Merci Vanackere

May 28th, 2010

Vanackere, je ne te connais pas. Si ça se trouve, tu es un con, un facho, un enfoiré, j’en sais rien, je m’en fous. Au milieu des autres abrutis, pour moi, tu as au moins une qualité:

Car là, grâce à toi, je n’en serai pas de ma petite menace d’amende parce que je refuse de participer au cirque électoral, puisqu’il paraît que c’est par ta faute, en tant que ministre des Affaires étrangères dont je ne sais strictement rien, si les consulats, ambassades et autres Mini-Belgiques-hors-les-frontières, n’ont rien organisé -ou si peu- pour inscrire les Belges qui demeurent loin de leurs frontières sur les listes de votants.

Le tout à l’ire de Charles Michel, le fils de l’autre (con), et ce n’est pas pour me déplaire non plus.

Ce qui ne m’empêche pas de répéter, comme d’habitude, que les élections représentatives sont des clowneries, des bourrages de crânes en plus des urnes, et qu’elles ne sont en rien la preuve, l’indice ou le signe qu’un pays vit en démocratie.

Vive la démocratie participative! Vive la démocratie horizontale! À bas les campagnes électorales! À bas la particratie!

(‘tain, je vire Godin, moi)

Contradictions

May 24th, 2010

En théorie, le libéralisme, que ce soit selon Hayek, Friedman, Smith et les autres, est censé apporter à chacun une occasion de développer son individualité à travers la libre disposition de sa force de travail. Le libéralisme, chantre de l’égalité des opportunités, des chances, des possibilités, est, en idée, le plus juste des systèmes économiques en ce qu’il ouvre à tous, sans barrière, la possibilité de faire fortune -ou non- et de jouïr des biens de la vie. Chacun investira en temps de travail ce qu’il estimera nécessaire pour vivre ((Ici réside une première contradiction en ce que le temps que nous sommes prêts à consacrer au travail ne peut dépendre de notre seule volonté, étant entendu que plus notre voisin travaille, plus nous devrons travailler pour compenser l’augmentation du prix des choses qui, par la demande induite de son travail, ne cessera de pénaliser ceux qui désirent travailler moins et consommer des choses simples.)).

en gros, yaka.

La pratique est, bien sûr, toute autre.

Concrètement, l’OIT n’a pu que constater avec amertume (mais sans grande surprise) que les trente glorieuses, menées par le keynésianisme honni par les “classiques” fut largement plus égalitaire que les trente années qui suivirent ((CartaCapital, 27 mai 2009)).

Les inégalités ont largement crû depuis la (re)montée en puissance des “amis de Von Mieses”. Et la sclérose sociale -c’est-à-dire l’impossibilité pour l’acenseur social de se mouvoir- a rarement été plus évidente. En clair: si tu nais pauvre, tu as toutes les chances de mourir pauvre –et vite.

Il faut de sacrés couilles aux défenseurs du libre-marché pour prétendre que c’est encore la faute à “trop d’interventions” des États ((En gros, les plus libéraux des libéraux, les seuls un peu honnêtes dans leurs têtes, mais qui restent salement gonflés, n’hésitent pas à dire que c’est encore et toujours la présence de l’État dans le jeu économique qui est responsable de la misère persistante. Si on ne peut nier que l’État en fait de moins en moins pour soulager les plus affamés des terriens, il faut tout de même noter que c’est dans les régions du monde où l’État intervient le moins, voire les encourage, que les entreprises ont le plus les coudées franches pour exploiter leur main d’oeuvre, à n’importe quelles conditions et à n’importe quel âge.))…

Mais il y a plus.

Pour qu’il y ait réellement justice, il faudrait imaginer que, tous, “au commencement”, nous soyons dotés d’aptitudes, d’habiletés, de prédispositions, sinon égales, du moins équivalentes, et qui nous permettent à tous de trouver notre place dans le monde. Et dans un monde capitaliste de surcroît, c’est-à-dire un monde de compétition et d’égoïsme.

À ceux à qui il manquerait la force, aurait été donnée la perspicacité; à ceux qui n’ont pas de facilité pour étudier, la nature aurait réservé la volonté de faire plus; aux laids l’intelligence, aux moins subtiles la capacité de communiquer, aux plus débiles ((Dans le sens: faibles.)) la richesse matérielle, etc.

Quelque chose comme ça… Avec les nuances que vous voudrez…

Mais la nature ne nous a pas dotés de capacités comparables à celles d’une fiche de personnage de jeu de rôle, où chacun part avec un nombre de points équivalents à distribuer parmi les 6 caractéristiques et les 200 compétences que les concepteurs des règles ont identifiées afin de définir les possibilités des joueurs.

Non, nous ne sommes pas dans JRTM ou dans Donjons & Dragons. Nous sommes dans un immense non-jeu à une seule partie chacun ((Sans bouton de sauvegarde et encore moins de possibilité de recommencer.)), avec des prédispositions aléatoires pour chaque individu, sans relation aucune avec le moindre esprit de justice ou de partage calculé entre les individus. Certains, génétiquement, auront plus ou moins de chances que d’autres. Certains auront eu la chance de naître dans un pays tempéré et en paix depuis 60 ans ((Suivez mon regard.)), d’autres la malchance d’apparaître en pleine sécheresse dans un pays dévasté par la guerre. Certains auront des parents aisés, libéraux, ouverts, équilibrés, d’autres n’auront pas la moitié de ce scénario de base. Certains devront survivre dans la pollution de Mexico, d’autres grandiront à l’air pur de Chamonix. Il y a encore bien des facteurs à considérer, le premier desquels pourrait être la date de la naissance, par exemple, en regard des circonstances historiques, environnementales, politiques ou autres.

Une chose est certaine: pour qu’il y ait égalité des possibilités de chacun, il faut qu’une machine la force. Il faut rétablir ces chances, forcer certains à abandonner une partie de la leur au bénéfice de ceux qui en manquent ((Le fait est que cette équation entre en conflit avec la liberté, et donc aussi avec l’égalité: voir un précédent post que j’ai édité ici. Mais j’ai déjà tapé sur l’État. Ici je tape sur le libéralisme.)).

On appelle cela alors un État social ou social-démocrate. Pour les libéraux, c’est injuste. On se demande ce qu’ils entendent exactement par juste, sinon les seules situations où eux-mêmes sont susceptibles de gagner ((Mais de gagner quoi, déjà?)).

Mais il manque encore de nombreux paramètres, car nul ne sait ((Sauf rares exceptions peu enviables.)) quand il va mourir, ni de quoi. Vous pouvez avoir été chanceux pendant douze ans et mourir foudroyé par une maladie encore inconnue, tout comme il est possible de vivre 80 ans en fumant comme une cheminée au milieu des charbonnages.

