Ce sur quoi la presse n’insiste pas trop quand elle parle de crise

Ensemble d’articles publiés en novembre et décembre 2008:

Le libéralisme, le néo-libéralisme et le capitalisme

Sous prétexte que l’État est intervenu massivement, et en ponctionnant dans les sous des contribuables ((Et pas qu’un peu, malgré les rappels que l’argent manque même pour des financements mineurs, genre celui-ci .)), pour sauver les banques et les institutions d’assurances et autres joyeusetés financières, on annonce un peu vite que le capitalisme est malade et que le néo-libéralisme est mort.

Je ne serais malheureusement pas aussi optimiste ((Jusqu’ici, je n’ai lu de contradictions que sous la plume de clowns de droite et d’actes de décès du capitalisme que sous celle de chroniqueurs de gauche. Je ne prétends pas me ranger avec les premiers, mais je pense que les seconds font fausse route.)).

Le néo-libéralisme n’est jamais qu’un accomodement particulier du libéralisme, et il n’en est pas son opposé. Il n’est qu’une tendance parmi toutes les idéologies dérivées de la branche Smith-Tocqueville-Ricardo, défendue par l’école néo-classique autrichienne et les joyeux lurons de Chicago. Le capitalisme libéral n’est pas opposé à une intervention de l’État par principe. Le simple fait qu’il le tolère et qu’il en ait besoin (pour garantir l’existence de la propriété privée) nous le rappelle s’il était besoin.

L’État capitaliste de tendance libérale ((Oui, il existe d’autres clowneries capitalistes pas libérales : l’état moderne chinois, le stalinisme, l’état fasciste centralisé, par exemple, mais aussi le colbertisme ou le pharaonisme. )) (qui regroupe également des courants divers, y compris le clientélisme social-démocrate, la pieuvre mafieuse ou fasciste genre Chili ou Appartheid, la république fédérale de type américaine ou la confédération helvétique) n’existe que parce que les différentes catégories de personnages qui se partagent le pouvoir économique à l’intérieur de ses frontières, soit par choix, soit par tradition, y trouvent leur compte. Ils ont adopté un moyen d’assurer de manière commode un marché de consommateurs intérieur et un réseau de relations diplomatiques internationales telles que leurs nécessités financières et commerciales y gagnent. Leurs partenariats, leurs lobbyings s’accomodent de presque tous les changements de régime, y compris de ceux qui ont eu lieu récemment en Amérique Latine.

Bien sûr, certains de ces zozos très riches et pas très solidaires sont moins contents que d’autres et le font savoir, comme au Vénézuéla, en Bolivie ou en Équateur. Mais comme ils menacent plus la paix sociale qui garantit le marché qu’ils ne le soutiennent, leurs appuis internationaux restent marginaux, malgré leurs grandes gueules ((Croire qu’il n’y a que deux camps dans le monde est l’une des pires illusions qui soient. Elle est également contre-productive.)).

C’est dans le même ordre d’idée qu’il faut observer les aides aujourd’hui accordées à des institutions privées ou partiellement privatisées : les administrations d’État sont régies par des groupes de personnes liées de manière intégrées aux cercles du pouvoir économique. Le nier serait absurde : cela a été plusieurs fois montrés ((G. Geuens, Tous pouvoirs confondus, Etat, capital et médias à l’ère de la mondialisation, EPO (mars 15, 2003). )) et est facilement vérifiable par la simple consultation de données publiques ((Un abonnement au Canard Enchaîné ou au Plan B aiderait déjà à s’en rendre compte. )), y compris sur internet ((Belges, allez jeter un oeil sur le site du Cercle de Lorraine. Moins Belges, allez jetez un oeil sur ce descriptif du Groupe Bildenberg.)).

