Archive for the ‘lectures dispensables’ Category

Mlle Vinteuil

Wednesday, March 10th, 2010

J’ai entamé la semaine dernière “La Prisonnière”.
Marcel Proust est décidément un personnage étonnant.

Peut-on imaginer qu’il était mourant, lorsqu’on lit ce petit passage:

“Elle trouvait la parole, elle disait: “Mon” ou “Mon chéri” suivis l’un ou l’autre de mon nom de baptême, ce qui en donnant au narrateur le même nom qu’à l’auteur de ce livre eût fait: “Mon Marcel”, “Mon chéri Marcel”.

Seul passage où Proust mentionne son nom, semble-t-il (je ne suis pas encore au bout), et encore en l’ajoutant de cet extraordinaire bémol métascripturaire où le narrateur ose se distinguer de son propre auteur. On sait, en effet, que Marcel et le narrateur sont bien différents. Il n’y a aucun doute là-dessus. Cependant, cette distinction semble s’accroître volontairement avec le temps. Plus nous avançons dans le roman, plus le narrateur devient actif et, de neutre et passif qu’il était, désagréable et réactif. Non pas actif, mais véritablement “en réaction”. Ses états d’âmes auraient tendance à le pousser à l’inertie, mais ses défauts (il est vain, misogyne, jaloux et possessif) le pousse à transformer l’objet de son amour en objet tout court, et à l’enfermer.

Il est aussi remarquable de constater que, sans en avoir l’air, le narrateur se pose en lascif dandy qui cache son insouciance sociale derrière des pseudo-préoccupations dreyfusardes et des discours socialisants qu’il se garde bien de défendre concrètement…

Tout cela passe comme une vapeur sur un timbre-poste.

Et l’on commence à comprendre que des générations de chercheurs aient pu consacrer leur vie à cet auteur étrange, qui n’aura jamais vu son oeuvre terminée, et encore moins publiée jusqu’au bout.

Savoir d’ailleurs que je suis entré maintenant dans la partie de son travail qu’il n’a pas eu le temps de relire -pour la troisième fois- comme les autres volumes, est très décontenançant car les passages médiocres sont pratiquement inexistants. C’est là que naît ma jalousie…

Écrire pour d(es petits gâteaux a)u beurre

Saturday, February 13th, 2010

Toujours plongé dans la prose éthérée quoiqu’imparfaite -et donc humaine- de Proust, je réalise peu à peu -puisque je me suis attaché à ne lire rien sur Proust avant de le lire lui, ce qui n’est pas dans mes habitudes- que le véritable protagoniste, chez lui, n’est ni le narrateur, ni même son environnement, ni non plus un quelconque présupposé ou message qu’il défendrait, mais bien l’écrivain en tant qu’écrivain, c’est-à-dire que, lisant Proust, on se pose soi-même dans la situation de l’écrivain face à son oeuvre et j’oserais dire que qui aime Proust est lui-même ou elle-même écrivain, quand bien même il ou elle n’aurait jamais écrit une ligne; en effet, se laissant entraîner des salons bourgeois aux soirées mondaines, des réflexions intimes aux plages de Balbec et des aventures amoureuses de ses proches jusqu’à ses propres incapacités sentimentales, c’est d’être plongé dans les mêmes affres que l’auteur de la Recherche qui nous fait l’aimer.

On notera que cette première phrase comporte deux fois le terme “plongé” saisi dans le même sens, mais à plusieurs lignes d’intervalles. Qu’importe, aurait dit Proust, qui n’hésitait parfois pas à répéter un mot à trois de distances sans qu’on y trouve d’importance particulière.

Dans son travail minutieux de recomposition, plus que de restitution, d’un monde perdu à jamais, et qui, en fin de compte, n’a d’intérêt que pour le narrateur, Proust ne nous demande pas de l’aimer ou de l’apprécier comme lui le vivait, mais de suivre les pas de la recréation qu’il nous propose. Ce sont les traces mêmes du travail d’écrivain qui nous apparaissent. Avec un peu d’attention, on découvre, sans trop de peine, les nombreuses anecdotes intercalées qui durent gonfler certains chapitres de 50 pages quand ils ne devaient en compter au départ que 30. Un Amour de Swann ne serait-il pas lui-même comme une énorme intercalation1?