Vous préférez quoi?

Ce qui me ramène au libéralisme, c’est l’extrême contradiction qui en motive les fondements.

Le libéralisme prétend que nous sommes tous capables de poursuivre le bonheur avec des chances équivalentes dans un monde laissé sans frein à l’accumulation de capital.

Si l’on dit “dans un monde libre de toute entrave”, je peux ajouter: “Ah oui, y compris l’entrave de la propriété privée“, mais évidemment je me prendrai les foudres des libéraux sur la tête: un monde sans propriété privée, c’est
-absurde
-impossible
-le communisme
-la ruine des avocats, des juges, des notaires, des spéculateurs, des banques et j’en passe…
-la crise
-etc. ((Barrez les mentions inutiles, s’il y en a.))

En réalité, les libéraux ne désirent pas un monde où tous ont les mêmes chances. Si ce monde existait, le libéralisme serait impossible, car chacun aurait les moyens d’assouvir ses besoins –ou en tout cas des besoins équivalents à ceux de tous les autres-, et la demande s’effondrerait d’autant; un monde où nous serions débarrassés de toute entrave signifierait aussi que les psychotropes de la consommation (et, par extension, la consommation de psychotropes) perdraient tous leurs attraits, puisque nous aurions tous une acuité égale par rapport à leur vanité.

Un monde libéré, ce serait un monde où la publicité ne pourrait plus mentir, car nous le saurions aussitôt. Par conséquent, la publicité disparaîtrait.

Un monde libéré rendrait impossible la vente de produits moyens ou médiocres, puisque chacun aurait la possibilité de s’approprier ce qu’il désire par son travail.

Un monde libéré éteindrait toute possibilité de cacher une information, le capitalisme serait transparent, tout se saurait, et par extension il deviendrait impossible ((Thèse de Stiglitz: le capitalisme nécessite des zones d’ombre pour exister, donc des mensonges, des omissions, des coups bas, etc.)).

Un monde libéré où tout le monde serait plus ou moins égaux devant les contingences du monde nous permettrait de diminuer le temps de travail jusqu’à pratiquement l’abolir –et, qui sait, l’éteindre tout à fait- pour nous permettre de nous consacrer aux épreuves plus élevées de l’humanité: l’art, la réflexion, la contemplation, le dialogue, le rire, l’amour et le sexe –le tout sans la dimension consommatrice imbécile ((Je vire Vaneigem, moi…)).

Le libéralisme, par essence, se nourrit d’inégalités. Mais dans l’inégalité, il ne peut y avoir de possibilités équivalentes pour tous et donc, par extension, il y aura toujours des patrons et des employés qui, dans le contexte de la nécessité de la plus-value, du taux de profit, de la concurrence, deviendront toujours maîtres et esclaves, et réactualiseront systématiquement la lutte des classes. Bref, le libéralisme concrétisé, c’est le contraire de la fin de l’histoire imaginée par Francis Fukuyama.

En attendant la déportation

May 24th, 2010

“Si la loi était juste, [un juge] n’aurait pas besoin de tout son attirail de gendarmes, de policiers, de soldats armés de fusils, de sabres et de révolvers pour la faire observer: tous les hommes s’y soumettraient sans contrainte, comme l’on se soumet aux lois naturelles. […] Or, si le juge s’entoure de tant de précautions, c’est parce que sa justice, ses lois ne sont que des droits usurpés par la force et la victoire.”

J’adore ces phrases…

Elles sont de Alexandre Marius Jacob, un anarchiste illégaliste du début du XXe Siècle. Il écrivait cela à sa mère quelques jours avant sa déportation pour le bagne de Guyane, en 1905. Elle aussi était en taule… C’était l’époque où tout ce qui était trop proche d’un anarchiste était fatalement suspect.

(Alexandre Marius JACOB, Écrits, Nouvelle édition revue et augmentée, éd. l’Insomniaque, Quincy-sous-Sénart, 2004, p. 127)

Je ne suis pas Sand-iniste.

May 19th, 2010

Compte-rendu: Shlomo Sand “Comment le peuple juif fut inventé”

“Comment le peuple juif fut inventé”, titre éminemment polémique et peut-être pas le meilleur possible, est paru en français en 2008 ((Le présent article ne porte que sur la version française du livre. Lors de discussions sur le forum, certaines personnes m’ont dit, mais sans me le montrer, que la version originale était parfois différente. Je suis bien incapable de le confirmer ou de l’infirmer.)), chez Fayard. Les émotions et les critiques qu’il a générées ((Il est impossible d’être exhaustif à cet égard: j’ai trouvé en ligne plus d’une centaine d’articles ou de forum (en tout, cela totalise plusieurs centaines de réactions différentes) en français qui discutent du livre –et les derniers étaient très récents, pourraient en annoncer de nouveaux. Les plus en vue ont également été publié dans des journaux comme Le Monde, par exemple: Eric MARTY, Les mauvaises raisons d’un succès de librairie, Le Monde, 28 mars 2009, reproduit notamment ici: http://lettresdisrael.blogs.courrierinternational.com/archive/2009/03/29/le-negationnisme-de-shlomo-sand-demonte-par-eric-marty.html . Eric Marty est un critique littéraire, donc peu qualifié pour critiquer un historien. Il semble en outre qu’il n’ait pas lu le livre avant de le critiquer car il ne reproduit que des passages d’un article du Monde Diplomatique de Shlomo Sand. Un autre intervenant souvent reproduit, malgré la pauvreté de son argumentation est Pierre I. Lurçat, Le négationnisme “soft” d’un nouvel historien israélien, édité notamment ici: http://vudejerusalem.20minutes-blogs.fr/archive/2009/01/20/shlomo-sand-deconstruire-le-peuple-juif.html#c485590 . Il y a encore un article plus argumenté de Nicolas Weill: À fiction, fiction et demie, dans Le Monde des Livres, 11 février 2010. De même, il serait difficile de citer un forum parmi les nombreux qui se sont penchés sur le livre de Sand. Il faut noter que, malgré l’existence de quelques bonnes critiques, ce sont surtout les plus émotionnelles et les moins rationnelles qui sont reprises pour le critiquer. D’un autre côté, aussi bien sur les forums que sur des sites personnels ou d’information, on retrouve des rapports élogieux de Sand. De positions modérées, il y en a très peu. Je dispose d’une liste d’un grand nombre de ces sources qu’il serait malséant de publier ici, mais que je mettrai prochainement en ligne dès que j’aurai trouvé une manière présentable de le faire.)) depuis lors, et encore cette année suite à sa parution chez Flammarion en poche (était-ce une bonne idée?), ont dépassé largement l’impact qu’il a eu en anglais et en hébreu, selon les sources trouvées en ligne.

