Le hérisson révolutionnaire Le monde selon thitho

février 1, 2014

Un petit coup de Bahar, et ça repart…

Filed under: discussions piquantes — tito @ 10:10 pm

Je me fais timidement le relais de mon ami Bahar Kimyongur, toujours en résidence surveillée en Italie…

« Cher(e)s ami(e)s,

Aujourd’hui, un article intéressant est paru en ligne dans le site du quotidien belge La Libre. Il concerne les jeunes Belges partis se battre en Syrie dans les rangs du groupe terroriste appelé l’Etat islamique d’Irak et du Levant (Daech).
Dans cet article, je suis cité mais avec un titre inexact: « chiite d’origine alévie ».
Une fois encore, je dois le préciser: je n’appartiens à aucune religion. Par ailleurs, il y autant de différence entre chiisme et alévisme qu’entre alévisme et alaouisme (appelé également noussayriyyé). Mes opinions politiques ont très peu à voir avec mes origines même s’il est vrai que grandir dans une culture hétérodoxe facilite une certaine identification avec des opinions politiques hétérodoxes. Autre rappel important: j’ai défendu la souveraineté nationale de l’Afghanistan contre l’attaque US en 2001 malgré le fait que les Talibans sunnites étaient les bourreaux des chiites hazaras. J’ai défendu la souveraineté nationale de l’Irak de Saddam Hussein le sunnite en 1991 et en 2003 alors que ce dernier massacrait les chiites. J’ai défendu la souveraineté de la Libye de Kaddhafi le sunnite en 2011 malgré ses liens présumés avec l’assassinat du philosophe chiite libanais Moussa Sadr. Cela au nom du respect du droit international et de la paix. C’est pourquoi, je me sens rabaissé à chaque fois que l’on évoque mes origines (dont je ne suis aucunement responsable) pour expliquer mes prises de position politiques.

Merci de votre attention.

Bahar »

L’article en question.

janvier 29, 2014

Qui va à la chasse… extrait de « Curée de campagne », 2013

Filed under: lectures dispensables — tito @ 1:42 pm

– Vous vous y connaissez remarquablement dans le domaine de la chasse.

– Je me défends… Même si dans mon groupe de ce matin vous trouverez des experts bien plus compétents que moi. Je vous l’ai dit, je m’y suis vite intéressée, à l’époque où mon mari m’y emmenait pour faire étalage de sa nouvelle épouse… J’y ai pris goût…

– Le contact avec la nature ?

– Pas du tout. Non, non. Je n’ai pas ce prétexte hypocrite à l’esprit. Mon mari non plus d’ailleurs, qui ne tirait guère que pour effrayer des chiens errants. Je ne me souviens pas de la dernière fois où il nous a ramené quelque chose. Quand je pense à sa meute, ses pauvres chéris n’avaient jamais l’occasion de montrer leur valeur… Non, quant à moi, j’aime tirer et j’aime manger ce que j’ai tué.

Henriot sursauta.

– Je vous choque, Henriot ?

– Et bien, vous me surprenez.

– Pourquoi ? Serait-ce parce que je suis une femme ? Je ne suis pas seule à pratiquer ce sport parmi les mâles, vous savez.

– Je sais. Ce sont vos mots.

– Ah oui… Les animaux… Avez-vous déjà regardé un documentaire animalier, monsieur Henriot ? Avez-vous noté la violence de la mort qui touche les proies des prédateurs ? Elles meurent souvent en plusieurs minutes, parfois un quart d’heure, sont parfois dévorées en partie encore vivantes, et les dents des félins et des carnassiers, ce n’est pas de l’anesthésie, je vous prie de le croire. Quand je pense aux soins qu’on accorde aux condamnés à mort, au traumatisme que l’exécution provoque et que l’on cherche à éviter !… Quant à moi, je suis un très bon coup de fusil, monsieur Henriot, et je tue net : mes cibles n’ont pas le temps de souffrir. Et même si je ne les tue pas sur le coup, la chute les achève. Elles meurent en moins de quelques secondes. Je vous assure que la mort que je donne n’est rien en comparaison de la souffrance des proies des fauves,… des hyènes, autrement plus dangereux que moi.

janvier 12, 2014

Démocratie radieuse

Filed under: économie mon amour,discussions piquantes — tito @ 12:27 pm

Je serai favorable à l’énergie nucléaire le jour où les entreprises privées qui les assument et nous vendent leur produit
-prendront en charge l’ensemble de la construction des implantations;

-assumeront une exploitation non impérialiste et non colonisatrice des ingrédients nécessaires à leurs entreprises;

-assumeront la surveillance et la protection de leurs usines, y compris concernant d’éventuelles attaques aériennes;

-assumeront les coûts assuranciels en conséquence des risques réels calculés sur base des expériences passées;

-auront trouvé des solutions durables concernant les déchets nucléaires, impliquant le temps de vie réel de ces déchets, et non pas quelques dizaines ou quelques centaines d’années;

-auront provisonné le montant nécessaire au démantèlement de l’usine nucléaire, même en cas de faillite;

-auront répercuté l’ensemble de ces coûts sur nos factures électriques, histoire d’éclairer réellement les consommateurs sur ce que coûte l’énergie électrique issue du nucléaire;

-autoriseront des contrôles indépendants et des visites citoyennes régulières accompagnées de scientifiques non issus de leurs milieux protégés, insoupçonnables de collusions et véritablement impartiaux;

-admettront que le nucléaire est une chose trop importante pour la confier à des intérêts privés selon les lois de la simple propriété privée.

Bref, lorsque le lobby nucléaire aura admis que ses positions sont intenables.

Et qu’il faudra abandonner le nucléaire comme source d’énergie acceptable au sein d’une démocratie.

PArce qu’au-delà des discussions sans fin sur les tenants et aboutissants écologiques, des émissions de CO2 et autres phénomènes, il faut se rappeler que le nucléaire ne saurait en aucun cas être une source d’énergie démocratique: elle exige une opacité, un contrôle vertical, un système autoritaire et des forces armées aux ordres d’intérêts qui ne sont pas ceux d’un système véritablement démocratique.

janvier 2, 2014

La confusion des genres, p. 16-22

Filed under: lectures dispensables — tito @ 5:49 pm

Début: p. 1-8 et p. 8-16

Ces nuits où je ne me rendormais pas, où je rebranchais mon ordinateur pour écouter mon fichier des Pixies, de Le Forestier, frère et soeur et de Reggiani, ou pour visionner des films en ligne d’informations alternatives, il m’arrivait de remonter jusqu’aux véritables sources de ma conscience adulte, pour lesquelles, telles que celles du Nil, il fallait envoyer des explorateurs téméraires, prêts à renoncer certains jours à leur thé de cinq heures parce que le boy qui transportait la bouilloire avait été bouffé par un animal sauvage –qui n’était pas un tigre, car, comme je l’avais appris dans « Le sens de la vie », il n’y a pas de tigre en Afrique-, explorateurs qui parviendraient à les fixer définitivement sur des cartes dont toute la gloire serait ensuite d’être consultées par des armées de gentlemen dans des clubs fermés à tout ce qui n’était mâle et anglais, à la rigueur écossais, et qui se réjouiraient au-dessus de leurs tasses qu’il existe encore des hommes de valeur dans le royaume ; mais quant aux miennes, je ne pouvais m’engager que seul en amont de mes souvenirs, sur les rives de ce qui était devenu de plus en plus flou, effort pour lequel je recevais l’aide, justement, de l’heure qui me rappelait ces nuits où, enfant, je me réveillais avec la nécessité de vérifier que ma mère dormait bien dans la chambre à côté.

