Archive for the ‘discussions piquantes’ Category

L’oeuvre, indissociable de l’auteur

Tuesday, July 19th, 2011

“Je tiens pour ma part que la philosophie procède du corps d’un philosophe qui tâche de sauver sa peau et prétend à l’universel alors qu’il se contente de mettre au point un dispositif subjectif, une stratégie qui s’apparente à la sotériologie des Anciens. Lire et comprendre un philosophe, une philosophie, suppose une psychanalyse existentielle pour mettre en relation la vie et l’oeuvre, le corps qui pense et le produit de la pensée, la biographie et l’écriture, la construction de soi et l’édification d’une vision du monde. (…)

“Je tiens pour une méthode de lecture et d’investigation qui allie dans un même corpus l’oeuvre complète publiée du vivant de l’auteur, ses correspondances, ses biographies et tous les témoignages concernant cette architecture singulière. (…)” ((M. ONFRAY, Manifeste hédoniste, éd. Autrement, Paris, 2011, p. 11-12.))

 

On ne peut pas distinguer l’oeuvre de son auteur. Que l’on soit touché par l’esthétique d’un travail particulier, peinture, sculpture, musique ou écriture, ne change rien à ce que notre jugement définitif, même subjectif, même susceptible d’évolution, ne peut faire l’économie des intentions de l’artiste ou du philosophe, ni de son bagage, de sa culture, voire de ses crimes.

Dans le même registre d’idée, et je pense que cela rejoint la réflexion d’Onfray à laquelle j’adhère pleinement ici, un spectateur, un observateur, un visiteur, ne peut contempler un tableau, suivre une pièce de théâtre ou écouter un opéra sans se préoccuper des commanditaires, on dirait aujourd’hui des producteurs.

L’intention de l’oeuvre, si elle ne prime pas sur l’oeuvre elle-même, ne s’en détache jamais, et l’oeuvre ne s’émancipe jamais de ce qui l’a motivée, quoi qu’on en dise, quoi qu’il arrive. Si l’histoire de l’art perd la trace de cette intention, de cette motivation, l’oeuvre y reste attachée, et il est de notre devoir de nous en souvenir, et de tenter de les découvrir ou redécouvrir.

Difficile d’oublier le rôle de Céline au cours de la 2e guerre mondiale. Même en imaginant qu’il serait mort au lendemain de l’édition de “Mort à crédit”, son travail y reste attaché. Et s’il était mort avant? Question piquante.

Rimbaud-poète doit-il être distingué de Rimbaud-trafiquant d’armes ((Certains voulaient lui coller l’étiquette de négrier, mais l’histoire indique que cette accusation est plus que probablement fausse.))? Pas évident, même si le poète a de fait disparu vers 21 ou 22 ans et que le trafiquant n’apparaît qu’une dizaine d’années plus tard.

Moins évident encore: lorsque Mozart et son esprit libertin et libéré se mettent au service d’un empereur, fût-il éclairé, tel que Joseph II, comment devons-nous l’accepter? L’histoire a largement consacré Mozart, encense vie et oeuvre, sans doute avec raison, mais il était au service d’un dictateur tout-puissant, qui fit notamment la guerre aux rebelles des Etats Belgiques Unis, agit en despote, ne supportant guère la contradiction, calculant non en fonction du bonheur du peuple, mais de la seule raison d’Etat. L’oeuvre de Mozart n’en serait-elle pas entâchée?

L’indépendance de l’artiste, de l’auteur, sa liberté sont importants, tout autant que son intégrité.

Question subsidiaire: comment reconnaître un artiste d’un artisan -cela dit en passant sans vouloir aucunement dévaloriser le travail de l’artisan-, l’écrivain du publiciste, le poète du rimeur, le peintre du reproducteur, le cinéaste du technicien…

 

Pas si fiste…

Sunday, March 20th, 2011

On sait généralement une chose, à propos des anars, c’est qu’ils ont participé très souvent aux mouvements pacifistes, aux campagnes d’objection de conscience, qu’ils ont déserté pas mal de guerres aussi. En 14-18, les mutineries et les désertions étaient régulièrement menées par des tenants de ces vues politiques. On leur doit pas mal de chansons pacifistes, voire insurectionnelles, comme la Chanson de Craonne ou Mutin de 1917.

Comme tous les anarchistes, ou peu s’en faut, la guerre me fait horreur; en outre, je m’inscris largement dans la tradition de Chomsky, Bricmont ((Lire son “Impérialisme humanitaire”, dont je parlais ici.)) et Baillargeon ((Lire entre autres “Les chiens ont soif. Critiques et propositions libertaires”, Agone, Québec, dont je cherche encore la date d’édition.)) pour n’évoquer que quelques théoriciens vivants de l’opposition à la “guerre humanitaire” et au “droit”, voire au “devoir d’ingérence”. Nous condamnons, avec raison et arguments auxquels nous n’avons jamais rencontré d’opposition valable, les interventions occidentales au Kossovo, en Afghanistan, en Irak, et dans bien d’autres situations. À propos, j’en profite pour manifester mon opposition lourde et claire à toute intervention occidentale présente ou future dans le cadre des actuelles révoltes en Afrique ou au Moyen-Orient.

Cependant, certains se demandent peut-être quelle a été la position des anarchistes dans tel ou tel cas. N’ont-ils pas participé à la Guerre d’Espagne, par exemple? Certes, encore serait-il plus juste de dire que “des anarchistes” (beaucoup, oui), et non “les anarchistes” s’y sont lancés avec enthousiasme et grand espoir de contribuer à l’établissement d’espaces libertaires dans l’Espagne républicaine, avec pour ambition, telles les communautés ou colonies anarchistes, de convaincre par le fait concret de la justesse de leurs idées.

Oui, si j’en avais eu l’occasion (et le courage), j’aurais volontiers pris le parti de la République en 1932 en Espagne.

Et à quelles autres guerres aurais-je accepté de participer? La Seconde guerre mondiale?

Si la Première relève de l’absolument exclu, pour ce qu’elle a été un véritable piège à travailleurs, on pourrait se poser plus de questions quant à la seconde. Ne fallait-il pas barrer la route à la barbarie nazie? Peut-être, comme sans doute il fallait barrer celle de Le Pen en 2002… Non, en pleine possession de mes moyens et de ma capacité de jugement, je n’aurais pas accepté de participer à la IIe Guerre Mondiale.

Pour deux raisons profondes. La première étant que les combattants de gauche et d’extrême-gauche ont été largement trahis à la fin des combats et n’ont pu faire valoir de leur valeur pour peser suffisamment dans la balance des négociations lors du retour des “démocraties”. Certes, il existe encore la fameuse déclaration de 1944, sur laquelle l’Etat-Providence a été fondée, mais je suis persuadé que cet Etat-Providence a surtout été réalisé en raison de sa nécessité circonstancielle. Lendemain de guerre, nécessité de relancer l’économie, grande quantité de blessés, d’invalides, grandes pertes dans la génération active, pression sociale, fragilité des gouvernants, a probablement plus poussé la caste au pouvoir à céder les bases des “30 glorieuses”, que l’on allait encore financer sur le dos des colonies et à coups d’endettements colossaux. La deuxième raison est peut-être plus cynique, mais elle ne doit pas être mal comprise. Certes, le nazisme est l’un des pires fléaux qui ait existé et qui existe encore, mais il était de toute façon pris en tenaille et, raisonnablement, on ne pouvait imaginer qu’il parvienne à vaincre le binôme URSS-USA, de quelque manière que ce soit. Aussi, le simple fait de lancer les maigres forces anarchistes, d’un simple point comptable, considérant que les forces réactionnaires, capitalistes, suffisaient largement à la boucherie, je n’aurais pas trouvé juste de m’engager, ni d’engager ceux qui partageient mes affinités à une telle aventure. Certes, résister passivement, refuser de collaborer, saboter, cacher résistants et fugitifs, soustraire des moyens aux envahisseurs, pourquoi pas? Mais cette guerre n’était pas plus celle des anarchistes -et de la gauche en général- que la Première Guerre Mondiale. Je sais qu’il y a beaucoup à objecter là-dessus, mais j’en ai l’intime conviction.

