Archive for the ‘politopics’ Category

Je prends les paris…

Thursday, June 10th, 2010

… qu’avant trois mois Israël aura repris sa place dans le marasme des démocraties respectables,

… que la grosse colère des USA, très relative, se sera entièrement reportée sur les “vrais responsables” de l’éternelle crise du Moyen-Orient: l’Iran (qu’elle n’a jamais oublié), le peuple palestinien (le Hamas, lui, non plus, n’a jamais été oublié) et les Arabes en général, dont ces sales Coréens du Nord, qui ont des têtes d’Arabes, évidemment,

… que la population, dans sa toute grande majorité, aura autant oublié les activistes marins tués par l’armée israélienne, comme elle a déjà pratiquement oublié l’opération Plomb Fondu (avec vingt fois plus de morts, quand même, dont pas mal de gosses),

… que le gouvernement turc reprendra ses relations diplomatiques avec son partenaire local, y compris dans la conduite de manoeuvres militaires,

… qu’Israël sera redevenue “la seule démocratie de la région“, en dépit des nombreuses contradictions que l’État en question nourrit à l’égard de ce qui définiti théoriquement une démocratie, même représentative.

J’aimerais bien pouvoir perdre mon pari, mais je sens que c’est mal barré.

Chronique des élections présidentielles locales I

Wednesday, June 9th, 2010

Bon, un petit mot de temps en temps sur cette année électorale, appelée de “post-Lula”, puisque l’actuel président, pour la première fois depuis 1985, ne se présentera pas aux élections.

En guise de premier chapitre, je vous parlerai des acteurs de ces élections.

1e partie: Quels sont les candidats ((Notez qu’il s’agit encore de pré-candidats. Officiellement, ils ne sont pas encore intronisés candidats, mais c’est tout comme, faut pas rigoler.)) en présence?

Dilma Rousseff (PT -Parti des Travailleurs), virtuelle ex-première ministre de Lula (elle a quitté le gouvernement avec la bénédiction du président pour se présenter, justement). Ancienne militante communiste, elle est passée au “réalisme” et est l’une des artificière du développement du Brésil dans le genre “il faut que le gãteau soit plus grand pour pouvoir le partager”. Son vice-président potentiel devrait être Michel Temer, pas trés net actuel président de la Chambre.
Elle est en faveur d’une méritocratie de la fonction publique, du projet de barrage à Belo Monte (très discuté), contre la dépénalisation des drogues depuis peu (elle a tourné casaque). Son programme économique est basé sur le développement industriel, l’aide aux grandes entreprises, la croissance du PIB et une redistribution des miettes du gâteau aux plus démunis (soyons justes: la misère a été considérablement réduite par rapport au passé sous son co-règne). Sa politique étrangère, a priori, se baserait comme celle de Lula sur une relative autonomie et une volonté de briller dans la cour des grands.

José Serra (PSDB -Parti de la Sociale-Démocratie du Brésil), l’homme que les USA voudraient, certainement. Ancien leader étudiant, il a passé le temps de la dictature en exil. Il fut ministre du Président Fernando Henrique Cardoso. Il a démissionné de sa charge de gouverneur de São Paulo, où il a brillé par sa volonté à ne jamais négocier avec les professeurs, notamment. Son rapport aux riches est… assez évident. L’homme a une bonne tête. Son programme économique est sensiblement le même que celui de Dilma. Son argument de vente consiste surtout à dire: “Il faut faire plus encore que ce que Lula a fait. Avec moi, ce sera fait.” En outre, il s’alignerait bien plus sur les exigences du grand frère du Nord.

Tous deux ne pourraient gouverner qu’avec le PMDB (Parti du Mouvement Démocratique Brésilien), le parti le plus impliqué dans pratiquement tous les scandales de corruption, mais qui parvient encore à être le premier parti du Brésil en raison de son caractère féodal et clientéliste.

Le PSDB et le PMDB sont les héritiers du seul parti d’opposition toléré pendant la dictature. On en reparlera.

Marina Silva, ex-PT, ex-PDT (Parti démocratique travailliste -parti à la rose locale), actuellement candidate pour le PV Parti Vert), est très populaire pour son engagement environnemental. Ex-ministre de Lula, elle a quitté le gouvernement après six ans d’exercice. Prétend gouverner avec des membres du PT et du PSDB en cas d’élection. A des amis partout, selon elle. Sans doute encore plus d’ennemis. Mystique, opposée à l’avortement, critique envers Hugo Chavez, elle est cependant en faveur de réferendum à tiroirs, mais pas de la démocratie directe. Allez comprendre. Son vice-président présumé est un gros industriel à bonne bouille. Elle n’aurait pratiquement aucune chance de figurer au deuxième tour si les élections avaient lieu aujourd’hui, mais qui sait d’ici la fin de l’année.

Les autres candidats n’ont pas la moindre chance, pas plus Ciro Gomes qui navigue sur eaux bizarres et va probablement négocier son retrait contre une place de gouverneur, que Plinio de Arruda Sampaio le candidat du PSOL (Parti Socialisme et Liberté), le parti le plus à gauche de tout ce fatras qui ait un minimum de représentants. La liste est encore longue, mais insignifiante.

Au prochain numéro, nous évoquerons les différentes parties en présence. Ici, c’était encore du gâteau.

Ensuite, on parlera un peu des enjeux de la politique locale.

Enfin, je vous proposerai des réflexions qui m’ont été inspirées par des militants de gauche (je veux dire: de gauche) sur la situation brésilienne.

commission impartiale

Monday, June 7th, 2010

J’essaie d’imaginer le scénario d’une commission établie par Israël avec les USA et quelques zozos utiles.

j’essaie.