Ce livre nécessiterait de longs commentaires, mais il est presque impossible qu’une seule personne s’y consacre. Un spécialiste ne peut décemment en faire la critique interne ((J’entendrai ici par critique externe, la critique de la méthode, de ses intentions, de la présentation de son travail, et par critique interne la valeur intrinsèque de chacun des éléments de ce travail.)) que d’une petite partie. Personnellement, je pourrais m’atteler à celle qui évoque l’époque hellénistique et latine, et encore uniquement sur les sources en latin et en grec, puisque je ne connais aucune des langues moyen-orientales qui étaient utilisées par les personnes concernées (araméen, hébreu, etc.). Par conséquent, je ne pourrais faire de ce livre qu’une critique externe, pas une critique interne, comme la plupart des historiens, car Sand s’est voulu exhaustif (ou presque, puisque, comme le dit Esther Benbassa, il ne fait qu’évoquer la période qui va de l’an mille au XVIIIe Siècle).

Two tribes

Mais pourquoi autant d’intérêt sur ce livre? Pourquoi autant de diatribes violentes et souvent injustifiées d’un côté et de soutiens inconditionnels, voire aveugles, de l’autre?

C’est que ce livre traite d’un sujet hautement polémique: Sand prétend faire l’étude de l’historiographie de la création du peuple juif par les intellectuels juifs de 1800 à nos jours. En réalité, la présentation de son livre et son contenu, ses audaces, ont amené bien des gens à estimer qu’il avait de plus amples prétentions. Un article paru dans le Monde Diplomatique ((http://www.monde-diplomatique.fr/2008/08/SAND/16205 Il faut noter que les intentions de sand n’y sont pas claires. Il dit bien “Ecrire une histoire juive nouvelle, par-delà le prisme sioniste, n’est donc pas chose aisée.” Cependant il ne prétend pas qu’il s’y est attelé, mais bien qu’il étudie l’historiographie du peuple juif, ce qui est très différent. En dépit de cela, on ne peut éviter de constater que son livre déborde souvent de l’historiographie pour se lancer dans l’exposé de théories dont les auteurs ne sont pas toujours clairement nommés.)), où il “résume” son propos, n’a pas aidé non plus à la clarification. C’est que Sand, historiographe compétent ((C’est-à-dire spécialiste de l’étude de l’histoire écrite.)), a aussi une âme de militant, et cette âme l’a parfois amené à dépasser son propos. Il a un peu oublié son devoir de modération et de réserve en tant que scientifique et historien. Ce qui n’aurait allumé aucun feu s’il avait traité d’un autre sujet que celui du peuple juif. Même si, évidemment, sur tout autre sujet, il n’y aurait jamais eu autant à dire, probablement. Ou plutôt, il n’y aurait pas eu matière à autant de passion, dirons-nous.

À voir, car, ce que fait Sand, en réalité, de nombreux historiens l’ont déjà fait pour la plupart des “nations”, des “peuples” européens. Je suppose que qui lit ces lignes sait que le “peuple belge” ne remonte pas à Jules César et aux ducs de Bourgogne ((Voir, par exemple, le livre d’Anne Morelli, Les Grands Mythes de l’histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie, éditions Vie ouvrière – Histoire.)); que le “peuple français” n’est pas spécialement lié à Clovis ou au Traité de Verdun ((Voir les travaux de Suzanne Citron, Le mythe national. L’histoire de France en question, éditions Vie ouvrière, 1989.)), ni aux Gaulois; que le “peuple italien”, s’il est, culturellement, enraciné dans l’antiquité romaine, ne peut retrouver son identité dans le passé de la république ou de l’empire sans procéder à une véritable mythologisation de son histoire. Or, si l’on sait cela aussi pour l’Allemagne, pour l’Espagne, pour la Grande-Bretagne ((De manière générale, on suivra de près l’oeuvre d’Eric Hobsbawm. Mais il en est bien d’autres, et Shlomo Sand, par exemple, prétend suivre Benedict Anderson et Ernest Gellner qui, sans être de farouches radicaux, remettent le concept de nation en question.)), on le sait moins pour le “peuple juif” (que je ne mets pas entre guillemets par manque de respect, mais simplement par précaution oratoire). Et on sait, si l’on a fait un peu d’historiographie, que la déconstruction des mythologies nationales a longtemps été un sport de combat, pour reprendre une image du sociologue Bourdieu. Une tâche qu’il faut parfois reprendre, d’ailleurs, car les nostalgiques des nations existent toujours ((Il faut noter que Sand lui-même estime que la nation est l’un des sièges essentiels de la démocratie.))…

Historiographie et idéologie

Quels étaient alors les objectifs de Sand? Reprendre un sujet peu, voire pas étudié, selon ses dires, à savoir une vision globale de l’histoire de la construction du peuple juif par deux cents ans d’historiens et d’intellectuels. De Isaak Markus Jost, premier historien juif à avoir tenté de recomposer l’histoire des juifs au début du XIXe Siècle, jusqu’aux nouveaux historiens, très contestés, en passant par Heinrich Graetz, David Ben Gourion, Martin Büber et tous les autres, Sand tente de montrer que la structure de l’historiographie juive a connu des soubresauts qui ne sont pas étrangers à la nécessité idéologique d’asseoir l’existence d’un peuple qui, selon lui, n’avait pas de véritable consistance avant la fin du XIXe Siècle.
En suite de cela, et c’est très important, il explique qu’un peuple qui s’est auto-constitué ne manque pas moins de légitimité, que sa présence en tant que peuple ayant assis un siège géographique est tout autant juste que légale, qu’il n’y a pas à vouloir contester son existence ni son siège là où il se trouve. Autrement dit, à aucun moment Sand ne veut remettre en question la présence d’Israël en Israël ((P. 390 de son livre, Sand écrit: “Tout grand groupe humain qui se considère comme formant un ‘peuple’, même s’il ne l’a jamais été et que tout son passé est le résultat d’une construction entièrement imaginaire, possède le droit à l’autodétermination nationale.” Il cite aussi Arthur Koestler qui, bien que critiquant l’État d’Israël, lui reconnaissait une légitimité de droit et de fait depuis 1947 (p. 334).)).

Par contre, il délégitimise un pan sérieux du sionisme qui est l’idée selon laquelle Israël appartiendrait à tous les juifs du monde, mais pas à une bonne partie de ses habitants non-juifs ((C’est essentiellement l’objet de son cinquième et dernier chapitre.)). Pour lui, cette idéologie est contraire à la raison démocratique et à toute idéologie nationale acceptable en regard de l’histoire du nationalisme. Cette idée doit donc être disqualifiée et le sionisme accepter qu’elle disparaisse afin de tenter de vivre en bonne entente avec les personnes qui vivent en Israël, en Palestine et dans le voisinage de ces territoires.