Alors à quelle autre guerre aurais-je accepté de participer en tant que combattant -et donc voué à un éventuel (voire probable, vu mes capacités physiques) sacrifice?

Il faut savoir que ce n’est pas une mince affaire que de répondre à cette question, car elle implique le seul véritable sacrifice qu’un anarchiste estime véritablement réel: celui de sa vie, et éventuellement celui de celle de ses proches. Nous n’avons pas de promesse de paradis ((Les anarchistes croyants sont les moins courants.)), pas de noble cause du genre la Nation, la Raison d’État, les Valeurs traditionnelles ou le Portefeuille du Père, non, nous n’avons que l’humanisme, la compassion, la raison, l’amour de la liberté et de l’égalité et l’absence totale de considération pour les biens quand il s’agit de la vie d’autrui.

Se battre pour notre le mode de vie occidental? pépette! Pour le pétrole? des clous! Pour la démocratie représentative fondée sur la campagne électorale du plus couillu? Polop!

Alors quoi?

Je l’ai déjà mentionnée, la Guerre d’Espagne et, par association d’idée, la Commune de Paris-Lyon-Marseille et autres… Deux guerres perdues, deux espoirs assassinés par les forces conservatrices -dans un cas largement tolérées par les démocraties bourgeoises qui allaient négocier la neutralité de Franco pour 1940, dans l’autre cas avec une absence totale de considération pour ce qui fondait la société d’alors dans les villes françaises, aka le peuple.

J’aimerais dire que j’aurais pu participer à des guerres de décolonisation, mais j’ai trop l’impression que les peuples s’y sont fait baiser par les pseudo-nationalistes qui se sont emparés des rênes, soutenus par l’un ou l’autre pouvoir financier à côté. D’un autre côté, évidemment, en tant qu’Occidental, je ne me serais senti autorisé à y participer que si j’avais été “l’un d’eux”.

Par contre, perdu pour perdu, j’aurais suivi Geronimo, Sitting Bull, Crazy Horse, Cochise, et tous les autres, sans hésitation. Si j’avais été des leurs, évidemment…
Ceci par opposition à la fuite de mes responsabilités en 40 en Europe Occidentale…

Dans le même ordre des choses, et tout aussi désespéré, j’aurais voulu empêcher l’avancée des Bandeirantes au Brésil, si j’avais été Guarani, ou tout autre natif d’Amazonie.

Je me serais sans doute lancé dans de nombreuses jacqueries sous l’Ancien Régime, aussi. Pour l’abolition des privilèges… Mais j’aurais aussi tenté de résister aux enclosures, ces saloperies qui ont fondé le capitalisme terrien moderne. Il y a eu beaucoup d’occasions de ce genre qui se sont malheureusement terminées très mal pour les “horizontaux”…

D’un autre côté, il y a de nombreux cas où je ne me serais pas vu prendre parti: France ou Angleterre? Lancastre ou York? Vercingétorix ou César? Rien à foutre. Tous des couillus qui se foutaient royalement des peuples qu’ils manipulaient, taxaient, dépiautaient au passage, histoire de montrer qui étaient les chefs.

D’autres fameux conflits dits de libération où je me serais réfugié à l’ombre en attendant la connerie passer: 1776 (Etats-Unis), 1640 (Grande-Bretagne), 1066 (même endroit), Guerre de Cent Ans, et toutes les clowneries pseudo-nationales où il s’agissait plus de choisir le nouveau maître qui allait remplacer l’ancien. Pas de ça, l’ami, pour moi… Tout n’est pas bon dans le cochon…

Et la guerre de sécession? Tel un petit Blutch, j’aurais tout fait pour la déserter. Il est de notoriété publique que l’esclavage n’était qu’un prétexte et qu’il fallut attendre longtemps avant que les Noirs jouissent véritablement de droits dans le Sud des USA… Ne rigolons pas: 1861-1865 a été un autre de ces pièges à cons…

En définitive, ça ne fait pas beaucoup de conflits… Grosso modo, ceux qui marquèrent une véritable vocation de libération issue du peuple, non de l’élite; aucune guerre nationale ou nationaliste; pas la plus petite intromission religieuse, ah! ça non!

De toute façon, la guerre étant toujours le produit d’un rapport de force, la seule valable ne peut qu’être motivée par un souci populaire de se débarrasser, même de manière illusoire ou désespérée, de l’impérialisme et du capitalisme.

Tiens, et 1917? Ah ben oui… Si j’avais été Russe, Ukrainien, en 1917, je me serais fait baisé dans les grandes largeurs… comme tous les anarchistes de l’époque…

Laissez la police faire son travail, vous serez les derniers informés

Saturday, February 19th, 2011

La condamnation de Zemmour pour incitation à haine raciale ne me fait pas plaisir.

Qu’on ne se méprenne pas: je n’ai aucune sympathie pour le type. On peut même dire que je ne partage guère de choses avec lui, à part un usage facile de la langue, en plus de quelques caractéristiques communes à tous les êtres humains (pipi, caca, respirer, et peut-être même baiser, si ça se trouve et que ça ne choque pas trop sa fibre christique). Mais, à l’instar de Chomsky qui, avec raison, estime qu’on ne peut interdire à quelqu’un de s’exprimer, même, et surtout, si cette personne ne pense pas comme nous, je suis déterminé à dire que si nous ne devions autoriser que des opinions que nous approuvons, il n’y aurait aucune grâce à parler de liberté d’expression.

C’est donc sur le terrain de la discussion que doit être combattue la verve d’apparence innocente et pure à la sauce néo-conservatrice de Zemour, Eric, publiciste.

On ne saura sans doute jamais dans quelle mesure l’attitude de la police, et de l’accueil fait aux étrangers et aux personnes d’origine étrangère, ainsi que l’histoire des migrations en général, est responsable, en plus des disparités économiques qui les touchent, de la criminalité chez les personnes “moins caucasiennes” que les autres. Et ça, c’est certainement plus une réalité que des chiffres agités dans tous les sens comme un rubic-cube, jusqu’à ce qu’on en obtienne ce qu’on en attend (quitte à décoller les gomettes et les recoller où on veut).

A partir du moment où la police s’intéresse plus à la petite délinquance et aux comportements agressifs de jeunes dont les perspectives sont, globalement, plutôt moindres que celles de la moyenne des Européens, qu’aux fraudes fiscales, aux détournements de fonds et aux abus de biens sociaux, il est évident que les chiffres de la délinquance sont plus élevés du côté black-beur: ils ont moins accès aux charges et aux avoirs qui permettent ces derniers crimes…

Mais il faut reconnaître que si la drogue était libéralisée, on aurait sans doute des difficultés à stigmatiser autant les blacks et les beurs, et les flics n’auraient plus la moindre excuse pour harceler aussi régulièrement les enfants des cités. Si la discrimination à l’emploi n’existait pas, on n’en parlerait carrément pas… Mais bon, s’il n’y avait pas de discrimination à l’emploi, il n’y aurait pas de marché du travail…

D’un autre côté, les mafias de la prostitution, plus souvent asiatico-caucasiennes, sont moins menacées. Parce qu’elles sont plus respectables (après tout, elles ne font qu’exploiter des femmes, ce qui, dans la tête de certains flics, ne doit pas être tout à fait immérité, vu l’attitude de beaucoup à l’accueil des victimes de viols)? Ou parce qu’elles sont plus violentes? Ou plus en cheville avec certaines parties des pouvoirs publics?

