sont sujets à scandales. Alckmin est impliqué dans un honteux détournement de repas scolaires dans les écoles publiques, de prévarication dans le cadre du creusement du métro et de rapports peu avouables avec des chefs de gangs. Quant à Aécio Neves, il est soupçonné de détenir des fonds illégaux dans un paradis fiscal, de tremper dans des trafics d’influence à Minas Gerais, sans compter que l’un de ses proches amis se trouve empêtré dans une sombre affaire de drogue retrouvée dans… son hélicoptère personnel. Inutile de dire que de tous ces scandales touchant le PSDB, mais aussi le PMDB, les médias traditionnels parlent peu ces derniers temps ((Il faut aussi reconnaître que l’apparition de Aécio Neves et Geraldo Alckmin ne fut pas accueillie que par des applaudissements : certains manifestants lancèrent des « voleurs » et des « opportunistes » aux deux représentants du parti d’opposition.))

Le héros de cette manifestation, le juge Sergio Moro, connu pour son action de « nettoyage » de corruption dans les entreprises de construction, venait de divulguer par voie de presse des « éléments de preuve » à charge contre Dilma et Lula, principalement un enregistrement de conversation téléphonique qui s’avéra, par lui-même, totalement illégal, car relevé hors de tout mandat. Non seulement il était illégal, mais en plus sa divulgation ne respectait pas le secret de l’instruction. Mais il y a plus : les éléments incriminants contre Lula et Dilma ne relevaient que de l’interprétation erronée de quelques mots lancés par Dilma. Moro l’a lui-même reconnu : il n’y a pas grand-chose dans ces enregistrements. Autrement dit, le juge fédéral a jeté de l’huile sur le feu de manière illégale et illégitime. Mais, une fois l’huile versée, évidemment, le feu est difficile à éteindre. D’autant que les médias ne contribuent pas à remettre ces éléments dans l’ordre et le contexte adéquats.

Alors, pourquoi le juge fédéral a-t-il fait cela ? (23 mars 2016)

Note supplémentaire du 11 avril 2016: Rien de ce qui précède n’a perdu de sa pertinence. Les doutes à l’égard de l’action judiciaire de Sergio Moro sont de plus en plus légers. Le PMDB négocie avec le PSDB la possibilité -et surtout les suites- de l’impeachment de Dilma Rousseff, qui n’est pourtant pas plus justifié en faits. Cette procédure suit son cours, dans un contexte tumultueux, où le Congrès ne parvient pas à redorer son image ((Ce 11 avril, un vote important va avoir lieu pour déterminer si la procédure se poursuit en assemblée plénière du Congrès… ou non.))… Les grands médias ne parviennent guère à se dépêtrer. Ils se partagent entre les figures politiques, accusent à tour de bras au fur et à mesure des rumeurs et des faits plus ou moins avérés, ne s’entendant que sur une chose: la promotion de l’impeachment et le discrédit du mouvement social qui s’y oppose. Heureusement, les mouvements sociaux et les médias “dominés” sont nombreux et vivants au Brésil. Paradoxalement, donc, ce sont ces derniers, déçus par le PT, qui pourraient participer au sauvetage du gouvernement de Dilma Rousseff, même privée (de manière ambiguë) de son principal partenaire.

A suivre… de près!

Euroxit -une maladie (à rendre) contagieuse…

Sunday, July 19th, 2015

Par euroxit, on appellerait la possibilité pour un ou plusieurs pays de sortir de l’euro, voire de l’UE, de telle sorte que ce n’est pas ces deux structures qui se débarrasseraient d’un trublion (comme pour un Grexit ou un Belxit), mais, au contraire, le trublion qui déciderait de reprendre ses billes et de se reconcentrer sur l’exercice de la démocratie, processus qui a été mis à mal à partir des lendemains peu chantants de la 2e guerre mondiale.