Un militant

Dans une autre partie de son livre, mais en bonne suite du reste, Sand doute de la qualité de la démocratie d’Israël. Il s’appuie pour ce faire sur les travaux de plusieurs spécialistes (Sammy Samooha et Juan José Linz, principalement ((P. 407-410.)) ) pour montrer qu’Israël souffre d’un déficit de démocratie. Cela l’inquiète et l’on sent chez lui le désir de résoudre la quadrature du cercle de son pays: son aspiration est que les personnes non-juives qui vivent avec lui à Tel-Aviv, qui travaillent avec lui, puissent jouïr des mêmes droits que lui. On sent, dans son livre, que cela pourrait être l’une des clés d’une paix entre Israël et ses voisins à laquelle il aspire effectivement.

Son erreur aura été d’avoir voulu embrasser trop de choses en un livre dense où les références par moments foisonnent et à d’autres, cruciaux, font défaut. Si Sand est totalement dans son rôle en faisant une étude historiographique, il commence à déborder de ses propres compétences quand il reprend toute l’histoire de l’antiquité juive. Et c’est bien dommage, car il apporte des éléments de réflexions très intéressants. Je ne dis pas qu’il n’aurait pas dû les traiter, mais il aurait été avisé de se limiter dans ses affirmations et de donner plus de place aux théories de ses prédécesseurs en les laissant parler eux plutôt que lui. Chose qu’il fait par moments, mais pas assez ((On regrettera très fort l’absence d’une bibliographie que ne compense pas un index utile.)). Par exemple, lorsqu’il cite l’étude archéologique très récente de Silberman et Finkelstein ((P. 173 et suivantes.)), il se permet d’en contester une partie des conclusions. Quel dommage, car, s’il s’était contenté de dire qu’il existe d’autres théories que celles de ces auteurs, et d’en citer ses sources (qui existent effectivement, citées d’ailleurs par Silberman et Finkelstein ((Voir I. FINKELSTEIN et N. A. Silberman, La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l’archéologie, trad. De l’anglais par P. Ghirardi, Paris, 2002. Encore un livre desservi par un titre critiquable, mais une somme très intéressante pour qui s’intéresse aux liens entre l’archéologie et les textes mythiques.)) ), il aurait paru beaucoup plus crédible qu’en en contestant, lui, historiographe de l’époque contemporaine, les excellentes idées sur quelques lignes, alors que le livre des deux archéologues fait tout de même le tour de la question en 400 pages.

De même lorsqu’il apporte des chiffres, des idées, des informations sur les Khazars, le royaume de la Kahina, ou sur Himyar ((Trois objets du chapitre 4 de son livre .)), il aurait été bien inspiré de se contenter d’exposer les théories en présence –ce qu’il fait- en évitant de prendre parfois un tour presque exalté dans sa présentation de l’histoire, alors que de nombreux doutes persistent. Le problème est que, si nous pouvons remettre en question le courant dominant de l’histoire des différentes communautés religieuses ou des différentes parties du peuple juif (supposant que celui-ci existe avant le XIXe Siècle), c’est uniquement parce que les recherches sur celles-ci, à ce qu’il semble dans le livre de Sand, manquent de suivi, hésitent à avancer suffisamment loin pour que l’histoire moderne se décide enfin à se prononcer clairement sur des sujets qui posent manifestement problème: serait-ce que l’histoire des juifs corrobore l’idéologie sioniste?

Sand a fait un travail bien utile, qui est celui d’ouvrir un champ d’exploration pour une nouvelle génération d’étudiants et de spécialistes en histoire, en archéologie, en épigraphie, en numismatique, en philologie, en linguistique et probablement dans d’autres disciplines que je ne soupçonne peut-être pas. Mais son travail risque aussi de desservir sa propre cause, qui était pourtant une cause de paix, car, en se voulant le porte-étendard d’une idée, il a débordé de ses propres compétences et a pris des positions dont il ne pouvait garantir les bases, s’exposant à la critique et se retrouvant dans la position des idéologues qu’il remettait en question. Ce sont ses élèves et d’autres savants qui pourront s’avancer sur ces terres, suivre les voies tracées par les “nouveaux historiens” ((Depuis les années 80, il existe en Israël un courant d’historiens trés contestés qui tentent de “revoir” –terme délicat- l’histoire officielle de leur pays, en mettant en lumière des documents peu ou pas exploités. Sand s’inscrit dans ce courant, mais en reste une figure particulière, car, jusqu’ici, ces nouveaux historiens se limitaient à l’histoire de l’Israël moderne. Remarque: cette note n’est pas le fruit d’une recherche exhaustive mais de quelques remarques faites par des auteurs rencontrés au cours de cette recherche. À prendre donc avec des pincettes.)), pour tenter, avec plus de science et moins de passion, d’établir une véritable histoire de ces communautés qu’il devient difficile de réunir en un peuple unique à la lecture du livre de Sand.

Le phénomène juif

D’apprendre que la religion juive fut la première grande prosélyte de l’histoire ((Voir son chapitre 3. Ce fait n’est pas contesté, ou alors de manière marginale. Par contre, l’importance de la conversion fait question. Sand et d’autres pensent qu’elle peut servir de base pour expliquer l’extension des communautés juives dans la plupart des cas: en pays Khazar, en Afrique du Nord, en Espagne, en Arabie, pour évoquer les principaux cas. D’autres pensent qu’elle est restée marginale et que la majeure partie des ascendants des juifs actuels sont originaires d’Israël et de Judée.)) ou qu’il a existé un royaume juif aux portes de l’Ukraine, un autre au Sud de la péninsule arabique et un troisième en pays berbère ((Voir le chapitre 4.)) ouvre bien des horizons: le phénomène juif est tout naturellement bien plus multiple qu’il ne paraît à l’exposé des problèmes actuels au Moyen-Orient. Le monde juif n’est pas plus endogène que les autres. Et si le connaisseur de la Bible a lu ces passages qui parlent de conversions, de parentés non-juives de certains juifs jusqu’aux plus célèbres comme David, de conquêtes, mais aussi du caractère non-marchand des juifs de l’antiquité ((Jusqu’à Flavius Josèphe qui évoque les juifs de son époque, rarement marchands ou marins, selon lui (Contre Apion, I, 12: “Or donc, nous n’habitons pas un pays maritime, nous ne nous plaisons pas au commerce, ni à la fréquentation des étrangers qui en résulte. Nos villes sont bâties loin de la mer, et, comme nous habitons un pays fertile, nous le cultivons avec ardeur, mettant surtout notre amour-propre à élever nos enfants, et faisant de l’observation des lois et des pratiques pieuses, qui nous ont été transmises conformément à ces lois, l’oeuvre la plus nécessaire de toute la vie.”))), Sand permet au “gentil” de découvrir une réalité qui contraste avec la terrible image d’Épinal que, malgré nous, nous portons dans notre imaginaire superficiel et préconceptueux ((Faites l’expérience chez vous: demandez à vos proches quelles sont, selon eux, les professions exercées généralement par les juifs dans l’histoire et demandez-leur pourquoi. Il y a fort à parier qu’ils évoquent les activités suivantes: rabbin, marchand ambulant, fourreur, banquier, usurier. Sur base de quels éléments historiques?)).