Alors voyons: cette commission aura pour tâche de justifier un abordage violent (dans le sens qu’il n’est pas désiré par les abordés) dans les eaux internationales de navires transportant des hommes et du matériel vers Gaza. Ces hommes, qui firent face à l’une des plus puissantes armées du monde, peut-être la plus aguerrie et la plus efficace, pour se défendre de ce qu’il va falloir justifier comme un abordage légitime, mais je ne vois pas encore comment, ces hommes donc utilisèrent des couteaux de cuisine, des tournevis, des disques de disqueuses, des chaînes, des manches de pioche (sans les pioches), des clés anglaises, des grands marteaux de démolition, des cordes de rappel, quelques opinels et, ah oui, j’ai lu dans une revue réactionnaire en ligne qu’il y avait eu aussi deux révolvers… Wouaw, l’arsenal! En cherchant bien, il y aura peut-être aussi une arme de destruction massive de l’époque de Saddam Hussein quelque part.

9 morts et des dizaines de blessés, certains tués à bout-portant. De l’autre côté, un blessé grave et quelques blessés légers.

Il faudra éliminer les témoignages d’une cinéaste brésilienne qui affirme, la pauvre imbécile, qu’un homme a été abattu alors qu’il se rendait et un autre parce qu’il prenait des photos. Ces témoignages ne peuvent être retenus. Ils sont forcément partiaux. Comme l’aurait été une commission internationale. Comme celle que BHL condamne parce qu’elle a mal apprécié l’opération Plomb Fondu de l’an dernier.

Ces bateaux, qui ne contenaient donc, pour toutes armes, que des outils et du matériel de construction, en plus des jouets pour les enfants (il devait y avoir de terribles pistolets à eau et des ballons qui auraient servi à faire des bombes, également à eau, évidemment), étaient de dangereux précédents, fatalement, pour d’autres convois d’armement et de terroristes internationaux. On avait affaire, là, à un nouveau cas de combattants dans le genre de ceux de 1936 qui voulurent aider les républicains en Espagne. Des idéalistes qui ne savent pas vraiment que l’État israélien se bat pour la démocratie “là-bas”.

La commission bilatérale aura à coeur d’envoyer un quelconque ministre à l’ONU pour montrer les traces de kérosène, les bouteilles vides et les chiffons qui se trouvaient à bord des bateaux et qui montreront clairement que Gaza se préparait à fabriquer des cocktails molotovs. Contre les chars, ces armes artisanales sont, on le sait, extrêmement efficaces. Et puis, c’est l’intention qui compte.

Il sera en outre établi que ces bateaux emmenaient des activistes dangereux en grand nombre. Environ 700 personnes, prêtes à se reproduire (on trouvera bien une femme enceinte dans le tas -et en tout cas beaucoup trop de femmes que pour que ça soit bien honnête tout ça… Un harem en puissance?) et donc à contribuer au déséquilibre populationnel en terre d’Eretz Israël, cela va typiquement dans le sens de la politique du “jeter les juifs à la mer”, qui certes n’a plus été prononcée par un leader du Fatah depuis la fin des années 60′, mais bon, on fait avec ce qu’on a.

Il faudra enfin que cette commission justifie l’intervention des fusiliers marins israéliens par le fait que certains de ces activistes portaient des gilets pare-balles (je ne les ai pas vus, mais ils étaient sûrement là), ce qui est la preuve manifeste que ces hommes s’attendaient à une attaque, donc la désiraient, puisqu’ils sont quand même venus, et que, de ce fait, ils souhaitaient le martyr et n’avaient qu’un seul but, fanatique, celui de discréditer l’État démocratique d’Israël par leurs morts supposées injustes. Il faudra évidemment trouver une bonne justification au fait que, s’ils sont bien des martyrs en puissance, le fait de porter des gilets pare-balles n’avait pas de sens.

Mais bon, s’il faut s’arrêter à des détails, autant réclamer une commission internationale…

fuck Uyama (même pas drôle)

Wednesday, June 2nd, 2010

Un certain Fukuyama, Francis, conservateur, voire néoconservateur pour ceux qui aiment ce genre de distinction, étatsunien, se réjouissait il y a une vingtaine d’années, de la fin de l’histoire, de la fin des idéologies concurrentes du libéralisme -enfin, de la démocratie libérale.

Pour lui, tout était dit, avec la mort du socialisme réel. Il ne restait plus au capitalisme triomphant que d’assurer le bonheur du monde.

Ben tiens. Encore un qu’il faudra pendre par les pieds avec les lacets des derniers militaires, histoire de lui faire circuler un peu de sang dans le cerveau.

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En attendant, une chose est certaine, en Belgique, les idéologies sont loin d’être mortes: selon les médias belgiens, il y a encore beaucoup à débattre et il faudrait peut-être pondre des kilomètres de manifestes et de théories histoire de laisser une trace de la valeur mystérieuse de ces dialectiques.

Le Soir, qui n’est pas loin d’être, il faut le reconnaître, l’un des plus influents (et des plus stupides si l’on excepte quelques rares éléments) de notre terroir francophone, l’affirme encore par l’organisation -enfin, la co-organisation avec le Standaard- de débats Nord-Sud.

C’est Peyo qui doit rigoler…

Mais qui oserait encore dire qu’il n’y a pas d’idéologie? Simplement, maintenant, elle ne se marque plus entre gauche et droite (quelle idée! Nous sommes tous du centre moi… pardon, du centre mou), mais entre le Nord et le Sud. Changez vos perspectives: tout n’est plus gauche ou droite, extrême-gauche et extrême-droite, mais Nord et Sud, extrême-Nord et extrême-Sud…

D’ici cent ou deux cents ans, ils auront inventé un centre qui deviendra le seul siège acceptable… Et puis voilà. (on se distinguera peut-être sur l’axe Est-Ouest… ah ben non, ça fait gauche-droite, crotte)

On a les médias qu’on mérite, et puis c’est tout.