Prétendre que Paulson, Reynders ((Rions à l’évocation de notre grrrrand stratège, on est là aussi pour ça.)) ou Poutine sont plutôt ceci ou cela, tant qu’on ne les dit pas socialistes, n’a aucune espèce d’importance : ils sont tous capitalistes, mais ils sont avant tout favorables à ce qui les avantage le plus. S’ils se trouvent mieux de nationaliser temporairement une institution ou de privatiser la sécurité sociale, ils développeront les arguments pour nous en persuader et pour nous faire croire qu’ils ont toujours pensé la même chose en dépit des faits qui montrent le contraire ((Sauf peut-être Poutine qui n’a jamais cherché à sauver les apparences. A défaut d’être fréquentable, on peut au moins lui accorder ça : il n’ a pas hésité à proclamer qu’il n’adoptait une théorie économique que parce qu’elle lui permettait de conserver ou d’augmenter son pouvoir.)). Ça n’a pas d’importance, puisque les voix qui discordent de leurs discours n’ont qu’un faible écho dans les médias dont la majeure partie est largement contrôlée par les mêmes cercles ((Se demander si ce sont les Murdoch (Fox), Bouygue (tf1) et autres Rossel (ouais, bon) qui dirigent les politiques, si ce sont les politiques qui dominent les cercles financiers ou si ce sont les cercles financiers qui commandent aux médias est une perte de temps : ils s’entendent et s’échangent parfois les places, à l’image d’un Paulson ou d’une Lagarde, par exemple, d’un Thierry Breton encore avant. Il suffit aussi de constater le nombre de nos ministres et députés qui occupent des places d’administrateurs dans des entreprises d’importance et le sujet sera clos)).

Ainsi, les grands trésoriers du monde s’accordent-ils en fonction de leurs accointances personnelles pour financer plutôt tel ou tel gadget capitaliste et pas celui-là. Les prétextes officiels sont mignons : pour Lehman Brothers ((Pour laquelle je n’ai pas l’intention de verser une larme, notez.)), il n’y avait pas d’acheteurs, mais pour Freddy Mac et Fanny Mae, l’intérêt du système imposait le sauvetage. D’autres fois, on arguera que trop d’emplois seraient perdus sans un soutien de l’État, alors que les fermetures, par le passé des industries automobiles, métallurgiques ou minières un peu partout en Amérique du Nord ou en Europe, ne seraient jamais que des incidents dans la grande marche vers le progrès libéral…

Je pourrais rétorquer que, si des banques ferment, si des milliers d’employés perdent leurs jobs en Europe et aux USA, les banques brésiliennes ((Ici, en effet, le secteur bancaire est (malheureusement) solide.)) ou sud-africaines finiraient peut-être par y gagner et, qui sait ?, offrir plein de jobs à plein de petits mandaïs locaux -et aussi assurer une meilleure santé financière au système qui y gagnera en productivité, etc.

Sans les aides de nos administrations occidentales, les institutions financières des pays « émergents » pourraient racheter les bonnes vieilles insitutions euro-étatsuniennes (ça aurait de la gueule, le rachat des banques colonialistes par les anciens colonisés).

Tout ceci m’offre un argument supplémentaire pour dénier à l’État la prétention d’être la solution aux problèmes qu’il a contribué à créer. Ni le marché, ni l’État ne peuvent être dédouanés. Ils sont complices, d’autant plus pernicieux qu’ils jouent, devant le juge du public, à se renvoyer la balle avec des arguments qui ne permet d’en condamner aucun tout seul.

C’est ensemble qu’il faut les noyer.

Le socialisme pour les riches

Un autre sujet de conversation à exploiter au coin des cheminées pour cet hiver : les plans des différents États soumis à la crise, jusqu’à ce jour, ont souvent été qualifiés de « socialistes ». L’idée selon laquelle parce que des banques ou des institutions financières du genre assureurs ou fonds de pension se sont retrouvés sous perfusion des administrations de pays comme les USA, la France, la Grande-Bretagne ou l’Islande, dont le gauchisme est tout de même assez relatif (convenons-en), que ces institutions ont dû céder une partie de leur contrôle à ces mêmes administrations, que celles-ci se sont engagées –dès que possible- à sortir de ces participations ((Sous des conditions qu’elles vont probablement s’empresser de ne pas respecter.)), cette idée, donc, selon laquelle de telles mesures émargeraient d’esprits socialistes est à bondir de rire ou d’angoisse.

