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Guerres capitales

Monday, May 23rd, 2011

Une chose qu’on apprend de la lecture des analystes économiques, c’est l’existence et la violence des luttes entre les différentes factions du capitalisme.

Entre ceux qui exigent un taux d’intérêt de base plus élevé et ceux qui veulent le contraire ((C’est-à-dire un intérêt sur l’argent que les banques empruntent à la Banque Centrale. Par exemple, ce taux est relativement bas aux USA, il y fleurte souvent avec les 0%; chez nous il représente souvent à peu près un pour-cent; au Brésil, ce taux tourne autour de 10%.)) (le saviez-vous? pour déterminer sa politique, la Banque Centrale brésilienne interroge régulièrement 150 personnes, toutes issues du secteur financier); entre ceux qui crient harau sur les chômeurs, et ceux qui en veulent plus ((le plein-emploi, c’est à 0% de chômeurs? Surtout pas, ça tourne entre 1 et 7% suivant les têtes d’oeuf qui décident de ce qui est bien pour vous)); entre ceux qui régulent (surtout pour protéger le marché national, ou plus prosaïquement leurs propres intérêts) et ceux qui dérégulent (où l’on retrouvera plutôt les néo-classiques); etc.

Entre les (faussement) naïfs, genre Stiglitz, et les purs et durs, genre Mieses, Hayek, il y a bien des nuances…

Leur avantage, c’est que, dans tous les cas, ils se battent pour la même chose, donc leurs idées sont toujours gagnantes, quoi qu’il arrive, puisqu’elles se basent sur la concurrence, le rapport de force, la loi du plus fort.

Nous y voilà, sans doute bien: pourquoi ne pouvons-nous pas gagner, nous qui sommes opposés au marché? Parce que pour gagner, il faut participer au rapport de force, c’est-à-dire typiquement au marché. Que les capitaux, en l’occurrence, se comptent en hommes, en moyens de production, en armes, en villes, régions ou pays acquis à notre cause ou à la leur, en matières premières ou en tout autre chose n’importe pas: il s’agit toujours en fin de compte de découvrir sur l’indicateur de la balance le plus lourd des compétiteurs.

Il y a bien une solution, qui consiste à refuser le combat, justement, ou plutôt à le situer là où on ne l’attend pas. C’est toute la problématique de la créativité qu’il nous faut sans cesse développer dans le monde de la militance de gauche, car les boucliers du capital et du libéralisme sont nombreux, et eux aussi s’adaptent rapidement.

Les vieilles luttes syndicales, malheureusement, se placent typiquement dans ce type de combats, où les négociations se réalisent en fonction du rapport de force. Comme les syndicats ne sont plus revendicatifs, ne semblent plus avoir de marge de progression, c’est généralement sur base des régressions voulues par l’État ou le patronat qu’ils réagissent, bien plus remarquablement que sur des revendications positives.

Les grèves, les manifestations, les piquets, et autres manoeuvres classiques syndicales ne surprennent plus et sont régulièrement discréditées par les discours établis -de mauvaise foi- du genre “prise d’otage des usagers”. Il n’empêche que ça fonctionne, terriblement, parce que l’aspect positif de ces actions s’est éloigné de l’esprit des gens avec le corporatisme syndical, la lassitude, le statut de combat d’arrière-garde et l’excellente -et tragique- campagne de discrédit menée par les adversaires des travailleurs.

La lutte électorale est depuis longtemps perdue pour la gauche anti-capitaliste. Nous n’avons plus depuis longtemps, si tant est que nous l’avons jamais eue, l’occasion de gagner réellement des élections, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis d’Amérique. Dans ce cadre, le rapport de force, et donc l’importance de l’accumulation de capital (humain, financier, relationnel, émotionnel), est sans doute encore plus évident, et il est clair qu’il est à l’avantage des forces libérales, qu’elles soient classiques, modérées, sociales-démocrates ou fascistes: l’électeur a été réduit à choisir entre les différents gestionnaires du capital en fonction principalement de l’alternance des charges voulues par le système qui y trouve ses apparences démocratiques.

Les rares fois où l’extrême-gauche semble l’avoir emporté, à l’échelle d’une ville, d’une région ou d’un pays, on se rend compte assez rapidement que la perspective réelle est le plus souvent populiste, nationaliste ou gentiment sociale-démocrate, et que dans tous les cas elles finissent par servir, directement ou non, le marché. Les exemples récents qui eurent et continuent d’avoir lieu en Amérique Latine confirment largement cette observation: en aucun cas, la propriété privée, la liberté d’entreprise ou la privatisation des moyens de production n’ont été réellement menacées dans aucune des régions du monde où ‘la gauche’ a pu l’emporter, contrairement aux campagnes haineuses des presses conservatrices européennes ou américaines ((Américaines dans le sens du continent américain, et non étatsuien.)). Le marché, régulé ou non, y est sauf; les actionnaires y sont heureux.

Toutes les fois où le capital s’est trouvé déstabilisé, dans son acception politique ou entrepreneurial, ce fut à chaque fois sous l’effet de la surprise. Lorsque les mouvements populaires créent des événements inattendus, préparés ou spontanés, il se forge un espace, temporairement, dans lequel les effets de ces actions peuvent s’avérer concluantes, positives, réellement intéressantes. Le problème réside dans la durée. Quelques exemples peuvent venir des mouvements alter-mondialistes, de Via Campesina, des campagnes de conscientisation des voyageurs qui accompagnent malgré eux des sans-papiers en avion, des destructions de chantier de centres fermés, des radios alternatives, des blogs activistes. Il y a des milliers d’exemples. Des millions à travers l’histoire. Même les grèves et les manifestations, à l’origine, surprirent la réaction aristocrate ou bourgeoise. La Commune de Paris ou la révolte de Kronstadt furent autant de surprises pour le pouvoir en place. Mais chaque surprise devient ensuite prévisible, chaque événement nouveau devient vieux et en fin de compte, chaque espace gagné, s’il n’est pas alimenté par une nouveauté très rapidement, se perd rapidement. La réaction s’organise, le pouvoir cherche, puis trouve une parade, récupère ou détruit l’intrusion, et l’intègre finalement au marché, au rapport de forces. Où elle sait qu’elle est plus forte.