Ces instants de panique arrivaient lorsque nous n’étions pas à la maison. Pour les vacances, quand nous ne partions pas, ma mère acceptait les invitations sans enthousiasme de mes oncles, les frères de mon père, à passer quelques jours, parfois deux semaines, dans leur maison de campagne. C’était leur manière à eux de montrer qu’ils avaient le sens de la famille. Ils étaient copropriétaires d’une ferme construite au début du XXème Siècle qui avait été transformée par les précédents propriétaires en quelque chose de plus confortable. Un accident de chasse (avait-ce été le fils ? le frère, qui… ?) avait provoqué sa vente forcée et mes oncles s’étaient mis d’accord pour mettre la moitié de la somme chacun et se partager le butin contractuellement année après année. L’épreuve principale fut jouée à pile ou face pour savoir qui prendrait le mois de juillet et qui, donc, se contenterait d’août. Pour une raison qui m’avait échappé, du bas de mes six ans (mais m’échappe encore), le partage ne semblait pas équitable à celui à qui le second avait été attribué.

Mes oncles paternels, j’avais mis du temps à m’en apercevoir, ne s’aimaient pas –et n’avaient probablement pas aimé mon père. Ils dissimulaient cette antipathie mutuelle, qui devait remonter à de vieilles rivalités d’adolescents, derrière des intérêts temporairement communs. Ils cherchaient juste à s’exploiter l’un l’autre jusqu’à la mort de leurs parents, au moment de l’héritage qui allait fatalement les déchirer, car, celui-ci consistant principalement en biens immobiliers, ils n’allaient pas accepter les expertises qui auraient pour but de les départager, et n’avaient opté pour l’achat de cette maison en commun que parce que c’était tout ce qu’ils pouvaient se permettre en attendant et que, malgré leur inimitié, ils préféraient cela plutôt que rien par souci de statut social. Au nombre de collègues, proches, médecins de famille, agents d’assurance, experts, notables locaux, qui étaient passés les voir dans leur palais, c’est le raisonnement que je parvins à faire bien plus tard, lorsqu’un jour, j’eus l’occasion de repasser devant, toute désolée d’être vide au milieu de l’automne, maison spacieuse qui ne servait presque pas dix mois sur douze… Par contraste, leurs femmes s’entendaient, elles, sincèrement, ce qui semblait tenir du miracle. Ayant échappé à la révolution sexuelle grâce à leur naissance protégée et à la fréquentation jusqu’à la fin de l’adolescence d’églises et d’écoles de grands noms, elles avaient toutes les deux fait un mariage adéquat, avec respectivement un ingénieur et un avocat, dont elles n’allaient découvrir que trop tard, si jamais, la médiocrité. Elles partageaient également l’aigreur de l’infidélité de leurs époux et avaient trouvé dans le malheur de l’autre un réconfort à leur propre tristesse. Comme leur éducation les avait confinées à des études, pour l’une moyennes, pour l’autre peu valorisées, elles craignaient de devoir reprendre un travail en bas-relief si elles devaient divorcer, et, pour autant que je sache, ne tentèrent pas de trouver d’amant. Je ne pense pas non plus qu’elles aient eu de relations ensemble : l’idée même de l’homosexualité devait leur répugner. Je n’en ai pas la certitude, cependant lorsqu’elles s’embrassaient (sur la joue, toujours la droite) en notre présence, les rares fois où les deux oncles se retrouvaient en même temps au même endroit, ayant trimballé femmes et marmailles avec eux, soit dans la maison de campagne, soit chez les grands-parents, elles se serraient dans les bras avec une retenue pincée qui ne trahissait pas le désir physique. Le temps de mes premiers ébats était encore loin, et les modes changent. Mon expérience future et mes lectures de Christiane Rochefort n’allaient pas correspondre à ce qu’elles montraient et, qui sait, peut-être cachaient-elles bien ce que nul ne pouvait voir, mais mes oncles étaient tellement abrutis et mes grands-parents si imprégnés de préjugés imbéciles que, même si elles s’étaient léchées à pleine bouche devant tout le monde, je crois que personne n’aurait compris ou n’y aurait vraiment cru. Donc, à moins qu’on ne me montre le contraire, je m’en tiens à ma première hypothèse, qu’elles se serraient essentiellement les coudes dans l’adversité et l’amertume d’un commun cocufiage institutionnel sans pour autant en profiter pour réduire leurs frustrations sexuelles ensemble.

J’étais –comme la plupart des humains au cours de l’histoire- le produit d’une culture de propagande permanente qui ne disait pas son nom. Non seulement, je craignais, comme tout enfant, de me retrouver loin de mon seul parent –ma mère-, mais surtout, mon intérêt pour les informations ayant été très précoce et voulant toujours en savoir plus, à l’exemple de ma mère, je regardais avec elle le journal télévisé du repas du soir et, si elle avait l’avantage de pouvoir lire le journal le matin suivant, moi, je l’écoutais illustrer des mots qu’elle lisait les images qui accompagnaient parfois les articles sérieux de la presse, et j’apprenais peu à peu à avoir surtout peur de ces deux vieillards qui paraissaient commander le destin de la planète, sous l’appellation étrange de guerre froide. Exactement comme dans la chanson de Sting, plus tard, qui s’inquiétait de savoir si les Russes pouvaient aimer leurs enfants, chanson dont l’album traversa mon adolescence et qui me ramène toujours à la mélancolie de ma mère lorsque je l’entends.

Cette peur me réveillait toutes les nuits que je ne passais pas dans ma propre chambre en ville. Je me levais et j’allais jusqu’à la porte de celle où ma mère dormait seule dans un lit archaïque d’environ un mètre soixante-dix de côté, qui avait été celui d’un couple du début du siècle et que les oncles avaient récupéré pour les (petits) invités. Quand, au milieu de ma nuit, j’avais eu l’occasion de voir ma mère étendue seule, sur cette anachronicité qui semblait lui dire, tant d’années après la mort de mon père, qu’elle devait rester dans son souvenir et la chasteté que le veuvage lui imposait, je parvenais à me recoucher et à me rendormir, malgré les ronflements de mes deux plus jeunes cousins dont les lits encerclaient mon matelas.

Parfois, sans le vouloir, je la réveillais du seul bruit de mes pas sur le plancher de bois trop vieux, et elle m’invitait à passer la fin de la nuit auprès d’elle dans un grand geste de la main soulevant les draps et la couverture. Je ne refusais jamais, car je ressentais un soulagement infini à l’idée de passer, non pas les dernières heures de la nuit, mais mes derniers moments auprès de l’être que j’aimais entre tous, dans la perspective d’un embrasement mondial qui ne pouvait qu’arriver vers l’aube.

J’éprouvais une acide déception en me réveillant, le matin, comme tous les précédents, ayant échappé à la guerre nucléaire. Mais je crois que, ce que je regrettais de fait, c’était que mes cousins, mes tantes et mes oncles avaient également survécu à la tranquillité de la nuit qui, en définitive, ne s’était révélée un long moment d’angoisse peu reposant que pour moi.

Je n’avais aucune sympathie pour toute cette partie de ma famille. Tout le temps que nous passions là-bas, je ressentais une profonde nostalgie de notre appartement et du frère de maman, mon oncle, avec qui nous passions une grande partie de notre temps en ville. Si j’aimais la campagne, je ne supportais ni la maison, ni les oncles, ni les tantes. Quant aux cousins, leurs jeux que je trouvais stupides étaient ceux de tous les enfants de leur âge et, en ville, j’y participais avec d’autres gamins sans rechigner.

décembre 31, 2013

La confusion des genres, p. 8-16

Filed under: lectures dispensables — tito @ 2:25 pm

Suite des pages 1-8 que vous trouverez ici.