Merci Vanackere

Friday, May 28th, 2010

Vanackere, je ne te connais pas. Si ça se trouve, tu es un con, un facho, un enfoiré, j’en sais rien, je m’en fous. Au milieu des autres abrutis, pour moi, tu as au moins une qualité:

Car là, grâce à toi, je n’en serai pas de ma petite menace d’amende parce que je refuse de participer au cirque électoral, puisqu’il paraît que c’est par ta faute, en tant que ministre des Affaires étrangères dont je ne sais strictement rien, si les consulats, ambassades et autres Mini-Belgiques-hors-les-frontières, n’ont rien organisé -ou si peu- pour inscrire les Belges qui demeurent loin de leurs frontières sur les listes de votants.

Le tout à l’ire de Charles Michel, le fils de l’autre (con), et ce n’est pas pour me déplaire non plus.

Ce qui ne m’empêche pas de répéter, comme d’habitude, que les élections représentatives sont des clowneries, des bourrages de crânes en plus des urnes, et qu’elles ne sont en rien la preuve, l’indice ou le signe qu’un pays vit en démocratie.

Vive la démocratie participative! Vive la démocratie horizontale! À bas les campagnes électorales! À bas la particratie!

(‘tain, je vire Godin, moi)

Je ne suis pas Sand-iniste.

Wednesday, May 19th, 2010

Compte-rendu: Shlomo Sand “Comment le peuple juif fut inventé”

“Comment le peuple juif fut inventé”, titre éminemment polémique et peut-être pas le meilleur possible, est paru en français en 2008 ((Le présent article ne porte que sur la version française du livre. Lors de discussions sur le forum, certaines personnes m’ont dit, mais sans me le montrer, que la version originale était parfois différente. Je suis bien incapable de le confirmer ou de l’infirmer.)), chez Fayard. Les émotions et les critiques qu’il a générées ((Il est impossible d’être exhaustif à cet égard: j’ai trouvé en ligne plus d’une centaine d’articles ou de forum (en tout, cela totalise plusieurs centaines de réactions différentes) en français qui discutent du livre –et les derniers étaient très récents, pourraient en annoncer de nouveaux. Les plus en vue ont également été publié dans des journaux comme Le Monde, par exemple: Eric MARTY, Les mauvaises raisons d’un succès de librairie, Le Monde, 28 mars 2009, reproduit notamment ici: http://lettresdisrael.blogs.courrierinternational.com/archive/2009/03/29/le-negationnisme-de-shlomo-sand-demonte-par-eric-marty.html . Eric Marty est un critique littéraire, donc peu qualifié pour critiquer un historien. Il semble en outre qu’il n’ait pas lu le livre avant de le critiquer car il ne reproduit que des passages d’un article du Monde Diplomatique de Shlomo Sand. Un autre intervenant souvent reproduit, malgré la pauvreté de son argumentation est Pierre I. Lurçat, Le négationnisme “soft” d’un nouvel historien israélien, édité notamment ici: http://vudejerusalem.20minutes-blogs.fr/archive/2009/01/20/shlomo-sand-deconstruire-le-peuple-juif.html#c485590 . Il y a encore un article plus argumenté de Nicolas Weill: À fiction, fiction et demie, dans Le Monde des Livres, 11 février 2010. De même, il serait difficile de citer un forum parmi les nombreux qui se sont penchés sur le livre de Sand. Il faut noter que, malgré l’existence de quelques bonnes critiques, ce sont surtout les plus émotionnelles et les moins rationnelles qui sont reprises pour le critiquer. D’un autre côté, aussi bien sur les forums que sur des sites personnels ou d’information, on retrouve des rapports élogieux de Sand. De positions modérées, il y en a très peu. Je dispose d’une liste d’un grand nombre de ces sources qu’il serait malséant de publier ici, mais que je mettrai prochainement en ligne dès que j’aurai trouvé une manière présentable de le faire.)) depuis lors, et encore cette année suite à sa parution chez Flammarion en poche (était-ce une bonne idée?), ont dépassé largement l’impact qu’il a eu en anglais et en hébreu, selon les sources trouvées en ligne.

Ce livre nécessiterait de longs commentaires, mais il est presque impossible qu’une seule personne s’y consacre. Un spécialiste ne peut décemment en faire la critique interne ((J’entendrai ici par critique externe, la critique de la méthode, de ses intentions, de la présentation de son travail, et par critique interne la valeur intrinsèque de chacun des éléments de ce travail.)) que d’une petite partie. Personnellement, je pourrais m’atteler à celle qui évoque l’époque hellénistique et latine, et encore uniquement sur les sources en latin et en grec, puisque je ne connais aucune des langues moyen-orientales qui étaient utilisées par les personnes concernées (araméen, hébreu, etc.). Par conséquent, je ne pourrais faire de ce livre qu’une critique externe, pas une critique interne, comme la plupart des historiens, car Sand s’est voulu exhaustif (ou presque, puisque, comme le dit Esther Benbassa, il ne fait qu’évoquer la période qui va de l’an mille au XVIIIe Siècle).

Two tribes

Mais pourquoi autant d’intérêt sur ce livre? Pourquoi autant de diatribes violentes et souvent injustifiées d’un côté et de soutiens inconditionnels, voire aveugles, de l’autre?

