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Citoyenneté fiscale

Monday, April 15th, 2019

Je faiblis sur les titres au fur et à mesure que je me sens plus fort dans les concepts. Si quelqu’un se sent de m’envoyer un bon titre, n’hésitez pas à m’écrire…

Horizontales et verticales

Du diable si je me serais attendu à traiter de ce sujet il y a encore dix ans. Mais depuis lors, je suis passé par le Brésil libéral -et on voit ce que ça donne.

J’ai vieilli sûrement.

La réalité de l’Union Européenne m’accable aussi de plus en plus. La toute petite chance qu’elle pût être porteuse d’une démocratie internationale et sociale -mais vraiment toute petite-, n’a jamais existé. C’est une immense tromperie. Il est temps que notre fibre sociale et internationale s’en rende compte.

Il n’y a pas d’Europe sociale à espérer. Ni d’Europe démocratique. Ni même d’Europe.

Alors, la plus horizontale, la plus valable possible des réalités démocratiques doit être envisagée. La plus sociale aussi. Pour qu’une telle chose puisse avoir lieu -pour que la démocratie puisse être réelle, juste, sociale, horizontale, et qu’elle corresponde aux besoins de la plupart des gens-, je crains que l’anarchie ne soit pas la solution.

Je ne dis pas que la nature humaine ne puisse la supporter, non, puisque je la supporte et que je suis humain. Je connais plein de libertaires et d’anarchistes. L’anarchie est donc une réalité. Mais elle n’est pas généralisable à l’humanité entière.

La nationalité, c’est le fait de faire partie de la nation

La nation est un concept vertical, évidemment. Cependant, il s’agit d’un mécanisme à double entrée.

Première entrée: la lutte contre le nationalisme est légitime lorsqu’il déborde et devient impérialisme. Cependant, on peut s’interroger sur la légitimité de la translation “nationalisme” => “impérialisme”. Je suggère de ne pas en discuter ici.

Deuxième entrée: à l’origine, le nationalisme était un véritable progrès historique. La nation était l’ensemble des individus associés sous un seul terme; ils se distinguaient à la fois négativement -par rapport aux autres nations-, mais aussi positivement -en ce qu’ils jouissaient de la même qualité. Le développement de la nation est donc un facteur d’égalité.

Il n’y a pas à dire: s’il y a bien un phénomène dont nous sommes redevables à la Révolution française, c’est bien de la réalisation de ce que tout le monde peut participer à la réalité politique et sociale de la nation.

Et quand je dis tout le monde, c’est tout le monde.

La nationalité, c’est la citoyenneté

Article 4 de la Constitution de 1793. – Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; – Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année – Y vit de son travail – Ou acquiert une propriété – Ou épouse une Française – Ou adopte un enfant – Ou nourrit un vieillard ; – Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité – Est admis à l’exercice des Droits de citoyen français.

Les femmes n’étaient malheureusement / évidemment pas incluses dans l’exercice politique. Le patriarcat ambiant n’y avait pas préparé la plupart des révolutionnaires ((Mais contrairement à ce que l’on a l’habitude de penser, les plus progressistes dans le domaine n’étaient pas les Girondins. Robespierre avait plaidé pour le vote “par feu” -c’est-à-dire par foyer, ce qui signifiait que dans de nombreuses localités les femmes étaient souvent admises au vote lorsque le foyer était monoparental. Il faut aussi noter qu’en cela il n’innovait pas: la coutume donnait fréquemment l’occasion aux femmes de s’exprimer. Ce qui nous amène d’ailleurs sur un autre sujet, abordé par François Bégaudeau: la démocratie se fait-elle dans le silence de l’isoloir ou dans la délibération collective?)). Cependant, on notera le caractère novateur de cet article: le citoyen n’est pas celui qui est né sur le sol de la patrie, mais bien celui qui s’y rend utile pour la collectivité.

Pourquoi se limiter à “vingt et un ans accomplis”? Les “young for climate” sont en train de nous montrer qu’il y a plus à attendre de leur génération que de toutes les boules de billard qui pourraient remplacer Charles Michel.

La grande Révolution réunissait en 1789 des ressortissantes et ressortissants de nombreuses origines différentes: Suisses (comme Jean-Paul Marat), Anglais (Thomas Paine), pré-Belges (le fantasque Cloots), pré-Italiens (tel Philippe Buonarotti), etc. Théroigne de Méricourt aussi venait de chez nous.

Ils étaient reconnus ‘nationaux’, elles étaient reconnues nationales, parce qu’ils s’étaient engagés dans la Révolution qui venait, parce qu’elles agissaient pour la République.

Aujourd’hui, celle ou celui qui paie ses impôts contribue à l’enseignement des enfants et au paiement des pensions. De fait, il ou elle vit de son travail -au pire, travaille à en trouver -mais en attendant paie bien des impôts de toute façon -et agit pour la collectivité. Qu’est-ce qui justifierait de ne pas l’intégrer à la vie politique?

Le paiement de l’impôt, c’est la condition de la citoyenneté

Je me fais l’écho de Frédéric Lordon qui pose souvent le débat de la nationalité -et pour lequel on l’assimile parfois au camp “rouge-brun”.

Dans le livre “La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique”, publié chez Babel ((Après Les Liens qui libèrent.)) en 2015, il pose comme base de la citoyenneté le fait de payer des impôts. Qui ne paie pas d’impôts (il prenait l’exemple, pour la France de Bernard Arnault, Jérôme Cahuzac, Johnny Hallyday et Gérard Depardieu) devrait être privés de la nationalité française, alors que Mamadou et Mohammed qui triment et paient leurs impôts régulièrement en dépit de leur naissance étrangère, eux, devraient en bénéficier automatiquement.

Ainsi, qui paie ses impôts sur l’ensemble de ses revenus (capital et travail réunis) est déclaré citoyenne ou citoyen de plein droit: expression politique, droits civiques, droit aux soins, droit à l’instruction de ses enfants, etc. De fait, au lieu de fixer un âge à l’exercice des droits civiques, on pourrait tout simplement l’associer à la paperasse rose saumon sur fond blanc.

A contrario, qui ne les paie pas ou est surpris à ne pas en payer la juste qualité perd ses droits civiques.

Les riches chassés

Si la fiscalité chasse les riches, ou en tout cas celles et ceux dont la cupidité est plus forte que la citoyenneté, cela ne signifie pas qu’elle chasse les talents.

Le talent, c’est l’envie de faire quelque chose. Ca, c’est du Brel. Il faut avouer que c’est balaise. Ce qui nous intéresse, c’est le talent brélien de gauche: l’envie de faire quelque chose pour la collectivité.

Que les fuyards chers et infidèles nous quittent! Nous n’en voulons pas. Si la citoyenneté ne les intéresse pas, les droits et avantages nationaux ne devraient pas plus leur revenir.

Par “nationaux”, nous entendrons “qui se rapportent à la collectivité entendue comme telle par l’ensemble de ses membres”. Je vous avoue que je n’ai pas tiré ça de mon pouce, mais de celui de Shlomo Sand, pour qui peut se définir “peuple” tout ensemble d’individus qui aspirent à être rassemblés comme tel.

Le principe ethnique du peuple ne nous intéresse pas, mais bien celui de choix délibéré des individus à faire partie d’un ensemble, quel que soit le nom que l’on donne à cet ensemble. Communauté, collectivité, cité, pays, peuple, nation…

La légitimité de cet ensemble repose sur le désir d’en faire politiquement partie -rien d’autre. L’histoire, la religion, la géographie devraient au mieux être seconds.

Le talent de la citoyenne et du citoyen, c’est le désir d’appartenir à la cité et d’exprimer ce désir par le fait de participer pleinement à son existence par le juste retour sur les avantages qu’il en retire, retour exprimé, dans mon esprit, sous forme de l’impôt sur l’ensemble de ses revenus. En toute égalité.

Les riches refusant de passer à la caisse auront d’ailleurs une récompense à la mesure de leur civisme: un jet de catapulte vers la mer. Sans yacht ni bouée.

“Qu’est-ce qui est jaune et qui n’attend plus?”

