Le monde à l’envers
En 1988, un des pays les plus libéraux du monde abandonnait la constitution dictatoriale qui était la sienne depuis 1964. Le pays redevenait démocratique (rions deux fois). Et se dotait d’une nouvelle constitution avec des élections où on pourra élire même des gens pas cultivés, même des métallurgistes, je te jure, même qu’ils ont été cap’, et que maintenant il y a un paquet de cons qui le regrettent amèrement…
Dans la constitution, les Brésiliens (car c’est bien d’eux qu’il s’agit au cazou tu ne l’avais pas remarqué) ont introduit la création d’un système de santé payé par l’État pour tous les Brésiliens indistinctement. Jusqu’en 1988, les Brésiliens se divisaient en trois catégories: les riches qui avaient souscrit une assurance privée; les travailleurs qui cotisaient pour un service public; les pauvres et les clandestins (y compris les ennemis du régime, ces sales communistes) qui pouvaient toujours aller se brosser…
Étonnant non? En pleine vague reaganienne, un pays dont les politiciens sont en général des adeptes du libéralisme pur et dur va figer dans sa constitution le droit à tous les Brésiliens de bénéficier d’une médecine minimale…
Et ça ne marche pas si mal. Certes, c’est pas encore le “premier monde”, mais, bien que les mêmes éternels imbéciles pleurent après ces gaspillages, ces dépenses inconsidérées de l’État et veuillent qu’on privatise tout, la mortalité infantile a baissé de moitié en vingt ans, les épidémies les plus fréquentes ont été freinées ou éradiquées et il ne reste plus que deux catégories de personnes, maintenant: ceux qui bénéficient du SUS (Système Unique de Santé) et ceux qui bénéficient d’une assurance privée… et accessoirement du SUS qui prend encore en charge pas mal de trucs même pour ceux qui paient des commerçants de la santé (dont je suis, puisque mon école m’en fait bénéficier…).
Mais au moment où les logiques marchandes de nos pays civilisés (je parle de la Belgique, de la France, etc.) nous forcent à reconnaître, qu’il serait temps pour le bien de tous de liquider les collectivités et favoriser les grosses boîtes d’assureurs, les cliniques privées et les usines à psychotropes légaux, le Brésil poursuit sur sa lancée, renchérit: l’ancien ministre de la santé, Adib Jatene, actif sous le gouvernement Cardoso, pourtant de droite, estime que la santé avance dans le bon sens au Brésil: plus de gestion collective, plus d’argent (et il en manque selon lui). L’actuel ministre, José Gomes Temporão, membre du parti très droitiste PMDB, ne dit pas autre chose.
Aujourd’hui, la couverture publique permet à 100 millions de Brésiliens de bénéficier des services de santé et prévention de 216 mille agents, le tout avec un budget de santé de 50 milliards de reais (moins de 20 milliards d’euros). En 1994, seuls 16 millions de Brésiliens étaient couverts et il n’y avait que 30 mille agents.
(Notons que le nombre de praticiens par habitants ferait pâlir d’envie les maniaques des quotas d’étudiants en médecine de nos chers pays soc-dém… Il y a bien des jeunes qui reviennent diplômés de Cuba pour tenter de pallier aux manques, mais on ne leur reconnaît pas la validité de leurs diplômes. Notons aussi que les homéopathes ne sont pas conventionnés et que nous payons donc le médecin de notre bébé plus de 100 euros la séance… Si, si…)
Les deux serviteurs de l’État avouent (pas sous la torture) que la médecine publique assure même des opérations dans les cliniques privées. Et donc, les riches privilégiés (et les salariés aussi) sont également soignés parfois par l’État vampire… Ce qui bénéficie d’autant plus à l’image des assureurs privés qui se font ici des bénéfices gigantesques et ont accru également leur… patientèle… (ceci ne les empêche pas d’être en tête des réclamations de consommateurs…)
Le Brésil, libéral, gouverné par un gros bien laid inculte et prétendument gauchiste(1), c’est le monde à l’envers…
Source: CartaCapital du 16 avril 2008 et Caros Amigos spécial Cuba (2007).
(1) c’est le genre de réflexions très élevées que j’entends très souvent à son endroit…