C’est que ce livre traite d’un sujet hautement polémique: Sand prétend faire l’étude de l’historiographie de la création du peuple juif par les intellectuels juifs de 1800 à nos jours. En réalité, la présentation de son livre et son contenu, ses audaces, ont amené bien des gens à estimer qu’il avait de plus amples prétentions. Un article paru dans le Monde Diplomatique ((http://www.monde-diplomatique.fr/2008/08/SAND/16205 Il faut noter que les intentions de sand n’y sont pas claires. Il dit bien “Ecrire une histoire juive nouvelle, par-delà le prisme sioniste, n’est donc pas chose aisée.” Cependant il ne prétend pas qu’il s’y est attelé, mais bien qu’il étudie l’historiographie du peuple juif, ce qui est très différent. En dépit de cela, on ne peut éviter de constater que son livre déborde souvent de l’historiographie pour se lancer dans l’exposé de théories dont les auteurs ne sont pas toujours clairement nommés.)), où il “résume” son propos, n’a pas aidé non plus à la clarification. C’est que Sand, historiographe compétent ((C’est-à-dire spécialiste de l’étude de l’histoire écrite.)), a aussi une âme de militant, et cette âme l’a parfois amené à dépasser son propos. Il a un peu oublié son devoir de modération et de réserve en tant que scientifique et historien. Ce qui n’aurait allumé aucun feu s’il avait traité d’un autre sujet que celui du peuple juif. Même si, évidemment, sur tout autre sujet, il n’y aurait jamais eu autant à dire, probablement. Ou plutôt, il n’y aurait pas eu matière à autant de passion, dirons-nous.

À voir, car, ce que fait Sand, en réalité, de nombreux historiens l’ont déjà fait pour la plupart des “nations”, des “peuples” européens. Je suppose que qui lit ces lignes sait que le “peuple belge” ne remonte pas à Jules César et aux ducs de Bourgogne ((Voir, par exemple, le livre d’Anne Morelli, Les Grands Mythes de l’histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie, éditions Vie ouvrière – Histoire.)); que le “peuple français” n’est pas spécialement lié à Clovis ou au Traité de Verdun ((Voir les travaux de Suzanne Citron, Le mythe national. L’histoire de France en question, éditions Vie ouvrière, 1989.)), ni aux Gaulois; que le “peuple italien”, s’il est, culturellement, enraciné dans l’antiquité romaine, ne peut retrouver son identité dans le passé de la république ou de l’empire sans procéder à une véritable mythologisation de son histoire. Or, si l’on sait cela aussi pour l’Allemagne, pour l’Espagne, pour la Grande-Bretagne ((De manière générale, on suivra de près l’oeuvre d’Eric Hobsbawm. Mais il en est bien d’autres, et Shlomo Sand, par exemple, prétend suivre Benedict Anderson et Ernest Gellner qui, sans être de farouches radicaux, remettent le concept de nation en question.)), on le sait moins pour le “peuple juif” (que je ne mets pas entre guillemets par manque de respect, mais simplement par précaution oratoire). Et on sait, si l’on a fait un peu d’historiographie, que la déconstruction des mythologies nationales a longtemps été un sport de combat, pour reprendre une image du sociologue Bourdieu. Une tâche qu’il faut parfois reprendre, d’ailleurs, car les nostalgiques des nations existent toujours ((Il faut noter que Sand lui-même estime que la nation est l’un des sièges essentiels de la démocratie.))…

Historiographie et idéologie

Quels étaient alors les objectifs de Sand? Reprendre un sujet peu, voire pas étudié, selon ses dires, à savoir une vision globale de l’histoire de la construction du peuple juif par deux cents ans d’historiens et d’intellectuels. De Isaak Markus Jost, premier historien juif à avoir tenté de recomposer l’histoire des juifs au début du XIXe Siècle, jusqu’aux nouveaux historiens, très contestés, en passant par Heinrich Graetz, David Ben Gourion, Martin Büber et tous les autres, Sand tente de montrer que la structure de l’historiographie juive a connu des soubresauts qui ne sont pas étrangers à la nécessité idéologique d’asseoir l’existence d’un peuple qui, selon lui, n’avait pas de véritable consistance avant la fin du XIXe Siècle.
En suite de cela, et c’est très important, il explique qu’un peuple qui s’est auto-constitué ne manque pas moins de légitimité, que sa présence en tant que peuple ayant assis un siège géographique est tout autant juste que légale, qu’il n’y a pas à vouloir contester son existence ni son siège là où il se trouve. Autrement dit, à aucun moment Sand ne veut remettre en question la présence d’Israël en Israël ((P. 390 de son livre, Sand écrit: “Tout grand groupe humain qui se considère comme formant un ‘peuple’, même s’il ne l’a jamais été et que tout son passé est le résultat d’une construction entièrement imaginaire, possède le droit à l’autodétermination nationale.” Il cite aussi Arthur Koestler qui, bien que critiquant l’État d’Israël, lui reconnaissait une légitimité de droit et de fait depuis 1947 (p. 334).)).

Par contre, il délégitimise un pan sérieux du sionisme qui est l’idée selon laquelle Israël appartiendrait à tous les juifs du monde, mais pas à une bonne partie de ses habitants non-juifs ((C’est essentiellement l’objet de son cinquième et dernier chapitre.)). Pour lui, cette idéologie est contraire à la raison démocratique et à toute idéologie nationale acceptable en regard de l’histoire du nationalisme. Cette idée doit donc être disqualifiée et le sionisme accepter qu’elle disparaisse afin de tenter de vivre en bonne entente avec les personnes qui vivent en Israël, en Palestine et dans le voisinage de ces territoires.

Un militant

Dans une autre partie de son livre, mais en bonne suite du reste, Sand doute de la qualité de la démocratie d’Israël. Il s’appuie pour ce faire sur les travaux de plusieurs spécialistes (Sammy Samooha et Juan José Linz, principalement ((P. 407-410.)) ) pour montrer qu’Israël souffre d’un déficit de démocratie. Cela l’inquiète et l’on sent chez lui le désir de résoudre la quadrature du cercle de son pays: son aspiration est que les personnes non-juives qui vivent avec lui à Tel-Aviv, qui travaillent avec lui, puissent jouïr des mêmes droits que lui. On sent, dans son livre, que cela pourrait être l’une des clés d’une paix entre Israël et ses voisins à laquelle il aspire effectivement.