Il me semblait que je réinventais le mythe de la caverne augmenté de cette nouvelle inconnue à l’équation qui impliquerait que certains philosophes, après avoir vu les idées dans leur réalité, auraient décidé de retourner s’enchaîner, et je ne voyais guère comment convaincre Roberto de la quitter, lui pour qui les écologistes signifiaient la surtaxation de son camion ; les socialistes la multiplication des impôts sur les petits patrons autonomes dont il était ; les communistes une engeance qu’il fallait interdire d’exercer la politique puisqu’ils étaient opposés à la liberté d’entreprise, donc à la liberté tout court ; les anarchistes guère autre chose que des terroristes que rien ne distinguait des musulmans qui obligeaient leurs femmes à porter des vêtements dont il ne parvenait à retenir ni les noms, ni les définitions ; les féministes des emmerdeurs (et plus généralement des emmerdeuses) dont la tâche était achevée depuis des décennies et qui ne savaient pas quand il fallait s’arrêter.

De mon incapacité à convaincre les personnes qui m’étaient proches depuis tant de temps (et que dire de mon frère, qui venait d’accepter de se présenter aux prochaines élections parlementaires sous une bannière qui criminalisait depuis presque toujours tous les mouvements auxquels j’avais participé depuis la fin de mon adolescence), je ne ressentais aucune frustration, aucun sentiment d’inaboutissement, seulement un énorme complexe de culpabilité, du fait que j’estimais avoir l’intelligence nécessaire pour les amener à nous suivre et que, n’y parvenant pas, cela ne pouvait signifier qu’une chose : c’était ma propre personnalité, prétentieuse ou méprisante, comme on me l’avait déjà souligné, qui les empêchait de s’accorder pour changer de route et participer à un monde effectivement meilleur, plus égal et plus libre, moins dangereux et moins désespéré. Pourtant, dans maintes discussions, je m’étais aussi entendu dire que, si je me présentais, les mêmes personnes qui me taxaient d’orgueil surdimensionné et de mépris pour leurs intelligence, prétendaient qu’elles voteraient pour moi, persuadées que j’apporterais quelque chose de nouveau et peut-être parviendrais à résoudre les problèmes qui les touchaient. Comme il n’en aurait pu être question, les élections dans le cadre d’une démocratie représentative figurant pour moi l’aboutissement de l’exploitation intellectuelle des masses et ne pouvant en aucun cas permettre l’émancipation des populations, je me renfermais lors de ces discussions dans un discours rendu brumeux par l’alcool ingurgité à ces occasions et qui devait justifier de ma position (« Nan, c’est pas de l’antiparlementarisme primaire ! Et, nan, j’suis pas poujadiste ! ») et ne servait généralement qu’à faire croire à mes interlocuteurs que ma paresse restait plus forte que mon ambition révolutionnaire ou que mes belles idées n’étaient destinées qu’à les rester (« un’idea, un concetto, un’idea, Finché resta un’idea, é soltanto un’astrazione… »), qu’en fin de compte ma position politique n’était qu’une posture –au moins, évitais-je probablement le terme d’imposture de la part de ceux qui m’aimaient.

Lorsque je retournais dans mes plumes, c’était pour ne pas retrouver aussitôt le sommeil. L’angoisse apaisée pour le reste de la nuit par la vue du sommeil calme de Lucie avait fait place à celle plus dramatique, car insoluble, des perspectives de vie de la génération future et du repli de mes pensées sur nos actions passées. Et les miennes en particulier. De mes dernières activités à l’IRé ou au journal, je sautais dans la ligne du temps de nos aventures ; aventures est le mot juste car nous nous lancions dans des projets que nul ne voulait voir accomplis autour de nous. À l’université, au Centre Libertaire, lors du J15, au Collectif d’Actions Contre les Expulsions… Nous explorions des contrées de vie que ni les autorités, ni les partis, ni les syndicats, ni même une bonne partie des bonnes âmes que nous rencontrions dans telle ou telle organisation militante n’aimaient voir se développer. Chaque fois, les bâtons s’accumulaient dans nos roues, souvent les mêmes sous des formes à peine différentes : diffamations, poursuites policières, jugements sans dossiers, contre-mouvements fascistes, mais aussi de la part de nos « alliés objectifs », les partis et les syndicats de la gauche acceptable. Nous organisions des espèces de camps libres, sans programme préétabli, avec l’objectif premier de faire chier les autorités -en leur montrant à quoi pouvait mener l’autonomie- à qui nous refusions de livrer -pardon, de désigner des chefs, des représentants, des délégués, des boucs émissaires. Nous nous lancions dans des manifestations plus ou moins spontanées, aux parcours étudiés entre nous, et nous étions peut-être cinquante, mais nous faisions plus mal (même si peu) que si nous étions cent mille, parce que nous ne faisions que de l’inattendu et que parmi les cent mille, il y avait fatalement les repoussoirs de l’appareil qui répondaient aux questions des caméras (et donc, les cent mille, en fin de compte, ne lui faisaient aucun mal, à l’appareil). Et, parmi ces cent mille, nous ne pouvions apparaître, c’est-à-dire exister politiquement, que si nous brisions une caméra au-dessus d’une banque ou si nous retournions une grosse voiture, ce qui n’était pas ma tasse de thé… Ou alors, si nous citions tel artiste italien qui osait dire que, même après son exécution, Aldo Moro était encore responsable de quarante années de cancer mafioso-chrétien… Ou si nous provoquions un barrage symbolique au passage d’un camion blindé qui emportait un étranger vers l’avion qui le « ramènera chez lui » (sans avoir réussi à convaincre un seul journaliste encarté à nous accompagner pour constater la violation des droits humains en jeu), ou quand nous fichions une tarte à la crème dans la figure d’un imbécile médiatique –que nous étions enfants ! Mais de le faire nous produisait tellement de bien, simplement de le faire, de nous mettre dans l’action et de produire l’acte précaire, inconséquent, qui rappelait à sa victime que l’auguste, c’était nous, et le sinistre blanchâtre, c’était lui, et aussi qu’il n’était pas inatteignable, pas invulnérable, pas impunissable-, ou lorsque nous nous permettions de danser devant des lignes de policiers qui obéissaient pendant une heure à l’ordre de ne pas bouger, avant de nous foncer dessus –chose qu’elle, on ne voyait jamais à la télévision, sinon sur des images de pays dont les gouvernements n’étaient pas alliés aux nôtres- à coups de matraques et de canons à eau, sans aucune autre provocation que celles de curieux personnages masqués que nous ne comptions jamais parmi nous avant ou après notre manifestation et qui jetaient des mottes de terre sur leurs collègues pour justifier leurs assauts…

Je n’avais jamais l’impression, même depuis l’arrivée de Lucie dans ma vie, que toutes ces choses fussent loin de moi, au contraire : chaque acte, chaque participation, chaque événement qui avait provoqué la colère de nos magistrats restait pour moi un frais souvenir dont je pouvais à loisir me réjouir, que je pouvais me raconter en riant en silence, comme si je me trouvais devant une bonne bière avec moi-même, que je me secouais amicalement l’épaule pour me reprendre au milieu de mon récit, me rappelant à moi-même le détail oublié et qui tuait, ce qui ne pouvait que produire l’effet voulu, avoir la conséquence obvie : celle de convaincre o fulano encore dubitatif de la justesse de nos vues, dans la joie de la contestation. Ce n’était pas de la naïveté, mais de l’espoir, encore, que la mise en scène, au milieu de la rue, du conflit israélo-palestinien sous forme d’un combat de boxe ridicule entre un David bardé d’armes perché sur un bouclier aux couleurs multiples de l’Occident et soutenu par quatre hommes masqués des mêmes, et un Goliath grassouillet, mais trop bas, tout seul et pourvu d’une fictive ceinture d’explosif, le tout brodé d’un scénario burlesque, ne puisse qu’attirer les applaudissements d’une foule, même uniquement composée de juifs, et mener à leur conversion pour notre cause désespérée.

