Aïe am ze law

Il est assez étrange pour moi de constater un phénomène récurrent auprès de certains de mes familiers. Il semble que j’aie acquis une espèce de figure de juge1, ou de je ne sais trop quelle représentation mythologique. Il suffit que, dans une conversation anodine, je dise:

“Alors tu as accompli ton devoir de citoyen soumis?”

pour que les choses se gâtent.

Il est un fait que je suis un abstentionniste revendiqué et actif et que le vote au sein d’une démocratie parlementaire me rebute de manière aussi automatique qu’une fraude fiscale.

J’ai le devoir citoyen complexe.

Pour moi, le remplir tous les x temps au moyen d’un bulletin, qu’il soit électronique ou papier, et se dédouaner le reste du temps, me rend blet.

On peut certes encore se justifier par des “on ne peut rien y changer” ou des “que veux-tu que je fasse?” ou des “je ne vais quand même pas prendre les armes”. Mais dans ces cas, restez dans votre lit, envoyez un mot d’excuse et ne leur donnez pas la satisfaction de voir leurs nombres de voix augmenter systématiquement et leur auto-satisfecit déborder de nos médias mainstream et bêlants.

Vous êtes lourds: si vous ne croyez pas dans la démocratie parlementaire, ne votez pas!

On me dit aussi “L’extrême-… y gagne chaque fois tu ne votes pas.” Rassurez-vous (si je puis dire), vu les cliques au pouvoir dans la plupart des pays du monde entier, l’extrême y gagne toujours plus, malheureusement ce n’est pas la gauche…

Certains de mes amis me disent aussi: “ne pas voter ne te rend pas plus libre” et “je vote et je fais quelque chose: je participe à telle et telle choses”.

Pour la première affirmation, c’est absolument vrai: je m’en voudrais de me contenter de ne pas voter, ce ne serait absolument pas logique. Ne pas voter n’est en soi rien si l’on ne le complémente pas d’un acte subséquent. Rester dans ses plumes n’est en rien citoyen si vous ne vous manifestez pas les autres jours.

D’un autre côté, voter -c’est-à-dire abdiquer de votre pouvoir citoyen à l’échelon des forces représentatives surpuissantes des démocraties parlementaires- et prétendre ensuite “faire autre chose” en plus me paraît contradictoire. Moins malsain que de ne rien faire, mais contradictoire tout de même.

Coller un copain à la charge de vice-premier-consul de Schaerbeek ne changera rien à la problématique générale et l’idée qu’un Besancenot puisse frôler le deuxième tour des présidentielles dans trois ans me laisse aussi froid que lorsque Le Pen y était, lui, arrivé. Bien que je trouve le premier immensément plus sympathique que le faux borgne, je m’en voudrais d’avoir pu participer à l’envoyer à une quelconque charge représentative, fût-elle celle de conseiller rural2.

Pour autant que je sache -et je prétends en savoir un morceau-, nous ne pouvons pas envisager d’amélioration de la société “à petits pas” ou “par lobbying” ou par toute autre formule naïve de participation à un système qui, par essence, n’accepte de changer que pour que tout reste identique.

“Yes we can”, “Ensemble tout est possible” et autres “Ce serait pire sans nous” ne peuvent que vous plonger dans l’illusion systématique que les choses évoluent effectivement par les urnes3.

Non, c’est la rue, c’est la pression, c’est la lutte, c’est la merde qu’on remue, c’est le pouvoir qu’on abolit, c’est la réquisition citoyenne, c’est la contestation de la légitimité des forces en place par leur dénonciation toujours plus originale qui peuvent changer les choses. Qui ont déjà plus d’une fois changé les choses. Qui ont même amené le Suffrage Universel, mais bon…

Consommation responsable, production alternative, grèves, boycott, occupations, livres, articles, même manifestations, et j’en passe, ont toujours fait bien plus pour la cause que de voter rouge (pas rose) ou vert. Il y a encore bien plus à faire, mais je sortirais temporairement de mon sujet.

Maintenant, si ça vous plaît tant que ça d’aller faire la file au printemps pour faire une petite croix dans une case…

Mais par contre, je ne me permettrais pas de juger du comportement de quiconque. Il est ancré dans bien des esprits que l’acte dit civique de se planquer trente secondes dans un isoloir fait partie de la démocratie: je m’en voudrais de vous culpabiliser parce que vous remplissez votre “devoir de citoyen”.

Si vous y croyez vraiment, j’espère que vous remplissez aussi bien votre feuille d’impôt et que vous vous garez toujours à plus de cinq mètres des clous.

Et que vous mettez les patins en entrant…

  1. D’où le titre. J’ai vu récemment un morceau de Judge Dredd qui m’a interloqué. []
  2. Je connais beaucoup de potes qui se présentent aux élections et que je trouve bien, mais je ne leur ferai jamais de promotion, de peur qu’ils soient élus… Ce qui arrive à certains, à mon corps défendant. []
  3. Certaines expériences sud-américaines semblent contredire ce que je dis, mais ce sont des cas spécifiques qui mériteraient une analyse séparée. À la grande rigueur, on pourrait comparer l’émergence démocratique du Vénézuéla ou de la Bolivie avec l’Espagne pré-franquiste, mais c’est à la fois un jeu compliqué et un ensemble de cas de figures totalement en inadéquation avec les démocraties parlementaires classiques et qui ne peut en aucun cas servir de référence pour le “Premier Monde”. []

8 Responses to “Aïe am ze law”

  1. Monsieur Y Says:

    Hahaha très bon Thierry. Mais tu m’en voudras pas d’avoir suivi cette joute électorale juste par curiosité et de m’être interessé aux résultats de certains partis ? Hein ? Dis ? :p

  2. thitho Says:

    tu restes libre, mon cher.

    Quant à moi, je laisse aux autres le soin de m’expliquer comment ils font pour tous gagner…

  3. Monsieur Y Says:

    Mais … parce que la démocratie a gagné, mon cher !

  4. Julien Uh Says:

    Bien que je sois d’accord avec toi :-), tes paroles peuvent dépasser tes pensées :
    “Alors tu as accompli ton devoir de citoyen soumis?” Cette phrase EST un jugement, la personne à qui tu t’adresses est déjà considérée comme “soumise”. Et peut-être n’en est-elle même pas consciente => commencer par ce type de phrase va directement casser une conversation. Peut-être est-elle anodine, comme tu le notes plus haut, mais que tu aurais aussi pu convaincre après 15 minutes d’explications supplémentaires, non ?
    Et dès lors que tu es considéré comme “juge”, le simple fait de demander “Alors tu as accompli ton devoir de citoyen” générera sans doute une réflexion sur ce que cache la phare puisqu’on t’aura toi aussi jugé auparavant, ta réputation te précédant. Bref, c’est pas facile 🙂 🙂

  5. thitho Says:

    Ccl: I am ze law

  6. Un Homme Says:

    Tu es Jude Law? 😀

  7. monsieurA Says:

    c’est pas un pléonasme, ça, “citoyen soumis”?

    MonsieurA est d’accord avec T, son porte parole officiel…

    🙂

  8. Un Homme Says:

    Si on me laisse choisir la miss, je veux bien etre un citoyen sous miss…

    😀

Leave a Reply

Time limit is exhausted. Please reload CAPTCHA.

*