C’est encore les anarchistes…
Je ne suis pas trop l’actualité européenne pour l’instant, vous m’excuserez, il y a plus spectaculaire, sinon plus important, de ce côté-ci de l’Atlantique. Des élections, des élections, des élections…
Mais il paraît que les anarchistes ont remis ça.
Ces petits irresponsables envoient des bombes partout et après ils s’étonnent qu’elles pètent au hasard et tuent des innocents.
‘faut dire qu’on a une de ces réputations…
Les anars sont réputés violents, poseurs de bombes, barbus, russes ou italiens, voire espagnols (pour ceux qui ont des lettres), misanthropes, sombres, pessimistes, taciturnes…
Tout mon portrait.
Ceux d’entre vous qui m’ont cotoyé savent que je ne diffère pas d’un iota de ce descriptif. On dirait ma fiche signalétique aux Renseignements Généraux (ah, oui, j’oubliais, nous sommes aussi paranoïaques et suspicieux, mais ça c’est déjà plus vrai, en fait, parce que, pour ceux qui ne l’ont pas compris, jusqu’ici, j’étais un tout petit peu ironique).
Et donc, il paraît qu’on a remis ça. En Grèce. Le pays de la démocratie. Les sages, les philosophes. Tous des nez droits (sauf Socrate), pas un métèque… Violence aveugle, gestes irréfléchis, désir de détruire, de terroriser, de se venger, de vider ses frustrations, que sais-je.
Tout nous, encore. Enfin, tout moi, je veux dire. Tout mon portrait: rien dans la tête, tout dans les tripes; aucune notion des conséquences de mes actes; pas de compassion, pas d’humanisme…
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Décidément, les réputations ont la vie dure…
Tolstoï, Proudhon, Kropotkine, Godwin, James Guillaume, La Boétie, Diogène, Whitman, Thoreau, Chomsky sont les références intellectuelles les plus fréquentes dans le monde anar. Malgré leurs éventuelles colères, on ne compte parmi eux aucun violent.
Emma Goldman, Alexandre Berkman, Bakhounine, Malatesta, Durutti, étaient déjà plus versés dans la lutte armée. Certains pour cause de guerre, d’autres par simple logique de continuation de la lutte des classes.
Et puis il y a ceux qui, tels Ravachol, Emile Henry, Czolgosz, et bien d’autres, qui passèrent à l’action individuelles… Que dire encore? La bande à Bonnot, évidemment…
Meurtriers, assassins aveugles, fous, demeurés, inconscients… montrent bien que les anarchistes sont violents, irresponsables, sans foi ni loi… Si ça se trouve, c’est eux qui ont causé la Première Guerre Mondiale ((En réalité, il n’en est rien: de nombreux attentats attribués aux anarchistes sont souvent le fait de nationalistes ou de nihilistes. Ainsi, le meurtre de l’Archiduc héritier de l’Empire autrichien, en 1914, était le fait d’un nationaliste serbe qui n’avait rien à voir avec l’anarchie.)). Qui sait s’ils ne se regorgent pas du sang des bébés, comme des Catilina, des Cathares ou des Communistes…
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Ce n’est pas toujours drôle de vivre avec une telle réputation, alors que les crimes les plus nombreux, les plus aveugles, les plus incroyablement effroyables, les crimes qui touchèrent le plus d’enfants, de civils, de personnes totalement étrangères à la moindre idéologie, ce sont bien les réputées démocraties qui les ont commis, en compagnie, certes, des dictatures.
Lorsqu’une guerre éclate, ce sont souvent des centaines de milliers de gens, voire des millions, qui meurent pour des raisons d’État, de sécurité, d’intérêts nationaux, commerciaux, que sais-je.
Lorsqu’une politique migratoire se durcit, ce sont des dizaines de milliers de personnes chaque années qui sont criminalisées, pourchassées, et des milliers qui meurent, aussi, dans le monde, parce que les sédentaires croient pouvoir arrêter les nomades.
Lorsque le capitalisme ferme ses vannes d’un côté pour les ouvrir de l’autre, ce sont des quantités invraisemblable de familles qui perdent tous leurs revenus, la précarité de leur sécurité, leur droit à la santé, à l’eau, à l’énergie; en un mot, si vous pensez à votre propre situation, à la vie…
Les anarchistes ont parfois tué. C’est vrai. Mais il faut insister sur deux choses: historiquement, les anarchistes ont presque toujours ciblé leurs victimes et n’ont jamais commis de meurtre de masses comme Madeleine Allbright le justifiait en parlant de la Première Guerre d’Irak et de ses suites; d’autre part, sur tous les anarchistes, rares sont ceux qui sont passés à l’acte violent; pour un Vaillant, on compte cent Victor Serge ou Sébastien Faure, pour un Nechaiev, cent Reclus.
Et si certains deviennent violents, le plus souvent ils ne s’attaquent qu’à des biens matériels: vitrines, caméras, voitures, barrières: la violence contre les hommes, du fait anarchiste, est rarissime et, comme je viens de le dire, le plus souvent ciblée. Même des événements comme celui de la rue des Bons-Enfants, ressortissent de faits isolés.
Même la Bande à Bonnot, peut-être un des groupes les plus atypiques du mouvement anarchiste ((Parmi les illégalistes, rares étaient ceux qui utilisaient la violence.)), se justifiait de n’avoir jamais attenté à la vie d’un ouvrier et de ne s’être attaqué qu’aux bourgeois et à leurs serviteurs. Certes, c’est déjà de la violence, mais elle est extrêmement ciblée -peut-on en dire autant des frappes chirurgicales? Et, en outre, la plupart d’entre nous n’approuvent pas de telles procédures. Mais dans notre échelle de valeurs, les crimes de Bonnot et Raymond la Science sont loin d’égaler Dresde, Hiroshima, Nagasaki, le Napalm, l’Agent Orange, la lutte contre les syndicats en Amérique Latine, les politiques coloniales et néo-coloniales, l’Apartheid -et, bien sûr, les meurtres officiels de Sacco et Vanzettti… Pour ne donner que quelques exemples… Pour s’arrêter à quelques détails de l’histoire qui n’eurent jamais l’heure de voir leurs coupables devant la justice -bourgeoise.