Fraîches encore, ces images de défaites, de dégoûts, de déceptions surtout… De déceptions terribles, lorsque je me revoyais au milieu de mes amis, après la réalisation d’une pièce et d’un débat convaincants sur un sujet, le travail social, pour lequel nous avions acquis une certaine crédibilité, on nous demandait des suites, des reprises et je me retrouvais solitaire enthousiaste à vouloir effectivement suivre les conseils de notre public échauffé, que nous laissions refroidir et mourir dans l’obscurité froide des sorties de nos locaux fatigués, sans la perspective d’un recommencement, d’une prolongation, d’un affinement, de quelque chose, en somme, qui rentabilise notre effort vers ce sujet. Je me souviens aussi, avec dépit, de la face réjouie, imbécile, de celui que je croyais inébranlablement fidèle, solide parmi les piliers du Centre Libertaire, et qui m’annonça fièrement avoir jeté les trois cents affiches surnuméraires qui avaient stagné au grenier de notre lieu de rencontre pendant trop de temps, mais que je venais d’annoncer, deux jours plus tôt, vouloir aller placarder nuitamment par toute la ville avec Jérôme, armé de colle et de ballets-brosses, dans l’espoir amusé de penser que toutes ces affiches, aux contenus artistique, humoristique, talentueux (pas le mien, de talent, mais celui de plusieurs de nos glorieux prédécesseurs retombés entre-temps dans l’oubli parfait), clamant notre militantisme athée, anti-religieux (« Contre le Sida, la capote, pas la calote »), libertaire (« L’ordre, c’est le bonheur »), anti-capitaliste, écologiste, anti-consumériste (« La publicité nous prend pour des cons, la publicité nous rend cons »), allait peut-être réveiller dix ou vingt consciences, et que cette nuit de travail, ou ces deux nuits, ou ces trois nuits, allaient justifier les dix années d’endormissement des affiches et leur stockage encombrant au fond d’une pièce sombre. Jeune, encore, cette scène où, au milieu de 300 militants de tant d’obédiences différentes, je me faisais applaudir pour le récit par Serge Rubin de mon intervention décidée en opposition à la signature d’un accord non seulement superflu, mais insultant, au cours d’une réunion avec les ONG et les syndicats qui exigeaient de nous, pour prix de leur association à notre mouvement, lui-même fruit d’un travail de longue haleine, le renoncement à la quasi-totalité des principes que nous avions adoptés dans la joie de notre ensemble large et -à notre niveau- œcuménique, alors que, dix minutes après, passant au vote, la même assemblée dont j’avais reçu l’ovation, guidée par des masses partidaires et des intérêts que je ne comprendrais qu’au jour du contre-sommet, massivement, entérinait l’accord traître, qui provoqua ma démission dégoûtée du secrétariat de ce que je croyais avoir été une coalition historique de mouvements minoritaires et qui m’avait apporté l’espoir qu’un travail en commun, sans les figures officielles, sans les tenants des plus grandes parts de marché de la gauche militante, était possible.

Et fraîche encore, cette impression éteinte, ce sentiment diffus, de défaite, que je faisais partie de cette « razza in estinzione», mais je ne voulais pas le croire, qui voulait « vraiment changer la vie » (cambiare veramente la vita)…

Comme le disait Gaber.

décembre 30, 2013

La Confusion des Genres, p. 1-8

Filed under: lectures dispensables — tito @ 12:25 pm

Voici les premières pages d’un tome qui en fait 283 A4 bien dégagées. Et, non, ce n’est ni une auto-biographie (on s’en rendra vite compte), ni une auto-fiction. C’est un récit à la première personne qui pose un constat subjectif à long terme sur une trentaine d’années de la gauche… J’insiste sur le « subjectif ». Un conseil: pour une meilleure lecture, copiez-collez ça sur un wordpad.

La lignée de la mère

Souvent, je me réveillais en sueur. Dès l’arrivée du sommeil, lorsque je finissais d’éteindre mon ordinateur –opération qui semblait prendre de plus en plus de temps pour des raisons que je ne parvenais à comprendre malgré les explications de Marc, toujours aussi dévoué par ailleurs à tenter de nous convaincre que nous devrions passer à Linux plutôt que de nous obstiner à la facilité imbécile et moutonnière des attrape-mouches Microsoft, dévotion que je payais bien mal de mon obstination à considérer l’effort d’un apprentissage minimum aux choses de l’informatique hors de mes capacités-, que j’allais brosser mes dents pour la seconde fois de la soirée –la première ayant eu lieu en même temps que Lucie, juste avant son coucher, trois heures auparavant, et la dernière motivée par les crasses que je m’enfilais devant l’écran de mes préoccupations nocturnes-, que je m’étendais enfin les yeux piquants de sommeil sous l’édredon, travaillés par le désir de ne pas se fermer et le besoin de le faire, je savais que quelque chose me prendrait dans les méandres de ma nuit, là où d’autres situent le sommeil profond et les terreurs nocturnes, quelque chose me saisirait dans l’impression noire de ces morceaux de sommes sans lune où l’on se repose des animations des songes –et que je serais encore loin de l’aube. A l’instant où ma poitrine se relevait sous l’effet d’une angoisse née avant l’endormissement mais qui ne se manifestait que pendant cette phase à laquelle certain estime qu’il faille lui consacrer la moitié de son existence, je constatais avec un dégoût toujours renouvelé que ma chevelure était inondée de transpiration. Avant même de me mettre debout, je retournais l’oreiller le côté sec vers le haut en vue du moment où j’allais me recoucher, je posais les pieds sur le sol et j’inspirais une ou deux fois profondément, puis je me dirigeais vers la chambre de Lucie pour écouter sa respiration avec l’impression que c’était elle qui m’inquiétait, avant même, déjà, de clore mes activités en ligne.

Une fois ma préoccupation éteinte, aussi bien par le souffle de Lucie qui se réverbérait sur ma main lorsque je l’approchais de sa bouche que par le mouvement de son corps et le léger bruit qu’il provoquait sur la literie –comme si le simple fait de la savoir vivante pouvait suffire à la deviner en bonne santé et la penser immortelle-, je me remettais à penser à mes travaux vespéraux. Je quittais sa chambre sans un autre coup d’œil, avec la certitude inconsciente que plus rien jusqu’au petit déjeuner ne pouvait plus lui arriver, sans même me murmurer qu’il était ridicule de me réveiller ainsi en pleine nuit et sachant que cela m’accablerait encore mille fois jusqu’à ce qu’elle atteigne un âge qui me donnerait de tout autres soucis, pour lesquels je prévoyais d’autres types de veilles, d’autres genres d’angoisses, mais que je refusais encore de considérer, songeant que c’était les mêmes que je n’avais pas supportées chez ma mère lorsque mon adolescence avait commencé à me faire quitter le nid et rendre ses inquiétudes emmerdantes.