Même si on ne peut déterminer de ligne historique évidente, il existait, depuis la fin du XVIIIe Siècle, jusqu’en 1946, environ, une tendance, en Europe, à l’extension des processus démocratiques, que ce soit par l’exercice du vote (étendu jusqu’aux femmes en 46 presque partout, tout au moins dans l’Occident colonialiste), par la reconnaissance des syndicats ou par la généralisation de mutuelles et de coopératives de plusieurs types. Or, dès le début, les forces conservatrices ont cherché à réduire, freiner, voire retourner ce processus de démocratisation. Mais c’est sans doute avec les années qui ont suivi la 2e guerre mondiale que la réaction est parvenue à retourner le processus. Il faudrait évidemment augmenter notre analyse sur les processus de décolonisation, notamment, mais globalement ce qui suit prend ce prémisse comme base.

Tout part de l’attitude des USA et de Jeroen Dijsselbloem…

Pourquoi les USA craignent-ils un Grexit? Parce qu’ils aiment la démocratie grecque? Non. Parce qu’en cas de Grexit, c’est l’UE qui risque bien de disparaître à la suite, par petits morceaux ou en totalité. Les soldats Schauble, Fabius, Dijsselbloem sont là pour s’assurer que cela n’arrivera pas…
En effet, les USA, qui voient toujours trois centimètres plus loin (mais guère plus), savent qu’en cas de chute de l’UE, le TAFTA sera fatalement aussitôt remis en question, de même que la plupart des traités d’échange qui ont précédé, tant ceux patronnés par l’OMC, la BM ou le FMI, que de manière bi- ou multilatérale.
Or, en ce moment, si les USA “vont bien”, c’est dans la seule perspective (j’ai bien dit perspective) qu’ils puissent à nouveau étendre leurs marchés, d’une manière ou d’une autre, dans tous les sens, en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique Latine, dans les Fosses des Mariannes, sur Pluton, partout, quoi…

Or, là, ils ont assez bien atteint leurs limites dans pas mal d’endroits dans le monde(1).

S’ils augmentent leurs parts de marché en Russie pour avoir coupé les nôtres, ils ne peuvent cependant pas les développer beaucoup plus(2);
La Chine ne va plus aussi bien qu’avant, et de toute façon elle importe surtout des matières premières(3);
Le Japon poursuit sa stagnation -ça ne va pas mal, mais ça ne va pas mieux;
L’Amérique Latine pose pas mal de problèmes, ce qui a dû les surprendre, les USA, mais ils n’ont plus autant les moyens qu’avant de renverser des gouvernements qui leur sont hostiles -ils s’y essaient, mais, de toute façon, ces marchés de consommation ne sont pas encore très très intéressants, en fait;
L’Afrique, bon… En terme de production, c’est cool, mais les marchés de consommation sont encore trop faibles -sauf peut-être pour les vendeurs de cigarettes et de soda sombre;
Reste (encore et toujours) l’Europe qui, bien plus que l’Amérique Latine, est le pré carré des USA, depuis la 2e guerre mondiale (d’abord en partie, maintenant en totalité).

Or, les USA, depuis les années 50, se sont acharnés à transformer l’Europe en vaste marché unique afin de faciliter les négociations qui réduisent les barrières à leurs exportations (4). C’est plus facile de négocier avec Mario Monti qu’avec 28 gouvernements dont certains sont encore pourris de soucis électoralistes (5).

Et donc, l’UE pourrait bien ne pas survivre à cette crise…

Est-ce grave, docteur?

Que se passera-t-il en cas de dissolution de l’UE?

Rassurez-vous, pour nous, rien de pire que ce qui devrait se passer si l’UE devait survivre. Si l’UE survit, nous perdrons progressivement le reste de nos avantages sociaux, acquis au cours de la première moitié du XXe Siècle, avec comme dernier bocage de résistance, sans doute, l’enseignement public (sponsorisé, certes, mais bon), les hôpitaux publics (qui se transformeront peu à peu en mouroirs) et la police (mais la police conservant son monopole de la violence intérieure à l’Etat reste essentiellement au service de la propriété, donc, bof…). Pour combien de temps? Pas beaucoup: même l’enseignement à terme sera entièrement privatisé (et bonjours alors le retour à la situation du XIXe Siècle). Les hôpitaux seront gérés par des associations religieuses et nous verrons des tas de petites mères Thérésa pulluler, non en Inde, mais sur notre continent. Adieu la capote. Quant à la police… Boh, pour ce que ça changera (6)…

Alors que si l’UE se dissout, même si nous aurons encore du mal à financer école, hôpitaux et police, au moins aurons-nous le choix de décider de le faire, et de le faire dans notre intérêt, ainsi que de récupérer les rênes d’autres services que, jusqu’ici, nous parvenions à maintenir au service des gens, et pas au service des profits, comme les transports, l’énergie, l’eau, les communications, la production pharmaceutique, la recherche, même l’armée (si vous voulez), etc.