Il n’y a pas de pire destin, pour un socialiste, que de tout faire, et en particulier de dépenser l’argent des particuliers, pour sauver un système dont l’objectif principal, affirmé et presque exclusif ((pourquoi j’écris encore presque, moi ?)) est de faire du profit ; il n’y a rien de moins socialiste que de sauver des institutions dont le souci premier est d’assurer à leurs seuls actionnaires ou détenteurs de parts sociales ou dépositaires un « profit à deux chiffres » pendant que les deux tiers de la planète courent derrière leur repas du soir, les médocs de la semaine ou les combustibles nécessaires à leur mal-être minimum ; je ne vois pas ce qu’il y a de socialiste dans un plan qui consiste à rassurer les pires ennemis du socialisme ; le qualificatif de « socialiste » me paraît inadéquat quand il s’agit de partager avec des gens qui n’ont jamais tiré le moindre intérêt de l’existence de ces institutions les pertes de ces dernières.

Ou alors j’ai pas compris Marx…

Le contrôle d’une partie de l’économie capitaliste par l’État ne signifie pas que le système vire socialiste. Keynes n’était pas socialiste ((même si aux yeux de certains, il est catalogué de gauche, mais, bon, pour ces mêmes, les démocrates américains ne sont pas de droite, alors que, bon…)). L’économie de marché, même régulée en tout ou en partie par l’État, n’est pas socialiste. Si c’était le cas, le simple fait que les USA aient arrangé au profit d’une petite quantité d’entreprises nord-américaines et issues de pays alliés un marché d’activités commerciales en Irak, en Afghanistan ou dans d’autres régions du monde libérées au cours de leur histoire soumise à la doctrine Monroe fait de l’administration de la Maison Blanche le centre de la pensée bolchevique.

Une telle réflexion ne prêterait-elle pas à sourire ? Un peu ?
Dick Cheney, néo-trotskyste ? Hi !

Il ne faut pas qualifier de socialiste le projet de nationaliser tout et n’importe quoi.

La bourse, les banques ne seront jamais des appareils de fonctionnement socialistes. Les nationaliser revient simplement à parer le capitalisme d’un État d’une couche interventionniste que les libéraux n’aiment pas. Mais les libéraux appellent communiste, marxiste ou socialiste tout ce qui ne leur plaît pas.

Ce qui ne doit pas nous distraire. Toutes les mesures prises par les zozos au pouvoir, depuis Paulson jusqu’à Reynders ((Rappel d’un gros éclat de rire.)) n’ont que l’ambition de conserver deux choses: leur petite part de pouvoir personnel et un système qui le favorise, sous quelque forme que celui-ci apparaisse.

Les riches vont-ils être moins riches

En voilà encore une grave question ((À part évidemment qu’on s’en fout un peu.)). Elle rappelle –ou plutôt elle devrait rappeler que nous ne comptons pas la fortune d’un roi du pétrole ou d’un prince de la Silicon Valley comme on établit le patrimoine d’un petit médecin de campagne…

Lorsque les journaux jouent à se faire l’écho du magazine Forbes pour nous expliquer que Bill Gates est encore ou n’est plus l’homme le plus riche du monde, celui-ci a-t-il vu son tas d’or diminuer ?

Bien sûr que non, ce qu’il se passe dans ce genre de cas, c’est que Forbes –ou celui ou celle dont il s’inspire- a évalué la fortune du personnage en cumulant les valeurs supposées de tout ce qu’il détient comme propriétés meubles et immeubles. Mais parmi ses propriétés meubles, il y a notamment des avoirs financiers qui fluctuent en fonction des yo-yos de la bourse.

Si le 1er janvier, « la bourse » établit qu’une entreprise vaut un million d’euros et que 100.000 actions représentant cent pour-cent de son capital (ce qui n’est pas la norme) sont détenues par, disons, 100 actionnaires différents, chacun détenant au moins une action, chaque action vaut donc 10 euros et toute personne, Bill Gates compris, qui possède donc x actions est maître d’une fortune s’élevant à dix fois x euros. Si le lendemain, l’entreprise, en raison des mouvements financiers ou d’une nouvelle cotation à la bourse, a gagné dix pour-cent de valeur, l’action se trouve cotée à 11 euros. Le lendemain encore, l’action perd de sa valeur et se retrouve à 9 euros ((les exemples pris ici sont assez extrêmes, mais il faut noter que nous vivons des temps où ces chiffres restent encore en deça des problèmes vécus par certaines institutions bancaires.)). Entre-temps, Bill et les autres actionnaires de l’entreprise, s’ils n’ont cherché ni à vendre leur action, ni à en acheter d’autres, sont toujours détenteurs de la même quantité d’actions. Si ce n’était pas encore une vue de l’esprit, on pourrait dire qu’ils ont le même nombre de titres dans leurs portefeuilles.

