Mlle Vinteuil
J’ai entamé la semaine dernière “La Prisonnière”.
Marcel Proust est décidément un personnage étonnant.
Peut-on imaginer qu’il était mourant, lorsqu’on lit ce petit passage:
“Elle trouvait la parole, elle disait: “Mon” ou “Mon chéri” suivis l’un ou l’autre de mon nom de baptême, ce qui en donnant au narrateur le même nom qu’à l’auteur de ce livre eût fait: “Mon Marcel”, “Mon chéri Marcel”.
Seul passage où Proust mentionne son nom, semble-t-il (je ne suis pas encore au bout), et encore en l’ajoutant de cet extraordinaire bémol métascripturaire où le narrateur ose se distinguer de son propre auteur. On sait, en effet, que Marcel et le narrateur sont bien différents. Il n’y a aucun doute là-dessus. Cependant, cette distinction semble s’accroître volontairement avec le temps. Plus nous avançons dans le roman, plus le narrateur devient actif et, de neutre et passif qu’il était, désagréable et réactif. Non pas actif, mais véritablement “en réaction”. Ses états d’âmes auraient tendance à le pousser à l’inertie, mais ses défauts (il est vain, misogyne, jaloux et possessif) le pousse à transformer l’objet de son amour en objet tout court, et à l’enfermer.
Il est aussi remarquable de constater que, sans en avoir l’air, le narrateur se pose en lascif dandy qui cache son insouciance sociale derrière des pseudo-préoccupations dreyfusardes et des discours socialisants qu’il se garde bien de défendre concrètement…
Tout cela passe comme une vapeur sur un timbre-poste.
Et l’on commence à comprendre que des générations de chercheurs aient pu consacrer leur vie à cet auteur étrange, qui n’aura jamais vu son oeuvre terminée, et encore moins publiée jusqu’au bout.
Savoir d’ailleurs que je suis entré maintenant dans la partie de son travail qu’il n’a pas eu le temps de relire -pour la troisième fois- comme les autres volumes, est très décontenançant car les passages médiocres sont pratiquement inexistants. C’est là que naît ma jalousie…