Ma réflexion me mène cependant à estimer que c’est bien sur ces terrains de la surprise, de la nouveauté, mais aussi de la joie, de l’enthousiasme, que nous devons toujours plus travailler. Les nébuleuses, myriades, mouvances, coopérations, coopératives, collectivités, communautés, équipes, cellules, concentriques, horizontales, locales, interlocales, etc. doivent multiplier les idées d’action, peut-être surtout dans l’esprit d’éviter, d’éluder la lutte, de séduire le plus de monde possible par la joie et la conscientisation de ce que nous sommes capables de faire, pour nous, ensemble, des milliers de choses, sans demander la permission, sans nous confronter directement aux forces réactionnaires, en trouvant des espaces auxquels elles n’avaient pas pensés, qu’elles avaient laissés libres parce qu’elles ne les avaient pas envisagés.

Paradoxalement, on pourrait penser que cette idée s’inspire du principe libéral qui veut que l’innovation soit récompensée par la création de nouveaux marchés et la promesse de succès basés sur le fait que l’on est le premier à avoir pensé à la disposition d’un produit ou d’un service. En réalité, ce n’est pas le cas. Toute prétendue innovation découverte sur le marché n’est généralement qu’une reconsidération d’un ancien besoin déjà assouvi, que l’on prétend satisfaire mieux, plus, plus vite ou moins cher. Quant à nous, il ne s’agit pas de satisfaire un besoin, mais de contourner les limites imposantes forgées par la réaction depuis des milliers d’années pour empêcher, freiner, le progrès social, sous quelque forme qu’il soit.

Je suis conscient de n’avoir rien écrit ici de bien nouveau, que beaucoup d’entre vous auront l’impression, simplement, de ne lire que ce qu’ils pensaient déjà. Mais je ne vois pas très bien où cette idée simple a pu déjà être formulée par écrit, ni théorisée, ce dont elle aurait peut-être besoin.

Nouveau paradoxe, d’ailleurs, dans cette perspective: l’écrire, la théoriser, ne l’expose-t-elle pas à la fragilisation?

Et comme je ne suis pas soc-dem…

Friday, May 13th, 2011

Ce matin, sur une radio écoutée au hasard -j’crois bien qu’c’était RTL, à l’écoute de la p’tite nimatrice, j’entendais deux économistes défendre avec leurs petits ongles du FMI et de l’OCDE une réforme de la pension “comme on la connaît” afin de la conserver, parce qu’on n’a jamais eu, paraît-il, autant besoin de la solidarité… ((J’ai découvert après-coup qu’il s’agissait de Jean Hindriks et Ivan van de Cloot, de l’Itinera Institute.))

Je n’avais pas souvent entendu défendre une réforme de droite, conservatrice, avec autant d’aplomb comme si c’était une mesure de gauche… En définitive, l’idée était d’étendre la solidarité dans le temps, en insistant sur la longueur de la carrière plutôt que sur l’âge, tout en considérant la pénibilité de certaines professions, possibilisant mi-temps de travail et demi-pension, et blablabla, et blablabla… Tout pour éviter, disaient-ils, la pension individuelle -sans les avoir nommés, les fonds de pension privés, je suppose…

Ça, on ne peut pas le leur reprocher, sans doute… Mais, blème, comme chaque fois que j’entends ce genre de truc, j’ai la même réaction -ah merde, un truc primaire-: encore un combat d’arrière-garde qui ne fera qu’alimenter la course en arrière.

Un véritable programme de gauche, je veux dire, balisé sur la solidarité, devrait reprendre les choses dans le bon ordre, c’est-à-dire complètement à l’envers. Ce n’est pas en terme de gngngn, tirage de corde pour freiner la chute du bidule, qu’il faut réfléchir à la société solidaire et libertaire, mais bien en termes d’égalité et de liberté.

Je peux me tromper, mais je vois au moins cinq éléments qui doivent figurer comme les préoccupations principales d’un individu de gauche, a fortiori un politicien. Et ce dans le plus grand réalisme, sans du tout estimer qu’il doive s’agir d’un voeu pieux, d’une jolie intention, d’une douce utopie, mais au contraire d’une nécessité de base, à imposer comme le socle même de toute idée de gauche.

En dehors de ces cinq points (sans préjugé de ce que j’aurais par ailleurs oublié), pas de gauche possible.

Il s’agit de:

1) la garantie du droit aux soins de santé selon les principes du choix du soin par le patient, ses médecins et/ou ses proches -s’il fallait le préciser, sans que des préoccupations d’ordre financier n’en soient des barrières;

2) une véritable liberté et une égalité intégrale de l’enseignement, prolongé tout au long de la vie, co-organisé du bas vers le haut;

3) une éradication de l’hypocrisie du “nivellement par le bas” dans toutes les matières, en particulier le droit au logement qui devrait supplanter la liberté d’accumuler des résidences et des espaces résidentiels égoïstes;

4) une reconsidération du droit à l’alimentation centrée sur un équilibre qualitatif, une réappropriation des espaces productifs, un retour aux coopératives, une revalorisation d’une économie participative;

5) la simple considération de la sécurité de ces droits en dehors de toute considération circonstancielle, comme, tiens, pris au hasard, une crise, par exemple, ou, tiens, un autre exemple, une baisse des profits des maîtres des forges.

Tout le reste, transport, liberté de déplacement, d’expression, temps de travail raisonnable, ben, ça devrait venir en suite de ça. Je veux parier que des populations qui puissent disposer de ces cinq constantes pourront assurer le reste.

Si j’étais soc-dem’…

Thursday, April 14th, 2011

… (encore eût-il fallu que je le fusse)… ((En hommage à Ingrid A., qui me réclamait quelque chose de constructif, positif, et toute cette sorte de chose.))