Je ne parviens pas à distinguer ce qu’il y a d’inférieur, comme un ami a cherché à me le faire accroire, dans ce quatrième tome de Sodome et Gomorrhe. J’y ai même ressenti parfois plus d’intensité en ce que, finalement, le narrateur devient plus actif, plus déterminant, ce qui ne départ pas du projet initial, du moins je le crois, du travail entier, à savoir la suite de la progression sociale et sentimentale d’un personnage a priori insignifiant à qui une quantité invraisemblable de personnes donnent toujours plus d’importance, ce qui nous console quand on sait que ces personnages eux-mêmes ne sont guère plus signifiants et qu’il est difficile d’en sauver dix sur le tas.

Aimer la Recherche, c’est être écrivain, quand bien même on n’aurait pas écrit une ligne, disais-je, mais que l’on ne m’interprète pas mal: je ne voudrais surtout pas dire que celui ou celle qui ne “rentre pas dedans” ne le serait pas, écrivain. Ce serait mésinterpréter ces lignes qui se voulaient simplement reconnaissante à un auteur d’avoir consacré sa vie à décrire, finalement, la vanité d’une démarche à laquelle nous accordons une trop grande place. En un sens, Proust déconstruit notre travail d’écrivain, nous rappelle qu’il n’est qu’un à-côté de la vie et que celle-ci est hors l’écrit… (Henry Miller, trente ou quarante ans plus tard, affirmera qu’écrire ne peut être que le fait d’un homme malheureux, incomplet, lui qui opérera finalement la même démarche de reconstruire son propre passé, l’arrangeant selon son goût, nous proposant, lui aussi, un écrivain à la recherche de son temps perdu.)

C’est du moins ainsi que j’interprète sans avoir lu une ligne d’analyse sur lui et en n’étant arrivé guère plus loin qu’au tiers du cinquième livre.

  1. Ce qui expliquerait peut-être qu’on puisse le lire indépendamment du reste et qu’il soit si souvent proposé en cours de cursus scolaire. []

Mais où ai-je trouvé ceci?

Sunday, February 7th, 2010

Avouez qu’on ne dirait pas du “beau français”, par moments. Et pourtant… Qui est l’auteur de ces lignes? Soyez cool, ne faites pas une recherche sur wikisource ou sur un moteur de recherche…

“Avez-vous été voir le jet d’eau? (…) C’est bien joli, n’est-ce pas? C’est merveilleux. Cela pourrait être encore mieux, naturellement, en supprimant certaines choses, et alors il n’y aurait rien de pareil en France. Mais, tel que c’est, c’est déjà parmi les choses les mieux.”

Un indice quand même: j’ai mis plus de quinze ans à aimer cet auteur.

le métro, tu l’aimes ou tu le quittes.

Tuesday, January 26th, 2010

Dans deux articles tout récents, lejim.info vous proposent un petit voyage au pays du service “public” des transports bruxellois.

Il y a d’abord un article de mes amis Franz et Tofer, ici:
Privés de vie privée, mais qui élargit la question au-delà de la STIB.

Et ensuite un autre commis par une représentante du peuple (mais à la limite c’est pas tout à fait de sa faute, c’est surtout de celle de qui ont voté pour elle…), Céline Delforge:
STIB Brother.

Il faut se faire la réflexion suivante, un grand coup1, et remettre en question un point essentiel des politiques sociales-démocrates, telles que pratiquées en Belgique:
Après le recul des mouvements-ouvriers-et-sociaux-qui-ont-bien-cru-que-ça-y-était-que-c’était-arrivé-le-socialisme-sans-les-chars, dans les années, disons 50′-60′, est-ce que les gouvernements de nos belles régions de l’Europe de l’Ouest se sont-ils encore souciés de services publics ou bien ne se limitent-ils pas à recadrer ceux-ci en services d’État?

Surveiller et punir, disait Foucault, Michel…

Cochez la bonne case:
les choses sont-elles pires-identiques-meilleures-ne se prononce pas- qu’il y a cinquante ans?

  1. Avant que je ne parvienne à mettre fin à ce traité que je vous ai déjà promis quelques fois, et qui, j’en suis certain, vous convaincra une bonne fois pour toute. []

En tirer les conséquences…

Wednesday, January 20th, 2010

“Aucun juif vivant dans une démocratie libérale occidentale ne pourrait aujourd’hui s’accoutumer aux formes de discrimination et d’exclusion vécues par les citoyens palestino-israéliens résidant dans un État qui déclare explicitement ne pas leur appartenir. (…) Cette réalité “tordue” ne les empêche pas de continuer de s’identifier à Israël, et même de voir en lui leur pays “de réserve”. Ce phénomène d’identification (…) ne les pousse nullement, cependant, à abandonner leur patrie nationale pour émigrer en Israël, car, en fin de compte, ils ne vivent pas la ségrégation quotidienne ni l’aliénation identitaire que les Palestino-Israéliens connaissent chaque jour dans leur propre patrie.”

-Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, Fayard, Paris, 2008, p. 427.

Un bon livre dont je compte faire prochainement la recension.

Pupuce

Thursday, August 20th, 2009

La RFID, vous connaissez?

Les Nazis en auraient rêvé, ce sont nos joyeuses démocraties qui la mettent au point.

Ah, s’il avait été possible de pucer toute la population européenne avant la défaite de Stalingrad! Quel gain de temps et d’organisation! “On” aurait liquidé la question juive, en même temps que celle des homos, des tziganes, des communistes et autres déviants en un clin d’oeil. En tout cas avant l’arrivée des Russes à Berlin… Il ne resterait plus que les gens bien, ceux qui n’ont “rien à se reprocher”.

Or, nous sommes bien près, maintenant, de la société parfaitement policée dont tout bon ministre de l’Intérieur rêve.

Quelle est, en effet, la différence entre le tatouage généralisé des individus1 et leur puçage?

À part l’efficacité, il n’y en a pas.

(Mais de quoi il cause?)

L’an dernier, Pièces et main d’oeuvre a publié un excellent petit ouvrage intitulé RFID: la police totale. Puces intelligentes et mouchardage électronique. Édition l’Échappée2

Le livre raconte de manière très intéressante comment nous passons de plus en plus rapidement de la société informelle3 à celle qui est dépeinte dans les plus sombres contre-utopies grâce à des petites puces (RFID: Radio-Frequency Identification) qui s’infiltrent un peu partout dans nos vies.

Vous n’avez rien à vous reprocher? Vous n’avez rien à craindre.

Mais êtes-vous sûrs de n’avoir rien à vous reprocher?

Aujourd’hui, vous n’avez peut-être rien à vous reprocher. Mais qui décide qui a quelque chose à se reprocher ou non? Vous? Non, c’est l’État.
Vous avez confiance en l’État, vous?

En attendant, on va progressivement “proposer” à tout le monde de passer de la (déjà très envahissante) carte d’identité à la puce intégrée que le flic (au mieux) sera susceptible de contrôler “à distance” -mais jusqu’à quelle distance?…

Résumons.

Jusqu’ici, vous ne vous inquiétiez pas de porter sur vous un numéro de Registre National (NIR en France), un numéro de sécurité sociale, éventuellement un numéro de passeport, un numéro pour les impôts, un numéro d’électeur, des cartes bancaires, de crédit, des cartes de fidélité, des…4

Bref, vous compliquiez la vie de ces pauvres surveillants du monde en faisant partie de dizaines de fichiers différents5.

Alors qu’un numéro unique suffirait pour, à la fois, vous identifier, vous permettre de payer ce que vous voulez, recevoir des soins de santé (ou pas), payer vos impôts, passer les frontières, obtenir des ristournes, etc.

Un numéro ou en tout cas un truc qui vous identifie automatiquement, même si vous ne savez pas exactement de quoi il s’agit.

Allez, soyez pas chiens, avouez que vous en avez rêvé de cette société où il vous suffit de passer dans une porte avec des capteurs permettant au flic de base collé à son écran d’obtenir votre dossier en un clin d’oeil.

Vous en avez rêvé, de cette vie où vous n’avez plus aucune maîtrise sur votre situation financière ou votre dossier médical, et où “d’autres” peuvent décider à votre place de ce qui est bon pour vous, non?

Imaginez les applications de tels trucs: vous voulez acheter un paquet de cigarettes (quelle drôle d’idée). Là-dessus, quand vous voulez procéder au paiement, le détaillant vous dit que vous n’avez plus d’argent. Ah? En réalité, votre dossier médical traité par votre assureur vous a interdit l’accès à certains produits qui risquent d’aggraver votre état de santé.

Bien! Génial, dites-vous! Ils ne veulent que mon bien!

Vous rigolerez moins quand vous vous apercevrez que vous ne pouvez pas vous payer un séjour à Paris parce que c’est trop pollué ou que le vélo dont vous rêviez vous est inaccessible parce que votre Assurance Familiale ne veut pas que vous preniez de tels risques… financiers…

Vous voulez vous déplacer? Bien sûr, vous êtes libres d’aller où bon vous semble. Mais, une chose est certaine: impossible de le faire sans être filmé, enregistré, fliqué, et, à moins de vous balader dans un hypothétique désert technique -le désert, le Pôle Nord?-, certaines personnes (Mais qui?) pourront savoir où vous êtes, avec qui, et ce que vous y faites.