À mouvement de pognon comparé, la société européenne y perd bien plus dans son attitude actuelle que si la police se concentrait sur la grande criminalité économico-fiscale, voire dans le trafic d’entrée de la drogue, là où les bénéfices sont bien plus importants qu’au niveau du commerce de détail.

Le même genre d’attitude réductrice existe d’ailleurs au Brésil: la presse mainstream et le gouvernement stigmatisent les petits trafiquants des favelas, surtout ceux de Rio, ainsi que les “mules” (petits passeurs, souvent passeuses et plus victimes que vraiment coupables), sans s’attaquer aux commanditaires, ni aux laboratoires, qui sont les seuls bénéficiaires réels… mais ceux là sont bien entourés et on les retrouve parfois dans les salons diplomatiques et autres cercles de pouvoir.

Ils ont bon dos, les petits trafiquants, qui vivent dans la merde des cités et des favelas! Ce n’est pas là que les milliers de milliards d’euros ou de dollars transitent vers les sphères financières, alimentant les caisses du capitalisme, évidemment!

Ou alors, ils sont vraiment idiots d’habiter dans les cités et les favelas…

Voilà ce qu’il aurait suffi de répondre à Zemmour. Malheureusement, je n’ai vu de son intervention médiatique que sa seule tirade, et rien des réponses éventuelles des présents. Mais cela aurait suffi ou aurait dû suffire…

“Fuego”

Thursday, December 2nd, 2010

Les petits bras qui éructent contre Castro à la veille de sa mort me font profondément vomir. Je n’ai jamais aimé le kaki qui faisait ressortir sa longue barbe, mais il faudrait quand même pas oublier d’où vient Cuba et où il se trouve.

En 1959, au moment où un certain type de barbus prenait le pouvoir à Cuba, la plupart des gens n’avaient accès ni à l’éducation, ni surtout aux soins de santé. Ils coupaient le sucre de cane pour que les gros fions puissent sucer du Bacardi dans les salons du monde libre; ils ciraient les pompes des riches “touristes”; ils vendaient des fruits dans la rue pour pouvoir en bouffer les plus pourris; quant aux femmes, il ne faut pas avoir vu “Soy Cuba” pour savoir dans quelles perspectives elles vivaient…

Entre-temps, la liberté de la presse… bourgeoise… a disparu; pas celle de la presse populaire: elle n’a jamais existé;
Les terres… bourgeoises… ont été confisquées; pas les terres du peuple: ils n’en avaient pas.
Andy Garcia et ses costumes blancs sous les Tropiques, désolé de perdre l’héritage paternel, ça me pompe le haricot.
Les Cubains exilés qui crient à la liberté depuis les côtes de Floride, ça me fait cracher par terre.

C’est sûrement pas le paradis, là-bas, mais c’est pas en mettant les compagnies de téléphone en accès libre que vous le leur donner… vendrez…

Et vous imaginez que les Cubains voudraient redevenir une enclave amerloque parce que “le libre échange…”?

Et allez donc…

… Et si 1945-1989… en Europe… Occidentale

Tuesday, November 30th, 2010

Et si, avec tous les progrès sociaux aboutis au cours du XXe Siècle, les 44 ans de paix relative, le keynésianisme, la révolution sexuelle, les contestations, tout ça…

Et si cette période, en Europe, avant Berlusconi, avant Sarkozy, au moment où Miss Maggie commençait à faire de l’effet, juste avant que la Communauté de l’Acier et du Charbon ne devienne vraiment chiante, si cette période avait été une espèce de… comment dire,…

Si nous avions été plus que privilégiés de vivre une époque où on ne battait plus les enfants à l’école, où le temps de travail diminuait sensiblement, encore, pendant que l’espérance de vie après la retraite augmentait, où le nombre de profs par élève ne baissait pas, où les journaux de gauche, bon, …

Si la peine de mort disparue, les peines carcérales aménagées, les prisons, même horribles encore, humanisées, les permis de manifester, de faire grève, de voter communiste ou de ne pas voter du tout, si tout ça, loin -très loin- d’être parfait, n’était encore que des acquis de sable,…

Et que maintenant, toute honte bue, sans plus aucune idéologie, uniquement poussée par ses propres soifs et désirs de puissance, dans la meilleure tradition de la concurrence et de la lutte pour la survie, la race supérieure, celle qui peut tout se permettre parce qu’elle tient tout dans toutes ses mains, bien visibles, bien hypocrites, bien servies, délivrés des pressions populaires -culpabilisées par des mots comme “populistes”, “nationalistes”, “paternalistes” ou même, c’est un comble, “communistes”-, des petits et des grands maîtres du monde nous fasse refaire le film en arrière, tout en nous précipitant dans la spirale de l’irrationnelle religion du matérialisme et des délires rétrogrades de celles qui emmerdent l’humanité depuis l’âge du fer…

Aidée naturellement par la pince-monseigneur de toutes les chapelles…

Et, non, je ne suis pas paranoïaque: le monde n’a jamais appartenu -selon les lois des notaires- à une aussi petite proportion d’hommes et de femmes de par le monde… Quant au jeu démocratique, il n’a jamais vraiment convaincu, mais il cache de moins en moins les véritables leviers de commande.

Ça chie, ma bonne dame, ça chie, et on est dans la cuvette…

Les vieux, avec nous…

À propos, c’est quoi, l’anarchie?

Thursday, November 18th, 2010

Le chaos, la tourmente, le désordre, la violence, sourde ou éclatante!

L’expression d’un malaise, la pauvreté imaginative d’adolescents en pleine crise, à peine plus que de la poésie, un luxe d’artiste, un caprice d’intellectuel, un esprit bourgeois-rebelle…

Rien de tout ça? Tout à la fois? Autre chose?

Je vous parlais la semaine dernière d’anarchistes et d’actions, de violence surtout; je vous évoquais la rareté de celle-ci dans le chef des anars (le chef des anars, elle est bien bonne), du fait que nous étions plutôt sérieux de ce côté-là, qu’il était rare qu’on frappe à l’aveugle comme savent par contre si bien le faire les dictatures et les démocraties parlementaires.

Il y a pas mal de définitions qui peuvent convenir à l’anarchie. Celle de l’un des frères Reclus, par exemple, “L’ordre moins le pouvoir”, a le mérite de la concision et de l’efficacité. On a quand même un peu l’impression de voir le cauchemar de Foucault abouti. Mais bon…

Entre des visions plutôt conservatrices qui ne voient en elle que l’absence de gouvernement et par extension du désordre -ce qui ne manque pas de s’opposer à la vision d’Elisée Reclus- et celles de poètes plus ou moins romantiques qui n’y voient que la liberté toute pure, il y a des schèmes un peu plus élaborés.

Faire une définition en deux lignes serait à la fois prétentieux et sans ambition. Tant il est vrai que, pour commencer, l’anarchie, c’est de nombreuses conceptions différentes. Et je ne m’attacherai qu’à celles “de gauche”, et de renvoyer pour les autres à Stirner ou aux libertariens, qui ne sont guère que des extensions du libéralisme à mes yeux.