Voilà quel serait mon programme – trash (attention, ça enrhume):

-sortie de la monarchie et installation d’une république fédérative menée par un collège présidentiel sans pouvoir, mais pour la galerie internationale; le pouvoir étant tenu entre les mains de collèges locaux, genre cantons helvétiques, mais en moins bancaires;

Sortie de l’Otan et diminution des frais et dépenses militaires – concentrations d’iceux à la défense civile, la neutralisation des armes d’attaque – exclusion des bureaux et des armes de l’Otan du territoire (s’il fallait encore le préciser) – on leur accordera un délai d’expulsion, allez, disons de 6 mois, ils auront tout l’été pour évacuer chez Sarko;

reconversion des militaires dans l’aide civile, en Belgique ou ailleurs (après tout qui peut le pire, peut parfois le meilleur) – promotion des jeux genre paintball pour les ultrafanatiques qui n’en peuvent mie de flinguer leurs voisins, il faut bien que crétinerie se passe;

reconversion des usines d’armement nationales, notamment dans les systèmes de contre-mesures, mais aussi dans des domaines qui exploitent l’expertise de nos travailleurs de ces domaines dans des directions humanistes – en matière de transition, un an de salaire sera accordé à l’ensemble des travailleurs de ces entreprises en vue d’un vaste chantier de réflexion quant à la conversion;

-réactivation des programmes de transport public (train, tram, bus), mais alors vraiment public, sur base de coopératives locales et régionales, avec une large autonomie accordée aux municipalités dans le domaine – oups, j’ai oublié les avions -ah ben tant pis;

-promotion du travail à domicile, dans des conditions favorables aux travailleurs, et non pas seulement aux entrepreneurs, qui économiseront en terme de surfaces utiles, frais de mobiliers, etc. – promotion de toutes les activités diminuant les déplacements par véhicules individuels à moteur – promotion de toutes celles incluant des déplacements à vélo (C’est Gérard qui va être content);

-taxes et imposition sur le lieu de travail, non sur le lieu d’habitation, sauf en ce qui concerne les frais de voiries, de services locaux, etc. – histoire de remettre les villes à la campagne et les campagnes à la ville;

-augmentation des taxes sur les résidences secondaires et sur les revenus locatifs cumulés – réduction des taxes sur les premières résidences – on peut être sérieux deux minutes;

-décriminalisation de l’usage de toutes les drogues, production nationale pour certaines d’entre elles (à déterminer par un conseil de sages incluant les héritiers spirituels de Timothy Leary et mon pote Stéphane), liberté de production à petite échelle, régulation de leur circulation, suivi libre et déculpabilisation des consommateurs durs – taxation sur des bases sanitaires – ;

-fixation des loyers sur l’index, à partir de deux ans avant l’introduction de la proposition – concrètement: gel des loyers – concrètement: frein à l’augmentation de la pauvreté, si vous n’aviez pas compris l’idée;

-aides à la valorisation des logements de tailles modestes, familiaux – aides à la restauration des biens susceptibles de continuer à servir d’alternative viable aux immeubles à appartement, notamment sur le plan de la réduction des dépenses énergétiques, etc.;

-rachat d’immeubles de rapport, multiplication des logements de type sociaux, extension du marché locatif afin de faire pression sur les loyers et réduire la motivation des grands propriétaires – sprotch;

-élaboration d’un revenu de base universel pour tous les habitants (y compris étrangers), individuel et lié à une inscription localisée et une visite régulière et individuelle (pas familiale) – dans le même cadre, promotion des milieux communautaires, des initiatives de quartier, des ententes de rues, etc., dans le but de réduire les contrôles officiels et augmenter les esprits de solidarité;

-les enfants de moins de, disons, douze ans, seront accompagnés par des tuteurs sociaux plus ou moins informels – ce travail de tutorat devrait être exercé par la plus grande partie des adultes, sur base de quelques heures par semaine, considérées comme une forme de rétribution à la société pour le revenu universel (même s’il n’est pas question de le lier formellement à celui-ci) – ce point est à discuter furieusement, parce que je me plante peut-être royalement;

-promotion des échanges interlocaux des jeunes, de manière libre;

-suppression des cours “philosophiques” à l’école – pour les francophones non belges, ça veut dire fin des cours de religion dans l’enceinte scolaire;

-contrôle des cours “philosophiques” dans les temples et autres offices religieux – faut bien que je manifeste ma fibre autoritaire sur quelque chose;

-cours scientifiques sur les religions – je veux bien établir le programme, c’est mon rayon;

-instauration de centres d’études des différentes langues pratiquées dans le pays, formation de fonctionnaires à l’aide individuelle qualifiée pour faciliter les relations entre l’administration (puisqu’il en faut) et les usagers;

abolition du terme “client” dans les rapports entre les services publics et les cli… les usagers;

-inclusion (ou réinclusion, ou confirmation, ou ce que vous voulez qui en finisse avec l’hypocrisie actuelle) de la médecine et de l’expertise judiciaire dans les services publics – plafond de revenus pour les adorateurs d’Hippocrate – les autres iront exercer aux USA;

-responsabilisation des autorités locales (puisqu’il en faut) quant à l’accueil diversifié;

-traduction des textes importants dans un maximum de langues – ça me fera du boulot, tiens – faut bien que j’y gagne aussi;

-cours de la ou des langues officielles – initiation à l’auto-apprentissage – promotion des enseignements mutuels – récupération des canaux médiatiques (télévision, radio) en ce sens;

promotion de l’économie participative – soyons sérieux deux minutes;

-démilitarisation de la police – on a le droit de rire;

interdiction des armes à feu en dehors des stands de tir (les armes ne peuvent en sortir, sous peine de confiscation et d’interdiction de possession ultérieure) – pour les incurables, paintball;

vote sur des mesures, non sur des personnes – interdiction des slogans et photos électorales;

exercices collégiaux d’exécution de ces mesures;

-renforcement des polices financières et fiscales – réorientation de la police criminelle – extension de la police de proximité aux citoyens, exercices de services civils en ce sens;

-réhabilitation des revenus non-liquides et de leur légitimation, ainsi que des assurances-chômages;

-réétalement des revenus en fonction des diplômes, revalorisation des emplois réputés peu ou pas qualifiés, mais souvent aussi, sinon plus utiles que les autres;

-international: réciprocité des lois des pays étrangers: tout ce qui est autorisé à un Belge dans un pays étranger sera autorisé à un étranger en Belgique – et vice versa (pas trop sûr de ce principe, À réfléchir);

-identification des droits du résident et des droits du national.