Sont-ils plus ou moins riches entre le 1er et le 3 janvier ?

Non, mais il vaut mieux que vous croyiez le contraire. Pourquoi ? Parce que la valorisation des entreprises en bourse, surtout quand il s’agit d’entreprises financières ou d’activités virtuelles, ont de plus en plus tendance à prendre des valeurs en fonction de facteurs irrationnels, tels que la confiance même de leurs actionnaires ou des acteurs du marché, comme les banques elles-mêmes (qui sont souvent leurs créditeurs et qui ont intérêt à ne pas les voir se planter), les courtiers qui servent d’intermédiaires entre les investisseurs et ces entreprises, ou les fameuses agences de cotation dont on a pas mal parlé ces derniers temps et qui ont de sacrés problèmes pour continuer à nous faire croire qu’elles sont indépendantes.

Ces valorisations sont devenues tellement irrationnelles ((Et pour une bonne raison, c’est qu’il est nécessaire qu’elles augmentent toujours et toujours plus rapidement, pour éviter de paniquer l’un quelconque de ces fameux acteurs qui ont une facheuse tendance à la crise d’épilepsie et à la frilosité au moindre fléchissement d’une courbe harmonieuse.)), que les chiffres accumulés de toutes les bourses mises ensemble ont permis récemment d’estimer que les mouvements financiers dépassent annuellement le PIB mondial, non pas, comme en 1980, de quelques unités, mais de 600 ou 700 pour-cent ((J’adore ce genre de précision. En fait, on ne sait pas très bien. Selon le Monde Diplomatique Brésil de ce mois de novembre, les « Produits dérivés » de spéculation, ces saloperies qui sont paraît-il responsables de la crise (comme si c’était eux et pas leurs créateurs et profiteurs) dépassent le trilliard de dollars. Donc quinze zéros après le 1… Bonjour l’astronomie.)) …

En clair : les traders jouent avec des avoirs qui n’existent pas –bon, ça on le savait-, mais ce sont des avoirs qui sextuplent ou septuplent les chiffres de l’économie dite « réelle » ((D’après Martine Bullard, dans le Monde Diplomatique Brésil de novembre, les seuls « Produits dérivés » financiers à qui on attribue tous les maux du capitalisme ces derniers temps totalisent l’équivalent de vingt années de production mondiale, ou plus d’un trilliard de dollars.)). Autrement dit, les sphères financières s’endettent et endettent le bon peuple qui s’amuse aussi à jouer en bourse de telle manière que pour parvenir à rembourser, ils sont obligés de continuer à faire grimper ces chiffres abstraits de pognon qui ne reflète absolument pas l’état d’une économie réelle dans des proportions telles que, le jour où on (mais qui ?) s’aperçoit que tout va péter, seuls les premiers qui auront tout vendu pourront encore gagner quelque chose. Mais même cela, ce n’est pas évident, car que vont-ils pouvoir gagner, si ce n’est de l’argent qui se retrouvera dans des banques totalement insolvables ?

En définitive, pour reprendre ce bon vieux petit poncif anar, le capitalisme est bien malade, parce que, tel un requin ((Et la comparaison n’est pas sympa pour les requins.)), il ne peut s’arrêter un instant sous peine de mourir suffoqué, mais, s’il continue de bouffer comme il bouffe, il finira par exploser, ce qu’il menace de faire de plus en plus régulièrement. Ce qu’ont fait les administrations des États en intervenant dans la crise, c’est cacher le plus possible la situation sous le tapis. Mais l’accumulation devient impossible à gérer. Les paraboles ne sont même plus nécessaires ici, pour rappeler que le monde est fini, que la croissance ne peut se poursuivre ad vitam aeternam, que les déchets vont nous étouffer, que les poissons disparaissent progressivement des océans, que l’énergie fossile produite par la Terre en plusieurs centaines de millions d’années a été en toute grande partie brûlée par la communauté humaine en moins de deux cents ans… Quoi d’étonnant à ce que, tels des consommateurs irrationnels d’antibiotiques, les acteurs financiers se retrouvent acculés à toujours avaler plus de médicaments pour éviter que la maladie ne les emporte, mais en sachant qu’elle finira par enlever leurs successeurs… Et c’est le même raisonnement que suivent nos dirigeants démocratiques, qui savent qu’ils ne seront plus là dans quelques années, et qui espèrent donc que la catastrophe retombera sur ceux qui les suivront.