C’est alors que je me mettais à associer, « nuit après nuit après nuit », les peurs qui m’animaient dans mon sommeil et que je liais à Lucie, avec les travaux qui emplissaient ces heures en plus d’une bonne partie de mes jours. Je songeais par exemple à l’article que Caroline espérait pour le lendemain et auquel j’avais posé les avant-dernières virgules, qui attendait, après que j’aurai eu conduit Lucie à l’école, mon ultime relecture du matin avant son envoi pour publication –ou du moins pour évaluation avant approbation, car je n’espérais pas qu’il soit accepté sans plusieurs relectures, corrections et réécritures, ce qui à la fois me désolait et me décourageait, mais je n’osais le dire, ni à Caro, ni à Giulio –seul Marc savait que je résistais constamment à l’envie d’abandonner ma collaboration, respectait mon humeur et me motivait de la seule manière qu’il connaissait et qui s’avérait chaque fois efficace : par la valorisation de son amitié pour moi, mais bientôt même celle-ci allait perdre de son efficacité ; ou alors je songeais à mon travail de traduction d’un chapitre de Chomsky qui me posait plus de problèmes de compatibilité idéologique que de linguistique, redoutant de me retrouver encore une fois en conflit avec celui que la plupart d’entre nous considéraient comme le phare intellectuel de notre mouvement, malgré tous les désaccords et toutes les divisions qu’il provoquait, non pas dans le monde intellectuel académique, que nous raillions et que nous n’estimions pas, mais entre nous qui sentions bien que la confiscation de notre qualificatif par lui était usurpée et réclamait, malgré notre admiration et notre respect pour lui, une réappropriation –ou plutôt, puisque nous n’aimons pas ce terme, une désappropriation et une recollectivisation ou une individualisation ; ou encore, je songeais aux dernières phrases de la nouvelle que je cherchais à terminer sans succès, qui m’imposait une pause que je ne désirais pas, mais qui s’avérait nécessaire, car je ne parvenais pas à trouver une fin qui soit digne d’un milieu que je considérais intelligent, nouveau, convaincant et utile, qui avait suivi un début original et accrocheur, ce qui m’était si difficile à produire depuis que j’avais commencé à écrire –c’est-à-dire bientôt vingt-cinq ans ; ou enfin, pour m’arrêter dans mes exemples et éviter de les multiplier par le nombre de mes activités, je songeais encore au compte-rendu de la dernière réunion de l’IRé, que j’avais terminé mais que j’hésitais à envoyer tel quel sans une révision par l’un ou l’autre des membres qui avait pu y assister, cependant que je cherchais en vain à qui j’aurais pu confier ce qui deviendrait alors un brouillon et susceptible d’être jugé alors que mon orgueil me commandait de ne plus y toucher, non par paresse –même si c’était l’un de mes principaux défauts, il ne m’accablait que lorsque je devais travailler pour de l’argent et pas pour ce que j’estimais avoir une vraie valeur-, mais parce que je répugnais à laisser à un membre de l’InterRéseau le droit de me critiquer, ce qui, j’en conviens, ne concorde guère avec mes idées, mais dominait malheureusement mon individu. Toutes ces réflexions me ramenaient à une seule, celle de l’angoisse du parent qui laisse à son enfant le monde tel qu’il n’est pas parvenu à le changer en bien pour l’accueillir. J’avais beau estimer que depuis mon arrivée à l’âge adulte mon énergie avait été essentiellement tournée vers ce désir quand elle n’était pas consacrée à ma subsistance, je ne pouvais m’empêcher de culpabiliser concernant deux choses. La première, c’était la faiblesse des résultats, tant des miens que de la collectivité, pour évoluer vers un état meilleur du monde. Nous avions participé à des mouvements tels qu’on pouvait en nombre et en proportion les comparer à ceux de la Première Internationale, intellectuellement en apprécier la richesse et la diversité à l’aune des vigueurs de l’après-68 et concrètement équivaloir notre quantité et variété d’expériences à l’Espagne de 1936, additionnée de la Commune de 1871, de Kronstadt, de Makhno et des utopies locales du début du XXème Siècle. Pourtant, nous ne parvenions à convaincre que nous-mêmes, à ne gagner que des minorités presque impalpables de par le monde et à perdre par le jeu des âges et des ambitions personnelles une grande partie de nos forces. Ces vingt années de respirations haletantes, je les ai soufflées aux visages de centaines, de milliers, peut-être, de personnes qui souffraient des rapports inégaux, des règles établies, des amendements séculaires ou des volontés patriarcales. Mais ils ne se levaient pas. Jusqu’à ces dernières années, je ne ressentais chez eux que d’infinitésimaux frissonnements, rien de très vivant.

Restaient finalement nos pauvres carcasses de « reduci » jetées à la risée de ceux qui nous avaient quittés sous prétexte de réalisme et de pragmatisme et en tout cas de ceux qui ne nous considéraient que comme des obstacles d’envergure moyenne ou médiocre, des espèces de facteurs incontournables, mais à la limite utiles en ce qu’ils justifiaient à la fois les budgets sécuritaires et la démocratie qui nous tolérait, disait-on, parce que, bonne poire, elle tolère tout, même ce qui la conteste de manière non démocratique, à condition que l’on joue le jeu de la démocratie, ce qui se mordait la queue, certes, mais ne dérangeait presque personne, car comment montrer à mon beau-père, et c’était là la deuxième faiblesse que je ne me pardonnais pas, mon incapacité à convaincre les personnes que j’aimais, que, contrairement aux assertions des journaux, nous n’étions en réalité pas plus libres de contester la démocratie telle qu’elle existait sous le prétexte qu’elle n’existait pas en essence, puisque justement elle nous laissait la contester pour autant que nous ne critiquions pas son essence. Cela me rappelait ces chrétiens qui se targuaient d’être libres parce qu’ils avaient choisi, disaient-ils, de se soumettre à Dieu de la manière qu’ils avaient estimé conforme, mais qui refusaient de considérer que cette soumission consistât en une limite substantielle de leur liberté, comme ces « libres penseurs » britanniques, pour lesquels il n’existait qu’une limite : celle de la foi en Dieu. Comme si la liberté devait s’imposer des limites, perdre son essence pour exister. Par exemple, s’il était impossible de la considérer hors du carcan de la propriété privée, dont la fonction première, avant de donner un droit à quelqu’un, était bien d’en priver tous les autres. J’avais de la considération pour mon beau-père mais je ne pouvais m’empêcher de lui trouver un esprit étroit et incompatible avec un raisonnement logique à plusieurs étages comme il était nécessaire de poser pour expliquer mon point de vue, surtout que la patience n’était pas exactement sa principale vertu et que lorsqu’il commençait à voir qu’il perdait pied, plutôt que de me réclamer des éclaircissements, il me laissait en plan en me disant que mon raisonnement ne tenait pas debout. Il me fallait bien reconnaître que les faiblesses qu’il manifestait étaient le lot de la plupart des personnes que je connaissais en dehors de nos cercles de militants et je constatais qu’il fallait sans doute se situer en dehors du système de pensée établi pour en comprendre les défauts. Mais cela n’est pas suffisant, car, si vous vivez depuis votre naissance hors de ce système de pensée établi, vous n’en saisissez pas plus les défauts que si vous y êtes ; et j’en dois conclure qu’il faut y avoir vécu et en être sorti pour le comprendre effectivement. Toute l’équation réside alors dans la problématique : comment en sortir ? Et par là même, je posais la question : comment en étions-nous sortis ? Et, peut-être plus difficile encore, comment ceux qui se moquaient de nous y étaient retournés ?

Suite ici.

décembre 20, 2013

Entretenir l’ennemi, justifier la guerre, affaiblir les amis ou futurs amis, et autres petits effets de stratégie…

Filed under: discussions piquantes — tito @ 5:12 pm

Ne pas toucher à l’Arabie Saoudite, au Qatar, au Bahrein… Jamais… Même dans les médias les plus « honnêtes », si l’on devait comparer au poids les articles incendiaires consacrés à ces trois régions et à leurs troubles rapports à la démocratie, aux femmes ou au terrorisme du genre Al-Quaida, avec ceux qui touchent aux « grands méchants » du genre Syrie, Iran, Libye (jusqu’il y a peu) ou Irak (jusqu’à la mort du précédent nouvel Hitler), il n’y aurait pas photo.

