Je lisais l’autre jour un interview en portugais de Jean-Claude Guillebaud. Ne sachant guère qui il était, je me mis à sa recherche -un peu. Il possède un article sur wikipedia où se retrouve l’essentiel de ses thèses.
Celle qui me choque le plus est la suivante: selon Guillebaud, les militants athées (parmi lesquels on compte les laïciens danblonnistes, mais aussi plus sérieusement Richard Dawkins, Christopher Hitchens, Michel Onfray et moi -mais je suis plus discret) opposeraient farouchement raison et foi.
Il n’y a aucune raison de le faire, en effet. Ils ne jouent pas dans la même division…
La foi, le domaine de la croyance, ressortit, non du savoir, mais de mécanismes de protection par rapport à l’inconnu, à ce qu’on appelle le sacré. La raison, la science, le savoir explorent les champs du possible sans s’aventurer dans des considérations métaphysiques.
Un athée, un agnostique ou un croyant raisonnables opèrent d’une même démarche, sans avoir besoin d’opposer deux choses qui n’ont rien en commun.
On pourrait opposer la foi religieuse à la foi des enfants en leurs parents, ou à la foi en l’état, ou à la foi en l’économie, par exemple, puisque certains se demandent si on doit d’abord obéir à son église ou à sa patrie. Mais la foi ne s’oppose pas au savoir, sauf si la première tente d’annuler le second. Mais alors, et c’est là que je me fâche, c’est le tenant de la foi qui s’oppose à la raison en voulant lui soustraire des champs de son action. Et non pas le contraire…
Les dogmes, les livres de contes, notamment ceux que l’on appelle bible, coran, torah ou autres, les mythes et les fables, ont tenté, il y a bien longtemps, d’expliquer ou de commenter le réel. Le langage scientifique étant alors insuffisant, on se rabattait sur des mythes explicatifs qui avaient le mérite de coller à la fois à la réalité et à la culture locales.
Mais le temps a détruit à la fois la structure de la réalité d’alors et la culture de base des mythes. La science permet d’expliquer mieux les phénomènes de la foudre et des feux follets que les curés et les shamans. En outre, un mythe né sur les bords du Jourdain perd beaucoup de son application cultuelle ou culturelle sur les Côtes-d’Armor.
Tenez, un exemple pas trop chrétien: le carnaval en Amérique Latine. C’est sympa et tout ce que vous voulez (bien que dévoré par la pub, le trafic de drogue et la médiatisation), mais le carnaval de Rio n’a plus de lien avec le carnaval traditionnel européen. Rien que parce que le carnaval est une fête du renouveau, du passage de l’hiver au printemps -or, à Rio, on passe de l’été à l’automne. Je ne pense pas que ce soit la base structurelle du carnaval de Rio, d’ailleurs.
La foi se veut intemporelle. Mais son intemporalité ne résiste pas au progrès de la science. C’est pour cela que, cause perdue, mais agressive, la religion a persécuté la science avec une férocité terrible. Quand un Guillebaud avance que l’Église soutint la science à certaines occasions, ou qu’elle a été un moyen de pression innocent dans les mains de méchants dictateurs athées, il gomme ou omet une grande part de la réalité.
Si elles ont parfois soutenu la science (et il faudrait qu’on me le prouve), ce ne fut que circonstanciel ou incidentel. Le discours des religieux est conservateur et passéiste. Le progrès scientifique passe aussi par son application, que la religion n’aime guère (avant parfois de se l’approprier, comme la télé, la publicité, l’informatique ou la médecine qui sauva plus d’un pape mieux que les miracles).
Si les religions ne sont pas responsables de toutes les oppressions, et si elles ne sont pas les seules responsables de celles auxquelles elles ont participé, elles en ont été des facteurs et des bénéficiaires déterminants, sans lesquels on peut se demander si la plupart d’entre elles auraient eu lieu.
Supposition gratuite, parce que, et il faut le lui concéder, Guillebaud rappelle que l’humanité aurait du mal à se passer des croyances. C’est malheureusement vrai (mais peut-être pas des religions). La peur de la mort est enracinée en l’homme qui ne peut que tourner et retourner cette angoissante question du “pourquoi” et du “comment”.
Ça fait toujours ça de pris sur son temps de cerveau actif qu’il ne consacrera pas à réfléchir sur la condition humaine. En revanche, cette angoisse le pousse trop souvent dans l’hyperconsommation qui lui donne l’illusion d’exister. La consommation de bouffe ou de bagnoles, mais aussi la consommation de l’autre (Dom Juan, Torquemada, mais aussi les esclavagistes ou les adeptes du “marché du travail”), la consommation de rêve (plus inoffensive, et même louable à certains égards), la consommation médiatique (dont je suis un adepte, malheureusement), la consommation de l’or, de puissance, etc., etc.
Tout ça parce que l’homme ne parvient pas à se détacher de l’idée de sa mort prochaine. Alors que ce n’est ni un événement, ni une surprise. Qu’il n’y a donc pas lieu de la craindre, puisqu’elle finira par venir.
-Oui, mais justement, et après?
Et après, mon bonhomme? Rien… Justement… Plus de souci, plus de carte de crédit, plus de tiercé, plus d’horaire, plus de dentiste, plus de belle-mère, plus de tour de France (salut, Juju), plus de feuilletons, plus de pape, plus de guerre…
Plus rien.
Et ça, ce n’est pas de l’ordre de la foi, mais bien du savoir.
Croire en une vie postérieure, en la réincarnation, c’est de la foi. C’est une manifestation irrationnelle de l’exercice de l’esprit humain. C’est très bien, c’est gentil et tout, mais ça ne regarde que son détenteur. (enfin, ça devrait…)
Et c’est bien de l’ordre de la foi, pas du savoir.
À ceux, enfin, qui me diront que je ne suis qu’un “croyant de la science”, je répondrai simplement que la science n’est pas un dogme et qu’elle n’a pas de croyant. La science n’a pas à être personnifiée, déifiée, vénérée… C’est une méthode d’observation et d’investigation du réel qui n’est pas la concurrente de la foi, puisque le résultat de la science permet de dire: “je sais” (ou “je ne sais pas”), et non “je crois”.