Avant de terminer, rappelons l’objectif premier de Sand: montrer que, comme toutes les autres nations, celle des Juifs d’Israël n’échappe pas à une construction mythologique la justifiant, mythologie développée et enrobée par quelques générations d’historiens, depuis la fin du XIXe Siècle. Mais on ne peut arrêter le propos du livre ici, désormais. Car il est devenu plus qu’un tremplin pour des milliers d’études à venir, indispensables, souhaitables, désirables, attendues, il est aussi un champ de bataille. Sur lui se sont rassemblés deux armées, celle de ses défenseurs et celle de ses adversaires. Il faudrait dire qu’il y aussi la présence de ceux qui ne sont ni ses défenseurs, ni ses adversaires et qui, posément, argumentent sans passion autour de son livre. Et donc, la plupart des personnes qui ont réagi au texte de Sand l’ont fait intégralement pour ou intégralement contre lui, sans nuance, considérant soit comme tout blanc, soit comme tout noir ce qu’il a pu écrire, il existe un troisième camp informel, celui des démineurs, pourrait-on dire, ils sont plus modérés et plus posés. Esther Benbassa, Alain Michel, Maurice Sartre, par exemple, font partie de ceux-ci en français. Leurs critiques et objections sont pertinentes, méritent d’être considérées, et en même temps ils reconnaissent à Sand et au livre des qualités diverses. Le problème étant de distinguer les trois camps distinctement.

Tout historien est à même de travailler sur des documents contemporains que sont des articles, des forums, des blogs, des comptes-rendus et toutes les autres sortes de réactions que ce livre a suscitées. Car, si nous sommes bien formés, nous autres historiens –mais nous ne sommes pas les seuls, heureusement- avons acquis cette compétence qui est de pouvoir analyser et critiquer les dires de nos contemporains en fonction des faits connaissables. Faire de la critique historique est la base de notre métier, est l’essence de notre travail. Les historiens sont les gardiens du bien dire les faits de l’histoire. Cela signifie que notre travail doit impliquer la surveillance de la manipulation de ceux-ci: nous avons pour charge d’empêcher toute personne, sous quelque étiquette que ce soit (juriste, scientifique, politicien, idéologue, amateur ou professionnel) d’utiliser l’histoire pour justifier tout ou son contraire. L’histoire est un matériel difficile à maîtriser. Aucun de nous ne peut prétendre la détenir, car elle est trop vaste et trop exigeante. Elle ne soutient éternellement aucune idéologie, car l’idéologie se voulant totale et étant marquée par l’espace-temps où elle est proclamée se brise sur l’écueil de l’impossibilité d’embrasser l’universalité et la complexité de l’histoire. L’historien le sait et, dans son humilité et sa compétence, doit le rappeler constamment à chacun.

Cela a-t-il bien été le cas de Sand ? On aura noté au cours de cet article que Sand agit en militant et a renoncé à certains principes de base de l’exposé scientifique de l’histoire. Pour commencer, il n’a pas écrit de bibliographie, ce qui est remarquablement dommage vu l’ampleur des sources qu’il cite. Par ailleurs, il pose de nombreux arguments sans en dire les sources. Il semble que son intuition et sa volonté de montrer quelque chose l’aient souvent guidé. D’un autre côté, on ne pourra lui reprocher, par exemple, d’avoir posé dès l’introduction l’objet de sa thèse : c’est une pratique courante aussi bien dans les articles que dans les livres d’histoire. Les introductions servent souvent, en effet, à prévenir le lecteur du chemin parcouru par le chercheur. De même que Sand a suivi nombre de voies, de sources, de lectures et l’a bien exposé, bien que de manière souvent brouillonne et chaotique. Ses conclusions portent une large part de vraisemblance et, à part quelques détails importants, on ne sent pas le faux flagrant qui lui est reproché par ses détracteurs les plus virulents. En outre, il a plusieurs fois dans son travail fait appel aux recherches futures de ceux que les sujets intéresseront. Enfin, dès le début, il a marqué son livre de sa subjectivité et l’on pourrait dès lors définir son travail comme un véritable essai historique, plutôt que comme un livre d’historien. Comme il est historien, cela pose les bases d’un problème qui est que, de notre caste, l’on attend des livres plus sérieux, plus finis, mais aussi, depuis au moins les Annales, plus pointus, se concentrant sur des sujets étroits, pas sur des parties de l’histoire qui nécessitent autant de spécialités dont l’auteur n’est pas pourvu.

Si Sand s’était contenté de ne faire que l’étude de l’historiographie de 1800 à nos jours, ce compte-rendu aurait pu le proclamer livre d’histoire. On doit donc classer ce livre dans la catégorie des essais d’ouverture scientifiques, produit par un intellectuel qui souhaitait engager le débat. Une fois ceci fait, il reste à ceux qui le désirent de faire la critique interne de chaque partie pour laquelle il se sent compétent. Et de laisser aux collègues le soin des autres. En espérant que ce livre aura effectivement ouvert la voie à une meilleure compréhension de l’histoire de la religion, des communautés, du peuple juif –avec toutes les précautions que ces termes réclament.