Monday, March 18th, 2019

Si on me l’avait dit, je dois avouer que je n’aurais pas cru que le jaune aurait été vraiment la couleur qui m’identifie… Le rouge, le noir, le mauve, oui; à la rigueur le vert… Bon, pas le bleu, sinon celui du ciel… Mais le jaune… Surtout parce que le jaune a un sens symbolique politique fort: c’est la couleur du briseur de grève. Donc, jusqu’au mois de novembre dernier, on ne peut pas dire que ce soit évident.

Bien entendu, c’est aussi la couleur du soleil. De plein de soleils différents.

Mais de toute façon, rien ne prépare l’importance d’une couleur dans l’histoire. Le drapeau français était inattendu, le drapeau rouge pas plus… Alors s’il faut porter du jaune -en plus il est dispo dans la voiture, obligation légale -le ver dans le fruit est toujours caché et le pouvoir porte toujours en lui ce qui le détruira de l’intérieur.

On ne lâche rien.

On ne condamne pas “les violences”, en tout cas pas celles des gens qui portent cette colère. Pas question! La violence, c’est celle du grand patronat et de ses sbires aux commandes.

Il faudrait d’ailleurs qu’ils fassent tout doucement attention: qu’ils préparent soigneusement leurs portes de sortie, parce que je ne garantirais pas que toutes et tous les GJ soient dans le même état d’esprit qu’un Jérôme Rodrigues, qui est capable de rester calme et posé devant des présentatrices et présentateurs de chaines d’information.

On n’a pas affaire aux Nuits-debout, ici, mais bien à des gens qui sont en souffrance. Ce ne sont pas de gentils étudiants qui peuvent alterner une garde à la Bastille (ou ailleurs) et un verre en terrasse. Non, ce sont des gens pour qui les 5 euros de baisse d’APL compte, pour qui une augmentation de taxe carburant est une de trop, ce sont des gens qui pleurent de ne pouvoir engager personne parce qu’ils sont incapables de planquer leur argent en Suisse ou au Luxembourg -et qui ne le veulent pas non plus. Je ne suis pas en train de les dorer -ils l’ont fait tous seuls-, parce qu’il n’y a pas que des anges parmi eux. Mais justement, ce ne sont pas des anges qui ont pris la Commune (anniversaire), ni non plus qui ont mis la Montagne au pouvoir.

Ce n’est pas avec des anges qu’on fait la Révolution, parce que la Révolution est une violence contre une violence.

Il n’y a pas de Révolution s’il n’y a pas une violence qui la déclenche -celle du pouvoir.

Il ne reste plus qu’à attendre, du côté des intellos qui se posent en soutien, une alliance improbable entre Delaume, Plenel, Ancelin, Onfray, Chouard, Mélenchon et les siens,…

Il faudrait qu’ils et elles oublient qu’ils sont devant et qu’ils et elles doivent suivre les GJ, et non pas les précéder. Ca, certains l’ont déjà compris (Perret, Todd, Branco, Pinçon-Charlot et son mari, Bégaudeau, et bien d’autres…).

Arrière-garde d’intellos ((Bon, pas Perret, évidemment.)) pour les soutenir -et surtout pas pour les récupérer!

Et il faut encore que ce soit la France qui montre l’exemple, bordel!

Les limites de l’espace de discussion

Wednesday, February 6th, 2019

Ce qui vient ci-dessous est une hypothèse de travail. Les limites des cercles et des rectangles ne sont pas scientifiques, c’est de l’à-peu-près qui doit être affiné, évidemment. J’ai volontairement évité de mettre des noms de personnes ou de partis.

Par contre, l’UE et ses traités sont là et bien là.

Cliquez pour agrandir:

liberté, égalité, protectionnisme?

Sunday, December 16th, 2018

Exercice de style.

Comme je suis sur le point de terminer une publication papier, je pose quelques bases, en guise de test.

***

En économie, rien n’est simple, pas plus qu’en politique. Pourtant, s’y intéresser est crucial. Cela nous permet de comprendre le fonctionnement de nos adversaires. Et, avant même cela, de les identifier.

Est-il notre ami, celui qui défend l’ouverture des frontières?

Oui, s’il s’agit des frontières interdisant le passage des êtres humains. Mais qu’en est-il du libéral bleu-noir pour qui toute contrainte au marché des biens et des services est une abomination?

Si par ami on entend l’agréable convive capable de raconter des blagues de bon goût et de faire une critique constructive du dernier film à la mode, c’est probablement un ami.

Si par ami on entend quelqu’un qui nous veut du bien, le doute est permis.

Le libre-échange n’est pas une source d’égalité et de satisfaction des besoins. Le libre-échange est le développement de la concurrence entre toutes les travailleuses et les travailleurs du monde entier. Le libre-échange n’est pas source de prospérité partagée, mais de concentration des richesses entre des mains toujours moins nombreuses et plus égoïstes. Le libre-échange, c’est l’augmentation des opportunités pour celles et ceux qui en débordent déjà. C’est l’occasion de faire pression sur les plus pauvres en les menaçant de délocalisation.

Même au sein des forces conscientes du capitalisme et de la politique dominante, il arrive que l’on s’en rende compte. La conscience du danger que représente le libre-échange est vieille comme le capitalisme anglais. La prospérité de l’empire britannique s’est faite sur un espace séparé du reste du monde. Pareil pour l’empire étatsunien, dont le succès à la fois économique et démocratique fut le fait du parti républicain (anti-esclavagiste et protectionniste) contre le parti démocrate (esclavagiste et libre-échangiste).

1884: “Le parti républicain étant né de la haine du travail d’esclave et du désir que tous les hommes soient libres et égaux , il est irrévocablement opposé à l’idée de placer nos travailleurs en concurrence avec quelque forme de travail asservi que ce soit, en Amérique ou à l’étranger” ((Cité par Serge HALIMI dans Les puissants redessinent le monde, in Le Monde Diplomatique, juin 2014, p. 11. Halimi ajoute: “A l’époque, on pensait déjà aux Chinois.”))

On peut douter de la sincérité du parti républicain, que ce soit à cette époque ou aujourd’hui. Pour autant, le raisonnement tient. Les Chinois utilisés par les compagnies ferroviaires étaient sous-payés et maltraités. Les actionnaires de ces entreprises se gorgeaient sur leur dos pendant que les ouvriers terrassiers étatsuniens végétaient dans le sous-emploi. Le raisonnement se tenait et il se tient toujours: du côté ouvrier, ni les Chinois, ni les Etatsuniens n’y gagnaient.

Nous nourrissons le désir de voir -un jour- l’ensemble des travailleuses et travailleurs du monde entier jouir des mêmes droits et libertés, que ces droits et libertés soient les plus élevés possibles, qu’il n’existe plus de concurrence, que la coopération et l’entraide soient la règle, mais nous savons qu’aujourd’hui l’ordre international, mené tant par l’OMC que par l’ONU, ne permet pas de concrétiser ce rêve.

Nous pensons que, stratégiquement, le protectionnisme social et environnemental est une clé pour le développement humain et mondial. Une clé, pas une solution définitive.

Si un territoire A représente un lieu de marché de consommation pour un territoire B, il nous semble juste que la population A, également productrice, ne soit pas confrontée à une concurrence déloyale, due au fait que la population B, également productrice, soit sous-alimentée, sous-protégée et qu’elle utilise des modes de production moins chers parce que plus polluants.

Qu’on le veuille ou non, poser des conditions à l’importation de biens dans un territoire sous prétexte de protections sociales ou de critères environnementaux, cela s’appelle du protectionnisme.

Qu’on le veuille ou non, la démocratie s’est développée dans des territoires séparés des autres par des frontières. Les empires se développent, autoritaires et expansionnistes. Les démocraties définissent des corps de citoyennes et citoyens, ce qui n’a pu se faire, dans l’histoire, que dans des réalités structurées, relativement étroites, dans lesquelles les gens parlaient un nombre de langues limitées, avaient des critères de fonctionnement social et économique relativement similaires. Les solutions acceptées par une population fonctionnant de manière démocratique tournent autour de concepts établis historiquement, géographiquement et anthropologiquement. On peut -et on doit- les faire évoluer, vers plus de démocratie, plus d’égalité, plus de liberté. On peut même imaginer de les révolutionner, mais cela doit se faire dans l’esprit que nous agissons pour la population, et non contre elle.