Son erreur aura été d’avoir voulu embrasser trop de choses en un livre dense où les références par moments foisonnent et à d’autres, cruciaux, font défaut. Si Sand est totalement dans son rôle en faisant une étude historiographique, il commence à déborder de ses propres compétences quand il reprend toute l’histoire de l’antiquité juive. Et c’est bien dommage, car il apporte des éléments de réflexions très intéressants. Je ne dis pas qu’il n’aurait pas dû les traiter, mais il aurait été avisé de se limiter dans ses affirmations et de donner plus de place aux théories de ses prédécesseurs en les laissant parler eux plutôt que lui. Chose qu’il fait par moments, mais pas assez ((On regrettera très fort l’absence d’une bibliographie que ne compense pas un index utile.)). Par exemple, lorsqu’il cite l’étude archéologique très récente de Silberman et Finkelstein ((P. 173 et suivantes.)), il se permet d’en contester une partie des conclusions. Quel dommage, car, s’il s’était contenté de dire qu’il existe d’autres théories que celles de ces auteurs, et d’en citer ses sources (qui existent effectivement, citées d’ailleurs par Silberman et Finkelstein ((Voir I. FINKELSTEIN et N. A. Silberman, La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l’archéologie, trad. De l’anglais par P. Ghirardi, Paris, 2002. Encore un livre desservi par un titre critiquable, mais une somme très intéressante pour qui s’intéresse aux liens entre l’archéologie et les textes mythiques.)) ), il aurait paru beaucoup plus crédible qu’en en contestant, lui, historiographe de l’époque contemporaine, les excellentes idées sur quelques lignes, alors que le livre des deux archéologues fait tout de même le tour de la question en 400 pages.

De même lorsqu’il apporte des chiffres, des idées, des informations sur les Khazars, le royaume de la Kahina, ou sur Himyar ((Trois objets du chapitre 4 de son livre .)), il aurait été bien inspiré de se contenter d’exposer les théories en présence –ce qu’il fait- en évitant de prendre parfois un tour presque exalté dans sa présentation de l’histoire, alors que de nombreux doutes persistent. Le problème est que, si nous pouvons remettre en question le courant dominant de l’histoire des différentes communautés religieuses ou des différentes parties du peuple juif (supposant que celui-ci existe avant le XIXe Siècle), c’est uniquement parce que les recherches sur celles-ci, à ce qu’il semble dans le livre de Sand, manquent de suivi, hésitent à avancer suffisamment loin pour que l’histoire moderne se décide enfin à se prononcer clairement sur des sujets qui posent manifestement problème: serait-ce que l’histoire des juifs corrobore l’idéologie sioniste?

Sand a fait un travail bien utile, qui est celui d’ouvrir un champ d’exploration pour une nouvelle génération d’étudiants et de spécialistes en histoire, en archéologie, en épigraphie, en numismatique, en philologie, en linguistique et probablement dans d’autres disciplines que je ne soupçonne peut-être pas. Mais son travail risque aussi de desservir sa propre cause, qui était pourtant une cause de paix, car, en se voulant le porte-étendard d’une idée, il a débordé de ses propres compétences et a pris des positions dont il ne pouvait garantir les bases, s’exposant à la critique et se retrouvant dans la position des idéologues qu’il remettait en question. Ce sont ses élèves et d’autres savants qui pourront s’avancer sur ces terres, suivre les voies tracées par les “nouveaux historiens” ((Depuis les années 80, il existe en Israël un courant d’historiens trés contestés qui tentent de “revoir” –terme délicat- l’histoire officielle de leur pays, en mettant en lumière des documents peu ou pas exploités. Sand s’inscrit dans ce courant, mais en reste une figure particulière, car, jusqu’ici, ces nouveaux historiens se limitaient à l’histoire de l’Israël moderne. Remarque: cette note n’est pas le fruit d’une recherche exhaustive mais de quelques remarques faites par des auteurs rencontrés au cours de cette recherche. À prendre donc avec des pincettes.)), pour tenter, avec plus de science et moins de passion, d’établir une véritable histoire de ces communautés qu’il devient difficile de réunir en un peuple unique à la lecture du livre de Sand.

Le phénomène juif

D’apprendre que la religion juive fut la première grande prosélyte de l’histoire ((Voir son chapitre 3. Ce fait n’est pas contesté, ou alors de manière marginale. Par contre, l’importance de la conversion fait question. Sand et d’autres pensent qu’elle peut servir de base pour expliquer l’extension des communautés juives dans la plupart des cas: en pays Khazar, en Afrique du Nord, en Espagne, en Arabie, pour évoquer les principaux cas. D’autres pensent qu’elle est restée marginale et que la majeure partie des ascendants des juifs actuels sont originaires d’Israël et de Judée.)) ou qu’il a existé un royaume juif aux portes de l’Ukraine, un autre au Sud de la péninsule arabique et un troisième en pays berbère ((Voir le chapitre 4.)) ouvre bien des horizons: le phénomène juif est tout naturellement bien plus multiple qu’il ne paraît à l’exposé des problèmes actuels au Moyen-Orient. Le monde juif n’est pas plus endogène que les autres. Et si le connaisseur de la Bible a lu ces passages qui parlent de conversions, de parentés non-juives de certains juifs jusqu’aux plus célèbres comme David, de conquêtes, mais aussi du caractère non-marchand des juifs de l’antiquité ((Jusqu’à Flavius Josèphe qui évoque les juifs de son époque, rarement marchands ou marins, selon lui (Contre Apion, I, 12: “Or donc, nous n’habitons pas un pays maritime, nous ne nous plaisons pas au commerce, ni à la fréquentation des étrangers qui en résulte. Nos villes sont bâties loin de la mer, et, comme nous habitons un pays fertile, nous le cultivons avec ardeur, mettant surtout notre amour-propre à élever nos enfants, et faisant de l’observation des lois et des pratiques pieuses, qui nous ont été transmises conformément à ces lois, l’oeuvre la plus nécessaire de toute la vie.”))), Sand permet au “gentil” de découvrir une réalité qui contraste avec la terrible image d’Épinal que, malgré nous, nous portons dans notre imaginaire superficiel et préconceptueux ((Faites l’expérience chez vous: demandez à vos proches quelles sont, selon eux, les professions exercées généralement par les juifs dans l’histoire et demandez-leur pourquoi. Il y a fort à parier qu’ils évoquent les activités suivantes: rabbin, marchand ambulant, fourreur, banquier, usurier. Sur base de quels éléments historiques?)).