C’est à se demander parfois s’ils ne le font pas exprès, par jalousie pour qui prendra leur place…

Doit y avoir du Freud, là-dessous…

Faut-il souhaiter que les plans Paulson-Brown-Barroso-Merkel-Sarkozy-Reynders (et variantes) fonctionnent ?

(Accessoirement, barrez dans la liste des noms ci-dessus les mentions qui vous font le plus rire)

(accessoirement deux, ça ne fait pas trop mal aux culs des Européens de cette bande d’avoir faussé complètement le jeu de la concurrence cher aux principes de l’Espace Économique ?)

Imaginons les deux situations :

1) les plans fonctionnent et les banques se récupèrent dans un délai considéré comme raisonnable par les acteurs du marché ((Vous me rappelez qui sont ces cons ? Je veux dire : ça ne vous défrise pas que les médias les plus lus et vus ne se bougent même pas un petit peu pour vous dire que la situation de l’économie dépend de zouaves non-identifiés dont les humeurs et les tendances psychotiques influent directement sur notre « employabilité » ?)), ce qui permet, à terme, aux États de revendre leurs participations et de se voir rembourser leurs prêts. Dans ce cas, il nous reste à considérer deux situations : celle où les États récupèrent au moins leur propre mise, avec un profit éventuel qui étonnerait tout de même pas mal ; l’autre, plus vraisemblable, où les États, heureux du retour à la normale ((Faut le dire vite.)) de l’économie de marché libérale, s’affirmeront prêts à renoncer à une partie de leurs mises que les banques ne « parviendront » pas à rendre.
2) Les plans ne fonctionnent pas, et c’est là que ça devient cocasse. Car alors, il faudra envisager une chute de confiance terrible de la part du public, des replis nationaux, voire régionaux, et en tout cas sociaux. Les plus petits s’en prendront plein la gueule et il y a fort à parier que, sur le modèle d’un discours récent de notre futur retraité de la Maison Blanche, sous prétexte de sauver ce qu’il reste du « système économique », tout un tas de barrière sécuritaire vont nous tomber sur la tête –comme si nous n’en avions pas assez.

Personnellement, entre Charybde et Scylla, entre peste et choléra, je n’ai jamais réussi à trancher.

Car, donc, 1) si les plans fonctionnent, et quelle que soit l’alternative, cela servira de blanc-seing aux « acteurs du marché » pour continuer leurs méfaits comme avant ((C’est d’ailleurs en gros la thèse assumée de certaines autorités économiques comme Antonio Delfim Netto, conseiller de Lula et chroniqueur à CartaCapital, en plus d’être un ancien ministre de l’économie sous la dictature brésilienne. Bonjour la référence.)). Autrement dit, rien ne changera structurellement, et les seules victimes réelles de ce petit incident de parcours qu’on appellera la crise des subprimes dans les livres scolaires seront les quelques centaines de milliers de personnes qui auront perdu leurs maisons, les quelques dizaines de milliers de petits actionnaires qui n’auront pas été informés au bon moment qu’il fallait vendre ou acheter, et surtout les quelques centaines de millions de pauvres qui auront, eux, soufferts de la montée des prix et des fermetures de crédit bien plus que les classes moyennes ou aisées ((Toujours selon Delfim Netto, « la crise est la norme » (CartaCapital des 22 octobre et 12 novembre 2008). Il faut donc considérer ses effets comme normaux. En outre, selon lui, le capitalisme en ressort raffermi car il se guérit de ses défauts au fur et à mesure. Le problème, c’est que s’il guérit, à chaque fois il laisse des millions de victimes, et que, toujours selon le même, il y aura des crises à l’infini. Alors, est-ce la peine de soutenir un tel système, dont en outre la nature se réjouit des guerres et profite des crises ?)).