La coopération internationale, entre petits groupes, est tout à fait légitime: il est juste et bien de se parler entre syndicalistes de tous pays, de tenter d’aider des forces de résistance qui correspondent à nos idées; de même qu’il est raisonnable et humain de soutenir et d’aider, individuellement, les personnes en fuite ou en détresse, quel que soit le nom que la presse ou les politiques leur donnent.

Mais cela n’a rien à voir avec la diplomatie entre États ou le commerce international. Ce sont des lieux de pensée radicalement différents. Et cela ne signifie pas non plus que nous nous pliions aux règles du plus souple pour faire plaisir aux travailleuses et travailleurs les plus exploités.

Si nous voulons développer des systèmes économiques et sociaux justes, ici et ailleurs, nous ne pouvons pas encourager la concurrence entre ce que nous estimons juste et ce que nous estimons injuste. Nous devons toujours encourager le système le plus égalitaire et le moins impactant sur l’environnement.

Il ne s’agit pas d’interdire les relations commerciales avec des pays moins-disant fiscalement et moins exigeants sur le plan environnemental, mais de les encourager à s’améliorer sur ces points.

***

Mais il y a plus, bien plus.

Comme on l’a vu avec les négociations du TAFTA (qui n’ont à ce jour pas abouti et qui pourraient bien ne pas le faire tant que le camarade Trump reste aux commandes), le libre-échange tend à faire disparaitre (à “aplanir”) les règles de fonctionnement du marché: toute règle est une entrave; moins il y a de règle, plus la concurrence entre les forces productives est importante ((Le TAFTA était autant une menace pour les populations européennes qu’étatsuniennes.)). Les marchés s’ouvrent, mais c’est pour mieux détruire les entreprises socialement et environnementalement plus développées.

Détruire les règles qui entravent le commerce, poser dans le droit international cette destruction, c’est tenter de passer outre la démocratie qui a pour objectif de servir les populations et non l’économie.

Quant aux règles restantes, les grandes entreprises et fonds d’investissement aspirent à ce qu’elles soient arbitrées par des cours indépendantes des États.

Le libre-marché est une menace pour la démocratie.

Mes collègues profs et leur passivité

Saturday, December 15th, 2018

“Les enseignants, qui constituent l’un des coeurs sociologiques de la gauche, sont faiblement menacés par l’évolution économique. Contrairement à ce que suggère la rhétorique ultralibérale, qui insiste pour que toutes les conduites humaines soient déterminées par l’appât du gain ou la peur de la perte, les professeurs font fort bien leur travail, en l’absence de risque de marché. Mais, n’ayant pas à craindre au jour le jour le licenciement ou une compression de leur salaire, ils ne se sentent pas menacés d’une destruction économique, sociologique ou psychologique. Ils ne sont donc pas mobilisés contre la pensée zéro. Sans être le moins du monde “de droite”, statistiquement, ou favorables au profit des grandes entreprises, ils sont atteints de passivisme et peuvent se permettre de considérer l’Europe monétaire et l’ouverture aux échanges internationaux comme des projets idéologiques sympathiques et raisonnables. Ils ne sont aucunement “bénéficiaires” car, si aucune souffrance économique directe ne les atteint, ils subissent de plein fouet les effets sociaux indirects du chômage, à travers des élèves difficiles, rendus violents par le contexte de décomposition sociale et familiale. L’acceptation implicite de la gestion économique par cette catégorie sociale, idéologiquement et statistiquement beaucoup plus importante que les “bourgeois” ou les haut fonctionnaires, assure la stabilité européiste et libre-échangiste du Parti socialiste, dans ses tréfonds militants et non pas simplement parmi ses dirigeants. On peut ici formuler une prédiction de type conditionnel: si les enseignants viraient sur les questions de la monnaie unique et du libre-échange, la pensée zéro serait, du jour au lendemain, morte, et l’on verrait se volatiliser les prétendues certitudes du CNPF et de Bercy.”
(Emmanuel TODD, L’illusion économique, Gallimard Folio, Paris, 1999, p. 316-317)

Pourquoi reste-t-elle une référence malgré tout ?

Monday, May 14th, 2018

Ce qui fait l’originalité, la spécificité, la force de la Révolution française de 1789 est affaire de débat. Certains la considèrent toujours comme l’événement le plus important de l’histoire française, d’autres voudraient en minimiser la portée, et quelques gradés aspirent à ce qu’on la range au mieux aux oubliettes, au pire dans les geôles des monstres historiques. Il faut dire qu’elle n’est pas facile à cerner. On peut passer sa vie à l’étudier, elle restera en grande partie dans l’obscurité, tant les traces, les faits, les interprétations qui la concernent sont nombreuses ((Je m’engage dans l’accord par proximité.)).

Et si c’était justement de ce côté-là qu’il fallait se tourner pour saisir la raison de l’engouement de tant de gens pour cet événement de moins d’une décennie (1787-1795) ?

La Révolution française de 1789 a peut-être bouleversé l’Europe, et même en partie le monde (celui des colonies, au moins, mais même au-delà), par les changements qu’elle a apportés, mais sans doute ni plus ni moins que le Traité de Westphalie, la Réforme ou l’invention du moulin à vent. Ce qui marque, dans 1789, c’est tout autre chose ; si tant de gens s’y retrouvent, et si tant d’autres sont capables de la fustiger, c’est qu’on y distingue justement les traces de myriades de facettes de l’humanité.

La Révolution française de 1789 est sans doute le premier événement de l’histoire humaine où purent s’exprimer longuement et nettement autant d’individus, dans leur évolution et dans leur complexité, et de telle sorte que nous en ayons gardé trace. Jusque là, même lors de la Révolution anglaise de 1642-1651 ou lors de la Guerre d’Indépendance des colonies britanniques du Nouveau monde, encore plus bien sûr quand il s’agissait de luttes entre deux princes, deux ministres ou deux pays ; ou même lorsqu’il s’agissait de révoltes paysannes locales, voire régionales, les points de vue en présence étaient relativement limités, et en tout cas, si une révolte paysanne faisait écho dans la grande histoire, on n’en gardait trace que de morceaux de discours d’une poignée de chefs ou d’inspirateurs au mieux. Ainsi la révolte de Jan Hus ou celle de Thomas Münzer, par exemple. Nous ne savons rien ou presque des contradictions qui pouvaient miner ces mouvements. Et il devait y en avoir, du moins devons-nous le supposer : les hommes se dressent contre un ennemi commun avec force et vigueur quand ils en ressentent le besoin, la nécessité, mais aussi quand ils en ont la force. Lorsqu’une révolte traine en longueur, comme celle de Münzer, les impératifs de chacun se rappellent à des moments différents. La moisson, une femme qui accouche, un père qui meurt, la fatigue, la maladie, mais aussi les évolutions, les contradictions, les scissions…

Les mouvements de foule, de masse, les multitudes, si elles sont effectivement si remarquables dans leur unité, ne sont que des ensembles d’unités capables d’autonomie. On ne peut mener des milliers, et a fortiori des centaines de milliers de gens pendant des années à une mort identique que s’ils sont un tout petit peu disciplinés et en tout cas embrigadés. Cela explique peut-être les Pastoureaux et certaines croisades. Evidemment nous savons très peu de choses sur ce que pensaient ces milliers de gens qui circulaient sur des centaines de lieues. Mais, peut-être autant que la répression, cela explique aussi l’apparence velléitaire des luttes sociales avant la Révolution française (et même en partie celle de la Vendée).

La Révolution de 1789 rompt avec le passé en ce que, soudainement, en quelques semaines à peine, dans un contexte intellectuel favorable, ce ne sont plus quelques individus ou même quelques dizaines d’individus qui poseront leurs bagages de désirs et de revendications, mais des milliers, des dizaines de milliers, voire même bien plus. Et il y a mieux : non seulement ce sont des individus innombrables, mais en plus ce sont des individus qui n’avaient pas l’habitude d’avoir le droit de s’exprimer. Soudainement, les seigneurs n’avaient plus le pouvoir de contraindre les habitants de leurs fiefs à une pensée religieuse, binaire et commune. Et aussitôt, on s’aperçut que ces milliers de milliers de personnes étaient capables de penser des choses différentes, des choses extrêmement différentes et opposées.