Comment que je te dé-Grèce tout ça…

May 17th, 2010

Il y a une chose qui est certaine, avec la nouvelle “situation” que l’on qualifierait bien de crise en Grèce, s’il n’y avait pas un petit sentiment de continuité dans celle-ci depuis… Oulah, depuis quand déjà?, bref, il y a bien une chose qui est certaine, c’est que, curieusement, étrangement, plus les banques, les investisseurs, les États font les cons, et plus ce sont les gens, les travailleurs, les chômeurs, les pensionnés, les jeunes et les femmes qui s’en prennent plein les gencives ((Ceux qui, finalement, auront le plus souffert, au cours de cette crise contingente aux trop fameux subprimes, ce sont les travailleurs des économies qui auront pris la crise au rebond, aussi bien aux USA, que dans les pays dits “périphériques” (quelle belle image), ou en Europe, avec, donc, une nouvelle -et sûrement pas dernière- péripétie au pays qui “inventa” la démocratie.))…

Ça doit être une coïncidence…

Ou alors je vois juste, simplement, tout simplement, quand je pense que cet état de, allez, de crise, disons, pour céder à la terminologie à la mode ((Mais alors, il faut reconnaître que crise est à peu près aussi galvaudé que, pour prendre un exemple tarabustant, génocide. Voir par exemple ici.)), permet tout simplement de miner encore plus, et de plus en plus, le système d’État providence qui s’était développé au cours du XXe Siècle en Europe et qui, depuis la… tiens, tiens, la crise du pétrole de 1973, voit ses fondations se réduire comme peau de chagrin sous les coups de boutoirs des gouvernements et des décideurs économiques.

(Non que l’État providence me paraisse la meilleure des choses au monde, mais, dans l’histoire, c’était un des aboutissements les plus équilibrés en matière de justice sociale -bien qu’aux dépens d’une grande part de la population mondiale, malheureusement…)

Tous les prétextes sont d’ailleurs bons: que cela aille mal ou que cela aille bien, on trouve toujours une bonne excuse pour rendre aux petits césars de la finance, de l’économie, du profit, ce qui ne leur appartenait pas.

Pour ce qui est de ce cas spécifique, qu’est-ce qui pressait de “sauver l’État grec”, qui, par essence, étant un État, ne peut pas faire faillite, théoriquement ((Voir à ce sujet, par exemple, le raisonnement de Frédéric Lordon, ici.))? Depuis le traité de Maastricht et les mesures contraignantes qui lient les États liés à l’Union Européenne de ne pas excéder des déficits budgétaires de 3% du PIB, de rembourser régulièrement leurs dettes, de limiter à 60% du PIB leurs dettes globales, on en passe et des meilleures telles que ni les USA, ni le Japon ((Actuellement endetté à plus de 200% de son PIB selon le même Frédéric Lordon, dans la traduction d’un de ses articles que j’ai pu lire en portugais ce mois-ci dans le Monde diplomatique Brasil.)) ne pourront jamais entrer dans notre belle Association de Marché Garantissant les Meilleurs Prix aux Plus Gros -et que c’est bien dommage…, depuis ce traité, donc, l’Allemagne, la France et l’Italie (pour ne parler que des trois plus gros de la zone euro) en tête ont été dans une situation de rouge plus ou moins continuel qui ne les a pas empêchés de conserver une économie suffisante pour rester dans le G7 -que je sache…

Et pourtant, il aura suffi à la Grèce d’une crise, une seule -une crise? vraiment?- pour se retrouver en situation d’être faillie. Et les vierges effarouchées de l’Union de crier au scandale et de menacer ces tricheurs de politiciens grecs -comme si eux-mêmes n’avaient jamais manipulé un bilan pour tenter de maquiller un déficit, on rêve!- de se retrouver au ban de la sacro-sainte bannière bleue (couleur choisie au hasard) à nombre d’étoiles variables…

Il est évident que ce n’est pas l’avenir du Parthénon qui préoccupe les instances supérieures de l’Union (dont les commissaires méditerranéens semblent faire les morts, curieusement), mais bien la nécessité de respecter la règle d’or de laisser les marchés financiers s’occuper de gérer les dettes nationales, et donc, incidemment (tu parles!), de dicter leurs lois au-dessus des parlements prétendument démocratiques…

Grecs, si l’Allemagne vous fout à la porte de l’UE, partez la tête haute et reprenez les rênes de votre État. Vous avez tout pour être heureux: l’huile, l’eau, le vin, la mer, l’histoire et la culture… Contentez-vous de peu, j’arrive avec le chocolat…

Je suis ma voiture… de trop près

May 14th, 2010

Dans un article récent ((Ici.)), j’ai prétendu (sans être le premier) que la propriété nous enferme, nous emprisonne. J’affirmais que notre propre bien était une prison ((J’utilisais les termes suivants: La propriété elle-même, par beaucoup considérée comme la plus importante des libertés, tant d’une personne que d’un État, est en fait la propre cage de l’individu qui a accepté de se transformer en personne, c’est-à-dire en titulaire des titres de biens matériels et immatériels qui lui serviront de limites et l’encercleront par opposition aux autres qui seront encerclés aussi, à la fois par les limites de cette première personne, par celles de toutes les autres personnes et par les leurs propres.)).

Même si j’aime beaucoup “Fight Club” en ce qu’il pose de manière audacieuse un grand problème lié à la militance ((L’engagement et son influence sur l’individu engagé.)) , je ne voulais pas dire cela dans le sens que “nous ne sommes pas notre portefeuille, nous ne sommes pas notre voiture, nous ne sommes pas notre putain de treillis”… pour paraphraser un Tyler en grande forme au milieu du film… ((You’re not your job. You’re not how much money you have in the bank. You’re not the car you drive. You’re not the contents of your wallet. You’re not your fucking khakis. You’re the all-singing, all-dancing crap of the world.))

Ce que je voulais dire, de manière plus générale, c’est que le fait d’être propriétaire d’un bien nous aliène à notre individu en nous réduisant à être son gardien. Il est vrai que nous perdons notre identité en laissant nos biens nous définir, et je suis bien d’accord avec cette autre réflexion (d’origine anarchiste) de Tyler: “Les choses que nous possédons finissent par nous posséder.” ((The things you used to own, now they own you.))

Ici, cependant, je m’attarde sur un autre point: les choses que nous possédons nous limitent par le fait même que nous les possédons… Sans compter qu’elles limitent les autres et que les biens des autres nous limitent également ((Voir l’article dont je parlais plus haut.)).