Et si tout ça ne nous rend pas le Congo, je ne sais pas ce qu’il faut qu’on foute.

Légitimiste

Saturday, March 5th, 2011

On s’attend à toute heure du jour et de la nuit de voir surgir enfin la fumée blanche qui consacrera pour, ouhla, plus tellement longtemps, le nouveau gouvernement fédéral belge, dont la législature est déjà commencée depuis, oulà, un petit moment…

Légitimité, représentativité, compromis, démocratie…

Voilà ce que nous attendons de nos informateurs, formateurs, animateurs, voire amateurs.

C’est pas gagné.

Peut-être est-ce l’heure de nous interroger sur la légitimité d’un tel processus. Non pas tant sur la problématique de l’existence ou non d’un tel pays qui s’appellerait Belgique depuis pas loin de deux cents ans, mais plus sur le principe même de la dite démocratie représentative, celle qui se base sur des élections offrant à un demi-millier de gugusses le pouvoir de (surtout ne pas) décider du sort de dix millions d’autres gugusses qui suivent, tel un mauvais feuilleton ou un bon reality-show, le défilé des négociations -qui n’en sont sans doute guère- devant mener à la dernière réforme de l’Etat avant la suivante, et à la formation d’un gouvernement (parmi six dans le pays) dont les membres n’auront pas manqué pendant sept mois de s’étriper et se délecteront de partager la dépouille de la bête au cours de ce qui reste de leur temps de pré-campagne électorale.

Il n’y a pas de légitimité en dehors de la justice. L’histoire ne permet de rien résoudre. Au-delà des hypocrisies de certains, voire de la plupart des acteurs (sinon de presque tous), si nous considérons les exigences aussi bien des uns que des autres, et selon que l’on soit du Nord, du Sud ou du centre du pays, toutes les revendications, historiquement, se valent -et, en un sens, ne valent donc rien, puisque si toutes valent la même chose, leur contradiction les amènent à ne valoir rien du tout.

Pourquoi vouloir se séparer si c’est pour, à terme, trouver les mêmes confrontations un échelon plus bas? Pourquoi vouloir rester ensemble si c’est pour continuer à s’entre-déchirer sur les mêmes thèmes? Pourquoi se résoudre à des concessions de part et d’autre qui ne satisferont personne -du moins suffisamment peu pour permettre aux mêmes clowns de poursuivre leurs surenchères lors des prochaines élections.

Il n’y a aucune légitimité, parce qu’il n’y a aucune justice, ni globale, ni particulière, là-dedans.

Ce n’est pas l’intérêt général, ni l’intérêt de tous, ni celui de chacun que les “négociateurs” défendent, mais uniquement leurs droits à continuer de jouer aux chaises musicales aux frais des contribuables. Quels qu’ils soient. N’allez pas espérer dans le chef de l’un ou de l’autre une exception qui confirmerait la règle: ils ont tous passé, à un moment ou à un autre, et plutôt deux fois qu’une, au ratelier où se distribue -entre eux- équitablement le fourrage.

Non, pas “tous pourris”, mais simplement tous préoccupés par la même chose depuis que la Chose Publique existe: le partage du gâteau entre les privilégiés, la conservation du système à l’avantage de ceux qui ont réussi à marcher sur les têtes des autres, l’illusion du discours “différent” dans un monde qui ne change surtout pas. Et, en Belgique, les arguments faciles des soucis communautaires en guise de propa.

Certes, en 5000 ans d’histoire urbaine, les conditions de vie se sont sensiblement améliorées pour bien des hommes -et des femmes dans une certaine mesure-, mais ce n’est assurément pas grâce à eux. L’histoire, si elle doit au moins montrer une chose, nous apprend que c’est toujours sous la pression de la rue, à la force de la mobilisation, que les populations obtiennent des améliorations dans leurs conditions de vie, des droits, des libertés, et l’abolition de parties de privilèges de l’autre côté. Les révolutions de palais ne doivent pas nous illusionner, pas plus que les changements de régime ou les alternances de pouvoir. La justice, c’est la rue qui l’obtient, pas la qualité de l’hermine qui enrobe le magistrat. Et la justice ne permet jamais de justifier la moindre prétention au pouvoir de personne. Il n’y a pas d’autre légitimité dans la concession temporaire d’un pouvoir que dans la liberté et l’égalité, jointes, obtenues par l’ensemble de la population.
Et cette légitimité ne peut jamais être que temporaire, limitée, et surtout révocable.

Vive l’anarchie.

L’impérialisme humanitaire

Tuesday, February 8th, 2011

Jean Bricmont, ou la raison parle du présent. Certes, l’histoire joue un rôle dans son raisonnement, mais elle pourrait presque n’être qu’un figurant. Ce sont les faits, la raison, la justice, la justesse, le simple exposé de l’application des mêmes principes dans des situations différentes qui mènent à la conclusion au moins aussi fluide que si les États -en particulier les démocraties occidentales- suivaient réellement les normes du droit international et de la jurisprudence de Nuremberg, s’ils respectaient les décisions prises par l’ONU en assemblée générale, il y a fort à parier que la plupart des guerres et des dictatures de l’après-2e Guerre Mondiale n’auraient pas eu lieu ((Sans parler de celles qui ont précédé.)).

Colonialisme, néo-colonialisme, exportation de la démocratie, modèle occidental, droit et devoir d’ingérence, sont battus en brèche par ce clarificateur simplement scientifique des faits qui dominent notre actualité.

