Je m’appelle terroriste

Je suis apparu il y a très longtemps.

Pour les Hittites, j’étais Égyptien, déjà. Et pour les Égyptiens, j’étais Hittite. Les Chinois me voyaient Mongol. Dans la Bible, je suis Philistin, adorateur du Veau d’Or, Cham, Onan, Sodomite, Ghomoréen…

Les Grecs m’appelaient barbare, les Romains m’ont glorifié sous les traits de Spartacus, des esclaves révoltés ou des Germains…

Mais je ne m’exprimais pas encore dans la pleine puissance de ma personnalité.

C’est au Moyen-Âge que j’ai connu mes plus belles heures. On m’appelait alors hérétique, sorcier (et plus souvent sorcière), païen, rouquin, juif parfois…

J’étais dolcinien ou je participais aux jacqueries. J’étais pastoureau, ou étudiant malfaiteur, je vivais dans la cour des miracles ou dans les bois, attendant le passant.

Non, je n’ai jamais été Robin des Bois. Celui-là se battait en définitive pour son roi…

Mais j’ai suivi Jan Hus, je lisais Érasme, j’écoutais parler Étienne de la Boétie, j’ai finalement accompagné Giordano Bruno jusque sur son bûcher… J’ai renié François d’Assise, aussi…

Si le Moyen-Âge m’a vu occuper bien des places, à la Renaissance, je me suis éteint, bousculé par les guerres de religion auxquelles je n’ai pas pris part. Trop d’imbéciles…

Plus tard, je me suis reconverti dans la contrebande et le banditisme: j’accompagnais Mandrin et Cartouche sur toutes les routes de France. je trafiquais de tout, je rançonnais les riches et parfois même je brûlais les châteaux.

Je finissais sur la roue ou écartelé…

Je troublais l’ordre public.

Je raillais la couronne.

Je me moquais des édits et des agents de l’État.

je détroussais et l’on dit aussi que je troussais… Mais bon…

Puis, il y a eu la politique, la nation, l’État, la République… Autant de choses qui ont changé ma vie.

Ou plutôt non… J’ai continué comme avant… J’étais voleur, brigand, vagabond, je suis devenu titi et apache… J’ai eu tant de nom… Je troublais toujours l’ordre public. Je méritais la prison. Je terrorisais les bonnes gens….

Ah, ça y est, voilà qu’apparaissait mon vrai nom…

Je terrorisais.

Et cela ne s’est pas amélioré avec l’avènement de l’anarchie, voyez-vous. C’est qu’il en a plu, des bombes, ah madame! Pas toujours tirées par moi, ça non, car il y en avait bien dix mille (pour commencer) dans chaque guerre pour une que je lançais au parlement ou dans les cafés bourgeois. Je tirais sur les magistrats et j’assassinais même parfois des artistos encore, ou un président de la république…

Mais c’était rare. Je n’étais qu’un amateur…

J’étais surtout attablé avec des copains, devisant sur la gréve générale, évoquant le monde de demain, de l’oisiveté, des barques sur la rivière et du Moulin de la Galette… Mais c’était déjà trop que de vouloir distribuer des journaux gratuits et de créer des communautés et des écoles ni républicaines, ni catholiques. J’étais terroriste, voyez-vous…

Je devais être guillotiné. Je l’étais.

Puis, je devins objecteur de conscience, féministe, tire-au-flanc, gréviste, syndicaliste, et même encore cambrioleur et monte-en-l’air… Avec Bonnot, je suis revenu à mes bonnes vieilles amours d’antan et pillais banques et richards…

Ça n’a pas plus, naturellement, tiens donc.

Je terrorisais les villes et les campagnes encore. Alors, pensez, quand je devenais végétarien, j’empirais encore. Surtout que, par contre, je refusais d’arrêter de boire et de fumer. Si je ne me droguais pas et que je n’assassinais pas les bébés dont je me gorgeais du sang. Ben tiens…

C’était ma période anarchiste. Ma première vraie période sous mon nom de terroriste

Mais j’en ai eu d’autres, et de plus étonnantes.

J’étais encore terroriste entre 1940 et 1945. L’histoire m’a retenu sous le nom de résistant, mais, à l’époque, on m’appelait terroriste.

