rapport de forces -ou comment se faire des amis…
Wednesday, September 3rd, 2008En lisant l’intro d’Interventions de Chomsky (( publié chez Penguin Books en 2007. )), je suis tombé sur quelques réflexions de Peter Hart qui déplore le fait que dans les principaux journaux américains (et de citer le Washington Post, le New York Times, le Los Angeles Times et USA Today) la gauche n’a pour ainsi dire pas voix au chapitre.
Les chroniqueurs (columnists) catalogués à gauche sont rares, et beaucoup furent virés durant les dix dernières années, selon son analyse, sous prétexte que, selon certains éditeurs, “le marché décide”.
(Quand on constate la pauvreté de la presse européenne de manière générale et ses rares exceptions, on peut généraliser le débat)
L’argument est démonté par Hart ((mettant notamment en évidence que les chroniqueurs conservateurs n’ont pas plus de succès que les libéraux.)) , mais il oublie une petite chose: tous ces journaux ont des propriétaires et, dans le monde dans lequel nous vivons, au moins en Occident ((Vous savez, cette partie du monde où la propriété privée règne dans le droit.)), ce sont ces derniers qui décident.
Peter Hart a raison d’estimer que les voix de la gauche ne se font pas entendre suffisamment fort, que les conservateurs ont confisqué la plus grande partie des médias, mais (désolé si j’en choque plus d’un, ici) c’est de bonne guerre…
Nous ((La gauche.)) avons accepté depuis très longtemps le combat sur le terrain de la droite, là où, pour être efficace, nous aurions dû gagner en quelques décennies… Cependant, ce terrain, j’en suis aujourd’hui convaincu, était trop favorable à la droite, aux conservateurs. D’abord parce que les moyens en présence étaient considérablement plus importants de leur côté. Le rapport de force en leur faveur était évident. La masse capitaliste, considérant qu’un franc égale une voix, était tout à fait à leur avantage. Pendant quelques dizaines d’années, disons entre 1866 et 1936, il est possible que la masse humaine eût pu faire pencher les plateaux de la balance en notre faveur, mais trop des nôtres, même sincères, ont accepté de batailler dans la “voie de la démocratie”, sous des prétextes humanitaires que l’on peut comprendre (ce que je fais) et approuver (ce que je ne fais pas), mais qui, historiquement, nous l’ont mis bien profonde…
Ensuite, et les deux arguments se valent, il y avait trop de monde dans nos rangs qui ne désirait pas réellement gagner, mais bien “jouer le jeu” de la démocratie, faire balancer les plateaux alternativement d’un côté et de l’autre pour équilibrer les forces en présence, dans l’idée que la société se construit sur base du pluralisme des idées… alors même que celles de la gauche et celles de la droite, si elles sont franches, sont inconciliables ((l’une reposant sur la propriété privée, l’autre la dénonçant.)).
Bref, nous n’en sommes pas sortis indemnes.
Les lieux où le rapport de force nous est favorable n’existent tout simplement pas. S’il fallait compter sur les masses populaires, la corruption des syndicats, des partis, des républiques socialistes a fait le ménage pour la droite et de moins en moins de gens y croient -qui leur donnera tort? Quant aux élections, elles montrent qu’à de rares exceptions près ((qui risquent bien de n’être que des accidents de parcours pour les conservateurs, et même au pire de solides cautions au système qui les maintient en place.)), les gens même les plus humbles votent le plus souvent contre leurs intérêts. Les élections montrent régulièrement que les figures médiatiques l’emportent sur les défenseurs de leurs droits. Sarkozy en France, Collor au Brésil en sont deux exemples manifestes, mais il serait assez aisé d’en faire un décompte plus important -par contre, pratiquement impossible de le rendre exhaustif.
Les lieux où nous pouvons compter des alliés sont ceux où les hommes vivent contre ou sans la propriété privée. L’impérialisme du capitalisme aidant, ces lieux sont de plus en plus rares.
Et ils sont principalement dans la tête d’individus…
C’est dans cette analyse de la défaite d’une bataille qui s’est jouée dans les idées, dans les confrontations, mais pas tellement sur le terrain (occupé par la guerre des blocs où seules les ambitions se jouaient pour la direction du jeu), que nous nous trouvons confrontés à un problème difficile à surmonter: sommes-nous capables de mener la bataille sur notre terrain, en dehors du rapport de forces imposé par les princes de la concurrence?
Première étape, en outre: tous les hommes et toutes les femmes de gauche sauront-ils bien identifier à la fois le problème et le prochain champ de bataille?
On n’est pas près de rigoler…