“Pour illustrer l’injustice infligée par les Occidentaux au monde arabe et au reste du monde, on peut aussi procéder à des comparaisons basées sur des événements réels. Que se passerait-il si l’on appliquait à l’invasion américaine de l’Irak les principes qu’eux-mêmes ont invoqués lors de l’invasion du Koweit par l’Irak ? Il faudrait bombarder longuement les États-Unis, détruire leur potentiel industriel, leur imposer un embargo provoquant d’innombrables morts, jusqu’à ce qu’ils éliminent toute trace de leurs armes de destruction massives. Ou encore, imaginons que, par souci pour les Palestiniens, l’on convoque les dirigeants israéliens dans un palais en Arabie Saoudite, leur ordonnant d’accepter immédiatement le déploiement de troupes arabes en Israël même, et que, suite à leur refus prévisible, on les bombarde jusqu’à ce qu’ils abandonnent les territoires occupés. Il n’est pas certain qu’une telle démarche susciterait l’enthousiasme de tous ceux qui ont applaudi en 1999, lorsque les Occidentaux ont agi de façon analogue envers la Yougoslavie .”

texte issu de l’introduction à “Tuer l’espoir” de Norman Finkelstein, également repris dans “L’impérialisme humanitaire” Aden 2005 (publié donc chez Gilles Martin, à Saint-Gilles) et Lux 2006.

blogosphère de lance tout fondu

Monday, January 17th, 2011

Mes amis, mes frères, mes poteaux, vous me manquez… J’en appelle à Un Homme, à une plante verte, à un cycliste pas dopé, à une paire de vaches, et même à Monsieur A

Me laissez plus seul, s’il vous plaît! Postez, merde!

das Kapital libéral

Friday, December 24th, 2010

Une réflexion comme je les aime.

Imaginons qu’un jour les libéraux, les purs et durs, les vrais de vrais, l’emportent -je veux dire qu’on ait vraiment du néolibéralisme en Europe -parce qu’en fait, vous n’avez rien vu, parole de Brésilien d’adoption…

Que se passera-t-il?

Première chose: les transports publics seront intégralement privatisés. Ce qui signifie forcément, outre qu’ils baisseront probablement de qualité, que les chauffeurs seront payés au kilomètre parcouru -et non plus à l’heure- et au client chargé, et que le prix du billet va sacrément augmenter -ou alors ce sera le bus qui va baisser de qualité-. En conséquence de quoi, les poubelles à quatre roues vont commencer à pulluler, parce que les gens préféreront acheter des ruines “privées” ou des voitures bon marché que de payer des fortunes par an pour des services médiocres. Le tout, évidemment, à crédit (rebonjour les bulles). En quelques années, les embouteillages deviendront la règle plutôt que l’exception, à pratiquement toute heure du jour. C’est à peu près le lot de São Paulo, il paraît que c’est pire à Mexico-City. Sans compter que les chantiers routiers ne seront plus menés par une administration publique, mais entièrement soumis à des marchés privés, directement réalisés morceaux par morceaux par des instances d’arbitrage local -on se sera éloigné de la corruption de l’État, mais les marchés privés ne mènent pas moins au gâchis et au précaire. Et je vous dis pas l’état des routes et des trottoirs ici…

Deuxième chose: les assurances-maladies se vendront comme des petits pains dans des bureaux minables installés à tous les coins de rue; des entreprises de soins dentaires verront le jour, croîtront et s’effondreront, laissant les assurés sans l’assurance de garder leurs dents, qu’ils auront fait blanchir, redresser, rechausser, évider, par des mécaniciens dentistes sous-formés, recrutés dans des facultés de quatrième catégorie, comme il commencera à en pulluler, sans qu’on ait l’assurance que leurs professeurs en soient bien, qu’ils sachent exactement de quoi ils parlent, et soient même capables d’appliquer leurs doctrines. Le tout sera masqué par “les meilleurs services dentaires de la planète” ou “la deuxième nation en terme de chirurgie plastique” -dit-on autour de moi. Mais, même si c’est vrai, cela vaut-il le détour?

Troisième chose: les notaires seront entièrement libres d’exercer comme ils l’entendent, au prix qu’ils l’entendent, d’engager qui ils veulent, de faire tourner leurs “études” comme des super-marchés du service notarial. Ils vendront les mariages et leurs contrats, les déclarations de naissance et de mort, les successions détaxées et les historiques de propriété privée… Naturellement, ces bureaux deviendront les seules références en matière de droit patrimonial et, rapidement, de véritables chambres d’entérinement de situations théoriquement irrégulières, comme une appropriation indue ou un contrat de mariage inégal. J’espère que vous imaginez sans peine le détail de l’anti-réforme agraire qui s’est passée et se passe encore au Brésil. C’est ça aussi, le libéralisme…

Quatrième chose: la justice gratuite sera de l’histoire ancienne -encore que, déjà que, bon… Mais vous regretterez le bon vieux de la justice bourgeoise occidentale…

Cinquième chose: les normes de fabrication, de contrôle, de service, d’usage, de transport, de soins, etc., toutes disparaîtront pour faire place à des conventions, des contrats, des échelles, personnalisées, ciblées, catégorisées en fonction des demandes et des besoins des clients. Les accidents, les négligences, les accrocs aux contrats, les réparations hasardeuses nécessiteront peu à peu la disparition des statistiques, le recentrage de l’information -qui de toute façon, bon… Les agences de vérification seront encore plus “indépendantes” qu’elles ne le sont aujourd’hui. Tellement indépendantes et tellement bien payées par les producteurs, qu’elles agiront encore plus comme des agences de notation financière -vous savez? ces machins qui sont en grande partie responsables de la crise qui vous est tombée dessus ces trois dernières années… Bonjour les conflits d’intérêts!

Sixième chose: les espaces publics vont progressivement être vendus à des propriétaires privés. Vos déplacements seront progressivement réduits aux espaces qu’ils vous laisseront. Peut-être existera-t-il encore un droit de servitude minimal, peut-être pas. Alors? Des péages tous les dix mètres? Comment ça impraticable? N’avez qu’à rester chez vous et commander des pizzas…

Je réfléchis encore à d’autres trucs, mais je trouve que c’est déjà assez encourageant (pour nous inciter à la vigilance, veux-je dire)… Cela dit, je n’excuse pas les politiques libérales de nos politiciens modérés, je lance juste un appel du pied à ceux qui, en théorie, sont censés défendre les droits des travailleurs, les acquis sociaux, la justice sociale… Et qui y renoncent à petits pas, tels de gentils écologistes…

Ah, si le syndicalisme retrouvait ses couleurs d’avant les annés 70’…

La Galanterie n’a pas de limites…

Thursday, December 16th, 2010

Madame Galant, vous avez sorti au cours d’un interview la phrase “Nous sommes le pays où c’est le plus facile d’entrer, de s’installer et de devenir Belge (sic)”. Outre que votre phrase comporte une lapalissade sur laquelle je ne m’étendrai pas (où peut-on devenir belge, sinon en Belgique?), vous ne connaissez manifestement pas la condition des étrangers en Belgique, pour les mettre ainsi au pilori au profit de votre image politique. Ou si vous la connaissez, vous êtes d’une inhumanité crasse.