A tout prendre, l’Arabie Saoudite est un pays de joyeux bédouins qui viennent de temps en temps dépenser des fortunes dans nos casinos tout en achetant les hôtels où ils dorment. Ou l’inverse.

Or, ces figures caricaturales, images d’Epinal, dont on entend rarement parler autrement qu’avec des photos souriantes et des poignées de main exotiques, sont loin d’être des gentils républicains ou des aristos modérés.

Mais on ne scie pas la branche sur laquelle est assis son ennemi. Il pourrait disparaître trop vite.

1941-1943: Arthur Harris, commandant en chef de la flotte de bombardement stratégique de la RAF britannique, lance ses opérations sur l’Allemagne. Bombardements massifs (Area Bombing), avec l’objectif de démoraliser l’Allemagne. Quelles vont être généralement ses cibles? Les noeuds routiers et ferroviaires? Les usines d’acier ou de roulement à bille? Les barrages hydroélectriques?

Non, ou si peu.

En dépit d’une défense aérienne allemande médiocre (Göring était un piètre commandant aérien), qui aurait sans doute permis aux alliés d’arrêter la guerre dès la fin de 1943, s’ils avaient focalisé leurs bombardement sur ces cibles, selon les dires mêmes du ministre de l’armement allemande de l’époque, Albert Speer, ce sont les villes et les usines périphériques qui seront les cibles d’une campagne aérienne dont la stratégie échappait complètement à Speer. Au lieu de frapper les « sources » de l’industrie allemande, les bombardements toucheront les « embouchures », tout à fait réparables.

Pire: les assauts répétés sur les villes vont ressouder le peuple allemand autour de ses chefs, en qui pourtant leur confiance s’était effritée au cours des derniers mois de 1942 avec l’enlisement du front russe, suivi du débarquement en Italie et de la défection de l’allié latin.

On était sans doute à un pouce d’une révolte ou d’un abandon faute de matériel… Speer admet qu’un bombardement de plus sur les usines de roulement à bille de Schweinfurt aurait stoppé la production d’armes lourdes (tanks, avions, navires, sous-marin), et donc précipité la fin du IIIe Reich. C’est tout le contraire qui arriva: il parvenait à produire tellement de matériel, qu’il n’y avait plus assez d’hommes pour les porter.

Les alliés n’avaient-ils pas compris à quel point leur stratégie correspondait peu aux objectifs avoués?

Ou fallait-il retarder l’affaiblissement de l’ennemi tant que l’on n’était pas prêt à débarquer, de peur que « d’autres » récoltent les lauriers 1? Faut-il croire ceux qui pensent ques les USA voulaient réduire l’Europe à l’état de dépendant chronique de leur économie?

Ou penser que les stratèges alliés étaient des gros nuls? Ce que pensait manifestement Albert Speer qui voyait en Harris un « excellent partenaire », puisqu’à lui tout seul il soutenait le morale du peuple allemand.

Est-ce parce qu’ils sont nuls que les Etatsuniens écrasent ou menacent d’écraser tous les Etats qui n’ont précisément aucun lien avec Al-Quaida? Saddam Hussein, Khadafi, l’Iran étaient loin d’être des copains de feu Oussama. Ou ne serait-ce pas parce que Al-Quaida tape bien plus sur les Chiites que sur les Sunnites? Ou est-ce parce qu’il faut se garder en permanence un ennemi crédible sous le coude?…2

  1. Pour rappel, les Alliés occidentaux n’ont rien fait pour accélérer l’avancée de l’Armée Rouge, premiers arrivés à Berlon. []
  2. A lire: Un article sur le site de Collon et au moins deux livres: Albert Speer, Le journal de Spandau et Joachim Fest, Albert Speer. Le confident de Hitler, parmi d’autres. []

novembre 26, 2013

La presse papier va disparaître…

Filed under: discussions piquantes — tito @ 2:29 pm

Le Monde De Tijd

La Libre Belgique

Libération

La Stampa

El Pais

Time

The Observer

The European

Le Figaro

La Repubblica

Le Point

Le Soir

La Dernière Heure/Les Sports

Het Laatste Nieuws

O Globo

Le Courrier International

Le Nouvel Obs

The Washington Post

der Spiegel

Financial Times

De Standaard

O Estado de São Paulo

Libération

A Folha de São Paulo

le Vif/L’Express

Le Moustique

Paris-Match

De Morgen

Die Welt

The New York Times

Il Corriere della Sera

Il Sole 24 Ore

L’Equipe

La Gazzetta dello Sport

Het Niewsblad

The Daily Mirror

La Voix du Luxembourg

The Herald Tribune

The Sun

Etc.

Etc.

Etc.

Est-ce que c’est vraiment grave?

novembre 18, 2013

Diviser la gauche par zéro

Filed under: discussions piquantes,politopics — tito @ 10:11 am

Critiquer Rafael Correa… L’occasion m’est venue tout récemment dans une conversation avec un ami. Il faut dire que, après avoir résidé quatre ans au Brésil et mangé de l’information réactionnaire de là-bas à plus ne savoir la vomir, j’avais quelques arguments en ma faveur. Correa favorise les grandes entreprises et critique toutes les mesures laïques possibles. Et quand il finit par s’opposer à une grande pourvoyeuse d’esclavage et de detruction de l’environnement comme la bétonneuse Odebrecht (dont l’origine sinon le capital est brésilienne), ce n’est pas par souci social ou environnemental, mais parce que, ô surprise, les budgets ont explosé.

Oh, Rafael, tu plaisantes ou quoi? En même temps, qu’attendre d’un type qui a été éduqué par nos universités? Ses modèles ne sont sans doute pas reluisants.

Bon, et pourtant, après une minute d’arguments, je me suis rétracté: non, je ne veux pas me mettre sur le plan des critiques de Correa. Pourquoi? Je n’ai guère de sympathie pour lui, ni sur le plan politique, puisque je trouve sa gauche trop molle, ni sur le plan philosophique, avec ses références chrétiennes trop prononcées. Pour autant, et pour avoir vécu en Amérique Latine durant quatre ans, dans un pays bien plus riche -le Brésil-, quoique pas plus à gauche -et même sans doute moins-, je me sens astreint à une attitude intermédiaire et, je l’espère, temporaire, celle de refuser la critique de front sur les leaders, disons, de gauche, dans cette région.

Pourquoi?

Pour une première raison, c’est que les alternatives de gauche à Correa, Dilma ou Maduro sont à construire par les Equatoriens, les Brésiliens et les Vénézuéliens, et que nous n’avons sûrement pas de leçons à leur donner. Dans le même ordre d’idée, lorsque l’on sait d’où viennent ces Etats, d’où viennent encore l’Uruguay, le Nicaragua ou la Bolivie, on ne peut voir dans ces dirigeants qu’un mieux transitoire, en espérant qu’ils donnent aux habitants le goût du progrès social et l’envie de plus de révolte encore. C’est, semble-t-il, le cas, bien que de manière complexe et qu’il serait trop long d’analyser ici.

Pour une deuxième raison, c’est que nous avons déjà fort à faire avec notre propre gauche, nos propres gouvernants, notre Europe, nos pays. Si nous voulons vraiment influencer le monde, alors nous devons changer ce qui se passe ici et maintenant, en Europe, en Belgique, chez nous.

Là où nous avons prise.

