Résumé de l’épisode précédent:
Petit topo sur les élections présidentielles brésiliennes.
En lice (officiellement à partir de ce week-end):
–José Serra, du PSDB, qu’on dit ici du centre, mais que je verrais bien fort à droite, surtout question dialogue social;
–Dilma Rousseff, du PT, chouchou de Lula, ex-coco, mais vouée à la Realpolitik et à la méritocratie;
–Marina Silva, du PV, ex-ministre de l’environnement de Lula, très populaire, mais qui s’est fait plein d’ennemis aussi, et dont le côté mystique me gène.
-et quelques autres mandaïs, mais disons que, pour parler électoralement, il s’agit de quantités négligeables.
2e Partie: les forces en présence.
-le lobby financier et la banque centrale;
Patron de la Banque Centrale depuis la présidence (de droite) de Fernando Henrique Cardoso, Henrique Meirelles défend avec efficacité les intérêts des banques, grâce au taux d’intérêt régulièrement le plus élevé du monde. Sous prétexte de freiner une inflation qui était, jusqu’aux années 90′, l’un des fléaux du pays, le SELIC tourne toujours autour de 10% (Il est descendu à 8%, mais c’était un plus bas historique qui a été revu à la hausse suite à la crise), quand son homologue américain est virtuellement négatif (inférieur au taux d’inflation) et ceux des pays européens tournent autour de 1 à 2%. Les banques aiment ce taux, car il justifie leurs profits faramineux -sans bouger les oreilles-, alors que leur gestion a été reconnue régulièrement comme parmi les pires du mondes. La Banque Centrale fut et est l’un des cailloux constants dans les chaussures du PT au pouvoir depuis 2002: impossible de sortir de la dépendance des banques qui menacent constamment de replonger le pays dans le chaos pré-Lula. Ce dernier, en fait, a pactisé avec les banques afin d’établir ses grandes politiques de développement et de charité publique. Il a rejoint, ni plus ni moins, les mouvements “réalistes” des socio-démocrates européens.
-le lobby de l'”agronegocio” et les fazendeiros;
Ce lobby est à peu près partout au Congrès. Certains journalistes estiment à un tiers les congressistes qui y sont liés. Et tous les partis importants, ou presque, sont infiltrés par les tenants des grandes propriétés foncières. Leurs arguments sont connus: ils produisent une part majeure du PIB brésilien, sont responsables pour la plus grande partie des exportations du Brésil et nourrissent le peuple. Sauf que ces arguments tombent devant les défenseurs des droits sociaux et de l’environnement, et que les études les plus sérieuses montrent que le marché intérieur est surtout alimenté par l’agriculture familiale. Mais alors que celle-ci est très peu soutenue, l’agrobusiness, lui, reçoit la plus grande partie des subsides de l’état, paie peu voire pas d’impôts et bénéficie d’indulgences bancaires considérables. Leur influence est considérable dans le traitement de la réforme agraire -qui n’avance pas-, de la propriété de la terre -qui est entachée d’innombrables fraudes-, de la tolérance aux engrais chimiques et aux OGM, des droits du travail, des priorités en matière de déplacement des richesses et des capitaux.
-Les partis;
Les principaux partis sont presque tous nés après la dictature, mais deux d’entre eux, le PMDB (droite conservatrice) et le DEM (droite dure), sont les héritiers directs des deux seuls partis autorisés entre 1965 et 1985. Le PSDB (centre-droit genre MR ou UMP) est une dissidence du PMDB. Le PSol (plutôt gauche-extrême-gauche) et le PV (pseudo-écologistes) sont des dissidences du PT (ex-de gauche, genre PS) qui s’est déclaré le grand opposant à la sortie de la dictature. Il y a encore quelques partis, comme le PSB, le PDT, le PCdoB ou le PCB, qui sont des acteurs réguliers de la scène politique, mais plus petits. Leur importance est surtout liée au temps d’antenne à l’époque des campagnes électorales, car ce sont les alliances entre partis qui déterminent les quotas de chaque candidat ou de chaque cartel de partis. Ce qui donne une véritable enchère aux partis… Les défections des élus, qui passent d’un parti à un autre, sont légion, considérées comme un scandale par les uns, et un droit légitime par les autres. Je vous laisse deviner qui pense quoi.