Rien n’est sans doute plus illustratif que la bagnole à cet égard. Outre que le fait d’être ou non propriétaire ((Attention, je dis bien propriétaire, pas autre chose comme possesseur, détenteur, usufruitier; s’il le faut je m’en expliquerai dans un autre article.)) d’une voiture x, y ou z nous range automatiquement dans une catégorie de personnes et crée de fait une inégalité qui, on s’en souviendra, réduit notre liberté ((Citant toujours le même article: l’égalité est indispensable à cette forme de liberté individuelle, et cela signifie qu’en aucun cas l’expression de la liberté d’un individu puisse être soumise au prétendu droit d’une personne, morale ou physique, à détenir en sa propriété, temporairement ou définitivement, les moyens qui permettraient à un ou plusieurs individus de se prémunir contre le froid, la chaleur, la faim, la soif, la maladie, l’inconfort ou toute autre chose qui accélère la mort. Par personne morale, j’entends aussi ici un État ou une administration “publique”.)), le droit que nous avons créé autour de cet objet de haut prix nous oblige à le garder, à en être à la fois le protecteur, le défenseur, le garde-chiourme. Nous craignons pour elle, nous dépensons beaucoup de notre temps et de notre espace à la défendre, par exemple lorsque nous réduisons une partie de notre maison à l’état de garage ou quand nous cherchons pendant des heures par an un espace sûr pour la stationner, de préférence dans un endroit illuminé avec des policiers autour ou dans un parking payant…

Outre que cette voiture, quand vous la déplacez, limite d’autant les déplacements des autres voitures, mais aussi des piétons, loin de vous assurer la liberté promise par la publicité, elle vous assigne à sa garde permanente, vous interdit de l’abandonner au milieu d’un bouchon, vous oblige à aller la chercher à la fourrière, ou à la porter chez le garagiste. Vous êtes inquiet pour elle, parfois plus que pour vos enfants, que pour vos proches et pour vos amis… Il y a quelque chose de maladif, là-dedans, il est temps de le reconnaître.

Mais il y a plus, c’est que, si la voiture peut paraître une forteresse pour certains qui la prennent grande, blindée, dotée d’une alarme et de vitres obscures, elle peut aussi devenir une cible par ce fait même qu’elle paraît plus ce qu’elle est exactement: un produit de luxe.

La voiture la plus haute, la plus rapide, la plus solide est également la plus enviée, la plus désirée, donc la plus facilement attaquable, soit qu’on la désire, elle, soit que l’on sait que la personne qui s’y trouve a fatalement quelque chose d’intéressant sur elle. Plus elle sera protégée et plus on trouvera de moyens pour en violer les protections.

Tout cela est tellement vrai, à São Paulo, bastion du libéralisme capitaliste abouti, que certains de ses habitants particulièrement privilégiés préfèrent se déplacer en hélicoptère. Selon une revue de droite, elle est la seconde ville en terme de flotte privée de ces engins. Mais il n’est probablement pas loin le temps où ce nouvel abri, cette nouvelle forteresse, se trouvera réduite, elle aussi, à l’état de cible. L’an dernier, un hélicoptère de la police militaire (les mêmes qui apparaissent dans le film “Tropa de Elite”) a été descendu par un lance-roquette depuis la favela qu’il survolait…

L’escalade de cette violence est l’exact reflet de l’escalade de l’extension de la propriété et de la nécessité de la défendre: nous nous transformons toujours plus en otages des biens qui nous défendent et que nous défendons. Ceci définit à quel point Diogène avait raison en brisant sa tasse le jour où il découvrit qu’il pouvait se passer de cette dernière possession et boire dans le creux de ses mains…

Multipliez maintenant ce problème lié à la voiture par l’ensemble des biens que vous considérez importants dans votre vie, et vous aurez une petite idée du problème qui lie la propriété privée et la liberté.

“arrêtez le temps…”

May 10th, 2010

Lu avec délectation sur lesoir.be:

[39] MPM envoyer un message personnel dit le 27/04/2010, 13:34
De qui se moque-t-on?
Marre d’aller voter pour qu’après les politiciens s’enlisent dans des querelles puériles et des attitudes irresponsables. J’ai toujours été voter, pas par obligation mais par sens du devoir. Mais cette fois-ci, je serai patriote à ma manière : j’irai m’asseoir à une terrasse et déguster quelques bières locales. Et le soir, un petit waterzooi suivi d’une salade liégeoise. Et foert pour la file dans les bureaux de vote.

De crise en crise, les anars se reproduisent… 🙂

Je plaisante évidemment, le personnage n’a pas du tout l’air anarchiste, mais je trouvais sa réaction toute mignonne. Surtout le foert et le waterzooi…
Moi j’aurais pris du boudin noir et du stoemp, mais il faut être pluraliste 🙂

égalité et liberté ou liberté et égalité?

April 27th, 2010

Une des critiques qui nous tombent régulièrement sur le râble, libertaires, anarchistes, anti-autoritaires, anarcho-communistes et autres zigotos aux appellations les plus diverses, c’est que nous serions incapables de faire un choix entre la liberté et l’égalité quand le cas se présente. Dit autrement, on nous demande, en fait, de nous prononcer quant à celle de ces deux valeurs que nous mettrions en premier sur une échelle.

Étant entendu dans le piège que si nous choisissons la liberté, nous sommes d’infâmes capitalistes qui nous cachons derrière de prétendus nobles idéaux et que si nous choisissons l’égalité, nous ne sommes que des staliniens qui tentons de nous cacher sous une couette noire et rouge.

Le piège est grossier et nous ne devons pas nous y laisser prendre, car en fait ce sont les deux positions prétenduement antagonistes et classiques qui s’avèrent contradictoires.

Il n’y a pas de liberté sans égalité et il n’y a pas d’égalité sans liberté. Je le dis et l’affirme de la manière la plus absolue, sans me référer à des limites du genre “égalité des droits”, “égalité des chances”, “liberté d’entreprise” ou toute autre chose.

Il est évident qu’une telle affirmation comporte des conséquences que ni les socialistes autoritaires, ni les sociaux-démocrates, ni les capitalistes libéraux n’accepteront d’assumer.

Premièrement, la liberté ne peut se satisfaire d’aucune limite en dehors de celles que possède la nature humaine, mortelle et corporelle. Notre liberté ne se pose pas en terme de capacité à accumuler les biens et les richesses, mais à défendre temporairement contre nos propres limites physiques nos capacités à penser, agir, créer, fabriquer, enseigner, apprendre, produire et reproduire, aimer et rechercher le bonheur, la satisfaction et le contentement en attendant la mort.

Toute autre liberté est fictive, à commencer par la liberté d’entreprendre, par exemple, qui est régie par des principes tellement complexes et qui, surtout, implique automatiquement des limites dans le champ des voisins de celui qui entreprend, qu’en réalité ce type de liberté s’avère être une prison. La propriété elle-même, par beaucoup considérée comme la plus importante des libertés, tant d’une personne que d’un État, est en fait la propre cage de l’individu qui a accepté de se transformer en personne, c’est-à-dire en titulaire des titres de biens matériels et immatériels qui lui serviront de limites et l’encercleront par opposition aux autres qui seront encerclés aussi, à la fois par les limites de cette première personne, par celles de toutes les autres personnes et par les leurs propres.

La liberté, cependant, implique bien d’autres choses, comme par exemple celle du choix intellectuel de ses propres valeurs, de sa métaphysique, de sa définition de la vie, choix qui doit absolument être individuel et ne peut être limité par une autre notion comme celle de la “liberté du père à choisir la religion ou l’éducation de ses enfants”. Tout doit être fait, dans une société libertaire, pour que la famille ne soit que le lieu privilégié, mais aussi éventuel, non forcé, du partage de l’affection et de l’apprentissage de bases de vies dans la société libertaire, non dans un esprit sectariste, élitiste, corporatiste, patriarcal, ou autre chose du même goût.