Mais non, vous dira-t-on, vous voulez replonger au Moyen-Âge!

Au niveau de l’organisation sociétale, ce ne serait pas mal (7).

Mais de toute façon, le plus grand risque auquel nous faisons face, ce serait de nous retrouver dans la situation d’une société industrielle à reconstruire, dont le modèle navigue entre le début du XXe Siècle et les années 70 (8), avec toute une série d’acquis technologiques que même les pires des capitalistes ne pourraient pas nous enlever, à moins de nous déclarer la guerre de manière unilatérale et de perdre à jamais nos marchés (9)…

Le plus grand risque est de nous retrouver dans la situation de certaines régions d’Amérique Latine aux démocraties en construction, mais il existe d’autres perspectives, comme celle de l’Islande, par exemple, qui, sauf erreur de ma part, n’a pas remis les chars à rennes au goût du jour.

Pas encore assez de notes en bas de page, pas encore assez d’explications, mais une foule de points de discussions, que je retrouve sous d’autres formes chez Lordon, Sapir, Bricmont, et bien d’autres, dont quelques-uns qu’on ne peut citer qu’en risquant d’être définitivement catalogués comme populiste, nationaliste, voire fasciste ou anti-sémite…

Mais en même temps qu’a-t-on à perdre encore?

(1) Le capitalisme, d’où qu’il vienne, tel un requin, ne peut s’arrêter de grandir. C’est presque une loi qui a d’ailleurs été érigée en religio -à moins que ce ne soit l’inverse- et qui nous est constamment illustrée par le mythe de la croissance continue. Lorsqu’un économiste qui se prend au sérieux s’attache au mythe de la croissance continue comme facteur principal de création de richesse, on peut légitimement s’interroger sur son honnêteté intellectuelle (il est fatalement capitaliste) ou sur sa compétence, s’il se croit sincèrement de gauche. Ainsi, un Thomas Piketty n’est jamais qu’une espèce de Keynes version moderne: un capitaliste qui prétend sauver le capitalisme de lui-même en lui proposant de faire une petite cure d’homéopathie.
Or, la croissance passe par l’exploitation toujours plus importante de marchés de consommation, suivant la croissance de marchés de production; on ne peut pas sortir de là. Même si ces marchés sont avant tout financiers, virtuels ou fantasmés, il faut qu’ils existent. On peut se poser la question de leur réalité, tant qu’ils créent de la valeur économique, les capitalistes sont contents. On peut se poser aussi la question de leur utilité en terme de bien-être, de mieux-être, mais ce n’est pas la préoccupation des capitalistes. On peut aussi se poser d’autres questions annexes, comme celles de l’environnement ou de l’emploi, mais, de nouveau, pour le capitaliste, ça n’a pas d’importance in se. L’important, c’est que le gâteau s’agrandisse et que l’accès au gâteau permette aux capitalistes de faire grandir leur part.

(2) En effet, les sanctions qui touchent la Russie, et qui en contre-partie touchent l’Europe, n’ont pas touché les parts de marché des échanges entre USA et Russie. Non, ne cherchez pas l’erreur, il n’y en a pas.

(3) Comme je le disais par ailleurs, les USA ne voient jamais à très longue échéance: pour la plupart des idéologues américains, le court terme, voire le très court terme, est tout ce qui importe, car c’est le temps de l’entreprise, tout simplement, c’est le temps du bilan comptable, c’est le temps de la distribution des dividendes. Ce n’est même pas le temps des élections, puisque les élections n’ont qu’une importance marginale aux USA. Il y a bien une débauche de capitaux qui se déplacent au cours des campagnes électorales, et cela peut paraître important, mais en réalité la plupart des “généreux donateurs” parient sur les deux chevaux en course. Vous devez imaginer un tiercé géant où il n’y aurait que deux combinaisons gagnantes et pour lesquelles plus vous pariez sur les deux combinaisons, plus vous êtes sûrs de gagner dans les deux cas, et si vous ne pariez que sur une des deux combinaisons une petite somme, qu’elle soit gagnante ou pas, cela n’a pas d’importance: vous perdez dans les deux cas.