Les Lumières étaient passées par là, bien sûr, mais également l’alphabétisation, la contraception, le rejet ou en tout cas le scepticisme vis-à-vis de la religion ; la France était à cette époque à un tournant de l’histoire des populations : elle est le premier pays à avoir franchi un ensemble de barrières sociales dans l’histoire. Si les régions restaient très différentes dans leur ensemble, et si les niveaux de progrès y étaient très différents, cela n’allait qu’encourager la diversité des positions en présence au moment du conflit qui allait les exacerber et leur servir de terrain de jeu.

Tout à coup, avec les assemblées électives, les cahiers de doléances, les sociétés populaires, les clubs et les sections, on donnait l’occasion à une quantité gigantesque d’individus de s’exprimer. En plus, leurs dires allaient être transcrits, imprimés, publiés, envoyés dans toute la France, si eux-mêmes ou d’autres les estimaient pertinents. Certes, les passions ne produisirent pas que du bon. Mais ces myriades d’individus allaient écrire de toutes nouvelles pages de l’histoire : celles du débat, de la pensée active, du militantisme…

Cette multiplicité énorme de points de vue est aussi une multiplicité énorme d’intérêts plus ou moins divergents. C’est ainsi que l’on pouvait trouver des esprits sincèrement altruistes dans différents groupes identifiés en présence, et des esprits corrompus ou purement intéressés dans les mêmes. Si Robespierre et Saint-Just étaient probablement les plus désintéressés des Montagnards, Marat chez les plus avancés des démocrates, il y a fort à parier pour que Brissot chez les Girondins et Barnave chez les Feuillants étaient aussi sincèrement convaincus de la légitimité de leurs idées, alors que dans le même temps des personnalités comme Fouché, Danton, Hébert, Vergniaud ou Mounier s’étaient, eux, embarqués dans leurs groupes d’influences par pur calcul personnel plutôt que par affinités.

La Révolution permet également pour la première fois à de nombreux hommes de s’exprimer librement. Et pas seulement quelques esprits libres, isolés et ignorés, comme Cyrano ou Meslier, mais des hommes par milliers, dont les qualités les rapprochaient de Molière ou Voltaire, mais sans la nécessité de se plier aux désirs d’un prince.

Il n’y avait plus d’entrave à l’expression. Tout un chacun pouvait dire ce qu’il désirait. Cela allait si loin que le pays fourmillait des appels à la lanterne, puis à la guillotine contre des individus nommés ou clairement désignés. Les limites à l’expression ne se déclarèrent à nouveau qu’au fil des lois qui, par exemple, interdirent de se faire le héraut de la loi agraire ou d’en appeler à une manifestation de corps de métier, avant d’empêcher légalement les réunions de groupes fermés d’individus. On ne s’étonnera pas que ces lois sanctionnaient principalement des révoltes contre la liberté de commerce et la liberté d’exploitation de la main-d’oeuvre. On n’interdisait à personne d’encore appeler à la haine d’untel ou à l’exécution d’un autre. Il n’y avait plus de crime de lèse-majesté et il n’y avait pas encore non plus de principe légal de diffamation, même si tout journaliste pouvait se voir légalement attaqué, comme ce fut le cas d’Hébert ou de Desmoulins, non pour des actes clairs, mais pour ce qu’ils écrivaient. Manifestement, l’expression n’était libre que dans une certaine mesure, surtout à partir de 1793, et cela dès avant la chute des Girondins, puisque la première cible journalistique de la loi fut Marat.

Cette limite mise à part, nous voyons un événement qui, dans l’histoire, n’a aucun précédent. Des feuilles par centaines et des publications par milliers se manifestèrent dans tout le pays, dès 1789, puisque la censure disparut à cette époque-là. Générosité réelle ou erreur stratégique de l’autorité royale ? Difficile à dire dans l’état de mes connaissances. Ce qui est certain, c’est que tout de soudain, le peuple français devenait aussi souverain éclairé que n’importe quel Joseph II d’Autriche.

Un indice clair de ce que j’affirme ici plus haut se trouve dans l’histoire de la période qui suit directement celle de la Révolution. Le Directoire (1795-1799), dont certains historiens regrettent le mauvais traitement ou l’absence d’intérêt de nombre de leurs collègues dure autant que la Révolution, ou presque (1789-1795), son historiographie est beaucoup moins épaisse et les passions qui l’entourent bien moindres. Mais le calcul est simple, pourtant ; ce n’est pas tant un problème de personnalité des individus acteurs du Directoire ou de qualité de l’événement en soi. Le Directoire possède immanquablement bien des qualités, surtout si on ne le compare pas à sa parente directe. Le Directoire aurait pu se faire valoir comme un aboutissement modéré de la Révolution et montrer une bourgeoisie parvenue à quelque chose qui ressemble au compromis de la Glorieuse révolution de 1688. Pourquoi pas ? Bien sûr, il fut balayé par la guerre et la nécessité du généralat tant décrié par Saint-Just, Billaud-Varenne et Robespierre. Mais sa chute n’en fait pas son déshonneur, sinon celui de la Révolution française serait aussi sombre. Non, ce n’est pas cela qui fait l’amoindrissement du Directoire par rapport à la Révolution de 1789.

Ce qui différencie le Directoire et les six années précédentes, c’est la diversité et la multiplicité des individus qui s’en faisaient les acteurs. Alors que l’on pouvait trouver des éléments de discussion vastes, pertinents et se mouvant à travers tout le pays, et pas seulement de Paris vers les départements, mais aussi des départements vers Paris, ceci s’arrête progressivement, puis tout à fait, à partir de la mort de Brissot, de Vincent et Ronsin, puis de Robespierre, et enfin de Babeuf, mais aussi la chute de la plupart des mouvements populaires et la fermeture des journaux les plus créatifs.

La Constitution de 1795 marque sans doute une véritable rupture, mais les sociétés populaires persistent encore quelques années. Les discussions ne s’arrêtent pas, mais désormais de plus en plus souvent les délégués, fonctionnaires, officiers, etc., sont nommés par l’autorité supérieure, et non plus par un corps souverain de base (pour ne pas dire inférieur).

Une véritable organisation démocratique par la base s’était installée spontanément à partir des assemblées primaires de 1789, puis de ses héritières, les sociétés populaires, les sections, les clubs, les districts, qui se nourrissaient de bases actives, mais qui, fatiguées, affamées et décimées, ne purent résister à la réorganisation pyramidale qui se manifesta de plus en plus, mais pas seulement à partir de 1795 : c’est dès 1793 que le gouvernement girondin, puis le gouvernement montagnard, limitèrent la possibilité d’organisation spontanée. On ne saurait, par sympathie ou par désir idéal, se voiler les yeux, mais il ne faudrait pas non plus oublier les raisons de cette tendance. En ce qui concerne le Directoire, les motivations sont claires : il s’agit de réduire le demos de la démocratie aux seuls décideurs valables, c’est-à-dire aux propriétaires.

Par contre, en ce qui concerne la période de l’an I à l’an II, il ne s’agissait pas de détruire la démocratie par idéologie autocrate, mais de faire face à une situation de guerre et d’urgence ; de guerre externe et de guerre interne. La spontanéité et la diversité, aussi souhaitables pussent-elles apparaître, même aux plus doctrinaires et aux plus idéalistes de nos révolutionnaires, en temps de paix, devenaient des obstacles à la victoire ((Aussi, n’oublions pas à qui la Révolution devait cette guerre.)).

* * *

Il fallait réduire, non pas la diversité des points de vue ou leur expression, mais brider leur impact sur l’efficacité du gouvernement révolutionnaire dans la guerre qui avait été déclarée en 1792. La spontanéité de la base fut pourtant aussi un avantage pour commencer la guerre, même si elle en fut un obstacle : les deux premières levées, celle de 1791 et celle de 1792, furent de véritables succès : les volontaires allèrent en masse où il le fallait ((Sans doute aidés par l’idée qu’ils ne s’engageaient que pour une seule campagne.)) pour défendre la révolution, qui n’était même pas encore républicaine. Malheureusement, sans organisation économique suffisante, et avec un gouvernement manifestement contre-révolutionnaire, la logistique ne suivit pas et les bataillons n’étaient ni prêts ni armés au moment où il fallait affronter de véritables professionnels. Le nombre et l’enthousiasme y suppléèrent, ce que l’on vit notamment à Valmy. Tout à coup, la guerre découvrit l’importance de l’implication de ses soldats, au-delà de sa discipline. Les hommes de Valmy ne voulaient pas céder. Et ils ont tenu, alors qu’ils n’avaient pas eu le temps de se former comme l’avaient eu leurs vis-à-vis de l’autre côté du champ de bataille. Ces derniers en furent sans doute frappés, étonnés, déstabilisés. Goethe, présent à cette occasion, en fut totalement retourné ((« D’aujourd’hui et de ce lieu date une ère nouvelle dans l’histoire du monde. »)).