Avant de terminer, rappelons l’objectif premier de Sand: montrer que, comme toutes les autres nations, celle des Juifs d’Israël n’échappe pas à une construction mythologique la justifiant, mythologie développée et enrobée par quelques générations d’historiens, depuis la fin du XIXe Siècle. Mais on ne peut arrêter le propos du livre ici, désormais. Car il est devenu plus qu’un tremplin pour des milliers d’études à venir, indispensables, souhaitables, désirables, attendues, il est aussi un champ de bataille. Sur lui se sont rassemblés deux armées, celle de ses défenseurs et celle de ses adversaires. Il faudrait dire qu’il y aussi la présence de ceux qui ne sont ni ses défenseurs, ni ses adversaires et qui, posément, argumentent sans passion autour de son livre. Et donc, la plupart des personnes qui ont réagi au texte de Sand l’ont fait intégralement pour ou intégralement contre lui, sans nuance, considérant soit comme tout blanc, soit comme tout noir ce qu’il a pu écrire, il existe un troisième camp informel, celui des démineurs, pourrait-on dire, ils sont plus modérés et plus posés. Esther Benbassa, Alain Michel, Maurice Sartre, par exemple, font partie de ceux-ci en français. Leurs critiques et objections sont pertinentes, méritent d’être considérées, et en même temps ils reconnaissent à Sand et au livre des qualités diverses. Le problème étant de distinguer les trois camps distinctement.

Tout historien est à même de travailler sur des documents contemporains que sont des articles, des forums, des blogs, des comptes-rendus et toutes les autres sortes de réactions que ce livre a suscitées. Car, si nous sommes bien formés, nous autres historiens –mais nous ne sommes pas les seuls, heureusement- avons acquis cette compétence qui est de pouvoir analyser et critiquer les dires de nos contemporains en fonction des faits connaissables. Faire de la critique historique est la base de notre métier, est l’essence de notre travail. Les historiens sont les gardiens du bien dire les faits de l’histoire. Cela signifie que notre travail doit impliquer la surveillance de la manipulation de ceux-ci: nous avons pour charge d’empêcher toute personne, sous quelque étiquette que ce soit (juriste, scientifique, politicien, idéologue, amateur ou professionnel) d’utiliser l’histoire pour justifier tout ou son contraire. L’histoire est un matériel difficile à maîtriser. Aucun de nous ne peut prétendre la détenir, car elle est trop vaste et trop exigeante. Elle ne soutient éternellement aucune idéologie, car l’idéologie se voulant totale et étant marquée par l’espace-temps où elle est proclamée se brise sur l’écueil de l’impossibilité d’embrasser l’universalité et la complexité de l’histoire. L’historien le sait et, dans son humilité et sa compétence, doit le rappeler constamment à chacun.

Cela a-t-il bien été le cas de Sand ? On aura noté au cours de cet article que Sand agit en militant et a renoncé à certains principes de base de l’exposé scientifique de l’histoire. Pour commencer, il n’a pas écrit de bibliographie, ce qui est remarquablement dommage vu l’ampleur des sources qu’il cite. Par ailleurs, il pose de nombreux arguments sans en dire les sources. Il semble que son intuition et sa volonté de montrer quelque chose l’aient souvent guidé. D’un autre côté, on ne pourra lui reprocher, par exemple, d’avoir posé dès l’introduction l’objet de sa thèse : c’est une pratique courante aussi bien dans les articles que dans les livres d’histoire. Les introductions servent souvent, en effet, à prévenir le lecteur du chemin parcouru par le chercheur. De même que Sand a suivi nombre de voies, de sources, de lectures et l’a bien exposé, bien que de manière souvent brouillonne et chaotique. Ses conclusions portent une large part de vraisemblance et, à part quelques détails importants, on ne sent pas le faux flagrant qui lui est reproché par ses détracteurs les plus virulents. En outre, il a plusieurs fois dans son travail fait appel aux recherches futures de ceux que les sujets intéresseront. Enfin, dès le début, il a marqué son livre de sa subjectivité et l’on pourrait dès lors définir son travail comme un véritable essai historique, plutôt que comme un livre d’historien. Comme il est historien, cela pose les bases d’un problème qui est que, de notre caste, l’on attend des livres plus sérieux, plus finis, mais aussi, depuis au moins les Annales, plus pointus, se concentrant sur des sujets étroits, pas sur des parties de l’histoire qui nécessitent autant de spécialités dont l’auteur n’est pas pourvu.

Si Sand s’était contenté de ne faire que l’étude de l’historiographie de 1800 à nos jours, ce compte-rendu aurait pu le proclamer livre d’histoire. On doit donc classer ce livre dans la catégorie des essais d’ouverture scientifiques, produit par un intellectuel qui souhaitait engager le débat. Une fois ceci fait, il reste à ceux qui le désirent de faire la critique interne de chaque partie pour laquelle il se sent compétent. Et de laisser aux collègues le soin des autres. En espérant que ce livre aura effectivement ouvert la voie à une meilleure compréhension de l’histoire de la religion, des communautés, du peuple juif –avec toutes les précautions que ces termes réclament.

égalité et liberté ou liberté et égalité?