(4) La “découverte” récente des relations entre Spaak, Schuman, Monnet et les USA, notamment, mais aussi la main-mise des USA sur l’Italie qui risquait de virer à gauche, la condescendance des USA vis-à-vis des dictatures des pays du Sud (Espagne, Portugal, Grèce), pourvu qu’elles leur soient favorables, la mise sous tutelle de la Grande-Bretagne, la relation conflictuelle mais tout de même finalement fraternelle avec l’Allemagne, d’abord de l’Ouest, puis dans son entier, les efforts finalement aboutis pour rallier la France à l’Otan, etc., tout cela devrait nous rappeler que, guerre froide ou pas, il a toujours été important pour les USA de maintenir son emprise sur l’Europe.

(5) Je reprends le même sujet qu’un peu plus haut: il s’agit de ramener le temps de la démocratie (relative, certes, mais bon) au temps de l’entreprise. Or, le temps de l’entreprise ne peut pas être celui des disputes parlementaires ou celui des tribunaux, mais bien celui des arbitrages menés par des gens qui s’entendent avec le monde de l’entreprise. Donc, des techniciens sont mis au pouvoir dans les institutions afin d’organiser la justice autour d’organismes privés d’arbitrages rapides.

(6) J’oserais dire que la survie de l’UE et/ou de l’euro serait la solution la plus pessimiste à mes yeux.

(7) Je ne peux pas développer mon idée ici, mais, oui, l’organisation sociétale au Moyen-âge possède pas mal de qualités, en dépit de ses manquements technologiques; je l’ai déjà dit par ailleurs, et je tente de le développer quand j’en ai le temps dans un ouvrage un peu plus conséquent: à l’instar d’un Kropotkine, même si c’est pour d’autres raisons et dans d’autres formules, je pense que nous avons à apprendre de ces structures sociétales. Je me distingue de mon vieux barbu de géographe anarchiste en ce que, selon moi, ce sont plus les villages de paysans qui représentent le modèle démocratique à suivre que celui des corporations urbaines. Mais bon, en fait, ce ne sont que des détails, comme j’essaierai aussi de le montrer un jour.

(8) Sur le plan du confort de vie, de l’espérance de vie, mais avec en plus les instruments de communication que nous connaissons, les médicaments, les infrastructures médicales, etc., bref, avec tout un tas d’instruments qui, certes, peuvent se raréfier, mais restent infiniment plus performants qu’au milieu du XXe Siècle. Donc, une chute au Moyen-âge, dans le mauvais sens du terme, est totalement impossible. La maintenance d’un service minimum dans une structure même lâche permettra de toute façon de conserver un certain niveau de confort. Même si vos panneaux solaires tombent en rade, vous aurez de toute façon moins de besoin en électricité sur le moyen terme. Les écrans vont cesser de se multiplier, vont finir par se réduire en nombre, etc. Bon, ici, je suis conscient que la discussion va être énorme.

(9) L’organisation de la société va rapidement tourner autour de préoccupations finalement assez similaires à celles de Cuba après la révolution. Mais, de toute façon, beaucoup de pays se trouveront dans le même état et l’interdépendance sur base d’une coopération pourrait s’installer avec un peu de bonne volonté, pourvu que les pays restés capitalistes ne nous envoient pas des sous-marins pour couler nos galions…

anarcho…

Wednesday, June 17th, 2015

J’ai déjà vu des anarchistes végétariens, et des anarchistes amateurs de chasse et de pêche;

J’ai déjà rencontré des anarchistes opposés à toute guerre et donc à toute intervention, et j’ai rencontré quelques-uns des derniers vétérans de la Guerre d’Espagne;

J’ai eu l’occasion d’entendre des anarchistes anticapitalistes mais tolérants envers l’Etat, et des anarchistes qui détestaient l’Etat mais toléraient le capitalisme;

J’ai évidemment discuté avec des anarchistes qui n’aimaient ni l’un ni l’autre;