Par ailleurs, il serait intéressant de confronter votre point de vue à celui de M. Eric Besson, qui disait le 5 novembre 2009, sur france 3, dans l’émission “Ce soir ou jamais”, que la France était le pays qui accordait le plus de cartes d’identités; par ailleurs dans une émission de septembre 2010, il a évoqué le fait que la France est le pays qui accorde le plus la nationalité française((Les deux émissions se trouvent facilement sur Dailymotion, et je viens de retrouver la dernière citation dans le Canard Enchaîné.)).

Certes, en apparence, vous ne parlez pas de la même chose -devenir belge >< la nationalité française - facile de >< accorder le plus... il semble que l'on puisse jouer sur les mots: la Belgique n'est peut-être pas le pays où l'on accorde le plus de cartes d'identités, ni la France celui où il est le plus facile de devenir (allez, ne chipotons bas, même si j'aurais pu mettre "belge") français. Mais en tout état de cause vous utilisez le même argument, la même rhétorique -que j'ai entendue en Italie lorsque j'y vivais, d'ailleurs, dans la bouche d'autres conservateurs-, dans le même but: faire peur aux électeurs (la veille de Noël, c'est sympa), histoire de rappeler votre fonds de commerce, dans ce qu'il représente de plus bas: l'attaque contre ceux qui ont le moins de possibilité de se défendre, et qui pourtant accumulent toutes les conditions pour obtenir un minimum de clémence. Les émigrés qui, désespérés par les conditions économiques ou politiques de leur pays d'origine, qu'ils n'ont le plus souvent pas quitté de gaieté de coeur, se retrouvent dans la plupart des cas dans des pays limitrophes du leur ((Le moindre scientifique sérieux sur la question vous montrerait que la plupart des déplacements de population se font à l’intérieur du pays, si pauvre soit-il, puis dans les pays limitrophes, puis dans des pays du même continent, avant d’envisager l’exil vers le Premier Monde, région la plus riche de la planète.)), avec l’espoir d’y revenir, car, pour beaucoup, quitter la terre de ses ancêtres, c’est infiniment plus difficile moralement, mentalement, que pour un Européen d’avoir la chance de devenir “Expat” et de faire fortune dans un pays “en développement”, avant de revenir profiter de nos systèmes sociaux, dont nous devrions être fiers, plutôt que de les détricoter lentement, mais c’est une autre histoire.

Quand ils arrivent “chez nous”, “dans notre maison”, pour utiliser la détestable nomenclature de Monsieur Pascal Smet à l’époque où il occupait le poste de directeur aux expulsions, c’est en dernier ressort, et en espérant que la région du monde (le “Premier Monde”) qui est fréquemment co-responsable de la ruine de leur pays ait un minimum de compassion pour eux.

Mais non: alors même qu’ils participent activement et positivement à notre économie, qu’en toute grande majorité ils aimeraient bien se voir régularisés pour pouvoir bénéficier d’une certaine tranquillité d’esprit, que, tout naturellement, ils préfèrent voir leur famille à leur côté plutôt que de la savoir encore dans les affres d’une guerre, d’une famine ou d’une misère endémique là où ils l’ont laissée ((Et quel “Expat” de longue durée ne préfère pas emmener ses mômes et son conjoint avec lui, quand il en a?)), la Belgique, comme bien d’autres pays privilégiés, les confine dans des situations en marge du droit, non parce qu’elle ne pourrait pas les intégrer dans ses frontières, mais parce que les gouvernants (qui alternent, et dont vous faites donc partie, à moins de vous désolidariser de la politique du MR et du PRL depuis plus de 30 ans, quand il est au pouvoir) bénéficient d’une telle situation qui leur permet de détourner les yeux des électeurs de leur incurie dans d’autres matières: regardez, ces étrangers profiteurs, ils ne font rien qu’à nous envahir.

En outre, cela fait des années maintenant que, histoire de tourner en rond, on parle d’immigration choisie, de sélection des immigrés, en fonction de nos intérêts, oubliant que ce faisant on réduit encore d’autant les forces vives des pays dont on fait venir les intellectuels, les spécialistes; d’un autre côté, le pillage des anciennes colonies continue, mais ça, je suppose que malgré la pseudo-repentance du gouvernement belge, ça ne mérite pas le moindre intérêt.

Votre argumentation qui se permet de mettre en concurrence la situation des Belges les plus démunis avec celle des étrangers en situation irrégulière est l’une des pires attitudes humaines qui soient: vous poursuivez la politique qui a été menée par les plus immondes gouvernants de la planète et de l’histoire qui, pour assurer leur trône, jetaient et jettent encore les plus malheureux de leur système les uns contre les autres. Pourquoi ne pas faire une politique anti-roux, anti-sorcière, anti-juive, tant que vous y êtes?

Mais c’est proprement inutile: vous savez parfaitement bien que les partis traditionnels se féliciteront toujours de conserver ce matelas de haine sociale pour les coups durs, pour justifier le fait qu’ils n’ont aucune imagination quand il s’agit de mener une contre-politique aux assauts des agresseurs financiers, quand on critique les avantages fiscaux des plus privilégiés ou de grandes entreprises pour qui la Belgique est un paradis fiscal (combien de milliardaires français en Belgique, déjà?), quand vous ne pouvez plus culpabiliser “l’Europe”, “la conjoncture”, “la crise”, “les Flamands”, ou que sais-je encore pour votre incapacité à assumer la défaite de votre système de pensée: le capitalisme.

À propos, c’est quoi, l’anarchie?

Thursday, November 18th, 2010

Le chaos, la tourmente, le désordre, la violence, sourde ou éclatante!

L’expression d’un malaise, la pauvreté imaginative d’adolescents en pleine crise, à peine plus que de la poésie, un luxe d’artiste, un caprice d’intellectuel, un esprit bourgeois-rebelle…

Rien de tout ça? Tout à la fois? Autre chose?