Après la guerre, je me suis retrouvé dans les colonies. Je terrorisais les colons, dis donc. Puis sous les dictatures latino-américaines. Je terrorisais les journaux qui avaient accepté la censure des militaires. Bien sûr, j’agissais aussi en Espagne, en Grèce, au Portugal…

J’étais aussi actif en Irlande du Nord…

J’étais un terroriste. Je m’appelais terroriste.

J’ai continué à agir en Espagne… J’étais encore terroriste.

En Italie, en Allemagne, en France, même en Belgique, j’agissais… J’étais un terroriste… Je pouvais faire ce que je voulais, il me suffisait de ne pas condamner les agissements des autres terroristes pour en être un moi-même.

Ou bien j’étais contre les terroristes, ou bien j’en étais un.

Ça n’a pas changé d’ailleurs aujourd’hui. Ne sommes-nous pas tous Américains?

En Israël… Enfin, en Palestine… Enfin, en “Terre Sainte”, je suis encore un terroriste, même si, bon…

Et ce n’est pas fini. Je me suis étendu avec le temps. Je suis encore un terroriste dès que j’empêche un patron de sortir de son usine ou des travailleurs d’y entrer. Je suis un terroriste quand je tente de m’exprimer lors d’un sommet de grands chefs internationaux. Je suis même un terroriste pour certains quand je veux voter Morales en Bolivie ou Chávez au Vénézuéla…

J’ai noté d’ailleurs un truc: Spartacus, jacque, dolcinien, contrebandier, apache, anarchiste ou terroriste, je suis certes gênant parce que je veux vivre d’une autre manière que celle qu’on veut m’imposer, mais je suis surtout un bon prétexte pour fermer la gueule de ceux qui pourraient exprimer de la sympathie à mon égard.

Rendez-vous le 14 juillet…

6 Responses to “Je m’appelle terroriste”

  1. patsy Says:

    Bonjour toi,

    je passais comme je le fais de temps en temps…
    J’espère que tu vas, que vous allez tous bien!

    A bientôt

  2. Julien Uh Says:

    Il y a tout de même une différence majeure entre les bolchéviques et des contrebandiers, tu ne penses pas ?

  3. tito Says:

    Oui: le contrebandier ne tuait pas les anars en Ukraine…

    Mais où est-ce que je parle de bolchevique?

  4. Julien Uh Says:

    Pour clarifier mon propos : tu fais un melting pot entre les personnes ou les groupes qui s’opposent à l’ordre établi:
    – par conviction politique transformatrice du monde,
    – par conviction nationaliste ou religieuse
    – par simple but lucratif.
    c’est peut-être très joli, mais je trouve qu’il y a plus de différences entre ces groupes que de points communs. Tu choisis un point commun, l’aspiration à vivre autrement, laquelle génère la qualification de “terroriste”. Il ne suffit pas d’être opprimé pour être résistant. Il faut en être conscient et agir politiquement contre cet état de fait. pas débourser un petit vieux, sauf si l’argent sert la cause.
    Plus largement c’est un peu une constante chez les anars que de penser que chaque petit délinquant en taule est un prisonnier politique. A nouveau la différence entre eux deux est grande

  5. tito Says:

    Cher Ju,
    Ce n’est pas moi qui appelle ces personnes terroristes, barbares ou apaches, mais bien ceux qui en refusent l’existence.

    Mon objectif n’était pas de les comparer comme étant égaux devant la politique, mais bien de pointer le destin similaire qu’ils vivent face à l’ordre établi.
    Et je ne parle pas de bandits qui volent les petits vieux dans mon propos. Certes, il est arrivé à mon terroriste d’être assimilé aux auteurs de “crimes crapuleux”, mais ce n’est pas pour cela que je range ces derniers parmi les forfaits de mon héros-à-travers-le-temps…

  6. Julien Uh Says:

    l’assimilation est pourtant dans la conclusion. Mais bon, vu ta réponse, je n’ai rien dit 🙂
    “J’ai noté d’ailleurs un truc: Spartacus, jacque, dolcinien, contrebandier, apache, anarchiste ou terroriste, je suis certes gênant parce que je veux vivre d’une autre manière que celle qu’on veut m’imposer, mais je suis surtout un bon prétexte pour fermer la gueule de ceux qui pourraient exprimer de la sympathie à mon égard.”

Leave a Reply

Time limit is exhausted. Please reload CAPTCHA.

*