2) Si les plans ne marchent pas, la situation économique mondiale va encore se crisper. Ce ne serait rien si l’économie virtuelle n’avait pas un pied sur la carotide de l’économie réelle. Certes, dans ce cas-là, un plus grand nombre de vrais responsables économiques vont se casser la gueule. Mais il y en aura toujours assez pour continuer à nous tenir par les bourses ((Jeu de mots horrible)). Et ce ne sera de toute façon qu’une maigre consolation en regard de toutes les compressions, rationalisations, restructurations, limitations, restrictions, de tous les gels de salaire, appels à la raison et au calme, mouvements sécuritaires et autres replis racistes.

Pour autant faut-il espérer que les plans fonctionnent ?

Et puis quoi encore ?

Andrew Li-Peng sauve le Monde

Ce titre est une référence directe à l’exxxxcelllent feuilleton radiodiffusé “Andrew Li-Peng sauve le monde” dont vous retrouverez le premier épisode ici. Cat a en outre publié les autres épisodes du même feuilleton sur la page que voici.

Bon, mais plus sérieusement, pourquoi ce titre?

Parce que la Chine sauve le monde, Caramba! Tout le monde le dit, ça doit être vrai.

La Chine, selon les uns, est le dernier bastion du communisme (à part la Corée du Nord et Cuba,k c’est dire l’idée qu’ils se font du communisme), et, selon les autres, l’usine du monde qui s’ouvre au capitalisme et va fooooooooooorcément se libéraliser.

Ahlala, qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre.

Cela dit, qui a proféré les formules magiques suivantes:

“L’économie planifiée n’est pas synonyme de socialisme, parce que dans le capitalisme existe aussi un plan, et l’économie de marché n’est pas synonyme de capitalisme, car il existe un marché dans le socialisme. ((Il faut comprendre ici par capitalisme une économie reposant sur le capitalisme privé.))”

“La différence essentielle entre l’économie socialiste et l’économie capitaliste ne consiste pas en un peu plus de plan ou un peu plus de marché.
“Elle se trouve dans le système de propriété (publique ou privée) qui exerce le rôle dirigeant dans l’économie.”

“De nos jours, aucun pays n’adopte de forme pure une économie de marché ou une économie planifiée, car, d’une manière ou d’une autre, plan et marché sont toujours combinés dans tous les pays (l’un mettant l’accent sur le plan, l’autre sur le marché compétitif).”

Keynes? Di Rupo? Bernanke? Lance Armstrong? Obama?

Non, c’est Deng Xiaoping (dirigeant chinois de 1979 à 1997, Tienanmen-1989 compris), à qui l’on doit probablement la force actuelle montante de l’Empire du Milieu et son influence directe sur la “résolution de la crise” à venir. Il est en effet le père du capitalisme à la chinoise qui a catapulté le pays parmi les puissances émergentes les plus prometteuses (avec le Brésil, l’Inde et la Russie).

La Chine va déverser des centaines milliards de ses dollars ((586, selon le CartaCapital de la semaine dernière.)) de réserves ((Elle en possède plus ou moins deux mille milliards, il y a de la marge.)) pour soutenir son économie réelle ((Selon toute vraisemblance, elle n’a pas l’intention de soutenir le système financier brinquebalant,… elle.)). Ce qui revient à dire que, si elle va effectivement relancer la croissance mondiale, c’est surtout en grignotant encore du terrain sur les économies réelles des régions du premier monde ((Parmi les mesures envisagées et celles déjà lancées, le gouvernement chinois a décidé de soutenir le secteur de l’industrie textile et de l’agriculture, ce qui est sûrement une bonne nouvelle pour eux, mais qui se rappelle de ces années où nous lisions dans nos journaux que les ôôôdieuses manufactures chinoises plombaient les secteurs textiles en Europe en raison des coûts de production ridicules de leurs produits fabriqués par les petites mains de millions de gamins sous-payés -enfin, c’est ce qu’on m’a appris… Mais maintenant que “le système est en jeu”, je suppose que ça n’a plus d’importance…)).