J’ai rencontré des anarchistes radicaux, mais pas violents, et des anarchistes violents, mais plutôt confus dans leurs idées;

J’ai discuté avec des anarchistes opposés à l’IVG, parce qu’ils estimaient que le droit à la vie primait sur tout autre, et, bien sûr, j’ai rencontré bien plus d’anarchistes favorables à l’IVG;

J’ai rencontré des anarchistes favorables aux quotas de femmes dans les lieux de pouvoirs, et d’autres qui masquaient peut-être leur misogynie derrière leur haine du pouvoir pour refuser cette position;

J’ai eu de longues discussions avec des anarchistes qui privilégiaient l’égalité, d’autres qui privilégiaient la liberté;

J’ai rencontré des anarchistes prêts à négocier avec les cocos, avec les écolos, et même avec les socialos, et puis les autres qui me traitaient de rouge, de brun, de facho, de prof, de fonctionnaire;

J’ai écouté des anarchistes qui voyaient des agents du KGB derrière (presque) tout le monde;

J’ai rencontré des anarchistes généreux, souriants, amicaux, et puis d’autres qui voyaient tout en noir, plus proches du nihilisme;

Il y a aussi les anarchistes anti-libéraux, les anarchistes anti-démocratie représentative, les anarchistes qui ne votent jamais, les anarchistes qui acceptent les élections et les anarchistes qui ont monté une boite;

j’ai rencontré des anarchistes “punks à chiens”, et d’autres qui disaient que les animaux domestiques, ça ne devait pas exister;

J’ai même rencontré un flic anarchiste;

J’ai rencontré des anarchistes bakhouniniens, proudhoniens, malatestiens, etc. et d’autres qui estimaient que les étiquettes, c’était mal;

J’ai rencontré des anarchistes qui détestaient le mot libertaires et des libertaires qui n’aimaient plus le mot anarchistes;

J’ai vu des anarchistes tout en noir et d’autres (ou les mêmes) qui détestaient tous les uniformes;

J’ai rencontré des anarchistes élégants, parfumés, délicats, et même riches, et d’autres pas lavés depuis des semaines, qui revendiquaient le droit à sentir mauvais (si, si);

J’ai eu l’occasion de militer avec des anarchistes pro-gays, pro-lesbiens, pro-tout ça et d’autres qui ne supportaient pas la Gay-pride;

j’ai rencontré des anarchistes mariés, et d’autres qui ne supportaient pas l’idée du couple;

J’ai rencontré des anarchistes qui ne mangeaient que des aliments crus, d’autres qui ne mangeaient que local, d’autres qui ne cuisinaient jamais;

J’ai rencontré des anarchistes aimant les sciences, la médecine, promouvant les médicaments, et d’autres qui refusaient jusqu’à l’aspirine;

J’ai rencontré des anarchistes super-bio, super-opposés à tout ce que la technologie pouvait proposer, limite amish, et d’autres qui trouvent que le nucléaire, c’est pas mal, finalement;

J’ai discuté avec des anarchistes qui trouvaient du beau chez tous les poètes, les écrivains, les peintres, et d’autres qui refusaient toute la culture bourgeoise ou aristo;

J’ai rencontré des anarchistes qui voyaient dans Diogène, La Boétie, Villon ou Rimbaud d’authentiques frères, et d’autres qui refusaient d’entendre parler de ces ancêtres trop glorieux;

J’ai rencontré des anarchistes profs d’unif, et d’autres qui refusent toute relation avec les milieux du savoir-donc-du-pouvoir;

J’ai cotoyé des anarchistes libertaires, des anarcho-socialistes, des anarcho-communistes, des anarcho-syndicalistes, des anarcho-rien, et puis des gens qui ne savaient même pas qu’ils étaient anarchistes;

Pour moi, ce sont tous des anarchistes…

Sauf ceux qui prétendent qu’ils détiennent la seule vérité vraie de comment on est anarchistes…

Et vous aurez noté que je n’ai pas mentionné les “anarchistes antifas”…
C’est que jusqu’ici je n’en ai pas rencontré qui ne fassent pas partie de la dernière catégorie mentionnée quatre lignes plus haut…