Je vous parlais la semaine dernière d’anarchistes et d’actions, de violence surtout; je vous évoquais la rareté de celle-ci dans le chef des anars (le chef des anars, elle est bien bonne), du fait que nous étions plutôt sérieux de ce côté-là, qu’il était rare qu’on frappe à l’aveugle comme savent par contre si bien le faire les dictatures et les démocraties parlementaires.

Il y a pas mal de définitions qui peuvent convenir à l’anarchie. Celle de l’un des frères Reclus, par exemple, “L’ordre moins le pouvoir”, a le mérite de la concision et de l’efficacité. On a quand même un peu l’impression de voir le cauchemar de Foucault abouti. Mais bon…

Entre des visions plutôt conservatrices qui ne voient en elle que l’absence de gouvernement et par extension du désordre -ce qui ne manque pas de s’opposer à la vision d’Elisée Reclus- et celles de poètes plus ou moins romantiques qui n’y voient que la liberté toute pure, il y a des schèmes un peu plus élaborés.

Faire une définition en deux lignes serait à la fois prétentieux et sans ambition. Tant il est vrai que, pour commencer, l’anarchie, c’est de nombreuses conceptions différentes. Et je ne m’attacherai qu’à celles “de gauche”, et de renvoyer pour les autres à Stirner ou aux libertariens, qui ne sont guère que des extensions du libéralisme à mes yeux.

Vu que des Godwin, Proudhon, Kropotkine, et autres Durutti se sont chargés de vivre avant nous l’anarchie, certains se demanderont si elle aboutit bien. Certes, elle pourrait aboutir, achever, terminer, arriver, prendre racine, mais alors elle risquerait simplement de ne plus être elle-même. L’anarchie, en tant qu’idéal politique ou social, c’est une aspiration permanente, un mode de pensée, plus qu’une utopie ou qu’un système, comme le socialisme marxiste ou le libéralisme -ou même le fascisme.

Parce que les hommes sont ce qu’ils sont -des êtres mortels, fondamentalement différents, incapables de penser la même chose sur la vie, la mort, l’amour, la sécurité, la liberté, bien qu’ils soient tous fondamentalement liés dans ces principes, ils ne parviendront jamais à s’entendre sur un système. La peur, puissant moteur de l’autorité, ne saurait être vaincue facilement, puisque la conscience de sa mortalité a fait de l’homme l’animal le plus soucieux de sa survie -en dépit de la futilité de ce projet dont il sait l’inanité.

Aussi, à moins d’un grand sursaut rationnel, l’anarchie ne sera toujours qu’un beau projet vers lequel chacun de ses acteurs cherchera à tendre, sans, selon toute probabilité, jamais l’atteindre. Il n’empêche qu’il persiste, ce beau projet…

L’anarchiste de gauche, plus humaniste, plus philanthrope que son homologue de droite, a une tendance largement socialiste de désir d’émancipation générale: impossible d’être heureux si mon prochain ne l’est pas. Il a aussi une haute conscience des liens sociaux produits par l’économie de marché, par l’existence de l’Etat et par le culte de l’autorité et de la hiérarchie. Le plus souvent -mais malheureusement pas toujours-, il est également parfaitement au fait du scandale patriarcal et aspire à le renverser.

Lorsqu’il est de tendance irrationnelle, romantique, il peut aller jusqu’à désirer retourner les schémas et viser une société matriarcale, trouve ses modèles dans des sociétés plus archaïques, plus proches de la nature, plantes médicinales et danses tribales.

Lorsqu’il est de tendance rationnelle, plus scientifique, il réfléchit au retournement des schémas, constate que les sociétés matriarcales sont plus égalitaires, que les études anthropologiques, sans les idéaliser, reconnaissent la valeur des sociétés mal qualifiées d’archaïques, que l’homme vit en meilleure santé et moins aliéné lorsqu’il est proche de la nature. Et en plus, fumer du chanvre et danser sur la Makhnochtchina fait du bien.

Bref, c’est fou comme le rationnel et l’irrationnel lui vont bien…

Les relations des anarchistes avec les communistes sont souvent tendues, non parce qu’ils divergent particulièrement dans l’objectif, mais en raison d’un lourd contentieux historique et des différences dans l’idée des moyens. C’est bien dommage.

L’anarchiste a, basiquement, une double tendance, l’une plutôt fleur bleue et pâquerette, qui lui rappelle que tous les hommes sont égaux, méritent notre considération, ont droit à la liberté de penser, de jouir, de s’extasier, de baiser et de fôlatrer jusqu’à ce que mort s’ensuive; l’autre, plus agressive, constate qu’historiquement l’exploitation de l’homme par l’homme est violente, réelle, fréquente, implacable, que les exploiteurs se justifient de bien des manières, toutes plus éloignées de la justice et du droit naturel qu’a chacun de vivre sa part de vie sur Terre -ou ailleurs- sans avoir de compte à rendre à des privilégiés et des principes patrimoniaux. Cette dernière tendance, frustrante, mène souvent à la révolte organisée, et parfois à la violence.

Mais les anarchistes n’aiment pas les dégâts collatéraux, les crimes aveugles, les victimes innocentes -parce qu’ils ne croient pas stupidement à la raison d’État ou à un bien supérieur à la vie humaine. Ils méprisent l’honneur, la nation, les hymnes (sauf la Makhnovchtchina, mais c’est pour de rire), les uniformes et le respect au drapeau. Ils réfutent le secret-défense, conchient les interdictions préventives, refusent de servir des lois faites par d’autres et des constitutions élaborées généralement avant leur naissance.

Bref, pour eux, frapper cent hommes pour en atteindre un seul ne fait pas partie de leurs programmes.

Quand les anarchistes deviennent violents, ils s’en prennent principalement aux choses, aux biens, aux entraves, à la propriété, à ce qui n’a à leurs yeux aucune valeur.

Quand la colère devient si forte que plus rien n’arrête la révolte, la grogne, la fronde, l’anarchiste, le plus souvent, reste conscient de la valeur humaine -et, quand il frappe, s’il frappe, c’est d’abord symboliquement (vive la tarte à la crême), puis, s’il passe à plus sérieux, c’est toujours de manière ciblée, et jamais en visant au hasard ou en masse.