-les mouvements populaires -le MST, et…;
Il faut être franc: les mouvements populaires au Brésil sont sous-considérés. Ils existent, au-delà du MST, mais ils sont terriblement faibles en raison de leurs relations soit au pouvoir en place, soit aux partis, soit aux syndicats. Le MST (avec le MTST) fait figure d’exception, ce qui explique l’extraordinaire campagne de diffamation dont il fait continuellement l’objet dans la presse générale (sauf évidemment dans la presse d’extrême-gauche, qui n’est pas négligeable). Ce mouvement gigantesque a certes des défauts (comme par exemple son aspect mystique prononcé), mais il n’est ni autoritaire, ni centralisé comme il a été parfois dépeint, même s’il suit des règles établies dès l’origine (il existe d’autres mouvements de sans-terre qui ne les suivent pas). Les différentes structures régionales jouissent d’une grande autonomie d’action et, si tout n’est pas horizontal, loin s’en faut, l’appui aux mouvements spontanés est systématique depuis les structures reconnues par les médias comme dirigeantes -et qui en fait suivent surtout les initiatives locales.
-les syndicats;
Ça ne vaut presque pas la peine d’en parler. Les syndicats sont tellement dépendants des financements “publics” qu’ils sont corrompus dans tous les sens. En outre, les droits de grève et de manifestation ici sont tels qu’ils font passer les régions européennes comme de douces localités libertaires.
-le clientélisme;
Sans doute la plus importante des influences politiques au Brésil. Des villes, des régions, des États entiers fonctionnent uniquement sur base des faveurs obtenues auprès des élus qui paient en “paniers de base” le choix qui s’est porté sur eux. Les structures quasi-féodales sont appelées ici “colonélisme”. Il y a un véritable rapport de suzerains à vassaux entre les potentats les plus grands et les plus petits, allant jusqu’aux milices privées, aux rabatteurs, aux informateurs… Le clientélisme au Brésil ferait passer les partis wallons pour des amateurs.
-les médias.
Les principaux médias au Brésil sont
a) les télévisions, parmi lesquelles la Rede Globo fait figure de tf1 locale. Son influence est manifeste et a été dénoncée jusqu’ici sans grand succès en raison de la surprotection dont elle bénéficie au niveau politique, chacun sachant que celui qui l’attaque se retrouve persona non grata sur la chaîne et se prive d’une audience énorme. Deux autres chaînes totalement à la botte de sectes protestantes se partagent le principal du gâteau.
b) les journaux, dont les principaux sont, parmi les quotidiens, la Folha de São Paulo (droite décomplexée perçue de centre-gauche), l’Estado de São Paulo (plus sérieux, plus conservateur, pas plus fréquentable), Globo (lié au consortium de télévision susnommé -berk) et quelques autres quotidiens, dont beaucoup de sports; et parmi les hebdomadaires, on retrouve surtout la Veja (porte-parole de la droite sécuritaire la plus réactionnaire), Época (guère mieux, type Figaro Magazine), IstoÉ (prétendument plus indépendant, mais défendant surtout les intérêts de ses propriétaires et donc pas anticapitaliste du tout), CartaCapital (qu’on pourrait qualifier de Marianne local). Les journaux les plus à gauche sont surtout des bihebdomadaires (Brasil de Fato) ou des mensuels (Caros Amigos), mais n’ont que peu d’audience. Piauí est probablement le meilleur journal en tant qu’outil journalistique, mais il est désabusé et s’est démarqué de toute engagement politique. Les trois derniers que je vous cite ici sont les seuls dont je conseillerais la lecture, à ma connaissance.
–Les grandes entreprises:
Vale (privatisée, transnationale, mines), Petrobras (encore nationale, énergie, présente dans le monde), Odebrecht (construction), Camargo Correa (construction) pour certaines des plus influentes nationales; Bayer, Monsanto, les monteurs automobiles, pour les principales étrangères… Ce ne sont que quelques-unes des grandes compagnies qui bloquent toute possibilité d’améliorer les choses au niveau de l’environnement, des impôts, du droit du travail… Une véritable gabegie; il y a vraiment peu à en tirer d’intéressant. On en reparlera dans un prochain numéro.
3e partie à suivre: Marina Silva