L’égalité est indispensable à cette forme de liberté individuelle, et cela signifie qu’en aucun cas l’expression de la liberté d’un individu puisse être soumise au prétendu droit d’une personne, morale ou physique, à détenir en sa propriété, temporairement ou définitivement, les moyens qui permettraient à un ou plusieurs individus de se prémunir contre le froid, la chaleur, la faim, la soif, la maladie, l’inconfort ou toute autre chose qui accélère la mort. Par personne morale, j’entends aussi ici un État ou une administration “publique”.

L’égalité est donc indispensable à la liberté, et la “liberté d’entreprendre”, tout comme la propriété, ne doivent pas créer l’illusion du contraire.

Par ailleurs, il doit être évident que l’égalité ne saurait se prévaloir d’une première place par rapport à la liberté, car, si cela était, l’exercice même de l’égalité s’en trouverait empêché. En effet, comme l’égalité doit être l’égalité devant la recherche du bonheur, de la satisfaction et du contentement, si elle devait être soumise à un appareil qui prétendrait la garantir (comme un État, un syndicat, un parti ou tout autre appareil d’un type ou d’un autre), elle perdrait aussitôt son essence, puisque son objectif devrait être de permettre aux individus de choisir précisément chacun selon ses envies et en fonction de sa propre individualité ce qu’il estime être sa propre quête comme vue ci-dessus, dans les limites de sa mortalité. Aucun appareil ne peut prétendre savoir légitimement ce qui est bon ou non pour chaque individu.

L’égalité ne saurait non plus se soumettre à une autorité spirituelle (religieuse, nationale, communautaire, scolaire, autre) quelconque -et fatalement patrimoniale, mais imaginons un instant que ceci n’entre pas en compte, même si nous savons que c’est impossible-, car, ce faisant, elle se réduirait d’autant et cette égalité disparaîtrait au profit d’une uniformité qui ne signifie pas du tout la même chose.

En définitive, donc, liberté et égalité, loin d’être antinomiques ou en concurrence (ce qui serait un comble), sont correlées et, j’oserais le dire, les deux manifestations d’une seule et même chose: le droit de tout individu dans son humanité et de toute l’humanité exprimée dans chacun de ses individus à poursuivre temporairement -c’est-à-dire jusqu’à sa mort- sa propre recherche du bonheur, de la satisfaction et du contentement, dans les seules limites que nous avons dites ici plus haut.

Pour que ce droit puisse se manifester pleinement, deux entraves doivent en être écrasées impitoyablement, comme diraient les anars les plus historiques, de Goodwin jusqu’à Debord, c’est l’État et la propriété. L’un d’ailleurs n’allant pas sans l’autre, et vice versa.

On est fé-, on est fé-, on est fé- ministes!

April 26th, 2010

Dans le Canard Enchaîné du 31 mars dernier, je lisais (en retard) un article sur les difficultés pour les femmes de trouver un centre hospitalier capable de pratiquer une IVG dans un délai raisonnable. Avec la “rationalisation” des hôpitaux en France, qui a parfois amené à la disparition de centres de spécialisation réputés en dépit du bon sens, on a assisté à un resserrement de l’accès à de bonnes conditions et rapidement à l’Interruption Volontaire de Grossesse.

Et d’évoquer le cas d’une femme qui dut attendre un mois pour être opérée. Ce qui, pour ce type de cas, est largement excessif, quand on sait de quoi il s’agit.

Surtout qu’évidemment, les intégristes “pro-life” en profiteront pour critiquer une pratique qui s’attaque à une vie à un stade plus avancé, et patati, et patata.

Sans compter la souffrance d’une femme qui porte en elle un embryon avec tout ce que cela implique d’émotionnel et de physique.

Ceci pour rappeler que, contrairement à une certaine “idée reçue”, le féminisme n’a pas le droit de baisser les bras pour cause d’acquis. Aussi bien dans ce type de cas que dans bien d’autres, comme les droits du travail, les violences conjugales ou autres, les discriminations machistes, les insultes, les attitudes paternalistes, misogynes, et j’en oublie sûrement encore, les acquis du XXe Siècle, qui a vu effectivement le statut des femmes tendre vers un mieux indiscutable, ne sont et ne seront jamais que très fragiles et nécessitant une surveillance constante face aux reculs désirés par bien des mouvements rétrogrades.

À commencer par la religion et les mouvements d’extrême-droite, naturellement, mais aussi par le marché, premier bénéficiaire du conservatisme social, du conformisme familial, de la discrimination salariale et de la consommation bête, cette dernière poussant les femmes à se rappeler qu’elles ne sont que de beaux objets ménagers au milieu d’un environnement propre à être modelé en fonction de ce statut.

Le seul exemple du congé parental devrait nous éclairer plus que tout autre. Ils sont encore trop rares les pays qui non seulement autorisent, mais imposent un congé parental protégé au père comme à la mère, et non de ne l’accorder généreusement qu’à la mère, histoire de la confiner un peu plus entre ses murs et à justifier des différences de revenus entre les sexes.

Lorsque Giuliano est venu au monde, Claudia a bénéficié de 5 mois de congé parental, et ce fut pour elle une excellente chose, elle a pu s’occuper de son fils de manière appropriée. Quant à moi, je n’aurais bénéficié que d’une semaine maximum de congé post-natal. Congé qu’en raison des circonstances je n’ai pas réclamé, car je venais d’être engagé à l’essai et je craignais de perdre mon travail.

IVG, congé parental. En deux anecdotes, deux lieux de combats encore tout à fait d’actualité pour le féminisme qu’il serait honteux de critiquer sous prétexte d’être parvenu à une grande quantité d’acquis étalés sur un siècle. On est encore loin du compte.

Aux dernières nouvelles, la croissance ne sert à rien

April 25th, 2010

Et voilà… Tout à une fin…

Il se trouve qu’au Brésil, en 2009, la croissance a été virtuellement nulle. La presse réactionnaire évoquait même la première croissance négative depuis les années Collor, du nom d’un président qui ne termina pas son mandat pour cause de corruption et d’incompétence (trop) manifestes.

Dans le même temps, les stats viennent de tomber, la pauvreté a été réduite de 500.000 personnes et le nombre d’emplois réguliers a connu un solde finalement positif…

Comme quoi, la croissance n’est absolument pas une nécessité économique.

C’était notre rubrique: les économistes disent plus souvent de conneries que de vérités…