Vu que des Godwin, Proudhon, Kropotkine, et autres Durutti se sont chargés de vivre avant nous l’anarchie, certains se demanderont si elle aboutit bien. Certes, elle pourrait aboutir, achever, terminer, arriver, prendre racine, mais alors elle risquerait simplement de ne plus être elle-même. L’anarchie, en tant qu’idéal politique ou social, c’est une aspiration permanente, un mode de pensée, plus qu’une utopie ou qu’un système, comme le socialisme marxiste ou le libéralisme -ou même le fascisme.

Parce que les hommes sont ce qu’ils sont -des êtres mortels, fondamentalement différents, incapables de penser la même chose sur la vie, la mort, l’amour, la sécurité, la liberté, bien qu’ils soient tous fondamentalement liés dans ces principes, ils ne parviendront jamais à s’entendre sur un système. La peur, puissant moteur de l’autorité, ne saurait être vaincue facilement, puisque la conscience de sa mortalité a fait de l’homme l’animal le plus soucieux de sa survie -en dépit de la futilité de ce projet dont il sait l’inanité.

Aussi, à moins d’un grand sursaut rationnel, l’anarchie ne sera toujours qu’un beau projet vers lequel chacun de ses acteurs cherchera à tendre, sans, selon toute probabilité, jamais l’atteindre. Il n’empêche qu’il persiste, ce beau projet…

L’anarchiste de gauche, plus humaniste, plus philanthrope que son homologue de droite, a une tendance largement socialiste de désir d’émancipation générale: impossible d’être heureux si mon prochain ne l’est pas. Il a aussi une haute conscience des liens sociaux produits par l’économie de marché, par l’existence de l’Etat et par le culte de l’autorité et de la hiérarchie. Le plus souvent -mais malheureusement pas toujours-, il est également parfaitement au fait du scandale patriarcal et aspire à le renverser.

Lorsqu’il est de tendance irrationnelle, romantique, il peut aller jusqu’à désirer retourner les schémas et viser une société matriarcale, trouve ses modèles dans des sociétés plus archaïques, plus proches de la nature, plantes médicinales et danses tribales.

Lorsqu’il est de tendance rationnelle, plus scientifique, il réfléchit au retournement des schémas, constate que les sociétés matriarcales sont plus égalitaires, que les études anthropologiques, sans les idéaliser, reconnaissent la valeur des sociétés mal qualifiées d’archaïques, que l’homme vit en meilleure santé et moins aliéné lorsqu’il est proche de la nature. Et en plus, fumer du chanvre et danser sur la Makhnochtchina fait du bien.

Bref, c’est fou comme le rationnel et l’irrationnel lui vont bien…

Les relations des anarchistes avec les communistes sont souvent tendues, non parce qu’ils divergent particulièrement dans l’objectif, mais en raison d’un lourd contentieux historique et des différences dans l’idée des moyens. C’est bien dommage.

L’anarchiste a, basiquement, une double tendance, l’une plutôt fleur bleue et pâquerette, qui lui rappelle que tous les hommes sont égaux, méritent notre considération, ont droit à la liberté de penser, de jouir, de s’extasier, de baiser et de fôlatrer jusqu’à ce que mort s’ensuive; l’autre, plus agressive, constate qu’historiquement l’exploitation de l’homme par l’homme est violente, réelle, fréquente, implacable, que les exploiteurs se justifient de bien des manières, toutes plus éloignées de la justice et du droit naturel qu’a chacun de vivre sa part de vie sur Terre -ou ailleurs- sans avoir de compte à rendre à des privilégiés et des principes patrimoniaux. Cette dernière tendance, frustrante, mène souvent à la révolte organisée, et parfois à la violence.

Mais les anarchistes n’aiment pas les dégâts collatéraux, les crimes aveugles, les victimes innocentes -parce qu’ils ne croient pas stupidement à la raison d’État ou à un bien supérieur à la vie humaine. Ils méprisent l’honneur, la nation, les hymnes (sauf la Makhnovchtchina, mais c’est pour de rire), les uniformes et le respect au drapeau. Ils réfutent le secret-défense, conchient les interdictions préventives, refusent de servir des lois faites par d’autres et des constitutions élaborées généralement avant leur naissance.

Bref, pour eux, frapper cent hommes pour en atteindre un seul ne fait pas partie de leurs programmes.

Quand les anarchistes deviennent violents, ils s’en prennent principalement aux choses, aux biens, aux entraves, à la propriété, à ce qui n’a à leurs yeux aucune valeur.

Quand la colère devient si forte que plus rien n’arrête la révolte, la grogne, la fronde, l’anarchiste, le plus souvent, reste conscient de la valeur humaine -et, quand il frappe, s’il frappe, c’est d’abord symboliquement (vive la tarte à la crême), puis, s’il passe à plus sérieux, c’est toujours de manière ciblée, et jamais en visant au hasard ou en masse.

Certes, il y eut des exceptions. Mais quand Vaillant s’attaque aux députés, il précise que sa bombe n’avait pas l’intention de tuer -ce qu’elle ne fit d’ailleurs pas- mais qu’elle avait une ambition symbolique. Réponse de l’ordre établi: la guillotine;
Bonnot et ses complices tuèrent beaucoup, mais, précisa Raymond la Science lors de son procès (remarquablement mis en scène par Brel dans un film où Bonnot est joué par Bruno Crémer), ils ne tirèrent que sur des bourgeois ou sur leurs complices.

Deux exemples extrêmes, pris exprès pour ne pas faire dans la dentelle.

Le premier doit être compris comme issu de la stratégie de la Propagande par le Fait, dont l’objectif était de frapper les esprits et de pointer du doigt -et de la marmite- certains des responsables de l’exploitation sociale. On ne peut comprendre la violence anarchiste si l’on oublie qu’elle est une réaction à une violence autrement plus performante: celle de l’inertie de l’ordre établi qui n’hésite pas à lancer des guerres civilisatrices, justes, défensives, pour de basses raisons financières, commerciales, expansionnistes. Auguste Vaillant était un amateur en matière de violence. C’est sans doute pour cela qu’il prit la peine capitale alors qu’il n’avait tué personne.

Quant à Bonnot et à se proches, ils naviguaient entre l’illégalisme, la propagande par le fait et l’anarchisme individualiste. La plupart d’entre eux, après une carrière de militants convaincus, puis déçus, avaient perdu leurs illusions, mais par leur révolte.

Il faut noter que la plupart des illégalistes, de nouveau, n’étaient en rien des violents…

Est-ce que je cautionne le meurtre? Non. Je veux encore penser qu’il existe d’autres voies plus efficaces pour mener à l’amélioration des liens sociaux.
Est-ce que je le pratiquerais? Non. Mais j’aime de temps en temps me poser la petite charade du bouton-pression qui actionnerait la bombe de la Java.
Est-ce que je le condamne? Non. Le boulot des juges, c’est eux qui l’ont choisi: personne ne les a forcés à endosser leurs robes.

Pour terminer, je constate toujours que la place que prend la violence dans un texte sur l’anarchie est toujours de loin supérieure à la proportion qu’elle occupe dans la vie des anarchistes. Et ça c’est important. Parce qu’a contrario, la violence ne prend pas assez de place dans les traités sur les “dites” démocraties, qui, elles, la pratiquent bien plus souvent qu’à leur tour…

C’est encore les anarchistes…

Thursday, November 4th, 2010

Je ne suis pas trop l’actualité européenne pour l’instant, vous m’excuserez, il y a plus spectaculaire, sinon plus important, de ce côté-ci de l’Atlantique. Des élections, des élections, des élections…

Mais il paraît que les anarchistes ont remis ça.