Tuesday, April 27th, 2010

Une des critiques qui nous tombent régulièrement sur le râble, libertaires, anarchistes, anti-autoritaires, anarcho-communistes et autres zigotos aux appellations les plus diverses, c’est que nous serions incapables de faire un choix entre la liberté et l’égalité quand le cas se présente. Dit autrement, on nous demande, en fait, de nous prononcer quant à celle de ces deux valeurs que nous mettrions en premier sur une échelle.

Étant entendu dans le piège que si nous choisissons la liberté, nous sommes d’infâmes capitalistes qui nous cachons derrière de prétendus nobles idéaux et que si nous choisissons l’égalité, nous ne sommes que des staliniens qui tentons de nous cacher sous une couette noire et rouge.

Le piège est grossier et nous ne devons pas nous y laisser prendre, car en fait ce sont les deux positions prétenduement antagonistes et classiques qui s’avèrent contradictoires.

Il n’y a pas de liberté sans égalité et il n’y a pas d’égalité sans liberté. Je le dis et l’affirme de la manière la plus absolue, sans me référer à des limites du genre “égalité des droits”, “égalité des chances”, “liberté d’entreprise” ou toute autre chose.

Il est évident qu’une telle affirmation comporte des conséquences que ni les socialistes autoritaires, ni les sociaux-démocrates, ni les capitalistes libéraux n’accepteront d’assumer.

Premièrement, la liberté ne peut se satisfaire d’aucune limite en dehors de celles que possède la nature humaine, mortelle et corporelle. Notre liberté ne se pose pas en terme de capacité à accumuler les biens et les richesses, mais à défendre temporairement contre nos propres limites physiques nos capacités à penser, agir, créer, fabriquer, enseigner, apprendre, produire et reproduire, aimer et rechercher le bonheur, la satisfaction et le contentement en attendant la mort.

Toute autre liberté est fictive, à commencer par la liberté d’entreprendre, par exemple, qui est régie par des principes tellement complexes et qui, surtout, implique automatiquement des limites dans le champ des voisins de celui qui entreprend, qu’en réalité ce type de liberté s’avère être une prison. La propriété elle-même, par beaucoup considérée comme la plus importante des libertés, tant d’une personne que d’un État, est en fait la propre cage de l’individu qui a accepté de se transformer en personne, c’est-à-dire en titulaire des titres de biens matériels et immatériels qui lui serviront de limites et l’encercleront par opposition aux autres qui seront encerclés aussi, à la fois par les limites de cette première personne, par celles de toutes les autres personnes et par les leurs propres.

La liberté, cependant, implique bien d’autres choses, comme par exemple celle du choix intellectuel de ses propres valeurs, de sa métaphysique, de sa définition de la vie, choix qui doit absolument être individuel et ne peut être limité par une autre notion comme celle de la “liberté du père à choisir la religion ou l’éducation de ses enfants”. Tout doit être fait, dans une société libertaire, pour que la famille ne soit que le lieu privilégié, mais aussi éventuel, non forcé, du partage de l’affection et de l’apprentissage de bases de vies dans la société libertaire, non dans un esprit sectariste, élitiste, corporatiste, patriarcal, ou autre chose du même goût.

L’égalité est indispensable à cette forme de liberté individuelle, et cela signifie qu’en aucun cas l’expression de la liberté d’un individu puisse être soumise au prétendu droit d’une personne, morale ou physique, à détenir en sa propriété, temporairement ou définitivement, les moyens qui permettraient à un ou plusieurs individus de se prémunir contre le froid, la chaleur, la faim, la soif, la maladie, l’inconfort ou toute autre chose qui accélère la mort. Par personne morale, j’entends aussi ici un État ou une administration “publique”.

L’égalité est donc indispensable à la liberté, et la “liberté d’entreprendre”, tout comme la propriété, ne doivent pas créer l’illusion du contraire.

Par ailleurs, il doit être évident que l’égalité ne saurait se prévaloir d’une première place par rapport à la liberté, car, si cela était, l’exercice même de l’égalité s’en trouverait empêché. En effet, comme l’égalité doit être l’égalité devant la recherche du bonheur, de la satisfaction et du contentement, si elle devait être soumise à un appareil qui prétendrait la garantir (comme un État, un syndicat, un parti ou tout autre appareil d’un type ou d’un autre), elle perdrait aussitôt son essence, puisque son objectif devrait être de permettre aux individus de choisir précisément chacun selon ses envies et en fonction de sa propre individualité ce qu’il estime être sa propre quête comme vue ci-dessus, dans les limites de sa mortalité. Aucun appareil ne peut prétendre savoir légitimement ce qui est bon ou non pour chaque individu.

L’égalité ne saurait non plus se soumettre à une autorité spirituelle (religieuse, nationale, communautaire, scolaire, autre) quelconque -et fatalement patrimoniale, mais imaginons un instant que ceci n’entre pas en compte, même si nous savons que c’est impossible-, car, ce faisant, elle se réduirait d’autant et cette égalité disparaîtrait au profit d’une uniformité qui ne signifie pas du tout la même chose.

En définitive, donc, liberté et égalité, loin d’être antinomiques ou en concurrence (ce qui serait un comble), sont correlées et, j’oserais le dire, les deux manifestations d’une seule et même chose: le droit de tout individu dans son humanité et de toute l’humanité exprimée dans chacun de ses individus à poursuivre temporairement -c’est-à-dire jusqu’à sa mort- sa propre recherche du bonheur, de la satisfaction et du contentement, dans les seules limites que nous avons dites ici plus haut.

Pour que ce droit puisse se manifester pleinement, deux entraves doivent en être écrasées impitoyablement, comme diraient les anars les plus historiques, de Goodwin jusqu’à Debord, c’est l’État et la propriété. L’un d’ailleurs n’allant pas sans l’autre, et vice versa.

On est fé-, on est fé-, on est fé- ministes!