Les hommes de Valmy venaient pour beaucoup directement de Paris. C’était des savetiers et des tailleurs, comme une expression intéressante le rappelait, qui avaient repoussé la première armée du monde. Et comment avaient-ils pu faire cela sinon en ayant eu dans les oreilles et sous les yeux les mots qui leur avaient permis de saisir l’importance de leur appartenance à un corps supérieur à eux-mêmes, connu sous le nom de nation ? Et comment avaient-ils pu s’associer à celle-ci, sinon parce que tout ou partie de ces mots qui tournaient autour d’eux faisaient écho justement d’idées qu’ils partageaient ?

La Révolution française de 1789 rompt avec le passé, mais elle n’égrène pas vraiment dans le futur. Par la suite, il n’y aura plus de moment aussi dense en expression diversifiée dans un pays ou dans une région.

C’est qu’entre-temps -mais je m’avance- une réalité va dévaster toute possibilité de reproduction de cet état d’esprit : le parti.

12 heures d’affilées dans la constitution

Friday, December 15th, 2017

Le Brésil s’étant débarrassé de ses immondes leaders populistes gauchistes communistes barbus et enjuponés, il peut désormais libéraliser à outrance (mais progressivement) son économie.

Tout le monde le réclame: les patrons de l’agrobusinness, les patrons de la grande distribution, les patrons des mines, les patrons de la construction…

Mais qu’ils ne s’inquiètent pas: c’est en marche.

Les services dans la grande distribution de deux des plus grandes chaines du Brésil ont adopté la nouvelle législation qui leur permet d’imposer à leurs employés douze heures de travail continues, pour autant qu’elles soient suivies de 36 heures de repos et que le nombre d’heures de travail mensuelles ne dépasse pas la quantité légale ((Voir ici. Voir aussi mon précédent article ici, ainsi que l’article de ce mois dans le Monde Diplomatique signé par Anne Vigna.)).

Cette nouvelle législation a été reconnue comme constitutionnelle par le Tribunal Suprême Fédéral, le même qui s’est engagé frontalement contre le pouvoir des deux derniers présidents, Luis Ignacio Lula da Silva et Dilma Rousseff.

On ne le sait peut-être pas assez mais, jusqu’à l’année dernière, le Brésil faisait figure de bon élève en terme de progrès social à l’échelle du continent sud-américain, et de manière générale dans l’ensemble des pays émergents. Désormais, à moins d’un sursaut populaire, le libéralisme économique a repris les choses en main… Seulement le libéralisme économique?

Le libéralisme est-il soluble dans la démocratie?

Le libéralisme est une idée politique, me disent certains amis, qui encadre la démocratie et la permet. C’est le libéralisme politique qui a permis, me répète-t-on à l’envi, la liberté d’expression, par exemple, mais aussi la participation politique, le développement de l’égalité des femmes et des hommes ou la tolérance religieuse.

Il n’y a là qu’une demi-vérité, qui en fait un demi-mensonge.

Le libéralisme politique existe en tant qu’idée politique depuis Smith, Locke et Montesquieu; on peut la faire naitre encore plus tôt avec la pratique des Hanses ou des républiques italiennes de Gênes et Venise, voire dans les idées de Cicéron, mais disons que ce sont ces penseurs des environs de 1700 qui en sont les véritables pères fondateurs.

Cependant, l’ouverture à la tolérance, à l’égalité, à la participation politique ne se trouvaient que de manière empirique dans l’esprit de certaines personnalités ou, par à-coups seulement, dans certains écrits et de manière partielle et limitée ((L’esclavage, chez Say, est mollement combattu (il l’encourage circonstanciellement); chez Montesquieu, qualifié de “contre-nature”, mais “fondé sur une raison naturelle”; chez Smith, déconsidéré pour des questions d’efficacité. Cf G. VINDT, Les grandes dates de l’histoire économique, Alternatives Economiques, 2009, p. 146-149.)). On ne trouvera que très rarement des personnalités pour défendre le droit aux femmes à participer à la vie politique ((Condorcet et Olympe de Gouges défendaient ce droit, mais en même temps le conditionnaient au cens, ce qui le réduisait à une femme sur cinquante. Quant à Robespierre, il avait préconisé un système électoral fondé sur les traditions locales qui se basaient souvent sur le “foyer” comme base électorale, incluant donc automatiquement des femmes; Cf. Florence Gauthier ici.)), surtout dans les droits “libéraux” britannique ou français, par exemple. Les minorités religieuses n’ont que très imparfaitement le droit à la liberté d’expression jusqu’au XXe Siècle, et on peut nettement parler d’inégalité à cet égard jusqu’à nos jours dans de nombreux pays qui se targuent de libéralisme, à commencer par la minorité non-croyante. Il est toujours mal vu d’être athée aux Etats-Unis d’Amérique et les sondages à cet égard sont éclairants: la plupart des Etatsuniens préfèrent que leur fille se marie avec un Juif ou un noir-Américain plutôt qu’avec un athée.

Il fallait sans doute le développement du matérialisme, notamment à travers les progrès scientifiques, mais aussi les idées socialistes, pour que l’égalité des droits des femmes et des minorités philosophiques se développe. Quant à l’esclavage, il faut reconnaitre que son abolition a mis du temps à percer dans les esprits libéraux, et que certains y retourneraient volontiers, insinuant qu’un homme est tout à fait libre de choisir de se vendre jusqu’à la dernière goutte de sa sueur -sinon de son sang…

Je me souviens avoir suivi avec bonheur, vers 2003 ou 2004, une exposition sur l’anarchisme présentée et développée par la professeure Anne Morelli, qui montrait que les idéaux de mes ancêtres idéologiques ((Oui, oui, je suis, je reste anarchiste.)) étaient devenus en grande partie réalité: l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, un enseignement sans punition corporelle, la laïcité sur la place publique, la défense des droits des travailleurs, l’expression publique des non-possédants: tout cela, le libéralisme, au XIXe Siècle, n’en voulait pas. Et, en réalité, il préférerait encore s’en passer. C’est la lutte sociale, ce sont les idées socialistes et libertaires qui les ont poussées du bas vers le haut.

Le libéralisme politique n’est pas une garantie d’égalité des droits: le droit privé qui lui sert de base est resté un droit patriarcal et inégalitaire qui ne s’est fissuré qu’au contact de la réalité matérialiste sociale. C’est le matérialisme socialiste qui a poussé notamment vers le suffrage universel, qui n’avait jusqu’alors pas du tout été considéré comme une option acceptable par les élites libérales.

Il fallut attendre aussi les années 1970 pour que les femmes soient juridiquement les égales des hommes en Belgique, par exemple, et nous savons que le libéralisme politique n’a toujours pas établi une égalité stricte notamment en terme de traitement salarial ou de considération par rapport au travail. La longue lutte pour le droit d’accès aux urnes des femmes ne s’est achevée en Occident qu’en 1971, en Suisse. Et pourtant nous reconnaitrons sans doute tous que la Suisse est l’un des pays les plus libéraux qui soient. Non?


On oppose encore trop souvent égalité et liberté.

Quant à l’égalité des droits des personnes issues de minorités raciales, ethniques, nationale, d’origine ou quel que soit le mot que l’on utilise pour les désigner, elle met aussi du temps à trouver sa réalité. Le fait est que les tenants du libéralisme politique profitent largement de la mise en concurrence entre les différentes composantes de la population qu’ils ont contribué à diviser.

Les haines intraclassistes, surtout en bas, y sont encouragées afin de contenir la lutte sociale.

Aujourd’hui que le socialisme recule un peu partout, le libéralisme politique ne fait pas mystère de ses velléités de réinstaller de la sauvagerie dans les rapports humains.

L’accès à la justice gratuite est restreint; demain, il sera sans doute nul.