Ces petits irresponsables envoient des bombes partout et après ils s’étonnent qu’elles pètent au hasard et tuent des innocents.

‘faut dire qu’on a une de ces réputations…

Les anars sont réputés violents, poseurs de bombes, barbus, russes ou italiens, voire espagnols (pour ceux qui ont des lettres), misanthropes, sombres, pessimistes, taciturnes

Tout mon portrait.

Ceux d’entre vous qui m’ont cotoyé savent que je ne diffère pas d’un iota de ce descriptif. On dirait ma fiche signalétique aux Renseignements Généraux (ah, oui, j’oubliais, nous sommes aussi paranoïaques et suspicieux, mais ça c’est déjà plus vrai, en fait, parce que, pour ceux qui ne l’ont pas compris, jusqu’ici, j’étais un tout petit peu ironique).

Et donc, il paraît qu’on a remis ça. En Grèce. Le pays de la démocratie. Les sages, les philosophes. Tous des nez droits (sauf Socrate), pas un métèque… Violence aveugle, gestes irréfléchis, désir de détruire, de terroriser, de se venger, de vider ses frustrations, que sais-je.

Tout nous, encore. Enfin, tout moi, je veux dire. Tout mon portrait: rien dans la tête, tout dans les tripes; aucune notion des conséquences de mes actes; pas de compassion, pas d’humanisme

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Décidément, les réputations ont la vie dure…

Tolstoï, Proudhon, Kropotkine, Godwin, James Guillaume, La Boétie, Diogène, Whitman, Thoreau, Chomsky sont les références intellectuelles les plus fréquentes dans le monde anar. Malgré leurs éventuelles colères, on ne compte parmi eux aucun violent.

Emma Goldman, Alexandre Berkman, Bakhounine, Malatesta, Durutti, étaient déjà plus versés dans la lutte armée. Certains pour cause de guerre, d’autres par simple logique de continuation de la lutte des classes.

Et puis il y a ceux qui, tels Ravachol, Emile Henry, Czolgosz, et bien d’autres, qui passèrent à l’action individuelles… Que dire encore? La bande à Bonnot, évidemment…

Meurtriers, assassins aveugles, fous, demeurés, inconscients… montrent bien que les anarchistes sont violents, irresponsables, sans foi ni loi… Si ça se trouve, c’est eux qui ont causé la Première Guerre Mondiale ((En réalité, il n’en est rien: de nombreux attentats attribués aux anarchistes sont souvent le fait de nationalistes ou de nihilistes. Ainsi, le meurtre de l’Archiduc héritier de l’Empire autrichien, en 1914, était le fait d’un nationaliste serbe qui n’avait rien à voir avec l’anarchie.)). Qui sait s’ils ne se regorgent pas du sang des bébés, comme des Catilina, des Cathares ou des Communistes…

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Ce n’est pas toujours drôle de vivre avec une telle réputation, alors que les crimes les plus nombreux, les plus aveugles, les plus incroyablement effroyables, les crimes qui touchèrent le plus d’enfants, de civils, de personnes totalement étrangères à la moindre idéologie, ce sont bien les réputées démocraties qui les ont commis, en compagnie, certes, des dictatures.

Lorsqu’une guerre éclate, ce sont souvent des centaines de milliers de gens, voire des millions, qui meurent pour des raisons d’État, de sécurité, d’intérêts nationaux, commerciaux, que sais-je.
Lorsqu’une politique migratoire se durcit, ce sont des dizaines de milliers de personnes chaque années qui sont criminalisées, pourchassées, et des milliers qui meurent, aussi, dans le monde, parce que les sédentaires croient pouvoir arrêter les nomades.
Lorsque le capitalisme ferme ses vannes d’un côté pour les ouvrir de l’autre, ce sont des quantités invraisemblable de familles qui perdent tous leurs revenus, la précarité de leur sécurité, leur droit à la santé, à l’eau, à l’énergie; en un mot, si vous pensez à votre propre situation, à la vie…

Les anarchistes ont parfois tué. C’est vrai. Mais il faut insister sur deux choses: historiquement, les anarchistes ont presque toujours ciblé leurs victimes et n’ont jamais commis de meurtre de masses comme Madeleine Allbright le justifiait en parlant de la Première Guerre d’Irak et de ses suites; d’autre part, sur tous les anarchistes, rares sont ceux qui sont passés à l’acte violent; pour un Vaillant, on compte cent Victor Serge ou Sébastien Faure, pour un Nechaiev, cent Reclus.

Et si certains deviennent violents, le plus souvent ils ne s’attaquent qu’à des biens matériels: vitrines, caméras, voitures, barrières: la violence contre les hommes, du fait anarchiste, est rarissime et, comme je viens de le dire, le plus souvent ciblée. Même des événements comme celui de la rue des Bons-Enfants, ressortissent de faits isolés.

Même la Bande à Bonnot, peut-être un des groupes les plus atypiques du mouvement anarchiste ((Parmi les illégalistes, rares étaient ceux qui utilisaient la violence.)), se justifiait de n’avoir jamais attenté à la vie d’un ouvrier et de ne s’être attaqué qu’aux bourgeois et à leurs serviteurs. Certes, c’est déjà de la violence, mais elle est extrêmement ciblée -peut-on en dire autant des frappes chirurgicales? Et, en outre, la plupart d’entre nous n’approuvent pas de telles procédures. Mais dans notre échelle de valeurs, les crimes de Bonnot et Raymond la Science sont loin d’égaler Dresde, Hiroshima, Nagasaki, le Napalm, l’Agent Orange, la lutte contre les syndicats en Amérique Latine, les politiques coloniales et néo-coloniales, l’Apartheid -et, bien sûr, les meurtres officiels de Sacco et Vanzettti… Pour ne donner que quelques exemples… Pour s’arrêter à quelques détails de l’histoire qui n’eurent jamais l’heure de voir leurs coupables devant la justice -bourgeoise.

ces grands hommes qui ont changé l’histoire…

Saturday, October 16th, 2010

… à condition de n’y pas toucher.

Nelson Mandela était fêté il y a quelques semaines en raison de l’approche de la coupe du monde dans son si beau pays arc-en-ciel.

On se souviendra que l’année dernière sortit un film, Invictus, qui racontait le “courage” du soldat Mandela, cherchant à rapprocher noirs et blancs en offrant à l’Afrique du Sud une publicité phénoménale par le biais de la coupe du monde de rugby -qu’ils gagnèrent.

L’objectif était surtout publicitaire, alors; il s’agissait clairement d’attirer les investisseurs, de les rassurer sur les intentions du nouveau pouvoir, qui ne se voulait pas hostile à l’argent blanc. Morgan freeman, dans les talonettes du héros de Johnny Clegg, le confirmait assez cyniquement. Il y a quelque chose d’incompréhensible dans la geste de Mandela. Admirable, en un sens, mais totalement contradictoire. Au service de la reproduction de ce qui l’a enfermé pendant près de 30 ans.