Monday, April 26th, 2010

Dans le Canard Enchaîné du 31 mars dernier, je lisais (en retard) un article sur les difficultés pour les femmes de trouver un centre hospitalier capable de pratiquer une IVG dans un délai raisonnable. Avec la “rationalisation” des hôpitaux en France, qui a parfois amené à la disparition de centres de spécialisation réputés en dépit du bon sens, on a assisté à un resserrement de l’accès à de bonnes conditions et rapidement à l’Interruption Volontaire de Grossesse.

Et d’évoquer le cas d’une femme qui dut attendre un mois pour être opérée. Ce qui, pour ce type de cas, est largement excessif, quand on sait de quoi il s’agit.

Surtout qu’évidemment, les intégristes “pro-life” en profiteront pour critiquer une pratique qui s’attaque à une vie à un stade plus avancé, et patati, et patata.

Sans compter la souffrance d’une femme qui porte en elle un embryon avec tout ce que cela implique d’émotionnel et de physique.

Ceci pour rappeler que, contrairement à une certaine “idée reçue”, le féminisme n’a pas le droit de baisser les bras pour cause d’acquis. Aussi bien dans ce type de cas que dans bien d’autres, comme les droits du travail, les violences conjugales ou autres, les discriminations machistes, les insultes, les attitudes paternalistes, misogynes, et j’en oublie sûrement encore, les acquis du XXe Siècle, qui a vu effectivement le statut des femmes tendre vers un mieux indiscutable, ne sont et ne seront jamais que très fragiles et nécessitant une surveillance constante face aux reculs désirés par bien des mouvements rétrogrades.

À commencer par la religion et les mouvements d’extrême-droite, naturellement, mais aussi par le marché, premier bénéficiaire du conservatisme social, du conformisme familial, de la discrimination salariale et de la consommation bête, cette dernière poussant les femmes à se rappeler qu’elles ne sont que de beaux objets ménagers au milieu d’un environnement propre à être modelé en fonction de ce statut.

Le seul exemple du congé parental devrait nous éclairer plus que tout autre. Ils sont encore trop rares les pays qui non seulement autorisent, mais imposent un congé parental protégé au père comme à la mère, et non de ne l’accorder généreusement qu’à la mère, histoire de la confiner un peu plus entre ses murs et à justifier des différences de revenus entre les sexes.

Lorsque Giuliano est venu au monde, Claudia a bénéficié de 5 mois de congé parental, et ce fut pour elle une excellente chose, elle a pu s’occuper de son fils de manière appropriée. Quant à moi, je n’aurais bénéficié que d’une semaine maximum de congé post-natal. Congé qu’en raison des circonstances je n’ai pas réclamé, car je venais d’être engagé à l’essai et je craignais de perdre mon travail.

IVG, congé parental. En deux anecdotes, deux lieux de combats encore tout à fait d’actualité pour le féminisme qu’il serait honteux de critiquer sous prétexte d’être parvenu à une grande quantité d’acquis étalés sur un siècle. On est encore loin du compte.

Proust, ma chère

Monday, April 19th, 2010

De la politique étrangère comme illustration de la relation possessive.

Et vice versa:

“les préparatifs de guerre, que le plus faux des adages préconise pour faire triompher la volonté de paix, créent au contraire, d’abord la croyance chez chacun des deux adversaires que l’autre veut la rupture, croyance qui amène la rupture, et quand elle a eu lieu cette autre croyance chez chacun des deux que c’est l’autre qui l’a voulue.”

C’est déjà pas mal comme citation, mais la suite vaut la peine également;

“Même si la menace n’était pas sincère, son succès engage à la recommencer. Mais le point exact jusqu’où le bluff peut réussir est difficile à déterminer; si l’un va trop loin, l’autre qui avait jusque-là cédé s’avance à son tour; le premier, ne sachant plus changer de méthode, habitué à l’idée qu’avoir l’air de ne pas craindre la rupture est la meilleur manière de l’éviter (ce que j’avais fait ce soir avec Albertine), et d’ailleurs à préférer par fierté de succomber plutôt que de céder, persévère dans sa menace jusqu’au moment où personne ne peut plus reculer. (…)”

(La Prisonnière, Garnier Flammarion, 1984, p. 471-472)

Proust continue à comparer sa “tendre guerre” de jalousie avec la politique étrangère de la France pendant quelques lignes…

Avouez qu’on ne saurait mieux dire…

les vases communicant(s)

Friday, April 2nd, 2010

Si, si, vous avez bien lu…

Que lisé-je sur divers journaux, y compris belgiens, ce 31 mars? Ciel, le président Sarkozy n’envisage pas de toucher aux précieux boucliers fiscaux qui limitent la taxation -principalement- de ses amis du CAC 40 et cadors… et consorts, voulais-je dire.

Par contre, et c’est tout l’intérêt de recevoir ses abonnements en retard, je voyais le même jour dans le Canard Enchaîné du 24 février, la mini-info suivante, relayé depuis L’Humanité (co-propriété Rotschild pourtant):
“À partir de cette année, la demi-part supplémentaire attribuée à tout contribuable vivant seul et ayant élevé un enfant sera réservée à ceux qui ont élevé cet enfant pendant cinq ans depuis qu’ils vivent seuls. Ce petit détail pourrait rendre imposable des personnes jusqu’à présent exemptées [d’impôts, parce qu’elles ne gagnent pas assez pour en payer], soit augmenter l’impôt de ceux qui le paient déjà de 500 à 800 euros, selon le calcul de la CGT-impôt.
“mais l’État y gagnera 1,2 milliards, ce qui est bien l’essentiel.”

Ce que l’État ne prend pas dans les caisses des plus grandes fortunes et des plus grands revenus de France, elle va le chercher dans les plus petits.

C’est le principe des vases communicants.

Et c’est tout l’art d’être vaseux dans la communication…

Pour paraphraser Poutine, le gouvernement français ira chercher ses pièces jaunes “jusque dans les chiottes”…