La négociation paritaire patron-salarié, trop encadrée par les syndicats au goût des libéraux, se transforme peu à peu en négociation bilatérale, plus libérale, parce que fondée sur un rapport d’égalité apparente stricte, ce qui affaiblit d’autant la position du salarié, puisque celui-ci est généralement moins au fait de ses droits que le patron ou que les conseillers de celui-ci. Cette tendance est particulièrement visible en France depuis l’instauration de la loi ElKhomri(-Macron).

On voit d’ailleurs se développer un schéma identique au niveau international avec l’augmentation des négociations bilatérales entre états, ce qui ne peut qu’affaiblir la position des états les moins forts.

C’est cela le libéralisme politique.

La démocratie est-elle soluble dans le libéralisme politique?

Oui, mais, sans le libéralisme, pas de presse libre, pas d’expression libre!

Où a-t-on vu cela? La presse est apparue au XVIIe Siècle, avec les gazettes françaises et britanniques -elle n’a donc pas eu besoin du libéralisme politique pour apparaitre; la censure y était dramatiquement forte, naturellement, mais celle-ci resta réelle jusqu’au XXe Siècle -alors que le libéralisme politique domine depuis cent cinquante ans.

Se souvient-on de la censure qui frappa Hara Kiri le lendemain de la mort du général de Gaulle? Et pourtant, c’est à un gouvernement très libéral, celui de M. Pompidou, que nous la devons.

Si la censure n’est plus aussi forte qu’auparavant, nous pouvons constater régulièrement la pratique de l’auto-censure dans une presse dont les petits soldats sont de plus en plus impuissants par la précarité de leur situation. Un journaliste indépendant est un journaliste crève-la-faim. Internet permet de contourner partiellement cette donne, mais de nombreux journalistes de qualité en sont réduits à la soumission ou à la marginalisation. Et en attendant c’est l’information concrète qui en souffre ((Ce sujet mériterait un long développement. Je vous renvoie aux sites d’Acrimed, de Les-Crises, du Monde Diplomatique, mais aussi de NordPresse, par exemple, et parmi nombre d’autres. En Belgique, nous manquons sans doute de structures de vlogs et de sites indépendants capables de se financer pour nous informer professionnellement; ce défi est particulièrement complexe en raison de la petite taille de notre pays et de la faiblesse de sa population francophone.)).

A nouveau, il n’y a pas de corrélation entre libéralisme politique et liberté.

Le libéralisme politique s’accommode fort bien de restrictions de libertés. Nous le voyons encore aujourd’hui avec la multiplication des mesures d’exception pour cause de terrorisme. La situation est certes grave, mais elle l’est beaucoup moins, objectivement, que dans les années 70 et 80, lorsque nous risquions réellement en raison de la situation politique une guerre mondiale sur un simple coup de sang de l’un ou l’autre des dirigeants étatsunien ou soviétique.

Aujourd’hui, ce risque n’existe que parce que le libéralisme politique a permis l’élection d’une personnalité qui jouissait précisément de l’ensemble des libertés d’expression -et d’action- que ce mouvement d’idée revendique, sans aucune restriction. Lui et son alter ego démocrate, Madame Clinton, se sont retrouvés seuls candidats possibles d’une élection complètement anachronique aux yeux de n’importe quelle personne soucieuse de démocratie qui surgirait d’outre-espace et qui se poserait la question: comment se fait-il qu’un tel système se prétende démocrate? Comment se fait-il que deux fraudeurs, menteurs notoires, criminelle de guerre pour l’une, homme d’affaires sans scrupule, failli à plusieurs reprises et totalement en contradiction dans ses actes par rapport à ses paroles lors de sa campagne électorale pour l’autre puissent prétendre au poste élu considéré le plus important dans le monde? Précisément parce que la raison et les intérêts du plus grand nombre ne sont pas respectés par le libéralisme politique: ces intérêts ne sont pas poussés par l’inégalité réelle entre les citoyens, une inégalité qui existe du fait du capital économique, social et culturel des êtres humains, entérinés par le libéralisme politique; quant à la raison, elle n’a pas de poids face à la sacro-sainte propriété privée et à la liberté d’enrichissement sans limite.

Dans le même temps, l’auto-proclamée “Communauté internationale” a pu accepter et reconnaitre successivement un grand nombre de coups d’Etat ou d’élections truquées ((A suivre encore la situation actuelle au Honduras.)), ainsi que leurs résultats; les mêmes Etats supposés libres sont alliés à certaines des pires dictatures actuelles, notamment au Moyen-Orient ou en Extrême-Orient, sous prétexte d’intérêts globaux, mais sous couvert d’intérêts privés. Le libéralisme politique a bon dos.

L’application des idées de Locke, Montesquieu et Smith, toute bonne foi mise à part, signifie en réalité la confiscation du pouvoir par une élite (élue) dans un système qui se prétend démocratique ((Ceci est d’ailleurs clairement revendiqué par Tocqueville.)), qui se qualifie de libéral, et qui a réussi le tour de force de faire avaler à la plupart des têtes pensantes que cette situation est belle et bonne. A moins qu’elles ne s’en accommodent.

La réalité, c’est que les poussées réellement démocratiques qui ont eu lieu au cours de ces deux cents à trois cents ans, au sein de systèmes politiques qualifiés de libéraux, venaient et viennent toujours de la rue, de la pression sociale, des organisations les plus horizontales possibles ((Même si une horizontalité totale parait impossible aux yeux de Lordon. Encore une discussion à reprendre.)). Sans pression sociale, il n’y a pas de progrès social, il n’y a pas d’égalité. Et sans égalité, la liberté est un luxe de possédant. Le libéralisme politique refuse de reconnaitre ce fait.

Ou plutôt, il prétendra le reconnaitre, mais seulement dans un droit hypocrite, qui permettra progressivement à tout un chacun d’accepter un contrat de travail inique, en toute liberté, dans une situation d’inégalité manifeste, mais béatement niée dans le marasme glauque de “l’égalité des chances”.

Comme si la nécessité quotidienne de manger aujourd’hui n’existait pas. Comme si demain vous n’accepterez pas de travailler douze heures par jour si c’était la seule possibilité qu’il vous reste pour nourrir votre famille.

Brésil, un petit état des lieux en cette fin d’année 2017

Wednesday, October 25th, 2017


Non, ce n’est pas un vampire pris à la lumière du jour, mais l’actuel président du Brésil, Michel Temer. ((Source: le blog de Sakamoto, un excellent bloggueur, journaliste critique de gauche.))

Imaginons qu’un acteur de films pornographiques vienne un jour dans un programme de variété quelconque expliquer qu’il a profité d’un bon moment dans les coulisses pour avoir une relation sexuelle avec une chanteuse ivre qui ne se rendait compte de rien… Rires sur le plateau et, peu après, l’acteur est invité par un ministre pour une franche discussion sur d’autres sujets…

Scénario complètement fou? Délire d’auteur de séries sans intérêt? C’est pourtant exactement le fil d’un fait réel au Brésil, même si j’ai changé la profession de la chanteuse; la victime était une prêtresse de Candomblé ((Une religion syncrétiste moyennement importante, mais culturellement appréciée au Brésil.)) en état de transe lors d’un rite religieux, et non une chanteuse rencontrée dans les coulisses de l’émission.

Qu’importe: tout le reste est exactement tel que je viens de le raconter: le ministre de l’éducation du gouvernement de Michel Temer, Mendonça Filho a reçu l’acteur qui s’était vanté de ses exploits, pourtant criminels, à la télévision, ce qui est également, en droit brésilien, un crime.


A gauche, Alexandre Frota, en compagnie, au centre, du ministre de l’éducation Mendonça Filho à qui il a “pu donner des idées pour le pays qu’il aime”. Cliquer sur la photo pour agrandir.

L’ancienne ministre des droits des femmes sous le gouvernement de la présidente Dilma Rousseff a désavoué publiquement à la fois l’acteur et le ministre, qualifié l’attitude de Frota d’apologie du viol et a été condamnée à verser à ce dernier 10.000 R$ au titre de dommage moral. Il semble qu’abuser d’une femme qui n’est pas en état d’approuver ou de refuser un acte sexuel ne soit plus un viol au Brésil.