Quinze ans après, l’appartheid, s’il n’est plus officiel, n’en reste pas moins économiquement vrai. Et s’il y a bien une petite élite noire -c’est-à-dire un petit groupe de mecs qui profitent de la stabilisation du système et qui s’avèrent avoir la peau d’une couleur proche de l’ombre-, il n’en reste pas moins qu’à quelques exceptions près (oui, des blancs sont tombés dans la misère à leur tour), sur les 49 millions d’habitants, ce sont toujours pour la plupart des noirs qui fournissent les plus pauvres, et ce en grande quantité (l’indice Gini est l’un des plus hauts de la planète).

D’avoir pactisé avec le capital blanc n’a donc probablement pas ou que peu amélioré la vie des Sud-Africains.
En plus, par un manque de chance terrible (et une politique absurde), le Sida a notablement fait tomber l’espérance de vie en Afrique du Sud au niveau de 1950.

Autrement dit, le pari développementiste de l’Afrique du Sud de Mandela, dont le mythe émancipateur et communiste ferait bien de s’effondrer, s’est largement planté. Mandela est bien plus un nationaliste traditionnel qu’un socialiste libertaire.

Son objectif n’était pas de changer le cours de l’histoire, non. Et si on peut imaginer qu’il était sincère dans sa prospective, il n’a rien de quelqu’un qui voulait changer l’histoire, comme on peut le lire à droite, au centre-gauche, et même à gauche, parfois.

Une chanson de Perret

Thursday, September 16th, 2010

Aujourd’hui, je vous livre, toute crue, une lettre que m’a écrite une de mes plus chères amies restée au bercail (mon bercail, pas le sein).

Pas de commentaire de ma part, rien qu’une longue réflexion émotionnelle, mais toujours, à son image, pétrie de rationnel.

L. me fait penser constamment à une chanson de Pierre Perret, par son enthousiasme, ses sautes de tristesse et ses rebonds fantastiques. Elle a voulu me faire partager ses impressions sur ce qui se passe en ce moment en France.

Je suis loin. Je ne peux que voir cela avec ses yeux.

Mais quels yeux!

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15 septembre 2010

Cher Thierry,

Comment vois-tu l’expulsion de rroms? Moi, je la vois très mal; très mauvaise… Je ne saurais jamais prendre la distance nécessaire pour en juger ((L. est rrom, née en Roumanie, vivant depuis quelques années en Belgique.)); mais que penses-tu des conséquences sociales de cette expulsion?

La France est un grand pouvoir politique et économique; elle peut donner le “la” de la chorale des politiques racistes qui vont se défouler par la suite; déjà, l’année passée, il y a eu des assassinats de rroms en Hongrie, des quartiers rroms brûlés en Roumanie, des enfants rroms maltraités par la police en Slovaquie, des skinheads qui ont attaqué un bidonville de rroms en Angleterre… et ce ne sont ici que des actes qui ont eu un écho dans la presse; au quotidien, ce qu’il y a à faire, c’est de nier tes origines et imiter, avec tout le dégoût que cela t’inspire, les imbéciles autour qui, sans cela, t’attaqueraient sans cesse… ou bien prouver tous les jours que tu es une personne, que tu n’es pas comme ceci, pas comme cela…

Instinctivement, depuis que j’ai une conscience, j’ai choisi la deuxième attitude; mais j’ai été entourée par des rroms qui, la plupart de temps, se niaient devant les Roumains même si, dans le dos, ils avaient autant de mépris pour les Roumains que les Roumains pour eux; d’autre part, les Roumains, devant eux, je devais tout le temps dire ou montrer que “ce n’était pas comme ça”, qu’ils avaient tort; mais le lendemain ils oubliaient et de nouveau je devais leur prouver que je n’étais pas inférieure à eux; et puis, les Roumains avaient les écoles; ça leur appartenait et moi j’étais avide de savoir… et je l’ai aspiré comme un éponge pendant les 5 premières années scolaire; puis j’ai gaspillé mon énergie dans des révoltes: je comprenais trop: mes fautes comptaient doublement et mes mérites étaient à peine remarqués; profs et élèves avaient le même regard: du mépris. Et je me suis alors battue; avec les poings; et j’ai commencé à mépriser leur mésestime abêtissante à mon tour. Et je serrais les dents lorsque l’envie de jouer à l’école avec eux était entravée par “je suis tsigane”… et, les rares moments où on oubliait et eux et moi, je jouais avec rage dans les jeux d’équipe et j’étais la meilleure…

Ensuite, à 15 ans et demi, j’ai quitté l’école avec des larmes de colère à cause de deux nouveaux collègues de classe imbéciles. Et j’ai travaillé; de tout mon cœur; dans les champs. Il faisait beau et j’étais forte. Mais après quelques années je me suis rendu compte des perspectives: me marier et vivre la vie sans aucune dignité, supporter la jalousie ou l’envie de faire valoir sa supériorité d’un mari machiste, me laisser abattre par les soucis économiques et sociaux. Ou aller dans la ville et trouver un travail qui me rendrait indépendante? Mais le taux de chômage parmi les gitans augmentait en flèche et en plus je n’avais pas fait d’études; constat amer de la nécessité d’un diplôme. Mais au moins je savais avec certitude ce que je ne voulais pas de la vie; il restait à découvrir ce que je voulais. Mais le contexte ne s’y prêtait pas; souvent je m’arrêtais de penser au futur par crainte de ne pas découvrir que je voulais l’impossible…

Et j’ai commencé à faire tout à l’envers; lorsque j’ai rencontré Henry ce fut la première fois dans ma vie que j’ai eu l’occasion de dire “oui, c’est comme ça…” et plus encore: Henry mettait des mots sur ce que je pensais, sur ce que je ressentais par rapport au monde, à la vie; et il me regardait comme si j’étais une personne; une personne… j’avais 26 ans et lui 62; on a fait équipe et on s’est mariés et on a partagé depuis un quotidien où je ne devais pas démontrer à chaque fois que je sortais que j’étais une personne; j’ai pu alors me concentrer sur autre chose: le savoir. Et j’ai appris des tas des choses; et ça m’a plu. Tellement. Non plus gaspiller son énergie dans une résistance sourde qui mène à un épuisement sans résultat mais apprendre, s’enrichir; arriver à dépasser l’angoisse d’être regardée comme un rien à tout moment et sans aucune raison; juste celle de sa couleur, son origine, des choses dont on n’est pas responsable.

Mes révoltes enfouies, j’ai su aimer un homme, une femme, des arbres et des lieux, et des musiques nouvelles… et découvrir la vie à travers des tas de choses belles ou quelques fois moches.

Je commençais à contourner les gens qui me demandaient “tu es de quelle origine” parce j’en avais marre de répondre et de les observer ensuite prêts à me mettre une étiquette en fonction de leurs connaissances; j’ai toujours voulu être une personne. Et quand j’ai constaté que je répondais beaucoup plus souvent “je suis gitane” que “je m’appelle L.” ce fut désagréable; et je répondais “je suis chinoise, suèdoise, sénégalaise, …” n’importe quoi… En réalité je ne suis qu’une personne; et je m’intéresse aux gens, pas à leurs origines: ce qu’ils aiment, ce qu’ils n’aiment pas, leurs avis, leurs regards, leurs voix, leurs voies… Ils ne sont rien par leur origine; ils sont quelques chose par eux mêmes. C’est juste devant les discriminations que j’ai envie de revendiquer; j’ai revendiqué que je suis gitane devant les Roumains, homosexuelle devant les homophobes, athée en face des croyants, et si je pouvais j’aurais dit que je suis noire en face de ceux qui n’aime pas les noirs, que je suis handicapée en face de ceux qui méprisent les handicapés, etc…

Pourtant je suis si bien lorsque je ne dois rien dire de tout cela; et je suis juste là à bavarder de tout et de rien et sans me douter que l’autre en face te considère autre chose qu’une personne.