Bon, et pourquoi je râle, moi?

Ah oui: la démocratie…

On m’a dit que le libéralisme -et donc le capitalisme- drainait la démocratie. Que l’économie de marché était le tremplin de la chute des dictatures…
Hm… N’allez pas croire que j’aie jamais cru une seconde dans ces discours fumeux, mais à moins de me détromper, nous sommes à l’aube d’un sauvetage *possible* du capitalisme, de l’économie de marché -et donc de la démocratie ((Hahaha!))- par sa principale et légendaire plus grande opposition dans le monde.

Pas de quoi se réjouir, mais une sévère leçon pour les zozos qui prétendent réduire l’histoire du monde à une équation économico-politique.

La Crise, c’est normal, nous dit le bon docteur

Une autre perle : la crise fait partie du système, il s’en nourrit, il s’en sert pour se perfectionner et devenir chaque fois plus fort. Combien de fois ne l’ai-je pas lu, cet autre poncif. Dernièrement, c’est Antonio Delfim Netto, conseiller de Lula, qui nous a sorti cette petite vérité toute faite dans le CartaCapital du 22 octobre ((Et il l’a répétée dans celui du 12 novembre.)). Pour avoir été ministre sous la dictature juste avant la crise de 1973 et pour être parti avant la fin du « miracle économique du Brésil », il sait sans doute de quoi il parle.

Eh quoi ? Selon ce genre de théorie, ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Serait-ce de nouveau une métaphore du genre vaccin qui nous blinde contre le microbe ? Mais alors, de crise en crise, comment se fait-il que nous ayons toujours un milliard de personnes continuellement menacées par la faim ((Même que selon la FAO, ce repère de gauchistes, évidemment, ça augmente.)) ? Et surtout, comment expliquer que la crise de 1973 nous ait amené à tout déréguler, après que celle de 1929 nous a au contraire incité à tout réguler, et que maintenant on en revienne à des solutions interventionnistes, tout en sachant parfaitement bien que c’est le système qui est malade, et non ses circonstances qui sont difficiles.

Et donc, M. Delfim Netto en est à se réjouir que les crises soient structurelles au système, et de ce qu’elles existent pour renforcer un appareil qui a fait multiplier le PIB des USA 50 fois depuis 1790 -Tout en notant qu’il a bien grimpé sous la guerre civile et la Première guerre mondiale et qu’il a carrément explosé pendant la Deuxième, selon les propres sources de ce personnage. Il faut le faire, évidemment, mais déblatérer ce genre de choses est sans doute plus facile depuis sa retraite dorée que d’un siège d’employé ou d’un poste de soudeur dans une usine

Un autre gugusse, catalogué à gauche (‘fin, au centre-gauche, mais qui est de gauche de nos jours?) par wikipedia, c’est l’économiste français Élie Cohen, qui avait sorti de belles tirades en août 2007.
Parmi lesquelles:

Il faut s’habituer à l’idée qu’elles ne constituent pas des cataclysmes mais des méthodes de régulation d’une économie mondiale que l’on n’arrive pas vraiment à encadrer par des lois ou des politiques.

que l’on peut retrouver à la fois dans le Nouvel Obs et sur Challenges, qui publiaient exactement la même entrevue (comme quoi, on peut se prétendre magazine de gauche et fôlatrer avec l’économie suisse).

Dire que la crise est une bonne chose, c’est rien moins que criminel, surtout pour ceux qui, dans le monde, ont vu le prix des denrées exploser sans alternative, et qui ont été les premiers à se prendre la crise sur la tête, avant les courtiers et les banquiers, qui continuent à vivre gentiment dans des cités dortoires occidentales. Certes, ils devront peut-être revendre l’un de leurs vehicules ou hypothéquer leur seconde résidence. Mais, franchement, je ne vois toujours pas pourquoi j’irais les plaindre. Les moins chanceux d’entre eux devront sans doute renoncer à leur retraite à 45 ans pour la retarder jusqu’à 50. La belle affaire, quand dans le monde la plupart des gens travaillent jusqu’à la mort et ne savent même pas ce que signifie épargner…

Le système se nourrit de la crise et celle-ci le rend plus fort…

On en a décapité pour moins que ça en 1793… On en a fusillé pour bien moins en 1917 et en 1936…

Et si je continue ce post, je serai probablement arrêté pour incitation au crime…

Fausser la concurrence

Des milliers d’emplois en jeu, ce n’est pas nouveau…
Alors, pourquoi aujourd’hui devrait-on sauver telle ou telle entreprise? Ne risque-t-on pas de “fausser” la si jolie et si saine concurrence qui a apporté depuis deux cents belles années cette santé économique dont nos coeurs libéraux se sentent si fiers?