Certes, il y eut des exceptions. Mais quand Vaillant s’attaque aux députés, il précise que sa bombe n’avait pas l’intention de tuer -ce qu’elle ne fit d’ailleurs pas- mais qu’elle avait une ambition symbolique. Réponse de l’ordre établi: la guillotine;
Bonnot et ses complices tuèrent beaucoup, mais, précisa Raymond la Science lors de son procès (remarquablement mis en scène par Brel dans un film où Bonnot est joué par Bruno Crémer), ils ne tirèrent que sur des bourgeois ou sur leurs complices.

Deux exemples extrêmes, pris exprès pour ne pas faire dans la dentelle.

Le premier doit être compris comme issu de la stratégie de la Propagande par le Fait, dont l’objectif était de frapper les esprits et de pointer du doigt -et de la marmite- certains des responsables de l’exploitation sociale. On ne peut comprendre la violence anarchiste si l’on oublie qu’elle est une réaction à une violence autrement plus performante: celle de l’inertie de l’ordre établi qui n’hésite pas à lancer des guerres civilisatrices, justes, défensives, pour de basses raisons financières, commerciales, expansionnistes. Auguste Vaillant était un amateur en matière de violence. C’est sans doute pour cela qu’il prit la peine capitale alors qu’il n’avait tué personne.

Quant à Bonnot et à se proches, ils naviguaient entre l’illégalisme, la propagande par le fait et l’anarchisme individualiste. La plupart d’entre eux, après une carrière de militants convaincus, puis déçus, avaient perdu leurs illusions, mais par leur révolte.

Il faut noter que la plupart des illégalistes, de nouveau, n’étaient en rien des violents…

Est-ce que je cautionne le meurtre? Non. Je veux encore penser qu’il existe d’autres voies plus efficaces pour mener à l’amélioration des liens sociaux.
Est-ce que je le pratiquerais? Non. Mais j’aime de temps en temps me poser la petite charade du bouton-pression qui actionnerait la bombe de la Java.
Est-ce que je le condamne? Non. Le boulot des juges, c’est eux qui l’ont choisi: personne ne les a forcés à endosser leurs robes.

Pour terminer, je constate toujours que la place que prend la violence dans un texte sur l’anarchie est toujours de loin supérieure à la proportion qu’elle occupe dans la vie des anarchistes. Et ça c’est important. Parce qu’a contrario, la violence ne prend pas assez de place dans les traités sur les “dites” démocraties, qui, elles, la pratiquent bien plus souvent qu’à leur tour…

la religion est une trop vieille reliure

Sunday, October 24th, 2010

Pendant que des évêques et d’autres imbéciles au Brésil ressortent le vieux discours anti-athée contre la candidate du PT, comme cela arrive régulièrement en Amérique Latine ((On en a régulièrement des exemples un peu partout, en particulier en Bolivie, au Vénézuéla, au Honduras, en Equateur.)), mais aussi dans des pays réputés “développés” (sans rire), y compris dans “la plus grande démocratie du monde” (comprenez les USA, où l’ingérence religieuse est une des plus pernicieuses qui soient), on apprend qu’une dizaine de personnes, dont des enfants, pris d’une peur panique à la vue d’un homme qu’ils ont pris pour le diable, se sont jetés par la fenêtre du deuxième étage de leur immeuble, provoquant la mort d’un bébé parmi eux. Ça, c’était dans les Yvelines, en France. Un pays éclairé par les principes des Lumières, mais dont le président baise les genoux du Vatican quand il veut regagner les voix de l’électorat traditionnaliste…

L’influence de la religion, des religions, sur la société n’a plus rien de positif, si même elle a pu l’être dans le passé. Elle abêtit, éloigne de la raison, de la science, sous des prétextes oiseux; elle dénature d’ailleurs l’existence même de celle-ci, la faisant passer pour une adversaire avec une vie propre, alors que la science n’est qu’un instrument dans les mains des hommes, une méthode, pas une doctrine.

Les scientifiques qui utilisent la science en cherchant -du mieux qu’ils peuvent, ils sont humains aussi- à établir des faits en fonction d’une méthode rigoureuse, sont régulièrement condamnés par des obscurantistes arc-boutés sur leur foi et leurs préjugés plusieurs fois millénaires. Leur dénier une conscience sous prétexte qu’ils seraient athées ou éloignés de la foi est digne des discours qui, il y a 300 ans et plus, déniaient aux Indiens et aux noirs la possession d’une âme que l’on réservait plutôt aux blancs -alors même que l’existence de l’âme n’était qu’un acte de foi.

Si les religions n’étaient pas autorisées de s’exprimer sur la scène politique, et en dépit de tous les autres défauts de celle-ci, l’histoire compterait probablement bien moins de dictatures, d’autres auraient moins de prétextes pour exister et l’on pourrait parler infiniment plus librement de sujets importants, principalement liés à la médecine et la santé, à la liberté des femmes concernant leurs corps, aux progrès scientifiques

Les religions, qu’elles demandent pardon, se corrigent, se réforment, ou au contraire se replient sur leurs principes, reviennent aux principes les plus sectaires, sont toujours en retard par rapport à l’évolution de la société vers un mieux-être, l’égalité, la liberté, l’émancipation des femmes, des hommes, des enfants, la reconnaissance des droits de chacun et de tous.

Les religions, quand elles sont considérées comme une liberté privée, non seulement empiètent sur la liberté des enfants soumis aux parents, mais en réalité s’arrogent toujours plus de privilèges de paroles au niveau public et collectif. Quand une religion est minoritaire, elle réclame automatiquement plus de tolérance, qu’elle dénie quand elle se sent en position de force. Pape, imam, évêque, lama, marabout, rabbin, même combat contre la vérité factuelle et la recherche du bonheur terrestre -le seul véritablement prouvé comme possible.

La religion, au singulier, si elle relie les hommes -comme elle le prétend, ce que je ne vois pas qu’elle fasse en réalité-, est une reliure qui sent le moisi et ne répand plus que des champignons qui détruisent la fibre des individus et interdit ou freine toute véritable relation humaine libre et vivante.

La religion ne devrait plus avoir droit au chapitre au niveau public.