Et à quoi s’attendre maintenant quand, après des décennies, on nous a de nouveau officiellement étiquetés comme des parias? expulser les rroms… j’ai été choquée qu’en France cela se passe comme ça; je n’ose pas imaginer la vague de violences “banales” … banales? oui, parce que… parce que … je en sais même pas quoi dire, Thierry; je me sens impuissante; et j’aurais voulu ne pas savoir lire… et j’aurais voulu… ne pas connaître cette réalité.

Que faire, Thierry? remettre de nouveau le bouclier et sortir les flèches venimeuses?

Sarkozy n’est pas un type bête; s’il a osé faire ce qu’il a fait c’est qu’il a senti l’opinion publique… J’ai beau dire que c’est Hitler qui a tué les juifs et qu’il est mort; je n’oublie pas que plein des gens l’ont soutenu; et c’étaient des gens qui eux aussi ont haï les juifs; et c’est le cas maintenant: si Sarkozy s’exprime, c’est qu’il sait qu’au moins 50% de la population est de son côté.

Je sens qu’il y aura des choses très injustes que les gitans vivront à cause de ça: des humiliations, des jugements collectifs, des complexes d’infériorité; les conséquences ne seront pas les moindres ni au niveau de l’individu, ni au niveau de la communauté…

Je ne sais pas pourquoi je t’ai raconté tout mon parcours de vie. Peut-être parce que je me sens un peu écrasée… en tout cas ce soir. Mais demain je vais essayer de trouver une attitude; une qui me semblera juste.

Je t’écrirai un jour sur les vacances, sur les gens et sur les… je ne sais plus.

🙂 t’écrire m’a apaisée.

A bientôt Thierry,

Bisou,

L.

À l’Ouest, rien de nouveau…

Saturday, September 4th, 2010

Texte trouvé ici. Tout ça pour dire que je ne suis pas mort, que le blog vit encore, et que les choses ont peu changé en 20 ans…
Ce n’est pas la fin de l’histoire, ça non!

LES SAIGNEURS DE LA TERRE DANS LE TIERS-MONDE LA DETTE TUE : UN AUSCHWITZ TOUS LES SIX MOIS..
SLOOVER,JEAN

Vendredi 22 mars 1991

LES SAIGNEURS DE LA TERRE

Dans le tiers monde, la dette tue: un Auschwitz tous les six mois. Justice, réclament certains. De plus en plus nombreux…

Deux milliards et demi de dollars. C’est la somme annuelle qu’il faudrait désormais dégager pour sauver les 40.000 enfants qui meurent de faim chaque année dans le tiers monde. Une somme considérable. Enorme, même, diront certains. Pourtant…

Pourtant, deux milliards et demi de dollars, c’est le prix de 5 bombardiers «high tech». C’est ce que l’URSS dépense chaque année en… vodka. C’est le budget publicitaire annuel des fabricants de cigarettes américains. C’est 2 % des dépenses militaires des pays occidentaux. Et c’est loin, très loin des 100 milliards de dollars que – sans compter les destructions – les coalisés ont dépensés dans le Golfe pour écraser la machine de guerre du «Maître de Bagdad». Alors, efficace l’ordre économique mondial? Cet ordre sur lequel le marché, dorénavant, règne en maître?

Certains, en tout cas, ne le pensent pas, que du contraire. Et parmi eux, un certain nombre de personnalités – comme l’agronome René Dumont, le chanteur Renaud, le syndicalite suisse Jean Ziegler… – ont décidé de le crier fort et clair: Nous vivons dans un monde où toutes les conditions du bonheur sont réunies, mais où le plus fort taux de croissance est atteint par… la misère. En cause: un impérialisme économique qui saigne à blanc le tiers monde et l’écrase sous le poids de la dette!

Ces mots, s’ils paraissent presque d’un autre âge, servent pourtant désormais de bannière aux Comités pour l’Annulation de la Dette du tiers monde (CATDM). Des Comités qui, depuis quelque temps, exercent, dans ce sens, une pression grandissante sur les instances financières internationales: FMI, G7,… C’est dans la perspective de prochaines actions que, tout récemment, la branche belge a organisé un colloque à l’ULB sur le thème: «Dette du tiers monde: bombe à retardement». Une manifestation qui a rassemblé près d’un millier de personnes. Visiblement le sort de l’hémisphère sud laisse de moins en moins indifférent…

C’est l’écrivain français Gilles Perrault, auteur – entre autres – du célèbre «L’Orchestre rouge» et initiateur de l’Appel international pour l’Annulation de la Dette, qui a ouvert les débats. Il nous explique pourquoi et comment, ses compagnons et lui, entendent «ranimer l’espérance»…

JEAN SLOOVER

Gilles Perrault, tout le monde, un jour ou l’autre, emprunte de l’argent, s’endette. Les pays du tiers monde, comme vous, comme moi. Pourquoi devrait-on effacer l’ardoise de ces pays plutôt que la vôtre? Que la mienne? Ou celle de la Belgique qui traîne derrière elle, depuis des années, un fardeau de 7.000 milliards de francs?

Parce que ces pays sont, eux, en état d’extrême urgence. parce que, là-bas, dans le tiers monde, la dette tue. Elle tue au travers des politiques d’austérité – volontaires ou imposées – que son remboursement implique. Dans ces pays où les gens n’avaient déjà presque rien, la rigueur signifie automatiquement des économies sur la nutrition, la santé, l’éducation…

Bref, la non-satisfaction des besoins les plus élémentaires des populations. L’Unicef a calculé l’impact de la dette: la mort de 40.000 enfants par an. Un Auschwitz tous les six mois… Des chiffres effrayants. Des chiffres qui ne nous interpellent pas; qui nous réquisitionnent. Au-delà de toute considération politique. Ne rien faire, c’est, tout simplement, de la non-assistance à personne en danger…

L’annulation de la dette changerait-elle pour autant le cours des choses?

C’est, en tout cas, un préalable. Il faut d’ailleurs, non pas annuler la dette, mais l’abolir. Comme on a aboli l’esclavage. C’est notre revendication. Radicale. La dette est un cancer. Et quand on découvre une tumeur, on ne l’enlève pas à moitié…

Ne pensez-vous pas, néanmoins, que… l’abolition de la dette puisse avoir un effet négatif considérable sur l’économie occidentale?

D’abord, il faut se rappeler qu’une grande partie des difficultés de remboursement des pays «pauvres» sont dues à l’augmentation vertigineuse des taux d’intérêt induite par l’appel massif des Etats-Unis aux marchés des capitaux en raison de leurs déficits commercial et budgétaire: les USA sont, aujourd’hui, le pays le plus endetté du monde. Leur endettement intérieur équivaut approximativement à six fois la dette de l’ensemble du tiers monde! Ensuite, au-travers des intérêts payés, les pays du tiers monde ont d’ores et déjà remboursé deux ou trois fois le capital emprunté. Par ailleurs, 20 à 25 % des sommes prêtées ont été accaparées par les dirigeants locaux et se sont immédiatement retrouvées sous forme de dépôts privés dans les coffres des banques occidentales. Les institutions financières occidentales, ont ainsi non seulement «le beurre», mais aussi une partie non négligeable de «l’argent du beurre». Enfin, il faut distinguer les dettes d’Etat à Etat et les dettes privées. Les dettes que l’on efface sont des dettes d’Etat à Etat. Les entreprises privées, elles, n’effacent rien: elles revendent leurs créances aux pouvoirs publics lesquels financent le non-remboursement de leurs titres par l’impôt. les profits sont ainsi privatisés et les pertes, socialisées…

Mais, quel que soit le payeur en dernier ressort, il y a quand même perte. Une vaste opération d’abolition de la dette aurait donc malgré tout un impact substantiel sur nos économies. Pensez-vous que l’opinion publique occidentale soit prête à l’accepter?