L’Europe est l’un des leviers de commande du commerce international. La politique abdicatrice -au bénéfice des profits du capital- de nos dirigeants est l’une des plus honteuses de la planète. Peut-être la plus honteuse, car nous sortons d’une période qui impliquait une véritable opportunité de direction vers une gauche modérée qui aurait pu être acceptable si elle s’était étendue à l’ensemble de la planète. Je ne dis pas une gauche idéale, mais quelque chose qui aurait pu servir de tremplin vers un monde à la fois plus juste et encore perfectible.

Nos dirigeants sociaux-démocrates ont préféré se courber devant les milieux conservateurs et les bakchichs que ceux-ci offraient à leurs serviteurs en place, devenus leurs partisans, leurs avocats, leurs complices.

Ils sont parmi les premiers contributeurs de la situation internationale pour s’être systématiquement accordés avec les intérêts diplomatico-stratégiques d’une Organisation du Traité Atlantique-Nord qui, normalement, n’avait plus de raison d’être.

Ils sont à ranger parmi les complices des gouvernements autoritaires qui nous servent de résereves énergétiques, de la Birmanie au Qatar, en passant par les bonnes vieilles dictatures latino-américaines et les néo-colonies africaines.

Le fait que les Etats d’Amérique Latine se soient plus ou moins -plus ou moins- émancipés, ils ne l’avalent toujours pas. Ils nous l’ont encore montré en 2002, lors de la tentative de coup d’état contre Chavez, qu’ils s’apprêtaient à saluer avec soulagement.

Non, le régime vénézuélien, pas plus que celui de Correa, et encore moins celui de Lula et Dilma ne sont des exemples de gauche aboutie. Oui, je constate moi-même que dans ce pays auquel je suis particulièrement attaché, le Brésil, les événements sont inquiétants et qu’il n’est pas impossible que nous soyons au bord d’un précipice dangereux, avec, qui sait, peut-être, un retour en arrière, un grand bond vers un système autocratique. Le Brésil est un pays extrêmement fragile et toute avancée sociale y est combattue avec une violence incroyable, même si de loin les reflets en sont toujours chamarrés et mélodieux.

Non, je ne me satisfais pas des positions autoritaires du gouvernement chaviste, ni de la verticalité de la « révolution cubaine », pas plus que de la mollesse équatorienne ou de l’illusion chilienne.

Non, je ne suis pas nécessairement d’accord avec les positions internationales de ces gouvernements non plus, encore que je les honore souvent en ce qu’elles sont plus souvent indépendantes de celles des USA et qu’elles développent des voies différentes, plus modérées, plus nuancées, que celles de la Chine ou de la Russie.

Mais, si informer sur ces pays est une bonne chose, et je continuerai à y contribuer dans la mesure de mes moyens, il faut le faire avec toutes les réserves que je viens d’évoquer: d’où ils viennent, ce qu’ils risquent en cas de retour en arrière, notre propre poutre dans l’oeil…

Et s’il faut le faire, je crois que ce doit être avec une forme plus constructive et moins insultante.

Notre combat, nous devrions le mener comme si nous étions encore au temps de la première internationale: à notre niveau, au service de nos syndicats, de nos coopératives, de nos luttes de base, contre notre bourgeoisie, et ne jamais crier avec elle sur un coup de diversion, telle une guerre lointaine dont nous ne maîtriserons jamais tous les tenants et aboutissants, tel un scandale international qui devrait plutôt nous faire sourire et qui implique des loups entre eux.

Quant aux procès sur ce qui est ou n’est pas de gauche, ils sont illégitimes et improductifs. Les crachats à la figure sur nos rares intellectuels compétents, sur des mouvements auxquels nous n’adhérons pas parce qu’ils ne respectent pas les principes dogmatiques que nous avons choisis en fonction de notre propre vécu, ou sur des pays lointains dont nous ne comprenons pas le tiers du quart (et, en dépit de mon expérience, je suis loin de saisir tous les éléments qui font du Brésil ce qu’il est), c’est indigne d’un esprit de gauche.

A force de diviser la gauche ou de la laisser diviser, nous sommes en train de la réduire à rien.

novembre 11, 2013

L’héritage, un aliment du capitalisme.

Filed under: économie mon amour — tito @ 12:06 pm

L’héritage est à la fois une trace évidente de la patrimonialité de notre société, issue du droit romain, et un signe clair de ce que notre société est toujours aristocratique, dans le plein sens médiéval du terme.

Ce n’est pas du Moyen-Âge que nous vient l’héritage, mais il y est passé, y a entériné le droit de transmission familial que nous connaissons toujours, le droit du plus riche à faire de son fils un autre riche, du comte à faire de son fils un autre comte. Aucune révolution bourgeoise ne l’a remis en question, parce qu’il fait partie intégrante du droit de propriété.

Explication: dans la propriété, il y a trois éléments:
1) l’usus (ou usage), qui permet au détenteur d’un bien de l’utiliser de manière incontestée, comme un marteau sur un clou, même s’il appartient à mon voisin;
2) le fructus (ou fruit), qui permet de recueillir d’un bien ce qu’il produit, tel un arbre dans le jardin, même si je le loue;
3) l’abusus (qu’on ne peut traduire que par « abus », mais les Latins ne l’entendaient pas comme nous, ce qui est ironique), qui est le noyau de la propriété. Les deux premiers sont également les deux droits que possède le locataire, le possesseur. L’abusus, c’est le droit du propriétaire de vendre, louer, céder, transformer ou détruire un bien, sans en référer à personne. Et dans ce droit, donc, figure la transmission, élément essentiel de la propriété, de la pérennité de la propriété, et par là de la pérennité du capital.

Or, si les riches transmettent beaucoup à leurs fils, les pauvres transmettent peu, voire rien, aux leurs. Et donc l’héritage entérine l’inégalité, reproduit les inégalités, les accroît même.

Si certains libertariens regrettent qu’un propriétaire ne puisse choisir ses héritiers en dehors de sa famille dans certains pays, comme en France ou en Belgique, où les enfants du riche sont protégés contre la liberté de celui-ci, il ne s’agit que d’un nuage de lait dans le noir de notre affirmation: l’héritage, par sa grande latitude, est une prolongation du pouvoir de décision du défunt sur le reste de la société. Et cela signifie qu’un mort a souvent plus de poids dans la société que des millions de vivants.

Est-ce juste?

D’où vient l’héritage? Est-il justifié dans son essence? Au-delà de la justice, comment explique-t-on l’existence même de l’héritage?

L’héritage remonte à l’époque des débuts du capitalisme.

Dès que certains hommes, spécialisés dans la garde du grenier, puis du temple où l’on amassait les réserves, où l’on gardait la trace comptable des têtes de bétail, où l’on mettait sous la garde des divinités les biens meubles et immeubles de la communauté, se furent assurés que leur progéniture allait reprendre leur charge, ils étrennèrent l’héritage. Ils justifièrent probablement cela aux yeux des autres membres du groupe par la compétence, à l’origine: voyez, j’ai appris à mon fils ce que je savais sur ma charge, il est donc le plus à même de remplir ma charge. Confiscation des savoirs.

Peu à peu, ces fils, ou petits-fils, après quelques générations, définirent des titres suffisants qui leur permirent, à la force du poignet, à la sueur du front des autres, sous la protection des plus forts du groupe, de s’auto-attribuer le succès de celui-ci, afin de réduire à rien la possibilité, la légitimité de la contestation de leurs prétentions. Peu à peu, ils devinrent gardiens officiels, sour les titres de prêtres ou de princes de la société.

Puis, ce dont ils avaient la charge, qui était à l’origine le bien de toute la communauté, devint peu à peu celui d’une entité abstraite, l’Etat, dont ils étaient les responsables. En quelques générations (dix? cent? qui pourra l’établir?), ils réussirent à créer un lien entre eux-mêmes et ces biens. Ce lien, c’est la propriété, puisque c’est le droit de transmettre sans devoir rendre d’autres comptes.