Aux dernières nouvelles, la décision vient d’être inversée en appel. Pour autant, la culture machiste du viol, admise par les mâles blancs descendant des esclavagistes (Le Candomblé est d’ailleurs culturellement très attaché aux esclaves arrivés sur le sol brésilien) a de beaux jours devant elle. Cet épisode, qui est loin d’être un accident isolé, illustre la pente glissante sur laquelle se trouve le Brésil depuis la chute de Dilma Rousseff, dite Dilma, et de son prédécesseur Luis Ignacio da Silva, dit Lula. Non pas que la situation était idéale, entre 2002 et 2016, mais les gouvernements d’alliance travailliste étaient parvenus à inverser quelque peu la tendance générale de l’impunité des riches et de la punition des pauvres au Brésil.

J’étais un opposant du gouvernement, lorsque je vivais au Brésil (entre 2007 et 2011), mais pour les raisons diamétralement opposées à celles des hommes blancs et riches qui les ont renversés -car, désormais, avec la condamnation en première instance de l’ancien président Lula, ce n’est plus seulement Dilma qui a été renversée, mais aussi le favori annoncé des prochaines élections, en 2018, si jamais elles ont lieu, qui ne pourra s’y présenter. J’étais un opposant car j’estimais que le gouvernement brésilien avait une occasion en or d’en faire beaucoup plus pour les pauvres, les noirs, les indiens, les femmes, bref toutes les minorités. Fatigue du compromis de ma part, sans aucun doute. Le fait est que Lula et Dilma gouvernaient en collaboration avec des partis conservateurs dont ils ne parvenaient pas à se dépêtrer. Ce sont ces partis qui se sont ensuite débarrassés de Dilma l’an dernier et qui tentent d’emprisonner maintenant Lula.

Les manifestations jaunes et vertes peuplées de blancs bien éduqués qui désiraient ne plus devoir payer les cotisations sociales de leurs employés domestiques (2015-2016) (Rovena Rosa/Agência Brasil). Cliquer sur la photo pour agrandir.

Les responsables du coup d’État parlementaire de l’an dernier sont globalement liés à cette caste bien (peu) pensante, grand bourgeoise, qui ne représentent et ne servent qu’eux-mêmes et leurs petits cercles d’amis: les énormes exploitants agricoles, les hyperaffairistes ((Qui ne gagnent de l’argent qu’en grande partie grâce à des politiques monétaires et bancaires injustes palliant leur incompétence globale en matière économique.)) , les religieux tant catholiques que protestants ((Evangélistes, principalement, mais pas seulement.)) et, bien sûr, leurs partenaires étrangers, exploitants miniers, acheteurs de bovins, de céréales et autres biens primaires, grandes entreprises pétrolières, sans oublier les diplomaties européennes et américains qui commençaient à se fatiguer de la caution démocratique des BRICS.

Ce ne sont que grands pas en arrière successifs qui se multiplient, depuis que Michel Temer, l’ancien vice-président de Dilma, accablé pourtant par les affaires de corruption bien plus que la femme grâce à qui il a obtenu ce poste, a pris les rênes du pays, sous la double pression d’une opinion publique qui le rejette en masse ((Il n’a jamais été élu pour lui même, mais en “ticket”.)) et de ses “amis”, qui ont contribué à le mettre où il est et qui le menacent sans cesse d’une nouvelle procédure d’empêchement s’il n’obéit pas à leurs revendications ((La réalité, c’est que les “hommes riches blancs” qui occupent le pouvoir judiciaire actuellement tiennent les “hommes riches blancs” qui occupent les deux autres pouvoirs. La connivence n’exclue pas la concurrence et la soif de pouvoir. Il y a une véritable double force de complicité de classe et de concurrence féroce entre les individus qui occupent les postes de pouvoir au sein de l’exécutif, du législatif et du judiciaire. Les rares personnalités sincèrement préoccupées par l’intérêt général ne sauraient servir de caution pour toutes les autres)). Michel Temer, bien heureux d’être encore au sommet de l’Etat, est en réalité entre les mains des milieux parlementaires qui attendent de lui qu’il défende tous les reculs sociaux et environnementaux de leurs différents programmes.

Les droits du travail reculent désormais. Ainsi, les maigres acquis des employées et des employés domestiques, qui étaient au centre des indignations des manifestants blancs anti-Dilma l’an dernier, lesquels se plaignaient de devoir payer les droits sociaux de leurs bonniches. La plus grande partie des personnes concernées sont des femmes, et la moitié d’entre elles sont noires. Certaines parvenaient à envoyer leurs enfants dans les mêmes écoles que celles des enfants de leurs patrons sous Lula et Dilma. “C’est ça qui incommodait l’élite blanche”, dénonce la rappeuse Preta Rara.


Cette photo, symbolique, représentant un couple de manifestants anti-Dilma accompagnés par leurs enfants en landau poussé par la gouvernante sous-payée, a fait le tour de la toile brésilienne peu avant les Jeux Olympiques de 2016.

Par ailleurs, les droits des populations les plus faibles baissent et les agressions à leur encontre se multiplient: quilombolas, favelas, mais aussi populations indiennes périphériques sont constamment agressées. Ainsi les normes de travail esclavagiste définies par la loi ont été redessinées par une circulaire à l’avantage des, hm, employeurs et la chasse aux esclavagistes a été restreinte.

On se figure difficilement, vu d’Europe, ce qu’est la situation des travailleurs non protégés au Brésil. Les luttes syndicales sont certes possibles dans les villes et les centres industriels, mais la situation est bien différente pour les travailleurs isolés (tels que les employées et employés domestiques), dans les petites villes et les centres de production éparpillés sur toute la géographie du pays. La circulaire émanant du ministère du travail, dont je parlais plus haut, est tombée récemment dans le débat public: une cour de justice chargée de s’assurer de la bonne constitutionnalité des lois a retoqué le texte, mais le ministre Nogueira le maintient car, selon lui, il clarifie le travail des contrôleurs. Un grand nombre d’observateurs extérieurs estiment que ce texte rapproche le Brésil de la période qui a précédé l’abolition de l’esclavage et on se demande parfois jusqu’où ce gouvernement -adoubé, dois-je le rappeler, par la “communauté internationale” (enfin, les USA et l’UE)- sera capable d’aller.

Le président lui-même s’est récemment exprimé sur le sujet de manière parfaitement honteuse selon des normes purement libérales, si on y songe ((Voir à ce sujet divers articles du blog de Sakamoto; par exemple ici. Même l’ancien président Fernando Henrique Cardoso a souligné le caractère honteux de l'(in)action du président.)).

Qu’on ne s’y trompe pas: même sous Lula ou Dilma, il ne faisait pas bon être noir, indien, pauvre, femme, etc. C’est évident. Mais les choses soit allaient vers un mieux progressif, soit stagnaient péniblement. Aujourd’hui, la contre-attaque, une espèce de Contre-Réforme conservatrice, issue des partis notoirement libéraux conservateurs (PSDB, PMDB, DEM, etc. ((Pour un petit topo sur les partis qui n’a pas trop vieilli, voir ici.)) ) et de leurs affidés plus petits, y compris du ridicule parti de madame Marina Silva, la célèbre caution verte, coincée dans ses idées évangéliques conservatrices, et dont l’attitude déçut à plus d’un titre l’an dernier, cette Contre-Réforme tente d’écraser le plus fort et le plus vite possible tout ce qui a pu être construit durant les “années PT”. Nous en sommes peu informés en français. Il est vrai que nous avons tant de distractions de notre côté: n’est-il pas plus amusant de condamner le chavisme et l’attitude des Russes, de l’Iran et de la Corée du Nord que de dénoncer ces merveilleux sociaux-démocrates du PSDB de retour aux affaires au Brésil?

Dans la ville de São Paulo, qui est celle que je connais le mieux, la situation s’est considérablement dégradée avec l’arrivée d’un “homo novus”, une espèce de météorite macro-trumpienne, un mélange de Justin Trudeau et de héros de téléréalité, le nouveau prefeito (maire) de la ville, João Doria; ancienne star de la télévision, entrepreneur à succès, présentant beau, faisant jeune, Doria est arrivé à la politique -en apparence- tout dernièrement, gagnant en 2016 la première élection à laquelle il participait. Il est devenu, dans les faits, un des hommes les plus puissants du pays, puisque São Paulo est le moteur financier et l’une des principales locomotives industrielles du Brésil.


Apprenez à connaitre son visage: vous risquez de le voir souvent à partir de 2018, si Lula ne peut pas se présenter. Cliquez pour agrandir l’image (si vous l’osez).