Il faut être clair: l’immense majorité des gens ne ressentirait pas grand chose. Certes, les banques souffriraient. Mais il n’y aura pas d’effondrement: l’impact principal se concentrera sur les plus riches.

Pas d’«Apocalypse Now» économique, donc, en cas d’annulation de la dette?

La preuve: lorsqu’il est dans l’intérêt du système d’abandonner ses créances, il le fait sans hésiter. Car, tous les pays ne sont égaux devant la dette.

Exemple?

L’Egypte. Les Etats-Unis ont annulé la dette du Caire en échange de son soutien à la coalition anti-irakienne et de l’envoi d’un contingent de soldats dans le Golfe… Par contre, la Jordanie et d’autres alliés de Saddam Hussein – que nous détestons – ont vu geler les prêts qu’ils avaient sollicités auprès des organismes financiers internationaux.

Précisément. Ne croyez-vous pas qu’en soustrayant les pays du tiers monde à leurs obligations financières, vous allez surtout déserrer la corde qui entoure le cou de nombreux régimes dictatoriaux?

Nous avons beaucoup réfléchi à cette question. La dette de pays dirigés de manière autoritaire ne doit être abolie que si, en même temps, les fortunes personnelles souvent colossales – voyez le Zaïre – accumulées par leurs dictateurs dans les banques du Nord sont redistribuées à leurs peuples.

Mais n’est-ce pas un peu utopique?

Non. C’est ce qui s’est fait pour les Philippines après la chute de Marcos. Il est vrai que telle était la volonté des Etats-Unis… Cela étant, les régimes démocratiques sont tout autant victimes de la dette que les peuples des pays dictatoriaux. Les militaires argentins ont perdu le pouvoir à cause des Malouines. Mais c’est la dette qui met aujourd’hui en péril la jeune démocratie à Buenos Aires…

Vous disiez tout à l’heure que l’abolition de la dette n’est qu’un préalable pour sauver le Sud. Un préalable à quoi?

A l’instauration d’échanges moins inégaux entre les deux hémisphères. La réalité est d’une simplicité désarmante: les pays du tiers monde ne peuvent pas vivre avec ce qu’ils vendent en raison des prix insuffisants auxquels on le leur achète. Point à la ligne. Les drapeaux métropolitains ont cessé de flotter sur les édifices des ex-colonies. Mais les prix des matières premières continuent à être fixées à Londres, à Chicago, à New York… Et, non seulement, il y a les termes de l’échange, mais il y a aussi ce que l’on échange. Car, dans bien des cas, les pays du tiers monde ont, pour diverses raisons politiques ou économiques, été contraints de substituer à leurs cultures vivrières traditionnelles des cultures de type industriel destinées à l’exportation vers les économies des anciennes métropoles. D’où la contrainte d’importer sans cesse davantage les produits de consommation courante autrefois produits sur place. Etc. Il faut changer, remodifier tout cela. Redistribuer les richesses.

Qui? Vous?

Les peuples du tiers monde. Ils savent que le marché les affame, les tue…

Est-ce que vous n’avez pas du Sud une vision lyrique, romantique? Gilles Perrault ne rêve-t-il pas son tiers monde?

Certains d’entre nous l’ont fait dans les années soixante: la chine, Cuba, la légende de Che Guevara, le Vietnam, l’Algérie, la Palestine… ont, tour à tour, incarné les espérances de ceux qui attendaient la grande délivrance. C’est vrai. Nous, nous ne sommes pas comme cela. Nous portons sur le tiers monde un regard sans illusion. Nous sommes lucides. Conscients des gaspillages éhontés, des monstruosités mégalomaniaques, des dictatures, de la complicité des bourgeoisies compradores, des achats d’armes, des massacres… C’est pourquoi, comme le dit René Dumont de l’Afrique, l’urgence pour le tiers monde, c’est aussi la démocratie. Pas nécessairement une démocratie à l’occidentale avec élection tous les quatre ans. Mais un régime qui donne aux gens des droits fondamentaux, comme l’éducation, et leur offre la possibilité de maîtriser davantage leur destin. D’avoir leur mot à dire dans l’allocation des ressources. Le nouvel ordre économique pour lequel nous nous battons est indissociable d’un nouvel ordre politique.

C’est quoi ce nouvel ordre économique?

La justice. La justice dans les échanges. La fin du (néo)colonialisme, si vous préférez.

Mais le capitalisme est plus vivant, plus fort que jamais?

On dit cela. On dit que le capitalisme a triomphé. Si c’est vrai, alors ce sera le triomphe des cimetières. Car c’est le sort de la planète qui est en jeu. La dette, non seulement pousse le tiers monde à la famine – jamais autant d’hommes ne sont morts de faim! – mais le contraint aussi à un gaspillage effréné de ses ressources naturelles. La déforestation n’est qu’un exemple parmi d’autres de cet «écocide» qui nous concerne tous. Que nous soyons du Nord ou que nous soyons du Sud, nous sommes tous sur le même Titanic…

C’est à une véritable révolution mondiale que vous appelez?

Aujourd’hui, le mot est quasiment obscène. Mais c’est bien de cela qu’il s’agit. D’un changement radical du système économique mondial. Ce sera la révolution ou le chaos!

Vercors a dit récemment que si le futur devait se limiter au capitalisme sauvage, ce serait à désespérer. Le tiers mondisme, c’est l’alternative?

Je préfèrerais le terme «Mondialisme». Ou, pourquoi pas, «Internationalisme». Cela étant, nous ne sommes pas à la recherche d’une cause. La libération du Sud vis-à-vis des contraintes du marché mondial s’impose d’elle-même. Au simple vu des chiffres.

Pourtant, à l’Est, les masses populaires sont descendues dans les rues pour exiger exactement le contraire. Pour revendiquer une économie de type (néo)libéral?

Et maintenant elles manifestent pour protester contre le chômage, l’inflation, la crise… Et c’est là, précisément, que se situe notre rôle: sortir les fausses idées de la tête des gens. Montrer que si le marché peut être efficace à une certaine échelle, ailleurs, vu d’ensemble, il peut être totalement dysfonctionnel. Que s’il nous semble, à nous qui vivons dans l’aisance, largement bénéfique, c’est parce que d’autres, les trois quarts de l’humanité qui végètent loin de nos chaumières, ne disposent pas du minimum vital. Que si le marché gagne ici, c’est parce qu’il tue là-bas. Et que l’on ne peut pas, raisonnablement, entrer comme cela dans le XXIe siècle.

Est-il normal de laisser, à notre époque, se développer l’épidémie de choléra qui frappe le Pérou, alors qu’avec les moyens actuels, l’éradication de cette maladie ne pose aucun problème?

Lénine disait: «La cravate de l’ouvrier anglais est payée par la sueur du coolie indien». C’est cela que vous voulez nous faire comprendre?

Je ne connaissais pas l’expression, mais c’est tout à fait cela. A cette exception près qu’aujour-d’hui ce n’est plus d’une simple cravate qu’il s’agit, mais d’un costume complet…

1) 29, rue Plantin, 1070 Bruxelles. Tél. 02-523.40.23 ou 24.