“General Motors demande de nouveau 4 milliards de dollars au Congrès”

Est-ce bien raisonnable?

Les pollueurs européens et japonais (Renault, Toyota et les autres) ne devraient-ils pas s’opposer à cette aide manifeste de l’État qui va leur enlever un nombre considérable de clients potentiels au pays des opportunités?

Je vous l’dis, je ne comprends plus rien à l’économie…

Et la gauche dans tout ça?

Non, non, je ne vais pas vous parler d’Elio, de Ségolène ni de Barack…

Je vous parle d’alternative au libéralisme et au capitalisme ((Vous avez sûrement noté que je distingue bien les deux, hein… Voir les pages Essai et Revoilà pour une tentative d’explication de cette distinction. Pages qui d’ailleurs, malgré les circonstances, n’ont pas perdu de leur actualité.))… J’exclus donc de facto ces sinistres zozos.

Emir Sader, d’ailleurs, dans un article paru ce mois de novembre sous le titre “As crises do capitalismo e do neoliberalismo e a esquerda” ((Le Monde Diplomatique Brasil, novembre 2008, Encarta Clacso, VII.)) évoque le problème qui, coïncidence, me tarabustait depuis pas mal de temps. Oui, et si le capitalisme se cassait effectivement la gueule sans notre aide ((Ce qui nous amènera à nous dire que, décidément, nous n’avons pas à nous enorgueillir de quoi que ce soit dans l’affaire.)), où allons-nous tenter d’amener le monde ((Par honnêteté, je précise que Sader ne croit pas du tout qu’il tombera tout seul, mais qu’il faut l’aider. C’est effectivement fort probable. Donnons-lui un coup de main.))?

“Les solutions? Elles existent…”, comme disait Pierre Desproges. Le problème, c’est qu’il n’existe plus une formation un peu structurée pour les appliquer. Un autre problème, terriblement évident, c’est que s’il existe DES solutions, les zouaves les plus déterminer à prendre les rênes à la place des clowns actuels sont persuadés qu’il faut en appliquer UNE. Enfin, dernier bug, c’est qu’une fois de plus, même si j’approuve le fait qu’il faut trouver des alternatives au capitalisme, je fais partie de ces irréductibles emmerdeurs qui estiment que nul n’est légitime pour “assumer le pouvoir” à la place des clowns susnommés.

De nouvelles institutions? Non: des cercles concentriques, entrecroisés, horizontaux.
Un monde multipolaire? Non: un monde aux pôles indéterminés, innombrables, sans rapports de force.
Des hommes providentiels? Non: les hommes et les femmes doivent compter sur la capacité de millions, de dizaines de millions -je voudrais dire de milliards- de personnes prêtes à assumer un rôle de soutien de la cause publique sans reconnaissance, sans pérennité de pouvoir ni rétribution particulière.

Se souvient-on que le mot ministre vient d’un terme latin qui signifie “serviteur”? Que celui qui se met au service de la chose publique ne devrait s’attendre à aucun privilège et a pour charge d’améliorer, non le sort de l’État, mais celui des habitants?

Les ministres devraient être des millions et être logés et nourris moins bien que les paysans qui nous nourrissent et fournissent coton, lin, laine, chanvre et autres produits de première nécessité qui nous permettent de pêter dans nos costards à l’abri de nos bagnoles pourries.

La gauche, c’est penser d’abord que chaque goutte de sueur dépensée dans l’intérêt commun vaut bien plus que toutes les heures passées à la Bourse, au Parlement ou sur un terrain de sport… et c’est d’en tirer les conséquences. Notamment concernant toutes les professions inutiles ((un aperçu ici.)) que le système économico-politique a créées.