Lorsqu’il n’y avait qu’un gardien, la société était monarchique (pouvoir d’un seul). Lorsqu’ils étaient plus nombreux, elle était théocratique (pouvoir basé sur le divin) ou aristocratique (pouvoir des meilleurs). Avec l’accroissement de la population, ces oligarchies (pouvoir de plusieurs) devint la règle, en dépit de l’importance d’une tête au milieu de tous ces privilégiés.

S’il y avait un roi (et le vocabulaire dut apparaître assez vite), il y avait des adjoints, des prêtres autour qui collaboraient avec lui -et parfois le renversaient, aussi-, pour asseoir une caste supérieure sur le reste de la société, qui « croissait et multipliait » en dessous.

Le vocabulaire accompagnait la fonction, la fonction accompagnait la richesse accumulée, l’augmentation de cette richesse justifiait la conservation des titres, les titres se multipliaient, se sacralisaient, devenaient intouchables.

On érigea des statues, des monuments, des murs, des tombeaux, on mit en scène des gestes, des récits, des mythes, des généalogies, on établit des rites, des protocoles, des hiérarchies, des chambellans, on mit tout cela par écrit, sur la pierre, l’argile, la fibre, pour que les siècles des siècles reconnaissent le droit d’un homme de se prolonger dans la mort à travers sa famille.

Et les causes profondes de tout cela? Le pourquoi? Est-ce pour le bien de tous?

Il en va de l’héritage comme des mythes de la vie éternelle: on se figure qu’en se prolongeant après la mort à travers ses biens conservés, augmentés, transmis à sa progéniture, l’on s’assure une pérennité qui permettrait à son initiateur et à ses continuateurs de vivre pour toujours. Une illusion commode qui justifie l’inégalité.

Car qu’importe le sort de tous. La raison d’un homme deviendra la raison d’Etat. Quand l’héritage se répandra dans la population parmi les plus riches -comme en Grèce ou à Rome, la raison d’Etat se confondra avec la raison de la Gens -c’est-à-dire de la famille, du patriarche -il y aura autant de raison d’Etat qu’il y a de Pères de famille. Le vocabulaire s’enrichira d’autant, puisque même à Rome, qui n’est plus monarchique, on désignera encore de nombreux « Pères de la Patrie ». Le vocabulaire n’est jamais anodin.

Il y a là, on le remarque aussitôt, quelque chose d’une pathologie mentale. Aux spirituels, je suppose, il n’échappera pas le côté vain, inutile, orgueilleux de la manoeuvre de l’héritage. Aux matérialistes, je l’espère, l’inanité de celle-ci paraîtra encore plus évidente: quand on est mort, on est mort.

Alors qui peut y croire, hors les matérialistes et les spirituels? Il reste les religieux, dont la seule préoccupation est la perpétuation et la conservation de ce qui existe dans leur petit présent.

Que reste-t-il alors à l’héritage pour se justifier dans un système économique juste?

Les libertariens le justifient d’un trait: son utilité. Selon eux (je me réfère à Henri Lepage, dans son livre Pourquoi la propriété, qui en résume bien l’idée), l’héritage entraîne l’accumulation de capitaux tels qu’ils permettront la réalisation de projets qui, sinon, n’auraient pu se faire en dehors de la construction injuste des Etats.

On ne peut, dans ces lignes, que s’accorder sur le caractère injuste des Etats.

Cependant, nous ne pouvons permettre de laisser croire qu’il n’existe comme possibilités à, par exemple, l’établissement d’une ligne ferroviaire, ou la construction d’un pont digne de ce nom, que le capital privé et le capital d’Etat.

Le capital n’est pas le seul moteur du génie humain, même s’il est sans doute le plus puissant, ce qu’il est difficile de nier. Il n’est pas malaisé d’imaginer des systèmes de coopératives et de mutuelles horizontales vouées à la construction collective de structures complexes et élaborées. Il est possible qu’aucune de celles-ci n’aura l’idée de fabriquer une pyramide, une cathédrale, le Christ Rédempteur de Rio ou un porte-avion, mais est-ce bien à cela que l’on distingue le génie humain? Ces artefacts sont-ils bien à même d’améliorer la condition humaine? Il suffit, en outre, de penser aux merveilles du monde du passé, de se souvenir qu’à part la Muraille de Chine et les Pyramides de Gizhé, elles ont toutes disparu. Que la Muraille fut construite par des princes mégalomanes, ou plutôt sous leur égide par des quantités invraisemblables d’ouvriers, et que son utilité est très discutable -en dehors d’être un agent de soumission du peuple. Que les Pyramides, elles aussi fruits de leaders mégalomaniaques qui auraient fait paraître nos tyrans du XXe Siècle pour des amateurs, ont également été construites par des milliers de travailleurs exploités, fort probablement esclaves, dans le seul but de pérenniser un pouvoir illégitime en le divinisant.

Que ces constructions témoignent de la vigueur de l’intellect de leurs architectes, de leurs ingénieurs, cela ne fait aucun doute. Que ces savants eussent été bien plus utiles à travailler au bonheur des hommes n’est pas moins certain.

Les constructions mégalomaniaques du passé, tout comme les projets fous du présent, tels que les lignes de trains à grande vitesse traversant l’Europe de part en part, alors que des voies plus traditionnelles existent déjà, ont peut-être plus de chance de traverser les millénaires que les humbles maisons collectivement réalisées dans des civilisations plus égalitaires. Pour autant, je ne peux croire que les cathédrales, les forteresses B-52 ou le Kremlin aient pu rendre les populations qui les ont vu construire plus heureuses.

Je n’ai aucun mal à imaginer, parce que cela s’est déjà produit dans le passé, des initiatives collectives vouées à la construction de réseaux d’irrigation, de routes carrossables ou de carrières de matière première. Avec la technologie d’aujourd’hui, ce type de réalisation peut se faire plus facilement, peut s’étendre à des choses plus complexes, nécessite moins de moyens et d’autres, autrefois inenvisageable sans un roi ou un Rockfeller, sont tout à fait possibles à la vigueur de coopératives entrelacées et se mettant d’accord sur des projets communs.

Avec pour effet qu’un projet de grande taille ne pourra plus se faire sans l’aval des populations concernées. On n’aura plus le creusement d’une voie de chemin de fer en dessous d’une montagne menaçant un environnement et des villages, ni des barrages gigantesques, réalisés pour le profit d’entreprises lointaines. On se concentrera sur des projets plus modestes, moins contraignants. Il est pratiquement certain qu’il ne pourrait plus y avoir de centrales nucléaires parce qu’elles nécessitent des structures verticales et autoritaires, incompatibles avec la démocratie participative.

Par contre, des ingénieurs engagés par des collectivités réduites organiseront des petites centrales de production énergétique adaptées aux localités, avec des moyens de communication susceptible de transférer écologiquement le surplus de ces masses d’énergie en réduisant les pertes au maximum, parce que ces pertes ne pourraient plus être encaissées ni par les Etats, ni par des compagnies d’assurance, ni par des entreprises qui feraient retomber leurs pertes sur les prix.

L’héritage aboli, c’est toute la structure sociale qui devra être repensée au bénéfice du plus grand nombre. Parce que l’on ne pourra plus favoriser individuellement ses enfants, on fera tout pour que ses enfants jouissent de la société la plus égalitaire, la plus juste et la plus prospère dans son ensemble possible.

Délire? Rêve? Fantasme?

« Newer PostsOlder Posts »

Powered by WordPress