Son parcours n’a pourtant rien d’hasardeux: il influait déjà dans l’ombre sur la politique du pays et son carnet d’adresses dans les milieux libéraux conservateurs est gigantesque. Sa présence continue dans les médias devrait rappeler les belles heures des élections françaises de 2007 et 2017. Ses positions politiques affichées charrient le chaud et le froid: favorable au mariage homosexuel mais opposé à l’avortement, plutôt ouvert au désarmement de la population mais contre toute tolérance sur la question des drogues, c’est en réalité une machine à suivre les indicateurs de l’opinion publique. En réalité, dès qu’il est arrivé à la tête de la ville, son regard s’est porté vers le Planalto (la résidence présidentielle) qui a probablement été dès le début son objectif.

Critiqué même à l’intérieur de son parti, surtout par certains caciques, pour sa gestion atypique, il contre-attaque sans pitié et se moque de ces anciennes figures, dont il a pu se servir, mais qu’il peut désormais jeter. Il s’est récemment distingué sur un sujet particulièrement audacieux: avec l’aide d’une organisation plutôt nébuleuse, la Plataforma Sinergia, manifestement liée aux entreprises de reconquêtes catholiques des âmes perdues au bénéfice des églises protestantes évangéliques, João Doria, lui-même catholique, a proposé le développement du projet “Farinata”, dont l’objectif est de nourrir les habitants trop pauvres de São Paulo.

Jusqu’ici, évidemment, on ne saurait trop l’y encourager. Mais tout est dans le “comment”. La Plataforma Sinergia se propose de rassembler tous les invendus des bars, restaurants, supermarchés, etc. sur le point de passer la date limite de péremption, d’en faire des espèces de biscuits uniformes aux qualités nutritionnelles douteuses et de les distribuer gratuitement. Selon Doria, la ville remplirait ainsi son devoir civique d’éviter la mort par inanition de ses concitoyens les plus démunis, et ce pratiquement sans coût pour les contribuables. On pourrait même arguer d’un avantage environnemental par dessus le marché.

Je vous laisse juge de la pente sur laquelle ce bienfaiteur d’un nouveau genre nous propose de glisser.


Comment ça, j’exagère?

Le même Doria fait partie d’une clique de super-riches qui préparent les prochaines élections avec un “Fonds citoyen” alimenté par de l’argent venant de grands entrepreneurs et chargé de soutenir le prochain candidat présidentiel qui défendra leurs intérêts.

Cette information est encore relativement discrète et peut-être ne lui accorde-t-on pas toute l’importance qu’elle pourrait avoir. Il s’agit sans doute de la parade à une éventuelle sortie judiciaire favorable à Lula, qui pourrait, dans ce cas, se présenter à nouveau. Or, l’ancien président, surnommé par ses adversaires “la grenouille barbue”, est toujours le favori de la population brésilienne dans les couches les moins aisées, et les riches n’ont pas encore trouvé le moyen de les empêcher de voter.

C’est encore Doria qui avance l’idée de “vendre” le nom de certains quartiers de la ville -un avant-goût, sans doute, des baptêmes lucratifs de parcs, bâtiments publics et stades de football. Après tout, ce genre de phénomène existe déjà à travers le sponsoring d’événements sportifs. Doria ne ferait qu’étendre ce phénomène à des lieux publics. Un petit pas vers la privatisation des espaces théoriquement non aliénables…

On pourrait encore en rajouter sur le bonhomme, qui a fait passer à la trappe de nombreux acquis du précédent mayeur de la ville. Mais je vous sens un peu absent.

Ce petit mot juste pour vous dire que, non, la situation ne s’est pas stabilisée au Brésil après le coup d’Etat de 2016… Elle empire constamment.

ôbinouiyatrodavions!!

Sunday, September 17th, 2017

Il y a trop de beaucoup de choses…

Evidemment qu’il y a trop d’avions…

avions

Il y a trop de voitures, et pas assez de trains; trop de camions, aussi… Peut-être devrait-on repenser la construction de canaux? Je ne sais pas…

Il y a trop d’écrans, et plus assez de lecteurs… Et quand ils lisent, il y a trop d’Amélie Levy et d’Eric-Emmanuel Musso, et pas assez de Chalandon, d’Enard, de Carrère, de Saramago…

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Il y a trop de gens qui trompent sur Rousseau et Robespierre, et pas assez qui ont lu un discours entier de Jaurès.

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Il y a trop de franchises, il y a trop d’entreprises qui ont leur siège trop loin des lieux de production; il y a trop de bourses et pas assez de banques publiques; il y a trop de travail et pas assez de partage du travail; il y a trop de métiers débiles et inutiles, et pas assez de cordonniers; il y a trop de commerciaux et pas assez d’artisans; il y a trop de profs de droite, même dans les petites écoles.

sysiphe

Il y a trop de méritocratie et pas assez de mérite chez les vainqueurs; il n’y a d’ailleurs pas assez de reconnaissance de ce qu’ils doivent de la part de ces derniers; il y a trop d’argent dans l’excellence et pas assez dans l’éducation populaire; il y a aussi trop de viande consommée et pas assez de nourriture produite sur notre sol; il y a trop de maisons vides et pas assez d’initiative pour abriter les sans-toits.

Il y a trop de contrôle, et pas assez d’autonomie; il y a trop d’échanges commerciaux et pas assez d’échanges humains; il y a trop de foi dans l’Union Européenne, et pas assez dans la démocratie; il y a aussi trop d’OTAN et pas assez d’ONU; il y a trop de gens qui ont une opinion sur l’Amérique Latine, et pas assez qui ont été voir ce que c’est que de vivre dans une favela; il y a trop de gens qui ont fait un “trip” dans le tiers-monde et pas assez qui, suite à ça, ont remis les logiques libérales en question; il y a trop de gens qui font des petits coeurs et pas assez qui pensent avec leur tête.

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Il y a trop d’argent et pas assez d’égalité; il y a trop de liberté d’entreprise, et pas assez de décisions collectives sur l’économie; il y a trop de libéralisme, et trop peu de gens qui le remettent en question; pourtant, il y a plein de sales gauchistes qui n’attendent qu’une seconde de votre attention pour vous rappeler les principes de base d’un bon gros socialisme vrai de vrai, bien saignant (mais pas bleu, pas à la sauce Onkemotte); il y a trop de gens qui veulent régler UN problème du capitalisme, alors que c’est LE capitalisme qui doit disparaitre.

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Il y a trop de bobos et pas assez de gens qui lisent Jacquard, Ziegler, Bonfond, Gueuens, Lordon ou pour s’inspirer un grand coup, Louise Michel, Emma Goldman, Kropotkine et le vieux Marx; il y a trop de gens qui ont cessé de se dire à gauche, et pas assez qui comprennent ce que cela signifie; il y a aussi trop de gens qui pensent qu’il suffit d’embrasser la cause d’une minorité pour se croire à gauche, alors qu’il y a plein de libéraux qui sont d’accord pour la même cause; il y a décidément trop de gens qui parlent en novlangue, et plus assez qui connaissent le sens des mots; il y a trop de gens qui hurlent au fascisme et pas assez qui comprennent ce que ça veut dire.

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Il y a trop de gens qui lisent le Soir, le Guardian ou Libé en pensant que ce sont des journaux de gauche, et plus assez qui lisent le Monde Diplo; il y a trop d’adeptes de Mani et pas assez de La Boétie; il y aura trop de gens qui critiqueront une ligne de ce texte et pas assez qui feront le lien entre toutes les lignes

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Et je sens que je me suis fait plein d’amis d’un seul coup.

Le jour des fous

Monday, May 1st, 2017

Breughel représente ici la lutte symbolique du carnaval (à gauche) et du carême (à droite), lequel doit gagner, puisque le temps est avec lui. C’est la fin de la fête, la fin de l’abondance.

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La promesse de la fin de la lutte qui s’annonce le 7 mai prochain est typiquement celle-là: après cette date, Françaises, Français, on vous demandera gentillement de serrer votre ceinture, surtout quand vous pointerez à l’hosto ou paierez le matériel scolaire de vos enfants.

La seule solution, je le crains, c’est de faire durer la bataille… que le jour du carnaval, celui où les maîtres n’existent plus, ont pris leur place légitime au sein du peuple, ne cesse jamais.