Et alors, dirons les plus blasés, ils le savent déjà…

C’est pas faux.

Mais, alors qu’aujourd’hui, il y a toujours moyen de détourner la loi, de se faufiler, de perdre vos suiveurs, de mettre une casquette, des lunettes de soleil, de fausses moustaches, de ne pas utiliser de voiture, de téléphone portable,… Tout cela deviendra bientôt obsolète et l’incognito ne sera plus que le privilège de quelques-uns -ceux qui auront les moyens financiers et techniques de détourner la loi.

En outre, n’espérez pas échapper aux contrôles dans les bidonvilles, les forêts vierges (Quelles forêts vierges, d’abord?) ou plus simplement votre domicile. Toute l’énergie des fans du fliquage sera désormais tournée vers la réalisation de la société de surveillance totale.

Nous Deux de Zamyatine, enfin réalisé…

Elle est pas (plus) belle (encore), la vie?

Et si je refuse de me faire pucer?
“Avertissement au cheptel humain: aujourd’hui, une brebis baladeuse trouvée sans puce est conduite à l’équarissage sans sommation.6

  1. Pratiqué dans les camps de concentration jusqu’en 1945. []
  2. Ça m’apprendra à l’acheter puis à le découvrir sur Internet. En attendant, je dois à mon pote Gilles d’Aden de l’avoir reçu chez moi au Brésil. Merci, Gilles. []
  3. L’âge d’or imaginaire qui a précédé l’État, mais aussi la société des individus qui parviennent de temps en temps voire le plus souvent à lui échapper. []
  4. Vous êtes quand même bien sympas de pas vous inquiéter pour tout ça… []
  5. Le bouquin en compte 400 en France. []
  6. Op. cit., p. 36. []

L’élément terre

Friday, July 17th, 2009

Ça fait un moment que j’aurais dû le coller dans mes favoris:
mon pote Tof bloggue également ici:

L’élélement terre, une écologie pratique.

Définition

Thursday, June 11th, 2009

Par gauche, Boaventura de Sousa Santos, entend “l’ensemble des théories et pratiques transformatrices qui, au cours des 150 dernières années, ont résisté à l’expansion du capitalisme et au type de relations économiques, sociales, politiques et culturelles qu’il génère, et qui ainsi ont participé à la croyance d’un futur post-capitaliste, d’une société alternative, plus juste, parce qu’orientée vers la satisfaction des nécessités réelles des populations, et plus libre, parce que centrée sur la réalisation des conditions effectives de la liberté.”1

Il y aurait beaucoup à dire, et bien que je ne sois pas d’accord avec quelques détails, bien que ça respire évidemment le marxisme, je trouve cette définition mignonne et intéressante.

  1. in Por que é que Cuba se transformou num problema difícil para a Esquerda?, Le Monde Diplomatique Brésil, mai 2009, encart CLACSO, p.1. []

Seringueiros

Wednesday, May 13th, 2009

Dernière nouvelle… Dernière nouvelle…
Dernière nouvelle… Dernière nouvelle…
Dernière nouvelle… Dernière nouvelle…
Dernière nouvelle… Dernière nouvelle…
Dernière nouvelle… Dernière nouvelle…
Dernière nouvelle… Dernière nouvelle…

ici, à droite dans les Nouvelles et textes.

Juste rééditée… Merci Ju, Oise et Christo…

Anniversaires, je vous hais

Thursday, April 16th, 2009

Sir Charles Spencer “Charlie” Chaplin aurait eu 120 ans aujourd’hui.

Ça m’amuse toujours de voir les commémorations effectuées par les médias dominants sur un personnage comme Chaplin qui, de son vivant, fut surtout critiqué pour son engagement politique (ambigu) et ses frasques conjugales et moins conjugales par les défenseurs de la loi et de l’ordre moral.

À nous, qui nous gaussons des anniversaires, de la Fox et des médias-qui-mentent en général, nous reste le souvenir du cinéaste et du résistant aux idées dominantes, d’un personnage hors du commun dans le monde du 7e art et des films parmi les plus importants jamais réalisés et joués.

Et ça nous suffit pour l’installer au sein de notre panthéon de mythes fondateurs…

Ça manque un peu, des rues Charlot, des écoles Charlie Chaplin, tiens. (voir post précédent)